IV. MAÎTRISER LA DÉPENSE PUBLIQUE : QUELQUES ENSEIGNEMENTS À TIRER DES EXPÉRIENCES PORTUGAISE ET ESPAGNOLE
Votre
commission n'a pas, vis-à-vis de la dépense publique, une
attitude doctrinaire ou dogmatique consistant à la rejeter en
bloc : en effet, à l'évidence, actuellement, des ajustements
sectoriels s'imposent, un effort significatif doit être
réalisé en faveur de secteurs prioritaires, tels que la
sécurité, la santé, ou l'investissement public, qu'il soit
civil ou militaire.
Soucieux de contribuer effectivement à ce débat
55(
*
)
, votre rapporteur
général s'est attaché à étudier
concrètement deux expériences de réduction de la
dépense publique menées par des pays de la zone euro, ayant des
gouvernements de sensibilité politique différente et leur rythme
propre de développement.
Qu'il s'agisse de la volonté actuelle du gouvernement portugais de
diminuer les dépenses publiques ou des efforts mis en oeuvre avec
succès depuis 1996 par le gouvernement espagnol, un constat semble, par
delà les dissemblances pouvant exister avec la situation de notre pays,
s'imposer à l'évidence :
la réduction
significative de la dépense publique est une entreprise de longue
haleine qui nécessite du courage politique et de la détermination
afin de pouvoir mener, dans la durée, des réformes de structure
ambitieuses et indispensables.
A. UNE NOUVELLE MÉTHODOLOGIE BUDGÉTAIRE ET DES OBJECTIFS AMBITIEUX
1. Contenir la dépense, un défi nécessaire mais difficile pour le gouvernement portugais
a) Une nouvelle loi-cadre budgétaire promulguée en août 2001
Celle-ci définit plus clairement les règles relatives à l'approbation et au contrôle de l'exécution du budget et met en place pour cela une batterie d'indicateurs autour des concepts d'objectifs et de programmes. Elle instaure également au début du mois de mai un débat d'orientation budgétaire. De nouvelles règles ont par ailleurs été élaborées s'agissant des possibilités de report de crédits d'un exercice budgétaire sur l'autre. Désormais, ceux-ci doivent être centralisés au sein du ministère des finances qui est le seul habilité à en décider, le cas échéant, le report. Cette loi-cadre a été complétée par le vote d'une loi relative à la stabilisation et à la coordination entre les différents niveaux d'administrations, qu'elles soient centrales, régionales ou locales, afin de permettre une appréciation d'ensemble du niveau du déficit public.
La nouvelle loi du cadre budgétaire
La loi
n 91/2001 du 20 août 2001 établit le nouveau cadre des
budgets et des comptes de l'ensemble des administrations publiques. Cette loi
s'applique aux services sans autonomie administrative et financière
(appelés par la loi services intégrés), aux services et
fonds autonomes et au système de solidarité et
sécurité sociale
(1)
.
La nouvelle loi, composée de 82 articles, est plus complète et
détaillée que la précédente (n 6/91 du 20
février) qui ne comptait que 32 articles. Hormis les principes
déjà inclus dans la loi n 6/91 (unité et
universalité, équilibre, non consignation, et
spécificité), la nouvelle loi budgétaire ajoute les
principes suivants :
- annualité
: le principe qui établit une
fréquence annuelle pour les budgets a été
renouvelé, précisant que la préparation des budgets doit
s'inscrire dans une perspective pluriannuelle ;
- non-compensation
: toutes les recettes doivent êtres
estimées par leur montant intégral, sans que les charges de
collectes ou d'autres natures leurs soient déduites ;
- instruments de gestions :
les organismes des administrations
publiques doivent se soumettre au Plan Officiel de Comptabilité
Publique ;
- publicité :
le gouvernement doit garantir la divulgation
et transparence du processus budgétaire et de son exécution.
Le budget de l'État (composé par les budget des services
intégrés, des services et fond autonomes et du système de
solidarité et Sécurité Sociale) comporte les dotations des
dépenses et les prévisions des recettes relatives à la
période concernée. Le principe de l'équilibre
présuppose que les recettes prévues soient, au moins,
égales aux dépenses. Les budgets doivent être
élaborés, approuvés et exécutés de
façon à :
- contenir les dotations nécessaires à la réalisations des
dépenses obligatoires ;
- respecter les obligations dérivant du Traité de l'Union
Européenne ;
- prendre en compte les lignes directrices du gouvernement en matière de
planification et de programmation financière pluriannuelle.
La date de présentation du projet de loi des finances a
été anticipé au 1er octobre (sauf pour certains cas
définis) et un délai de 45 jours est prévu pour la
votation
(2)
. Le contenu et la structure de la loi des
finances, ainsi que les processus d'exécution budgétaire et
d'introduction de changements obéissent, de façon
générale, à la loi précédente.
(1) Les budgets des régions autonomes des Açores et
Madère sont indépendants du budget de l'État.
(2) Selon la loi budgétaire précédente, le projet de loi
devait être présenté le 15 octobre et le vote devait avoir
lieu avant le 15 décembre.
En ce qui concerne le contrôle budgétaire, la nouvelle loi
prévoit la réalisation d'un débat politique pendant la
première moitié du mois de mai. À cette occasion, le
gouvernement devra, en particulier, présenter l'état
d'exécution du budget, les révisions au Programme de
Stabilité et Croissance et les grandes orientations des politiques
économiques qui seront présentes dans le Conseil ECOFIN de mai.
