5. Les règles foncières coutumières
Le droit coutumier musulman prévoit que l'agriculteur devient propriétaire du sol par le seul défrichement de celui-ci. C'est la « vivification des terres mortes ».
Le traité de cession du 25 avril 1841, tout en déclarant les propriétés inviolables, prévoyait que toutes les terres non reconnues propriétés particulières appartiendraient de droit au Gouvernement français.
Les décrets du 18 mai 1904 et 4 février 1911 relatifs à l'immatriculation foncière à Madagascar furent étendus par le décret du 9 juin 1931 aux Comores. Ils étaient complétés par le décret du 14 novembre 1934 précisant les modalités de constatation de la mise en valeur des terrains d'origine domaniale.
Ces décrets prévoyaient que l'immatriculation foncière aboutissant à la délivrance d'un titre de propriété était facultative pour les terrains n'ayant jamais été titrés et appartenant à des personnes de statut personnel. La preuve de la qualité de propriétaire foncier pouvait donc être apportée par tous moyens.
L'aliénation de terrains domaniaux, les mutations dans les centres urbains, et l'acquisition par un européen de biens appartenant à des indigènes constituaient les seuls cas dans lesquels l'immatriculation foncière était obligatoire.
La pratique des concessions villageoises par l'administration depuis le début du siècle jusqu'à maintenant, avec la mise à disposition de terrains par voie d'attestations municipales d'occupation des sols, explique la persistance de droits réels fonciers privés sur ces propriétés foncières à l'origine constitutives du domaine privé de l'Etat.
L'Etat a rétrocédé ses droits à la colonie, puis au territoire d'outre-mer des Comores et enfin à la collectivité territoriale de Mayotte. Ces collectivités locales ont à leur tour accordé aux villages, en fonction de la pression démographique, des cessions à titre gratuit dans des zones inhabitées et inexploitées. Ces superficies devenaient propriétés collectives villageoises et constituaient des réserves qui ne pouvaient faire l'objet d'aucune procédure d'appropriation privée par immatriculation.
Sous l'empire du décret du 28 septembre 1926 portant réglementation du domaine à Madagascar, les particuliers pouvaient sur justification de la mise en valeur de ces réserves obtenir l'immatriculation à leur nom de parcelles ainsi occupées. Cependant, en dehors de ces réserves, le décret de 1926 déclarait que « l'Etat est présumé propriétaire de tous les terrains non bâtis ni enclos qui ne sont pas possédés par des tiers en vertu de titres fonciers d'immatriculation ou de titres réguliers de concession ».
L'ordonnance n° 92-1139 du 12 octobre 1992 relative au code du domaine de l'Etat et des collectivités publiques à Mayotte , en abrogeant ce décret préjudiciable à la propriété foncière indigène, a redonné toute sa vitalité au régime des immobilisations foncières traditionnelles.
Il n'en demeure pas moins que ce droit est à présent inadapté aux exigences de sécurité juridique de la vie moderne à Mayotte . En effet, l'exode rural, l'explosion démographique fragilisent la confiance mutuelle sur laquelle reposait ce système.
Une réforme foncière a donc été lancée par l'ordonnance n° 92-1069 du 1 er octobre 1992 et par le décret du 9 septembre 1993 établissant un cadastre .
La mission du cadastre est triple. Il s'agit d'identifier et de décrire les propriétés, d'établir et de mettre à jour le plan cadastral, et de renseigner le public.
Il constitue un préalable à la modernisation de l'organisation territoriale au plan de l'urbanisme (dans la perspective de l'adoption par les communes de plans d'occupation des sols) et de la fiscalité locale.
Les premiers crédits n'ont été débloqués qu'en 1997 par le contrat de plan, mais deux communes sont en avril 2001 entièrement cadastrées (Pamandzi et Dzaoudzi, situées sur l'île de Petite-Terre) et six communes sont en cours de cadastrage sur les dix-sept communes que compte Mayotte. Ces huit communes représentent plus de 70.000 habitants et 70% de l'activité économique de l'île. Il reste neuf communes à cadastrer, essentiellement rurales, pour un coût évalué à 15 millions de francs. Le contrat de plan en cours ne prévoyant que 4 millions de francs de crédits, un ralentissement des opérations est à craindre.
