II. LES INITIATIVES DU GOUVERNEMENT : L'ÉLABORATION D'UN PROJET DE LOI EN PARTIE NON CONFORME A LA CONSTITUTION AU TERME D'UN PROCESSUS PLACE SOUS LE SIGNE DE L'AMBIGUÏTÉ
A. UN PROCESSUS PLACÉ SOUS LE SIGNE DE L'AMBIGUÏTÉ
Annoncé par le Premier ministre dans son allocution devant l'Assemblée de Corse, le 6 septembre 1999, le processus de discussion entamé par le Gouvernement et des élus de Corse a débuté au début novembre de la même année. Il a débouché sur l'élaboration d'un relevé de conclusions préfigurant un avant projet de loi qui, après avoir été soumis pour avis à l'Assemblée de Corse a été adopté en Conseil des ministres et déposé devant le Parlement.
1. Les étapes du processus
a) La déclaration du Premier ministre devant l'Assemblée de Corse, le 6 septembre 1999
Au cours d'une allocution prononcée le 6 septembre 1999 devant l'Assemblée de Corse, le Premier ministre a indiqué que sa vision de la Corse se fondait sur cinq convictions :
- la Corse est un ensemble géographique et humain profondément original ;
- la Corse doit se garder de la tentation de l'isolement ;
- l'attachement très majoritaire des Corses à la Nation est très profond ;
- rien ne sera possible en Corse, au plan politique ou économique, si la société corse dans son ensemble ne condamne pas solennellement la violence ;
- le respect de la loi républicaine et celui des particularismes de l'île sont parfaitement compatibles.
Le Premier ministre a, en conclusion, indiqué que « le Gouvernement souhait [ait] établir un nouveau dialogue avec la collectivité de Corse » tout en observant « qu'aucune discussion institutionnelle ne peut avoir lieu tant que la violence est utilisée comme une arme du débat ». Sous cette réserve, ajoutait-il, « le Gouvernement est prêt à travailler sur ces bases avec tous les élus de la Corse ».
b) Le déroulement des discussions
Les discussions ont débuté le 13 décembre 1999 . Elles se sont ensuite déroulées , du 15 mai au 20 juillet à Paris. Elles ont réuni, outre les membres du cabinet du Premier ministre et ceux du cabinet du ministre de l'intérieur, le Préfet de Corse, ainsi que des élus corses : le président de l'Assemblée de Corse, le président du Conseil exécutif, les présidents des différents groupes de l'Assemblée ou leurs représentants, les présidents des Conseils généraux, les maires des deux chefs lieux de département ainsi que les parlementaires élus de l'île 12 ( * ) .
Selon les propos tenus par le Premier ministre devant l'Assemblée nationale, le 3 octobre 2000, ces rencontres procédaient du désir de savoir « comment, dans une discussion sérieuse avec le Gouvernement, les élus de l'Assemblée territoriale de Corse, les parlementaires, les présidents de Conseils généraux, pouvaient suggérer des démarches utiles et qui rassemblent pour l'évolution de l'île [...] dans une transparence et une clarté absolues, en nouant le dialogue avec les élus représentatifs de l'île » 13 ( * ) .
c) Le relevé de conclusions du 20 juillet 2000
A l'issue de ces discussions, le Gouvernement a établi, le 20 juillet 2000, un relevé de conclusions.
Ce texte constate « les spécificités de la Corse dans la République, tenant à sa situation insulaire et à son histoire, ainsi que les enseignements de l'application de son statut particulier » et se propose de « clarifier les responsabilités dans la gestion des affaires de l'île, de favoriser son développement économique et social et de fonder durablement la paix civile ».
(1) L'organisation administrative de la Corse et les compétences de la collectivité territoriale
D'une part, la simplification de l'organisation administrative. Le texte souligne qu'« une première solution, pour laquelle le Gouvernement avait exprimé une préférence, parce qu'elle semblait pouvoir être menée à terme sans révision de la Constitution , consistait dans la suppression d'un département. Le département désormais unique et la collectivité territoriale auraient eu une assemblée et un exécutif communs . Lors de la réunion des présidents de groupe de l'assemblée de Corse, une préférence s'est nettement exprimée pour la suppression des deux départements et la mise en place d'une collectivité unique, cette réforme ne devant intervenir qu'à l'expiration du mandat de l'assemblée de Corse, en 2004. Le Gouvernement est disposé à se placer dans cette perspective, tout en relevant que celle-ci n'a pas à être concrétisée durant la présente législature et qu'elle impliquerait une révision constitutionnelle » 14 ( * ) .
D'autre part, la décentralisation de nouvelles compétences au profit de la collectivité territoriale de Corse . Celle-ci concernerait l'aménagement de l'espace, le développement économique, l'éducation, la formation professionnelle, le sport, le tourisme, la protection de l'environnement, la gestion des infrastructures et des services de proximité et les transports. Le texte précise que : « ces transferts de compétences seront opérés avec le souci de favoriser la constitution de « blocs de compétences » cohérents. Des discussions ultérieures entre le Gouvernement et les élus de Corse permettront d'en préciser les contenus .»