La loi n 91/2001 introduit un autre élément nouveau qui
consiste à soumettre les budgets et les comptes à une
systématisation complémentaire par objectifs (la gestion par
objectifs) qui tienne compte des activités et objectifs de chaque
organisme, de leurs centres de coûts respectifs et des ressources qui
leurs sont affectées. Cette mesure prétend améliorer les
décisions sur la réorientation et le contrôle des
dépenses publiques. Les développements par objectif seront
introduits progressivement, commençant par accompagner le projet de loi
des finances et les comptes à titre informatif.
Source : direction générale des études,
ministère portugais des finances
Le gouvernement portugais a ainsi souhaité adopter des mesures claires
destinées à baisser le poids de la dépense publique qui
devront produire leur effet à l'horizon 2002-2004.
b) Une mesure emblématique : ne remplacer qu'un départ à la retraite de fonctionnaire sur quatre
Le
gouvernement portugais a affiché son intention de principe de ne
remplacer qu'un fonctionnaire seulement sur quatre partant à la
retraite. Cette disposition doit s'appliquer à l'administration centrale
et locale.
Le ministère des finances, en liaison avec le ministère de la
réforme de l'Etat, a été chargé de mettre en
application ce dispositif qui exclut cependant deux secteurs : la
santé et l'éducation. L'objectif avoué est de
réduire très sensiblement le nombre des fonctionnaires qui a
effectivement augmenté de près de 10 % au cours des cinq
dernières années, passant de 650.000 à
700.000 personnes entre 1995 et 2000.
c) « Débusquer » les rigidités et pesanteurs du système administratif : les 50 mesures de la commission ECORDEP
Prenant acte de la difficulté d'une diminution ambitieuse de la dépense sans éliminer les rigidités du système administratif, les autorités portugaises se sont attachées à rechercher une meilleure efficience des deniers publics, particulièrement dans les secteurs de l'éducation et de la santé. Une structure spécifique de coordination de la réforme de la dépense publique (ECORDEP), créée à cet effet, a fait des propositions qui ont débouché sur la présentation par le ministre des finances d'un programme de réforme de la dépense publique pour les années 2002-2004 comprenant 50 mesures dont la plus spectaculaire est la fixation d'un plafond annuel de 4 % pour la croissance de la dépense courante. Ce seuil pourrait se traduire par une diminution en termes réels si l'inflation se révélait être supérieure à la prévision du gouvernement, hypothèse qui n'est pas à exclure dans la mesure où le Portugal connaît toujours un niveau d'inflation plus élevé que la moyenne de la zone euro.
2. Une politique drastique de réduction de la dépense mise en oeuvre par le gouvernement espagnol depuis 1996
a) Des mesures urgentes et immédiates de réduction de la dépense
Dès son arrivée au pouvoir en 1996, le
gouvernement
espagnol a entrepris de réduire les dépenses dans l'ensemble des
secteurs, à l'exception de celui de la défense.
Les premières mesures urgentes se sont donc traduites par la diminution
très sensible de l'investissement public ainsi que par la diminution des
dépenses courantes de fonctionnement (« le train de
vie » de l'Etat).
b) Un programme complet de limitation des dépenses, notamment des rémunérations publiques
Dans un
second temps, l'effort a porté de façon pérenne sur les
différents et principaux postes de dépenses du budget de l'Etat.
Il s'est agi tout d'abord d'ériger en principe le non remplacement de
trois fonctionnaires sur quatre partant à la retraite, et cela hors
« cas exceptionnels ». Cette règle de base
s'applique à toutes les administrations publiques, y compris
régionales ou municipales, à l'exception des filières
d'activité définies lors de la discussion budgétaire. Ont
ainsi été épargnés par ces mesures des secteurs
tels que la justice, l'enseignement ou les professions de santé. Aussi,
pour l'essentiel, ces mesures ont-elles concerné les services centraux
des administrations, soit 15 à 20 % des effectifs totaux, plus que
les fonctionnaires des services extérieurs, directement en contact avec
le public.
Parallèlement, ont été supprimés des organismes
publics jugés inutiles tandis qu'étaient réalisées
des économies dans le domaine social consistant notamment à
renforcer les contrôles et fixer des règles plus strictes pour
l'indemnisation du chômage afin de réduire la fraude. De
même, ont été mis en concurrence systématiquement
les fournisseurs des administrations afin de réduire les dépenses
courantes et les frais généraux.
c) La nécessité actuelle de fixer un nouveau cadre aux relations entre l'Etat et les collectivités locales
Une
loi-cadre sur la stabilité budgétaire concernant l'ensemble des
administrations publiques est actuellement en cours de discussion au Parlement.
Elle vise à fixer pour les régions et les villes des
règles quant au niveau de leur déficit public ou de leur
endettement. Il est ainsi prévu de leur appliquer des critères
plus stricts que ceux du traité de Maastricht en leur interdisant de se
trouver en situation de déficit, ce qui suscite d'ores et
déjà de nombreux débats quant à l'application
desdits critères aux régions au motif que cela limiterait leur
autonomie statutaire.
S'agissant de l'Etat, elle a pour objet d'encadrer l'évolution de la
dépense. Par ailleurs, afin de compléter ce dispositif et
d'améliorer l'information budgétaire, un nouveau système
comptable plus complet devrait être mis en place de sorte que
l'évolution du patrimoine de l'Etat puisse être mieux
appréhendée à l'occasion de l'examen de la loi de
finances.