B. LES PRIORITÉS DU GOUVERNEMENT : DES AFFICHAGES POLITIQUES À RELATIVISER
1. La priorité donnée aux budgets civils
Le
présent projet de loi de finances pour 2002 met en avant, comme les
années passées, pas moins de
six priorités
:
- l'environnement : + 6,3 % ;
- la justice : + 5,7 % ;
- la sécurité : + 4,5 % ;
- l'éducation : + 3,8 % ;
- la culture : + 2,1 % ;
- l'emploi : - 1,4 % !
Ces priorités, sur l'ensemble de la législature, ont
évolué de la manière suivante :
Evolution des budgets prioritaires depuis 1997
(en milliards d'euros)
En réalité, il convient de relativiser ces
priorités.
Depuis 1997, le budget de l'environnement est celui qui a connu la plus forte
progression, soit + 58 %. Pourtant, le montant de ses dotations est
relativement modique, puisqu'elles représentent moins de 0,3 % des
dépenses de l'Etat en 2002. Elles sont toutefois probablement encore
trop importantes, puisque le ministère ne parvient pas à les
utiliser, la Cour des comptes ayant insisté sur la faiblesse de leur
taux de consommation
14(
*
)
.
En revanche, le budget de l'éducation nationale a progressé de 19
% sur la législature, mais de 9 milliards d'euros (59 milliards de
francs), ce qui représente 56,3 % du total de l'augmentation des
dotations allouées aux secteurs prioritaires. Or, il s'agit, pour
l'essentiel, de crédits de rémunérations.
A l'inverse, les budgets de la justice et de l'intérieur ont
progressé de façon sensible sur la période, respectivement
+ 25 % et + 14 %, mais n'ont augmenté chacun que de 1 milliard d'euros
(6,6 milliards de francs) en valeur. La croissance des crédits de
l'intérieur est du reste la plus faible des budgets
« prioritaires ».
En d'autres termes, lorsque l'Etat a pu consacrer depuis 1997 près de
9,15 milliards d'euros (60 milliards de francs) supplémentaires
pour le personnel de l'éducation nationale, il n'en a
dégagé que 1,98 milliard d'euros (13 milliards de
francs) de plus pour la justice et la sécurité
cumulés !
Enfin, si l'emploi reste la « priorité n° 1 »
du gouvernement , ce dernier, une fois encore, a décidé de
diminuer les crédits qui lui sont alloués en 2002. Il a donc
tablé sur la poursuite de la baisse du chômage, ou tout au moins
sur sa stabilisation, alors que le nombre des chômeurs augmente de
façon continue depuis le mois de mai dernier (+ 77.800 chômeurs en
cinq mois), et que les conséquences de la conjoncture actuelle sur
l'emploi seront probablement globalement défavorables.
C'est sans doute la Cour des comptes qui, dans son rapport sur
l'exécution des lois de finances pour 2000, a le mieux
résumé l'appréciation qu'il convient de porter sur les
priorités du gouvernement : «
les affichages actuels
manquent de vraisemblance
».
2. Une impasse lourde sur la défense
Le
budget 2002 ne fait que confirmer une tendance lourde constatée sur
l'ensemble de la législature : le sacrifice des dépenses
d'équipement militaire et la régression de l'aide au
développement.
Une telle dérive, si peu cohérente d'ailleurs avec le discours
tenu, risque de placer la France en bien médiocre position face aux
enjeux que les attentats du 11 septembre viennent d'illustrer si gravement.
Le budget de la défense pour 2002 s'élève à
37,6 milliards d'euros (247 milliards de francs), soit un montant
hors pensions de 28,9 milliards d'euros (189 milliards de francs).
Par rapport au budget voté 2001, l'évolution stagne à
0,2 % en francs courants, contre 2,5 % pour l'ensemble des budgets
civils : le budget militaire reste le parent pauvre, ou plutôt la
variable d'ajustement favorite de l'équilibre du budget
général.
a) Le sacrifice des dépenses d'équipement militaire et d'entretien courant
Pour
2002
,
la priorité du budget militaire est « la
condition militaire »
. De fait, le titre III progresse de
2,3 %, soit un taux néanmoins inférieur de moitié
à celui des budgets civils : + 5,1 %.
