II. UN IMPACT IMPORTANT SUR LES COMPAGNIES AÉRIENNES
A. UN PREJUDICE FINANCIER IMMÉDIAT
1. La fermeture du ciel américain
Suite
aux attentats du 11 septembre, le ciel américain a été
totalement fermé pendant 4 jours, puis progressivement réouvert
à compter du 16 septembre. Le préjudice pour les compagnies
aériennes résulte, de manière immédiate, des
surcoûts liés à cette fermeture.
A titre d'exemple, Air France a estimé à 60 millions d'euros sa
perte opérationnelle pour la décade qui a suivi les attentats.
2. La hausse du tarif des primes d'assurance
Dès le lendemain des attentats, les compagnies
d'assurance
ont décidé de ne plus prendre en charge la couverture du risque
de guerre, compte tenu des coûts potentiels en cas de nouveaux attentats
visant des aéronefs.
Avant les attentats du 11 septembre 2001, les compagnies aériennes
étaient assurées pour le risque de guerre et d'attentats
jusqu'à concurrence de 2 milliards de dollars. Suite aux attentats du 11
septembre, les assureurs ont décidé de rapporter leur couverture
à 50 millions de dollars. Pour les compagnies aériennes, la
décision des assureurs équivaut à une multiplication par
40 de leur facture (puisque, à montant de prime inchangé, le
montant couvert est 40 fois inférieur à celui d'avant les
attentats).
Les gouvernements de l'Union européenne ont décidé de
prendre en charge la tranche comprise entre 50 millions de dollars et 2
milliards de dollars (en France, c'est la caisse de réassurance qui a
été chargée de cette tâche) à titre
provisoire, jusqu'au 31 décembre 2001.
A compter du 1
er
janvier 2002, une solution pérenne devra
être trouvée au problème de l'assurance des compagnies
aériennes.
Plusieurs options peuvent être
envisagées :
- soit la situation internationale et l'évolution du marché de
l'assurance permettent de prendre en charge le risque d'attentat à un
coût que les compagnies aériennes seront en mesure de
supporter ;
- soit un système nouveau devra permettre aux compagnies d'être
couvertes pour ce risque.
Un système de mutualisation des risques
dans le cadre de l'Union européenne pourrait alors être
envisagé.
3. L'impact financier majeur de la conjonction de la croissance des coûts et du ralentissement du trafic aérien
Face
à la croissance des coûts et au ralentissement du trafic
aérien, les compagnies aériennes ont du faire face à des
difficultés financières importantes. Dès la reprise des
cotations des entreprises à la bourse de New York, les compagnies
aériennes américaines voyaient ainsi leur cours de bourse
diminuer de moitié.
En Europe, les compagnies les plus fragiles financièrement, comme Sabena
ou Swissair, ont été contraintes de mettre un terme à leur
activité. D'autres compagnies pourraient subir le même sort,
notamment celles ne disposant pas d'un marché intérieur
suffisamment important.
B. LA RÉACTION DES COMPAGNIES AÉRIENNES
Les
conséquences des attentats du 11 septembre 2001 sur les finances des
compagnies aériennes contraignent celles-ci à mettre en oeuvre
des programmes de réduction des coûts. Il s'agit, en particulier,
de la diminution de la capacité offerte (nombre de vols), de la
résiliation de certaines options de commande d'appareils et de la sortie
anticipée de la flotte de certains appareils, de la réduction des
programmes d'investissement, mais également de la mise en chômage
partiel ou du licenciement d'une partie du personnel. En moins de deux
semaines, les compagnies américaines ont annoncé la suppression
de 100.000 emplois, soit une personne sur six travaillant dans le secteur.
Par ailleurs, certaines compagnies ont mis en oeuvre une politique de promotion
tarifaire sur les vols européens (British Airways et KLM).
Afin de faire face à la situation nouvelle, Air France a
décidé rapidement la mise en oeuvre d'un plan
« MAC » (mesures d'adaptation à la conjoncture),
identifiant 220 mesures touchant tant au fonctionnement qu'à
l'investissement de la compagnie. Les investissements prévus
initialement par la compagnie seront fortement réduits : hors
flotte, les réductions d'investissement atteindront 170 millions
d'euros d'ici au 31 mars 2002.
La mesure la plus importante concerne le gel de 3.500 embauches et la gestion
du « temps travaillé » (planification des
congés et des jours liés à la réduction du temps de
travail...), pour un montant total de 36 millions d'euros. Le personnel d'Air
Liberté qui devait être embauché par Air France, est, en
premier lieu, victime de cette décision.
Le programme d'investissement d'Air France
L'ensemble des investissements corporels et incorporels et des
acquisitions de filiales du groupe Air France pour l'exercice 2000/2001 s'est
élevé à 2,04 milliards d'euros, en hausse de 48 % par
rapport à l'exercice précédent.