Et enfin, l'adaptation des normes. Selon le relevé de conclusions, « les spécificités de la Corse peuvent justifier que des normes réglementaires voire certaines dispositions législatives soient adaptées à la Corse .»
Constatant que le mécanisme créé par l'article 26 de la loi de 1991 n'a pas fonctionné, le Gouvernement envisage de doter la collectivité territoriale de Corse :
- d'un pouvoir réglementaire , permettant d'adapter les textes réglementaires par délibération de l'assemblée ;
- de la possibilité de déroger, par ses délibérations, à certaines dispositions législatives , dans des conditions que le Parlement définirait.
Il relève, en outre, que « les élus de l'assemblée de Corse ont [...] exprimé le souhait [...] qu'à l'issue de ce qu'ils qualifient de période transitoire s'achevant avec la mise en place de la collectivité unique, soit reconnue de manière permanente à la collectivité territoriale de Corse la possibilité d'adapter par ses délibérations des dispositions législatives, selon des principes généraux et dans des conditions fixées par le Parlement » et constate que l'attribution à la collectivité de Corse d'une telle faculté nécessiterait une révision préalable de la Constitution qui « supposerait l'accord des pouvoirs publics alors en fonction » et nécessiterait « en tout état de cause le rétablissement durable de la paix civile .»
(2) Le statut fiscal, la fiscalité sur les successions et le financement de l'économie
Le statut fiscal serait modifié :
- par un dispositif d'incitation à l'investissement qui reposerait sur un mécanisme de crédit d'impôt, de 10 ans, fonction de l'investissement réalisé ;
- par le remplacement du transfert des droits sur les alcools par un transfert équivalent de TIPP.
La fiscalité sur les successions ferait l'objet d'une réforme progressive, le Gouvernement proposant au Parlement :
- d'appliquer l'obligation de déclaration de succession aux successions ouvertes à compter du 1er janvier 2001 ;
- de reconstituer les titres de propriété au cours d'une période transitoire de dix ans, durant laquelle l'exonération des droits serait complète ;
- d'allonger le délai de dépôt des déclarations de succession pendant la période transitoire de dix ans pour permettre la reconstitution des titres de propriété ;
- de conditionner le bénéfice des dispositions à la reconstitution des titres de propriété , lorsqu'ils font défaut.
S'agissant du financement de l'économie , le relevé de conclusions prévoit :
- de porter le capital de la société de capital risque « Femu Qui » de 4 à 23 millions de francs ;
- de créer un dispositif renforcé de garantie (SOFARIS-région) ;
- de créer un organisme de crédit bail en Corse .
(3) L'enseignement de la langue corse
Le relevé indique que : « Les élus de l'assemblée de Corse ont unanimement demandé la définition d'un dispositif permettant d'assurer un enseignement généralisé de la langue corse dans l'enseignement maternel et primaire, de manière à favoriser la vitalité de cette langue. Le Gouvernement proposera au Parlement le vote d'une disposition posant le principe selon lequel l'enseignement de la langue corse prendra place dans l'horaire scolaire normal des écoles maternelles et primaires et pourra ainsi être suivi par tous les élèves, sauf volonté contraire des parents ».
A cette fin, il est prévu :
- de donner une forte impulsion à la formation initiale et continue en langue corse des enseignants du premier degré ;
- de recourir davantage à l'intervention des enseignants de langue corse du second degré, en augmentant, si besoin est, le nombre de postes ouverts au CAPES de langue corse, ainsi qu'à des intervenants extérieurs et à des aides-éducateurs recrutés sur le profil « langue et culture corse ».
(4) La loi de programmation
Le Gouvernement indique qu'il proposera au Parlement de voter un dispositif législatif prévoyant une programmation sur quinze ans d'investissements publics destinés à combler les retards d'équipements .
d) Les réactions au relevé de conclusions
Le ministre de l'intérieur en fonction à l'époque, M. Jean-Pierre Chevènement, a fait savoir au Premier ministre qu'il ne porterait pas devant le Parlement le projet de loi qui résulterait du relevé de conclusions 15 ( * ) , tandis que, le 28 juillet 2000 , l'Assemblée de Corse approuvait, par 44 voix contre 2 et 5 abstentions, les orientations proposées par le Gouvernement le 20 juillet 2000. Le Gouvernement a donc choisi une majorité alternative par rapport à celle qui aurait pu se dégager à la suite du vote des résolutions du 10 mars 2000.
* 12 Compte rendu de la réunion du lundi 15 mai 2001, à 16 heures, page 1.
* 13 Réponse à la question de M. Henri Plagnol, Assemblée nationale, 3 octobre 2000.
* 14 Votre rapporteur observe que la première de ces solutions, en définitive écartée, aurait également suscité une difficulté d'ordre constitutionnel.
* 15 Cf. sa déclaration, JO, Débat, Assemblée nationale, 3 e séance du 15 mai 2001, page 2915.