ARTICLE 16
Les reports de
crédits
Commentaire : Le présent article définit le régime des reports des autorisations d'engagement et des crédits de paiement d'une année sur l'autre.
I. LE DROIT ACTUEL
Le principe de l'annualité implique normalement qu'au 31 décembre de chaque année, toutes les autorisations budgétaires qui n'ont pas été utilisées sont annulées et ne peuvent être reportées sur le budget de l'exercice suivant. Cependant, l'article 17 de l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 prévoit que cette règle ne s'applique pas aux autorisations de programme, qui demeurent valables sans limitation de durée. La règle de l'annualité des crédits fait également l'objet de dérogations, s'agissant des crédits de paiement : ceux figurant à l'état H annexé à la loi de finances ainsi que tous les crédits déjà engagés mais non ordonnancés, dans la limite du dixième de la dotation de chaque chapitre, peuvent être reportés.
La pratique budgétaire a permis d'opérer des reports de crédits de manière plus large que ne le permet la lettre de l'ordonnance organique. Ainsi, le versement de crédits à un compte spécial du Trésor ou à un organisme a pu permettre de constituer des réserves de crédits pouvant être utilisés ultérieurement. De même, les pratiques de gel des reports de crédits ont pu permettre de reporter les crédits sur deux ans. Enfin, depuis quelques années, pour les dépenses en capital, les deux tiers des crédits de paiement non consommés sont reportés de droit dès le premier janvier pour la « poursuite des opérations en cours » la totalité des reports étant réputés disponibles par arrêté du ministre de l'économie et des finances.
Les mécanismes de report de crédits autorisés par l'ordonnance organique n° 59-2 du 2 janvier 1959 se sont montrés ainsi dépassés par la pratique, et justifient une modification profonde.
II. LES MODIFICATIONS PROPOSÉES
Le présent article définit le régime des reports de crédits d'une année sur l'autre, en précisant les dispositions applicables aux autorisations d'engagement d'une part, et aux crédits de paiement, d'autre part. Votre rapporteur vous propose d'inscrire les dispositions du présent article à l'article 9, au sein duquel il a souhaité regrouper l'ensemble des dispositions relatives au principe de l'annualité des crédits, et en particulier, les amodiations qu'il convient d'apporter à ce principe.
Le premier alinéa réaffirme le principe posé par l'article 17 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959, selon lequel les crédits ouverts au titre d'une année ne créent aucun droit au titre de l'année ultérieure, sous réserve de la nature spécifique des autorisations d'engagement, qui constituent le support de la pluriannualité. Votre rapporteur n'a pas estimé nécessaire de reprendre la mention des plafonds des autorisations d'emplois. En effet, dès lors que ces plafonds sont limitatifs et sont votés chaque année dans le cadre de la loi de finances initiale, il semble inutile de préciser dans le texte de la loi organique qu'ils ne créent aucun droit au titre des années suivantes. Il est difficile d'imaginer qu'un plafond d'emplois qui n'aurait pas été atteint au cours d'une année pour un ministère donné puisse emporter quelque conséquence que ce soit sur le plafond relatif au même ministère, voté pour l'année suivante.
L'ordonnance organique du 2 janvier 1959 ne prévoit pas de reports pour les autorisations de programme, renommées autorisations d'engagement par la présente proposition de loi organique. En effet, son article 12 prévoyant que les autorisations de programme ont une durée de validité permanente 45 ( * ) , il ne s'avérait pas nécessaire de prévoir un dispositif de report : les autorisations de programme demeuraient valides tant qu'elles n'avaient pas été engagées. L'article 8 de la présente proposition de loi organique ne conserve pas ce régime de validité permanente pour les autorisations d'engagement. Le présent article prévoit donc un régime de report distinct pour les autorisations d'engagement et pour les crédits de paiement.
Le deuxième alinéa du présent article prévoit que les autorisations d'engagement disponibles à la fin de l'année peuvent être reportées par arrêté du ministre chargé des finances, sous la condition que ce report s'effectue sur le même programme ou, dans l'hypothèse où les périmètres des programmes étaient modifiés, sur un programme « poursuivant les mêmes objectifs ». Le régime de report des autorisations d'engagement est donc relativement souple, mais son utilisation est pleinement et exclusivement confiée au ministre chargé des finances, qui bénéficie ainsi d'une totale liberté d'appréciation quant à l'opportunité d'accorder des reports de crédits aux gestionnaires qui le demanderaient.
III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE RAPPORTEUR
Votre rapporteur indiquait dans son rapport d'information intitulé « Doter la France de sa nouvelle constitution financière » 46 ( * ) que « les reports de crédits (...) sont une exception au principe de l'annualité budgétaire puisque, sans autorisation parlementaire nouvelle, des crédits qui devraient s'éteindre au terme d'un exercice sont rendus disponibles au-delà.
