C. COMMENT RÉORIENTER LA FISCALITÉ VERS L'INITIATIVE ET L'EMPLOI ?
Comme
cela vient d'être souligné,
les mesures fiscales prises par le
gouvernement ne sont de nature ni à modifier le poids des
prélèvements pesant sur le travail ni à relancer
l'initiative et l'investissement des entreprises.
Votre commission ne peut toutefois que prendre acte des mesures
décidées par le gouvernement et, dans un esprit de
responsabilité motivé par la prise en compte de la
fragilité grandissante de nos finances publiques, ne peut
présenter un nouveau plan dont le coût serait évidemment
ajouté à celui des mesures déjà prises.
1. Rendre l'emploi attractif : alléger les cotisations sociales employeurs et réformer progressivement la taxe sur les salaires
Outre la
préférence qu'elle a déjà exprimée, pour un
plan d'allégement d'impôts combinant les cotisations sociales
employeurs et l'impôt sur le revenu,
votre commission souhaite
apporter quelques éclairages sur la nécessité de
réformer progressivement des impôts particulièrement
néfastes pour l'emploi et pour la croissance de notre
économie
.
Parmi ces prélèvements, particulièrement dissuasifs pour
l'emploi, figure notamment
la taxe sur les salaires, pour laquelle notre
commission souhaite que des réformes soient entreprises à moyen
terme.
Faut-il supprimer la taxe sur les salaires ?
Le mardi
9 octobre 2001, la commission des finances du Sénat a adopté un
rapport d'information d'Alain Lambert, président, relatif à la
taxe sur les salaires
54(
*
)
.
Cette publication a été l'occasion de rappeler l'existence de
cet impôt très peu connu mais qui rapporte pourtant environ 50
milliards de francs chaque année au budget de l'Etat et concerne
quelques 350.000 redevables (principalement dans les secteurs hospitalier,
associatif, bancaire et des assurances).
L'analyse de l'impact économique de la taxe sur les salaires sur ses
différents redevables a fait apparaître des effets potentiellement
très négatifs. Taxe assise sur les rémunérations,
la taxe sur les salaires constitue un véritable
frein à
l'embauche
dans de nombreux secteurs et notamment dans le secteur des
associations. C'est aussi, dans les secteurs bancaire et des assurances,
très concurrentiels, une incitation pour les entreprises redevables
à se délocaliser puisque la taxe sur les salaires est un
impôt sans équivalent en Europe
. Enfin, le rapport de la
commission des finances met en évidence que 41 % du produit de la taxe
sur les salaires est acquitté à l'aide de financements d'origine
publique (budgets des hôpitaux, subventions publiques aux associations,
budgets des caisses de sécurité sociale, etc.) :
la
puissance publique lève alors un impôt sur
elle-même !
Plusieurs propositions de réforme sont évoquées dans le
rapport, parmi lesquelles, compte tenu du poids budgétaire de cet
impôt la piste de sa suppression progressive et prudente est
privilégiée.
C'est dans cette optique que
votre commission vous proposera
d'alléger progressivement le poids budgétaire de la taxe sur les
salaires, en réduisant le premier taux de son barème.
2. Simplifier notre système fiscal
Puis,
votre commission souhaite poursuivre la simplification de notre système
fiscal.
En matière d'impôt sur le revenu, votre commission demandera au
gouvernement de remettre dans les meilleurs délais un rapport sur les
modalités de passage au
prélèvement à la
source
.
L'impôt sur le revenu : en attendant la
réforme...
L'allègement de l'impôt sur le revenu a
été présenté comme la mesure
« phare » du programme de baisses d'impôt du
gouvernement.
Or,
la France a l'impôt sur le revenu le plus archaïque qui
soit.
Bien que le taux marginal maximum de l'IRPP reste l'un des plus
élevés du monde, sa part dans le total des recettes fiscales est
l'une des plus faibles car la moitié seulement des Français
paient cet impôt.