La plus grande partie des investissements programmés pour les
années à venir concernent la modernisation et le
développement de la flotte afin d'accompagner la croissance du
« hub » de Roissy, favorisé par la mise en service
de la troisième piste en 1999, celle de la quatrième piste
à la fin de l'année 2000, et par l'ouverture de l'aérogare
2 E en 2003.
L'objectif d'Air France est de financer la majeure partie de ses
investissements. Ainsi, les investissements réalisés au cours de
l'exercice 2000/2001 ont été financés grâce aux
produits de cession (pour 402 millions d'euros), à une capacité
d'autofinancement de 1,18 milliard d'euros et à la
trésorerie du groupe pour le complément.
Afin de maintenir ses capacités d'autofinancement, la compagnie a mis en
oeuvre un plan, « performance 2003 », qui devait conduire
à des gains de productivité liés à la croissance de
la compagnie et à une diminution de ses coûts.
11(
*
)
Les conséquences des
attentats du 11 septembre 2001 ont cependant conduit Air France à
procéder à une révision complète de son programme
d'investissement.
C. L'INTERVENTION DES ETATS EN FAVEUR DES COMPAGNIES AÉRIENNES
Les pouvoirs publics sont contraints de s'adapter à la nouvelle situation, en aidant les compagnies aériennes d'une part, et en renforçant les mesures de sûreté dans les aéroports et dans les appareils, d'autre part.
1. Une intervention massive en faveur des compagnies aériennes américaines
Très vite après les attentats du 11 septembre, le
gouvernement américain a décidé de verser une aide de 15
milliards de dollars aux compagnies aériennes américaines. Cette
aide se décompose en 5 milliards de dollars de subventions directes et
de 10 milliards de dollars de prêts. Par ailleurs, 3 milliards de dollars
ont été prévus pour faire face aux dépenses
supplémentaires en matière de sûreté aérienne
et aéroportuaire.
Ainsi, les Etats-Unis, pionniers de la libéralisation du transport
aérien, ont apporté un soutien immédiat et massif à
leurs compagnies aériennes.
2. Les divergences au sein de l'Union européenne
La
commission européenne s'est prononcée en faveur d'aides publiques
pour le transport aérien, mais limitées. D'après les
informations recueillies par votre rapporteur spécial, le gouvernement
français souhaitait que l'Union européenne intervienne de
manière significative en faveur des compagnies aériennes. Cette
volonté s'est heurtée au souhait de nombreux Etats de ne pas
soutenir le marché, afin :
- d'une part, d'éviter les éventuelles distortions de concurrence
qui pourraient résulter de l'attribution d'aides ;
- d'autre part, de promouvoir une restructuration du secteur aérien en
Europe.
Les divergences exprimées dans le cadre des négociations
européennes ont donc conduit à une intervention
particulièrement timide des pouvoirs publics pour aider les compagnies
aériennes, au regard notamment de l'aide massive consentie par le
gouvernement américain.
Les compagnies aériennes ont subi un préjudice important, au
titre de la fermeture du ciel américain, d'une part, et du refus des
assureurs de poursuivre la prise en charge du risque d'attentat, d'autre part.
Afin de compenser ces préjudices, le conseil des ministres des
transports de l'Union européenne a tout de même
décidé de permettre aux Etats-membres d'accorder des aides aux
compagnies aériennes :
- afin de compenser les pertes subies du fait de la fermeture du ciel
américain pendant quatre jours ;
- afin de prendre en charge les surcoûts liés à la prise en
charge des mesures de sûreté par les compagnies aériennes
(renforcement du contrôle des passagers et des bagages à
l'enregistrement, présence de personnel de sécurité sur
les vols dits sensibles) ;
- afin de permettre la prise en charge le risque attentat jusqu'au
31 décembre 2001, risque que les compagnies d'assurance ont
indiqué ne plus prendre en charge suite aux attentats du 11 septembre.
Votre rapporteur remarque que
l'Union européenne a
décidé de limiter considérablement les aides
versées par les Etats membres aux compagnies aériennes, attachant
une grande importance aux risques de distorsions de concurrence et à la
nécessité de restructurer l'industrie du transport
aérien
. Les aides seront donc considérablement plus faibles
que celles versées par les Etats-Unis aux compagnies américaines,
qui s'élèvent au total à près de 18 milliards de
dollars (5 milliards de dollars au titre du préjudice subi pour la
fermeture du ciel américain, 3 milliards de dollars pour la prise en
charge des mesures de sûreté supplémentaires et 10
milliards de dollars de prêts pour permettre aux compagnies de passer la
période difficile). Les aides qui seront versées par les Etats
membres de l'Union européenne devraient représenter à
peine 10 % de cette somme.
D. LE NÉCESSAIRE RENFORCEMENT DES MESURES DE SÛRETÉ
1. Les mesures décidées en France
Dès le soir du 11 septembre 2001, le gouvernement a
décidé la mise en place du plan «
Vigipirate
renforcé
» sur l'ensemble du territoire français.
