C. DES CHOIX « BUDGÉTIVORES »
Au-delà de ces affichages, les choix du gouvernement sont en réalité très coûteux, notamment pour l'avenir.
La
hausse des dépenses du budget général entièrement
« captée »
par la dette et la fonction
publique
(en milliards d'euros)
1. La fonction publique, véritable priorité du gouvernement tout au long de la législature
a) Toujours plus de fonctionnaires
Au
début de la législature, le gouvernement avait affirmé
vouloir « geler » l'emploi public, cette bonne
résolution étant motivée tant par des
considérations budgétaires que par un souci affiché de
bonne gestion. Sa position officielle consistait ainsi à stabiliser le
nombre de fonctionnaires, tout en procédant à des
redéploiements d'effectifs en direction des secteurs prioritaires comme
la justice ou la sécurité
18(
*
)
. Inversement, l'administration
fiscale et celle de l'équipement devaient voir leurs effectifs diminuer.
Cette ambition s'est brisée - rapidement - sur des résistances de
nature syndicale, qu'il n'était du reste ni étonnant ni
illégitime de voir se manifester, mais auxquelles le gouvernement n'a
pas eu le courage de faire face,
préférant, par
facilité, renouer avec une politique qui, faute d'être
réformatrice, a au moins le mérite de la lisibilité :
créer des emplois supplémentaires.
Le graphique ci-après traduit bien l'abandon par le gouvernement de son
objectif initial de « geler » l'emploi public :
C'est
à partir de la loi de finances pour 2001 que le gouvernement a fait le
choix de créations massives d'emplois publics telles qu'il n'y en avait
plus eu depuis le début des années 1990
19(
*
)
. Le présent projet de loi de
finances confirme ce choix, en l'amplifiant, puisqu'il prévoit la
création de 15.892 emplois budgétaires
supplémentaires
, dont 14.611 au sein des services de l'Etat et 1.281
dans les établissements publics.
Le tableau ci-après présente ces créations d'emplois par
section budgétaire :
Source : ministère de l'économie
- • Ces arbitrages sont évidemment critiquables, et suscitent quelques interrogations.
Il paraît légitime de se demander jusqu'où va aller ce mouvement, d'autant plus que le nombre des élèves comme des étudiants diminue désormais très régulièrement, et que les projections démographiques montrent bien que cette décrue va se poursuivre.
Certes, le gouvernement indique que ces créations d'emplois s'inscrivent dans un plan pluriannuel ayant vocation à anticiper les départs importants à la retraite des enseignants. Ne paraît-il pas plus urgent - mais c'est aussi bien plus difficile - de réfléchir à la façon d'adapter le format de l'Etat à cette occasion historique que constitue une telle évolution ?
Part
de l'éducation nationale dans le total
des créations
d'emplois budgétaires en 2001 et 2002
-
Source : ministère de l'économie
Cette question fondamentale
, à laquelle le gouvernement n'a
jamais donné d'autre réponse que quantitative,
se pose plus
généralement pour l'ensemble de la fonction publique
, tant il
est vrai que, comme le lui suggérait du reste un rapport du Commissariat
général du Plan l'année dernière,
il semble
inconcevable de remplacer chaque fonctionnaire partant à la retraite.
En effet, non seulement cela entraînerait un coût budgétaire
considérable, mais cela paraît également contradictoire
avec les gains de productivité que les nouvelles technologies de
l'information et de la communication sont susceptibles d'engendrer dans les
services, permettant ainsi de réduire les effectifs et surtout
d'enrichir le contenu de certains emplois publics.
- • Par ailleurs, des mesures « d'ordre » (c'est-à-dire de remise en ordre des personnels) sont prévues :
- l'inscription de 6.917 emplois au titre de la régularisation d'emplois « Berkani », soit 2.335 emplois au ministère de la défense, 2.106 à celui de l'intérieur, 1.452 au ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, 962 à l'équipement, 35 à l'emploi, 20 à l'outre-mer, et 7 à la mer ;
- 2.500 régularisations de surnombres, dont 1.500 enseignants stagiaires et 1.000 policiers, auxquelles il convient de retrancher 120 emplois pour solde des diverses autres mesures d'ordre.
Soit un total de 13.293 emplois au titre de l'ensemble des mesures d'ordre.
Si le gouvernement indique que ces mesures interviennent « à effectifs constants », il convient bien de garder à l'esprit qu'elles n'en emportent pas moins des conséquences budgétaires, le versement d'une pension par exemple.
Comme les emplois « régularisés » ont été en fait créés sans autorisation du Parlement par les différentes administrations qui continuent à se gérer « au fil de l'eau », on voit bien que l'actuel gouvernement ne fait peser aucune véritable contrainte sur le niveau des effectifs de ses services. Les 13.293 emplois à régulariser en 2002 démontrent l'hypocrisie des pratiques actuelles.