La part de l'impôt sur le revenu dans le total des recettes fiscales
représente 17,4 % en France, contre 25 % en Allemagne, 27,5 % au
Royaume-Uni et 40,5 % en Grande-Bretagne (Source : OCDE - 1998).
La vraie réforme consisterait à élargir l'assiette de
l'IR et à en réduire le taux
. De nombreux pays ont fait cette
démarche dans les années passées. La loi de 1986 (Tax
reform Act) aux Etats-Unis a permis de réduire considérablement
les taux d'imposition en compensant par un élargissement de l'assiette
des impôts (suppression des abattements et déductions,
intégration des gains en capital dans le revenu imposable), la
Grande-Bretagne a fait de même au cours des années 80. L'Allemagne
a également entrepris une vaste réforme de l'impôt sur le
revenu, consistant à en élargir l'assiette et à en
réduire le taux, en trois étapes (1986,1988,1990). Très
récemment, l'Allemagne a mis en oeuvre une réforme,
adoptée définitivement en juillet 2000, ramenant le taux plancher
de l'impôt sur le revenu à 15 % d'ici à 2005. Les Pays-Bas
ont également mené une réforme en 1990 afin
d'élargir la base et réduire les taux d'imposition. De son
côté, la France refuse une réflexion approfondie sur ce
sujet.
Enfin,
votre commission des finances estime que la France devrait engager
une réflexion sur le prélèvement à la
source
et proposera que le gouvernement remette un rapport sur les
modalités de passage à ce type de prélèvement.
Elle proposera également, dans un souci de simplification fiscale, de
supprimer complètement la vignette sur les véhicules à
moteur
.
Afin de
rétablir
l'équité entre les titulaires
de bénéfices non commerciaux employant moins de cinq personnes et
les autres contribuables
-qui ont bénéficié de la
suppression progressive de la part salariale de l'assiette de la taxe
professionnelle
-, votre commission vous proposera également, comme
l'an dernier, un dispositif simple réduisant progressivement la fraction
des recettes prise en compte dans les bases de taxe professionnelle des
titulaires de bénéfices non commerciaux employant moins de cinq
salariés.
3. Relancer l'initiative et l'investissement des entreprises
Enfin,
votre rapporteur général estime que l'action fiscale devrait
se concentrer davantage sur l'aide à l'investissement des
entreprises.
A moyen terme, cela suppose évidemment, comme le soulignait le rapport
précité de notre collègue député Michel
Charzat, de «
mettre à niveau l'impôt sur les
sociétés
». En effet, comme le précise ce
rapport «
le taux effectif marginal d'imposition nous place en
dernière position des quinze pays de l'union européenne
...
[or]
un taux trop élevé d'imposition sur les
bénéfices pénalise des entreprises installées en
France par rapport aux entités étrangères dans la
compétition internationale : il réduit les moyens
disponibles pour financer la croissance de l'entreprise et assurer sa
compétitivité
».
Cela suppose aussi
d'harmoniser
davantage l'assiette de l'impôt
sur les sociétés à l'échelle européenne
comme la Commission européenne vient encore récemment d'en
rappeler la nécessité.
La
Commission européenne propose une assiette consolidée
unique
de l'impôt sur les sociétés
Les
conseils européens de Lisbonne (mars 2000) et Stockholm (mars 2001) ont
fixé un objectif stratégique pour l'Union
européenne : en faire l'économie la plus compétitive
et la plus dynamique du monde à l'horizon 2010. La politique
communautaire en matière de fiscalité des sociétés
doit contribuer à remplir cet objectif ; elle constitue même,
selon la Commission, l'une des conditions essentielles de réalisation de
cet objectif.
Dans sa
communication
intitulée « Vers un marché
intérieur sans entraves fiscales » publiée le
23
octobre 2001
, la Commission européenne trace les grands lignes de sa
«
stratégie pour permettre aux entreprises d'être
imposées sur la base d'une assiette consolidée de l'impôt
sur les sociétés couvrant l'ensemble de leurs activités
dans l'Union européenne
».