Dans le cadre de ce plan, le groupe interministériel des vols sensibles
(GIVS) a décidé de mettre immédiatement en oeuvre des
mesures visant à renforcer la sûreté dans les
aéroports. Il s'agit notamment :
- lors de l'inspection-filtrage des passagers, ceux-ci pourront
désormais être soumis à une palpation de la part des
officiers de police judiciaire et leurs bagages à main pourront
être ouverts ;
- s'agissant des bagages de soute, toutes les machines de contrôle
existantes seront mobilisées afin d'assurer un contrôle à
100 % des vols sensibles, et un contrôle maximal sur tous les autres
vols.
Par ailleurs, le programme visant à assurer un contrôle à
hauteur de 100 % des bagages de soute, prévu pour être
achevé au cours de l'année 2003, sera
accéléré afin d'être opérationnel dès
l'année 2002.
D'autres mesures sont en cours de mise en oeuvre, afin d'améliorer
notamment le contrôle d'accès des personnels aux zones
réservées au sein des aéroports.
Il convient de
remarquer à ce sujet que près de 50.000 personnes disposent
d'un badge d'accès aux zones réservées d'Aéroports
de Paris, et qu'environ 40.000 badges appartenant à des personnes
anciennement employées sur l'aéroport sont toujours en
circulation, et pourraient permettre à des personnes non
autorisées d'accéder à ces zones
réservées
. Désormais, les portes d'accès aux
zones réservées seront limitées et systématiquement
contrôlées. A terme, les badges devraient faire l'objet d'une
réforme afin de mieux assurer le contrôle des personnels, et de
retirer de la circulation tous les badges
« périmés ».
Par ailleurs,
votre rapporteur spécial souhaite que le recours des
compagnies aériennes et des gestionnaires d'aéroports à la
sous-traitance soit étudié avec attention, s'agissant notamment
des activités chargées du contrôle des bagages et des
passagers
. Il estime que la conjonction du désengagement de l'Etat
des missions de sûreté et de l'externalisation croissante des
activités des compagnies aériennes afin de diminuer les
coûts, conduit à une augmentation sensible des risques liés
au transport aérien.
2. Le financement des mesures de sûreté
a) La réparation du préjudice subi pour la fermeture du ciel américain
Afin de
compenser la fermeture du ciel américain pendant les quatre jours ayant
suivi le 11 septembre, le gouvernement a décidé de proposer des
compensations au bénéfice des compagnies aériennes.
Le montant total des sommes devant être versées aux compagnies
françaises s'élève à 360 millions de francs.
b) Le financement des nouvelles mesures de sûreté
Afin de
financer les dépenses de fonctionnement et les investissements
nécessaires pour assurer la sûreté aérienne et
aéroportuaire, le gouvernement a proposé plusieurs modifications
au projet de loi de finances intiale.
Ces mesures concernent les taux de la taxe d'aviation civile, la
répartition de son produit entre le budget annexe de l'aviation civile
et le FIATA, et les plafonds des taux de la taxe d'aéroport.
Ainsi, le gouvernement a proposé deux amendements au présent
projet de loi de finances, votés par le Sénat, afin de relever le
taux de la taxe d'aviation civile et de modifier la répartition de son
produit.
Les compagnies aériennes françaises (et en premier lieu, Air
France) bénéficieront d'une compensation totale de
360 millions de francs au titre de la fermeture du ciel américain,
et de 300 millions de francs en année pleine au titre du
renforcement de leurs mesures de sûreté
12(
*
)
. La couverture du risque attentat
est prise en charge par la caisse de réassurance jusqu'au 31
décembre. A compter de l'année 2002, soit le marché
permettra à nouveau d'assurer ce risque, soit un système de
mutualisation pourrait être mis en place au niveau de l'Union
européenne.
3. Un développement indispensable de la coopération internationale
L'organisation internationale chargée du contrôle
aérien, l'OACI, fixe le cadre international des mesures de
sûreté. Malheureusement, ces mesures ne sont pas mises en oeuvre
de manière uniforme dans tous les pays. Ainsi, le renforcement des
mesures de sûreté en France ne permet pas de prévenir
absolument les risques d'attentats pouvant survenir sur notre territoire,
puisque des avions en provenance d'autres pays - et notamment, de pays en voie
de développement - ne bénéficient pas des mêmes
mesures de sécurité.
L'OACI va prochainement rendre obligatoire le contrôle de tous les
bagages de soute, et va imposer les mêmes mesures de
sécurité aux vols intérieurs qu'aux vols internationaux.
Ces mesures sont les bienvenues.
Cependant, votre rapporteur spécial
craint que, en l'absence de contrôles réguliers et précis
de leur application au niveau national, elles n'aient pas l'impact
nécessaire sur la sûreté du transport aérien au
niveau mondial.
Enfin, la pleine efficacité des mesures de sûreté exige un
changement des mentalités dans le secteur du transport
aérien : ce secteur, marqué par un important mouvement de
libéralisation et un développement des pratiques commerciales
visant à accroître la rapidité des déplacements,
devra faire une place croissante à la sûreté, qui va
parfois à l'encontre de l'objectif de rentabilité poursuivi par
les compagnies aériennes.