En 2002, les dépenses d'équipement militaire font donc, plus
que jamais, les frais de l'ajustement budgétaire.
A
12,4 milliards d'euros (81,4 milliards de francs),
les
crédits demandés diminuent de 2,5 % par rapport à 2001
(les dépenses d'investissement civil ne diminuent, elles,
« que » de 1,7 %).
En 2002,
le budget militaire représentera le cinquième poste de
dépenses de l'Etat, moins de 11 % du budget général,
et moins de 2 % du PIB. Depuis 1996, la part de l'effort de défense
dans le budget de l'Etat aura diminué de 1,4 point (5 points
depuis 1980) et la part de l'effort de défense dans le PIB de
0,5 point (2 points depuis 1980).
En réalité, le budget 2002 ne fait que confirmer une tendance
constamment renforcée au cours de l'actuelle législature.
Depuis 1992, la structure du budget militaire s'est radicalement
modifiée, avec
une inversion absolue du poids relatif des
crédits de fonctionnement et des dépenses d'équipement
.
Évolution des dépenses militaires
(en milliards d'euros)
|
1992 |
1995 |
2000 |
2001 |
2002 |
Titre III |
14,08 |
15,14 |
16,01 |
16,09 |
16,46 |
Titres V et VI |
15,69 |
14,47 |
12,65 |
12,72 |
12,39 |
De
façon constante sur la législature, les dépenses du
titre III ont été privilégiées au
détriment des dépenses d'équipement du titre V, qui ont
systématiquement servi de variable d'ajustement budgétaire, tant
en loi de finances initiale qu'en exécution budgétaire.
Le mouvement est accentué en effet par les conditions d'exécution
budgétaire, qui se traduisent généralement par un
gonflement des dépenses du titre III et une réduction des
crédits des titres V et VI.
Annulations intervenues en exécution sur les titres V et VI
(en
milliards d'euros)
- 1997
|
0,76
|
(1) Arrêtés d'annulation du 21 mai et du 8 octobre 2001, avant collectif de fin d'année
Au total, sur la période 1997-2002, les annulations de crédits sur les dépenses d'équipement militaire ont atteint 4,88 milliards d'euros (32,01 milliards de francs). Ceci représente exactement le prix de deux nouveaux porte-avions ou d'un deuxième porte-avions accompagné de trois frégates Horizon...
b) Le coût croissant de la professionnalisation des armées et des opérations militaires extérieures
Si les
dépenses du titre III ont été quasi constamment
supérieures aux crédits initiaux, c'est à cause de la
sous-estimation du coût de la professionnalisation et de l'impact des
mesures fonction publique d'une part, et des modalités de financement
des opérations extérieures d'autre part (dépenses du titre
III financées en cours d'exécution budgétaire par
prélèvement sur le titre V).
De fait, au sein même du titre III, ce sont les seules
dépenses de rémunérations et de charges sociales qui se
sont accélérées, les dépenses de fonctionnement et
d'entretien courant ayant elles-mêmes fait l'objet d'importantes
réductions, qui se traduisent aujourd'hui par une sensible
détérioration des taux d'activité des forces et de
disponibilité des équipements.
Au total, sur la période 1997-2002, la restructuration des
armées françaises aura représenté un coût
de
2,5 milliards d'euros
: 0,81 milliard d'euros pour les
aides au départ et à la reconversion des personnels militaires,
1,1 milliard d'euros pour les aides au départ et à la
mobilité des personnels civils, 0,5 milliard d'euros pour la
reconversion des personnels de DCN (Direction des constructions navales), 0,2
milliard d'euros pour limiter l'impact des restructurations sur le tissu
économique local.
Liées à des considérations de préservation de
l'emploi et d'aménagement du territoire, ces dépenses ont
été entièrement prises en charge par le budget de la
Défense, dont ce n'est pas la vocation
15(
*
)
.