La Commission européenne est en effet convaincue que les régimes
d'imposition des sociétés dans les différents
Etats-membres de l'Union européenne ne se sont pas adaptés
à la mondialisation, au marché intérieur, ni à
l'Union économique et européenne et que la coexistence de
quinze corps de règles fiscales différentes
et d'une
multitude de conventions fiscales engendrent des coûts
considérables. Elle a également identifié un certain
nombre d'obstacles fiscaux entravant l'activité économique
transfrontalière (imposition des opérations de restructuration,
rares possibilités de compensation transfrontalière des pertes,
limites des mécanismes visant à atténuer la double
imposition, etc.).
Elle a constaté que des
écarts importants -jusqu'à 30
%- existaient dans les taux effectifs d'imposition
des
sociétés mais a reconnu que la fixation des taux relevait de la
compétence des Etats-membres et n'a donc pas proposé d'action
communautaire en cette matière.
Les axes d'action de la Commission seront les deux suivants :
- des
initiatives ciblées
(modification des directives
« mères-filiales » et
« fusions », nouvelle proposition de directive sur les
pertes transfrontalières, création d'un « Forum
conjoint de l'Union européenne sur les prix de transfert »,
objectif de parvenir à une version communautaire de la convention
modèle de l'OCDE en matière de double imposition, etc.) ;
- la
définition d'une base consolidée d'imposition des
sociétés
couvrant l'ensemble de leurs activités dans
l'Union européenne (soit par l'imposition selon les règles de
l'Etat de résidence, soit une base d'imposition consolidée
commune conformément à un nouveau code commun de l'impôt
des sociétés qui serait applicable dans la totalité de
l'Union européenne).
Suite à cette communication, la Commission envisage d'organiser une
conférence européenne sur la fiscalité des
sociétés en 2002 puis de rédiger un rapport en 2003 sur
ses conclusions quant aux politiques à mettre en oeuvre.
A court terme, votre rapporteur général s'inquiète
d'une lacune majeure du « programme fiscal » du
gouvernement : il ne prévoit pratiquement rien pour favoriser
l'investissement des entreprises.
Certes, dans le cadre du « plan de relance », le
gouvernement a annoncé un amortissement exceptionnel de 30 % pour les
immobilisations acquises entre le 17 octobre 2001 et le 31 mars 2002, mais il
s'agit d'une simple « mesure de calendrier » sans effet
réel durable. Le remboursement annoncé par l'Etat du reliquat de
la dette due à la suppression du décalage d'un mois de la TVA est
également une simple mesure de trésorerie, sans impact
significatif sur les résultats des entreprises.
C'est en raison de l'absence quasi-totale d'initiatives en direction des
entreprises, dont les projets d'investissement et les initiatives sont pourtant
considérablement ralentis et pourraient freiner la croissance, que votre
rapporteur général
proposera, dans la ligne des propositions
formulées par le rapport Charzat
des mesures destinées
à soutenir l'initiative et les créations d'entreprises.
Dans cet esprit, il proposera par exemple d'aménager le régime
du crédit d'impôt-recherche
, en tenant compte des
propositions faites par le rapport Charzat. De même, il proposera
d'étendre le dispositif proposé par le gouvernement
d'incitation à la recherche médicale
, dont la
portée est actuellement insignifiante. En outre il proposera d'augmenter
les plafonds des réductions d'impôts pour les
souscriptions de
parts des fonds communs de placement à risques
(FCPR) et
de fonds
communs de placement dans l'innovation
(FCPI) afin de soutenir le
financement des entreprises innovantes.
Bien évidemment, il proposera également de
revenir sur la
décision de l'Assemblée nationale qui a refusé la
revalorisation du barème de l'impôt de solidarité sur la
fortune
, décision d'autant plus paradoxale que notre collègue
député Michel Charzat en avait à juste titre
souligné tout l'intérêt ainsi d'ailleurs que celle de
mettre fin au « plafonnement du plafonnement » en
matière de cotisation d'impôt sur le revenu et d'ISF.