Au total, ce seront donc 29.185 emplois budgétaires supplémentaires qui sont créés par le projet de loi de finances pour 2002 (après 20.820 en 2001).
b) Le coût croissant des rémunérations publiques
Dans
le projet de loi de finances pour 2002
, l'ensemble des principales
composantes des dépenses de fonction publique du budget
général progresse de
4,6 %
par rapport à la loi de
finances initiale de 2001, soit
4,79 milliards d'euros
(31,45 milliards de francs)
supplémentaires
,
les
dépenses du budget général devant augmenter de 2 % en
2002.
Elles s'élèvent donc à
109,13 milliards d'euros
(715,85
milliards de francs), répartis de la façon
suivante :
Il convient de souligner la
très vive progression des pensions
,
soit près de
+ 6 %
en une année, et près de + 7 %
pour les pensions civiles.
Les dépenses de fonction publique représentent ainsi 43,3 % du
budget général en 2002
, contre 42,2 % en 2001.
Les dépenses « induites » de
fonction publique
Si l'on
intègre les dépenses induites, notamment les subventions à
l'enseignement privé et les pensions des anciens combattants,
ces
dépenses étaient, en 2000, de 116,14 milliards d'euros
(761,85 milliards de francs)
dans leur ensemble
- y compris
1,09 milliard d'euros (7,14 milliards de francs) de
rebudgétisations, dont 770 millions d'euros (5,03 milliards de francs)
sur le chapitre des pensions -
soit 115,10 milliards d'euros
(755 milliards de francs)
hors modifications de
périmètre
20(
*
)
.
En 1999, elles étaient de 111,71 milliards d'euros (733 milliards
de francs), soit une
progression à champ constant de 3 %.
Le graphique ci-dessous présente l'évolution des dépenses
induites de fonction publique depuis 1991
21(
*
)
:
L'évolution des dépenses « induites » de fonction publique de 1991 à 200
(en milliards d'euros)
Près de 92 % des dépenses induites par la
fonction
publique sont indexées sur la valeur du point en 2000, contre 90 % en
1991. Ainsi une revalorisation de 1 % du point fonction publique
engendre-t-elle un coût de l'ordre de 1,07 milliard d'euros (7 milliards
de francs) pour le budget de l'Etat.
La création de près de 16.000 emplois nouveaux va alourdir le
poids des dépenses de fonction publique, et réduire davantage
encore les marges de manoeuvre du budget de l'Etat.
Votre rapporteur général rappelle que les dépenses de la
fonction publique représenteront
43,3 % du budget
général en 2002
, après 42,2 % en 2001.
L'histogramme ci-dessous retrace l'évolution de la part des
dépenses de fonction publique au sein du budget général,
qui traduit une rigidification croissante de la dépense publique :
Part des dépenses de fonction publique dans le budget général de 1997 à 2002
Source : ministère de l'économie
Outre les créations d'emplois budgétaires nouveaux
réalisées essentiellement depuis deux ans, la progression de la
rémunération des fonctionnaires résulte en partie de
l'accord salarial du 10 février 1998, qui s'est établi, au
cours de ses trois années d'application (1998-2000), à
6,30 milliards d'euros (41,3 milliards de francs) dans l'ensemble des
trois fonctions publiques.
Les différents facteurs d'évolution des dépenses de fonction publique entre 1997 et 2002
Source : ministère de l'économie
Or, il convient de rappeler que les négociations salariales dans la
fonction publique visant à couvrir la période suivante ont
échoué, ce qui a amené le gouvernement à prendre
des mesures unilatérales. Nul doute que les sacrifices ainsi consentis
doivent être rapprochés de la difficile mise en application des
35 heures dans la fonction publique. Cette désastreuse
réforme se traduit à la fois, et malgré les
dénégations embarrassées du gouvernement, par des
embauches supplémentaires et par une dérive salariale.
De nouvelles revalorisations salariales coûteuses
Le
ministre de la fonction publique a ainsi annoncé, en avril dernier, les
mesures de revalorisation suivantes, qui viennent s'ajouter à la
revalorisation du point fonction publique au 1
er
décembre
20000, déjà décidée :
- + 0,5 % au 1
er
mai 2001 ;
- + 0,7 % au 1
er
novembre 2001 ;
- + 0,5 % au 1
er
mars 2002 ;
- + 0,7 % au 1
er
décembre 2002.
Au total, pour la seule fonction publique d'Etat, ces mesures emportent un
coût de 2,98 milliards d'euros
(19,52 milliards de francs), dont 46
millions d'euros en 2000, 930 millions d'euros en 2001, 1,25 milliard
d'euros en 2002, et 750 millions d'euros en 2003. Elles concerneront
3,9 millions de fonctionnaires, dont 2,2 millions d'actifs et 1,7 million
de retraités.