La réforme considérable que représente la
professionnalisation des armées a été effectuée
avec succès et surtout discrétion. Mais
sans
économies potentielles, bien au contraire
.
De fait, les prochains budgets de défense devront impérativement
tenir compte des coûts élevés nécessaires pour
conserver au sein des armées les militaires professionnels
.
Pour préserver au moins le niveau acquis et faire vivre dans la
durée l'armée professionnelle, un effort financier
supplémentaire considérable devra être consenti
.
Les personnels ayant fait le choix de servir dans une armée
professionnelle se montreront en effet nécessairement plus exigeants
à l'égard de leurs conditions de rémunération et de
fonctionnement.
Aujourd'hui, le taux de croissance moyen des dépenses de
rémunération et de fonctionnement des armées
américaines et britanniques est de 2 % par an en termes
réels. Ces deux armées restent pourtant confrontées
à des manques de personnel dans certaines unités (unités
de combat, ou métiers spécifiques comme les informaticiens ou les
atomiciens, dont le niveau de rémunération dans le secteur
privé est sans équivalent).
c) Un an de retard pour l'équipement militaire : des inquiétudes sur la « cohérence des forces »
Le montant total de l'enveloppe initialement définie par la loi de programmation militaire pour les dépenses d'équipement militaire avait été fixée à 82,47 milliards d'euros sur 1997-2002.
Evolution de la loi de programmation militaire
Crédits d'équipement
(en
milliards d'euros)
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
TOTAL |
|
- Loi de programmation initiale |
13,77 |
13,77 |
13,77 |
13,77 |
13,77 |
13,77 |
82,62 |
- LPM amendée par la « revue de programmes » |
- |
- |
13,13 |
13,13 |
13,13 |
13,13 |
80,06 |
- Lois de finances initiales |
13,77 |
12,50 |
13,11 |
12,65 |
12,61 |
12,41 |
77,06 |
- dont B.C.R.D. |
- |
0,08 |
0,14 |
0,23 |
0,19 |
0,19 |
0,83 |
- Exécution hors BCRD |
12,99 |
11,74 |
11,74 |
11,53 |
11,48 (1) |
11,30 (1) |
70,78 (1) |
Sources : - lois de règlement 1997 à 2000
- loi de finances initial 2001, projet de loi de finances 2002
Bilan
en fin de programmation
(écarts en milliards d'euros par
rapport à l'objectif global de la LPM)
-
Effet de la revue de programmes : - 2,56
- Crédits inscrits en LFI : - 5,56
- Dépenses exécutées (hors BCRD) : - 11,84
En fin de programmation, les conditions d'exécution des crédits
d'équipement militaire sur la législature conduisent à un
écart qui peut être estimé à 11,84 milliards
d'euros par rapport aux objectifs de la loi de programmation initiale, soit
l'équivalent d'environ une année de crédits
d'équipement
16(
*
)
.
De fait, fin 2001, les plus hauts responsables militaires reconnaissent
désormais qu'il y a d'ores et déjà
« érosion des matériels »,
« dégradation du contenu du modèle d'armée
2015 » et surtout, ce qui est plus grave,
« inquiétude sur la cohérence des forces ».
Les armées devront dès lors aborder la prochaine loi de
programmation militaire avec une double difficulté : une
réalisation en termes physiques moins favorable que prévue, et
une dotation en autorisations de programme, comme en crédits de
paiements, qui présente un écart sensible avec les dotations
prévues pour 2003.
d) Une facture conséquente pour les prochains budgets
Certes,
l'actuelle loi de programmation est une loi essentiellement de
développement et d'études (et donc de commandes). M. Alain
Richard, ministre de la défense, se félicite d'ailleurs d'avoir
lancé un important programme de commandes fin 2000, et, de ce fait, de
«
tenir globalement les objectifs de la LPM
».
En réalité, si les objectifs de commandes sont, à peu
près, tenus, quoique bien tardivement et en fin de législature,
au moment où la conjoncture se détériore, la
réalisation physique des objectifs n'est pas respectée.