Enfin, afin d'adresser à l'investissement un signal qui ne soit pas un
« feu de paille » et de l'inscrire dans une dynamique de
long terme, votre rapporteur général vous proposera de revenir
sur l'une des mesures les plus fâcheuses prises par le gouvernement en
2001 :
la baisse des taux de l'amortissement dégressif.
En tentant d'en endiguer temporairement les effets nocifs dans le cadre de son
« plan de relance », le gouvernement donne d'ailleurs
implicitement raison à votre rapporteur général qui avait
souligné que cette mesure de rendement défavorable à
l'investissement, était particulièrement inopportune.
4. Accroître la stabilité de notre système fiscal : encadrer la rétroactivité
Le
principe de sécurité juridique est une condition essentielle de
bon fonctionnement des sociétés. Il implique que chaque citoyen
puisse connaître, à l'avance et de manière précise,
les avantages et les inconvénients de ses actes eu égard aux
règles juridiques qui s'imposent à lui.
Concrètement, la sécurité juridique implique que la norme
juridique soit accessible, claire et prévisible.
Elle garantit donc
la stabilité des situations juridiques, notamment en s'opposant à
leur remise en cause par des normes rétroactives.
Les
propositions de votre rapporteur général pour limiter le
recours
aux dispositions fiscales rétroactives
Le
principe de sécurité juridique est une condition essentielle de
bon fonctionnement des sociétés.
Or, la multiplication, au
cours de ces dernières années, de dispositions fiscales soit
rétroactives, soit rétrospectives (comme l'abrogation par
anticipation d'avantages fiscaux concernant des opérations
étalées sur plusieurs années) a contribué à
développer un sentiment d'insécurité juridique fort parmi
les contribuables.
Cette situation entraîne deux effets pervers.
D'une part, elle altère l'esprit d'entreprise des contribuables :
si l'environnement juridique de l'entreprise ou du patrimoine devient instable,
toute prévision tend à devenir impossible et les agents
économiques ne sont plus encouragés à développer
leurs activités.
D'autre part, l'utilisation intempestive de la rétroactivité
affaiblit la crédibilité et l'efficacité de la politique
fiscale. En effet, les contribuables sont moins réceptifs aux
incitations fiscales de l'Etat dès lors que celles-ci peuvent être
effacées ou remises en cause après quelques années.
Certes, la jurisprudence joue un rôle pour limiter le recours aux
dispositions rétroactives. Toutefois, cette évolution serait
facilitée si un principe général du droit relatif à
la non rétroactivité était introduit dans la
Constitution.
C'est la raison pour laquelle votre rapporteur général a
souhaité faire évoluer l'état du droit applicable.
Il
a, à ce titre, déposé deux propositions de loi,
n° 53 et n° 54 (1999-2000), pour limiter le recours aux
dispositions fiscales rétroactives.
En effet,
aucune disposition constitutionnelle ne fait
référence au principe de non rétroactivité. C'est
la raison pour laquelle une proposition de loi constitutionnelle a
été déposée qui modifie le sixième
alinéa de l'article 34 de la Constitution qui dispose que la loi fixe
les règles concernant l'assiette, le taux et les modalités de
recouvrement des impositions de toutes natures.
Il s'agit de préciser
que les règles relatives à l'assiette et au taux ne sont pas
rétroactives sauf dans les conditions et sous les réserves
prévues par une loi organique.
Par ailleurs, votre rapporteur général a également
déposé une proposition de loi organique qui tend à
circonscrire, en droit, les cas où le recours à une loi
rétroactive est admissible tout en tenant compte non seulement de la
tradition juridique de la France, mais aussi de la spécificité de
la technique fiscale. Ainsi, les règles d'application dans le temps des
dispositions incluses dans les lois de finances sont maintenues. Le vecteur
juridique retenu est une loi organique afin que le champ d'application de la
présente proposition s'étende aux dispositions fiscales contenues
non seulement dans les lois, mais également dans les lois de finances et
dans les lois de financement de la sécurité sociale.