Par ailleurs, le ministre a annoncé la distribution de points d'indice
différenciés jusqu'à l'indice nouveau majoré 350
(soit l'équivalent de 1,4 SMIC), ces mesures ayant un coût de
132,63 millions d'euros (870 millions de francs), dont 54,88 millions
d'euros (360 millions de francs) en 2001. Ces mesures concernent environ
615.000 fonctionnaires en activité et 350.000 retraités.
Toutes fonctions publiques confondues, le coût de l'ensemble des
mesures annoncées par le ministre de la fonction publique
s'établira à environ 5,18 milliards d'euros (environ 34 milliards
de francs).
Enfin, il convient de préciser que, afin de maintenir le pouvoir d'achat
des fonctionnaires, compte tenu d'une inflation plus importante que
prévu (1,6 % au lieu de 1,2 %), le ministre a annoncé un
« coup de pouce » supplémentaire de 0,4 % au
1
er
mars 2002, soit un coût de 445 millions d'euros
(près de 3 milliards de francs).
Les
négociations salariales dans la fonction publique :
un champ d'application extrêmement large
Au-delà des 2,2 millions d'agents civils de l'Etat
et de
ses établissements publics, il faut en effet comptabiliser dans l'emploi
public :
- les 455.000 agents des exploitants publics de la Poste et de France
Telecom ;
- les 321.000 militaires (hors appelés du contingent) ;
- les 1,507 million d'agents de la fonction publique territoriale ;
- les 857.000 agents de la fonction publique hospitalière (hors
médecins) ;
- ainsi que 148.000 enseignants des établissements
privés sous contrat et 125.000 salariés des
établissements de santé privés à but non lucratif
tarifés en dotation globale.
Au total, on recense donc 5,5 millions d'agents publics
22(
*
)
pour une population active de
22,4 millions,
soit plus d'un actif sur cinq
.
C'est la totalité de cette population qui est concernée par la
négociation salariale dans la fonction publique, même si seule une
partie de ses effets apparaît dans le budget de l'Etat.
c) Le budget général va-t-il devenir un budget de rémunération des fonctionnaires ?
Cette
progression des dépenses traduit la très forte inertie des
dépenses de rémunération de la fonction publique.
La part croissante des dépenses de personnel accentue en effet la
rigidité du budget de l'Etat.
Dans son rapport sur
l'exécution des lois de finances pour 1998, la Cour des comptes notait
que «
la part des dépenses de personnel et des
dépenses obligatoires dans le budget de l'Etat n'a cessé
d'augmenter au cours des derniers exercices. La rigidité du budget s'en
trouve accentuée et les efforts de réduction des dépenses
seront à l'avenir plus difficiles
».
La Cour des comptes note, par ailleurs,
la forte concentration de ces
dépenses.
Cinq ministères
23(
*
)
représentent 89,9 % (comme en 1999 et après 89,4 % en 1998)
de l'ensemble des rémunérations d'activité versées
par l'Etat en 2000. A eux seuls, le budget de l'enseignement scolaire et celui
de l'enseignement supérieur regroupent plus de 50 % des dépenses
salariales du budget général, et 64,3 % de
celles des
ministères civils.
Le plus grave est sans doute que les dépenses de fonction publique
s'accroissent de façon largement automatique
, du fait du
mécanisme du glissement-vieillesse-technicité (GVT).
Ainsi, l'essentiel de la progression des dépenses de l'Etat
résulte des dépenses de fonction publique, comme le montre le
tableau ci-après, qui provient du rapport économique, social et
financier annexé au présent projet de loi de finances :
Ainsi, de 1997 à 2002, les dépenses de la fonction publique, qui ont augmenté de 15,9 % depuis le début de la législature, ont représenté plus de 70 % de la progression des dépenses au titre des dix premiers postes du budget général, soit 15 milliards d'euros (98,39 milliards de francs) sur 21 milliards d'euros (137,75 milliards de francs) 24( * ) .
2. Le prix de l'insuffisante réduction des déficits
Le
coût de la dette, c'est-à-dire le prix à payer pour avoir
très insuffisamment réduit les déficits, va continuer de
croître.
Ainsi, la charge de la dette publique nette passera de 36,54 milliards d'euros
(239,69 milliards de francs) en 2001 à 36,84 milliards d'euros
(241,65 milliards de francs) en 2002, soit une augmentation de 0,8 %.
L'augmentation avait été plus importante l'année
dernière, soit + 2 %, mais il paraît extrêmement difficile
de procéder à des prévisions crédibles sur
l'évolution des taux d'intérêt dans la conjoncture
internationale présente.
Depuis 1997, la charge nette de la dette a évolué de la façon suivante :