De fait, il faudra prévoir dès les prochains exercices
budgétaires, voire peut-être dès l'exécution 2000,
une augmentation conséquente des crédits de paiement pour honorer
les commandes ainsi passées.
L'actuelle législature a été en effet marquée par
un décalage croissant entre les engagements et les paiements ; sur
chaque exercice, les autorisations de programme ouvertes par la loi de finances
initiale ont été constamment supérieures aux montants
votés en loi de finances initiale (du fait de l'importance du stock
d'autorisations de programme disponibles à l'affectation).
Parallèlement, les crédits de paiement disponibles ont
été constamment inférieurs aux montants votés en
loi de finances initiale (du fait des annulations intervenues en cours
d'exercice).
Ainsi, sur le dernier exercice connu, soit 2000, les autorisations de programme
engagées se sont élevées à 16,37 milliards
d'euros (contre 13,34 milliards d'euros votées en loi de finances
initiale), tandis que les crédits de paiement consommés n'ont
atteint que 11,63 milliards d'euros (contre 12,64 milliards d'euros
votés en loi de finances initiale) : l'écart, qui devra bien
être couvert, au moins partiellement, au cours des prochains exercices
budgétaires, atteint plus de 4,57 milliards d'euros...
Cette
impasse, considérable, va apparaître dès la
prochaine loi de programmation
, qui devra être une loi de fabrication
(et de livraisons).
Ceci, s'ajoutant à l'effet des retards et décalages constants des
études et des commandes, sans parler des annulations, qui ont
marqué la législature, ne pourra que se traduire par
d'importantes « ruptures capacitaires » pour certains
équipements parfois majeurs. Certaines d'ailleurs sont d'ores et
déjà « avouées » : avions de
transport, véhicules d'infanterie au sol, appareils Rafale au standard
F2 (capables de tirer des missiles air-sol), frégates
anti-aériennes.
On ne peut enfin que s'inquiéter, d'ores et déjà, de
l'écart conséquent (plus de 0,91 milliard d'euros) entre
l'annuité 2002
: 12,4 milliards d'euros hors reports (81,4
milliards de francs),
et le montant
retenu par la prochaine loi de
programmation pour 2003
: 13,34 milliards d'euros
(87,5 milliards de francs).
Hors dépenses dites de « bourrage », c'est à
dire contribution du budget de la défense au BCRD et financement des
compensations accordées à la Polynésie au titre de
l'arrêt des essais nucléaires, la
« marche » budgétaire qu'il faudra franchir
dès 2003 est de l'ordre de 1,52 milliard d'euros (près de
10 milliards de francs).
Concrètement, il sera dès lors difficile d'échapper
à un débat de grande ampleur sur la politique de défense
de la France.
3. Le sacrifice de l'aide au développement
Le
même type d'« impasse lourde » peut être
relevé sur le budget des Affaires étrangères
.
En 2002 et dans le contexte actuel, qui ne peut être qualifié de
« purement conjoncturel », le budget des affaires
étrangères ne prévoit en effet aucun moyen nouveau pour
les contributions obligatoires aux opérations de maintien de la paix,
pour l'aide humanitaire, l'aide d'urgence et l'aide aux sorties de crise, pour
la coopération militaire, pour les concours financiers aux pays en
développement et pour l'aide au développement en
général, dont les crédits sont en chute libre depuis 1996.
Répondant peut-être à des préoccupations plus
immédiates, les priorités du ministère des Affaires
étrangères sont en effet les suivantes : les
établissements culturels, l'audiovisuel extérieur, les ONG, les
étudiants étrangers, les Français de l'étranger, le
traitement des demandes d'asile, le personnel du ministère.
Au-delà du seul budget des Affaires étrangères,
l'effort global de la France en matière d'aide publique au
développement
17(
*
)
aura
été amputé de 0,5 milliard d'euros
(3,3 milliards de francs) entre 1996 et 2001
, passant de
5,09 milliards d'euros en 1996 (soit 0,42 % du PIB) à
4,59 milliards d'euros en 2001 (soit 0,32 % du PIB).