Cette opération ne va pas sans difficultés, le cadastrage d'une parcelle étant pour certains synonyme d'imposition. L'absence de cadastre empêche en effet l'instauration d'une fiscalité locale. En métropole, le cadastre établit et gère les bases des taxes foncières bâties et non bâties et de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères. Il participe à l'établissement des bases de la taxe d'habitation et de la taxe professionnelle. A Mayotte, l'impôt foncier (qui rapporte 6 millions de francs à la collectivité départementale) est établi à partir de la surface de la parcelle et du type d'occupation (bâtie ou non). Cependant, 70% du territoire n'est pas cadastré et seuls les terrains de plus de 400m2 sont soumis à l'impôt foncier, qui reste modeste. Il se monte ainsi à 200 francs par an pour une belle maison.
Un travail pédagogique important est de plus nécessaire, les occupants des terrains considérant souvent le bornage de la parcelle qu'ils occupent comme valant reconnaissance de propriété, ce qui n'est évidemment pas le cas.
Un problème de mise à jour du cadastre se pose également. En effet, les transferts de propriété ne sont pas obligatoirement soumis à déclaration . Un grand nombre d'actes sous seing privé ne sont donc pas transmis à la conservation foncière pour être enregistrés.
Ce défaut de publication pose des problèmes d'insécurité juridique majeurs. Un titre non publié n'est en effet pas opposable aux tiers. Lorsqu'il y a conflit de titres, c'est en effet le premier titre publié qui fait foi même s'il est postérieur. L'incendie de la conservation foncière en 1993, qui a entraîné la disparition de 3.000 titres, a largement stoppé les premières tentatives d'organisation.
On compte aujourd'hui 8.000 titres mais on assiste ces dernières années à une explosion du contentieux. L'évolution des mentalités, la montée en puissance de l'individualisme et l'exode rural ont conduit à la remise en cause de nombreuses indivisions, qui comptent parfois plus de 300 personnes.
Cependant, l'achèvement du cadastre et sa mise à jour régulière (au moyen d'une obligation de publication des transferts de propriété immobilière ) semblent constituer un préalable indispensable. Votre rapporteur ne peut donc qu'appeler le Gouvernement à débloquer les dix millions de francs nécessaires à l'achèvement des opérations de cadastrage.
Une telle réforme permettra de disposer d'un cadre juridique stable permettant aux personnes privées de faire valoir leurs droits sur leur patrimoine immobilier et aux collectivités publiques de réaliser des équipements sans léser des intérêts privés.
Par ailleurs, beaucoup de terrains présumés domaniaux sont entièrement occupés et bâtis. Le CNASEA (centre national pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles), en application de l'ordonnance n° 98-520 du 24 juin 1998 relative à l'action foncière, aux offices d'intervention économique dans le secteur de l'agriculture et de la pêche et à l'aide au logement dans la collectivité territoriale de Mayotte, a lancé un plan de régularisation foncière des domaines présumés domaniaux pour les occupants sans titre . Une commission d'aménagement foncier, à la fois commission de contrôle des opérations immobilières des organismes publics et commission d'attribution des terrains, a été mise en place en 1995.
Au total, 6.565 parcelles ont été relevées entre 1997 et 1999 et 2.556 dossiers ont été présentés en 1999 à la commission d'aménagement foncier.
Il s'agit de reconnaître la propriété coutumière des parcelles.
Ces régularisations se heurtent cependant au problème de la zone des cinquante pas géométriques , qui couvre une bande littorale de 81,20 m à partir du rivage maritime et appartient au domaine public de l'Etat, et est à ce titre imprescriptible et inaliénable. Or, la plupart des villages mahorais sont côtiers et empiètent sur cette zone. Les parcelles situées dans la zone des cinquante pas géométriques ne font pas l'objet d'une remise de titre foncier, mais d'une autorisation d'occupation temporaire (AOT).
Parallèlement, des zones d'aménagement différé (ZAD) ont été constituées par arrêté préfectoral dans le but de freiner la spéculation et de constituer des réserves foncières. Les prix du foncier ont en effet une augmentation très importante (jusqu'à 1.000 francs le m2 pour un terrain viabilisé à Mamoudzou) et la situation devrait se tendre un peu plus du fait de l'explosion démographique et du taux d'immigration.
Les communes et la collectivité départementale disposent d'un droit de préemption en application de l'ordonnance n° 98-520 du 24 juin 1998 relative à l'action foncière , aux offices d'intervention économique dans le secteur de l'agriculture et de la pêche et à l'aide au logement dans la collectivité territoriale de Mayotte. Les propriétaires doivent leur signaler tout projet de vente. Quatorze ZAD existent actuellement, représentant 18 % de la superficie de Mayotte. En 1999, 364 déclarations d'intention d'aliéner ont été déposées et ont donné lieu à 80 décisions de préemption, la plupart avec révision de prix. Les prix du foncier peuvent donc être contrôlés, limitant ainsi la spéculation, notamment dans les zones naturelles et agricoles.