Ils sont également la manifestation concrète que au-delà des procédures formelles prévoyant l'annulation des crédits, des phénomènes de sous-consommation doivent être constatés en pratique. En ce sens, les reports de crédits peuvent être un moyen, marqué d'opacité, de pilotage budgétaire.
Ils sont enfin une exception au principe d'universalité budgétaire. Par définition, les crédits reportés d'un exercice à l'autre ne sont pas retracés dans la loi de finances de l'exercice nouveau. Sous cet angle, les reports de crédits nuisent incontestablement à l'appréciation des moyens demandés dans les lois de finances.
Les reports représentent environ 4 % des crédits ouverts. Ils sont cependant concentrés sur les titres V et VI et concernent certains chapitres de façon structurelle. (...)
Les justifications apportées aux reports de crédits sont de deux ordres, les unes très techniques tiennent à la nature des crédits considérés ; les autres font valoir leur apport à une bonne gestion budgétaire. ».
Votre rapporteur a pesé avec attention les différents arguments favorables comme défavorables aux reports de crédits, afin de tenter de mettre en place un régime intelligent de reports de crédits. Il a été particulièrement sensible aux arguments selon lesquels un régime restrictif des reports de crédits entraînait généralement une accélération de la consommation des crédits en fin d'année, même peu justifiée au regard de l'utilité de cette consommation. La fongibilité des crédits prévue par la présente proposition de loi organique tend à réduire la portée de cet argument : dès lors que les ministères pourront recycler en cours d'année les économies réalisées sur une dépense donnée, les crédits disponibles en fin d'année seront vraisemblablement peu importants (et les phénomènes qui consistent, pour reprendre un exemple connu et extrême concernant le ministère de la défense, à faire rouler les camions en fin d'année afin de consommer totalement les stocks d'essence non utilisés, et d'éviter ainsi une diminution de la dotation pour les années à venir, devraient être limités dans un système de crédits fongibles et de budgétisation par objectifs, où les performances prendront le pas sur l'utilisation des crédits). Cependant, il doit être clair, en dépit des souplesses de gestion permises par la fongibilité des crédits, qu' un crédit inutilisé au 31 décembre d'une année n'en constitue pas pour autant un crédit nécessairement excédentaire par rapport aux besoins .
Malgré l'affaiblissement ainsi constaté de l'argument portant sur le caractère peu économe d'un régime restrictif des reports de crédits, votre rapporteur a considéré qu'il convenait de donner une souplesse de gestion substantielle aux administrations, en s'inscrivant pleinement dans la logique de la réforme, qui consiste, en contrepartie d'une large liberté de gestion pour l'exécutif, à exiger un compte rendu détaillé des performances des gestionnaires et de l'efficacité des politiques publiques dont ils ont la charge. Par conséquent, votre rapporteur a souhaité rendre plus souple que l'Assemblée nationale le régime des reports de crédits, s'agissant notamment des crédits de paiement correspondant à des dépenses effectivement engagées.
Les questions des engagements par anticipation et des reports de crédits sont des sujets essentiels, car ils touchent à a fois à la gestion des crédits et à l'information du Parlement. Plusieurs solutions étaient envisageables, notamment celle d'une interdiction totale des reports de crédits et des engagements par anticipation, solution qui a le mérite de la simplicité et d'un respect strict du principe de l'annualité des crédits, mais qui ne contribue pas à une gestion saine et efficace des crédits pour les gestionnaires. Votre rapporteur a considéré qu'il était conforme à la logique de la réforme de permettre une grande souplesse de gestion en contrepartie d'une information précise du Parlement. C'est dans cet esprit qu'il vous a proposé de modifier les dispositions du texte adopté par l'Assemblée nationale. Votre rapporteur a pleinement conscience du fait que la constitution d'un volant important de crédits reportés fait peser un risque sérieux sur la maîtrise de l'exécution budgétaire. Il considère néanmoins que la possibilité d'annuler des crédits afin de prévenir une détérioration de l'équilibre budgétaire défini par la dernière loi de finances afférente à l'année concernée, proposée à l'article 15 de la présente proposition de loi organique, permettra au ministre de l'économie et des finances de disposer d'outils suffisants pour piloter l'exécution du budget de l'Etat.
Dans le dispositif de l'article 9 tel que proposé par votre rapporteur, les reports de crédits deviennent de droit pour les autorisations d'engagement disponibles à la fin de l'année, sauf décision contraire prise par arrêté conjoint du ministre chargé des finances et du ministre intéressé, et sauf pour les autorisations d'engagement disponibles sur le titre des dépenses de personnel, dont le report est interdit. Pour les crédits de paiement correspondant à des dépenses effectivement engagées, les conditions de report seront identiques, dans la limite d'un plafond de 3 % des crédits initiaux, appliqué séparément aux crédits inscrits sur le titre des dépenses de personnel et à l'ensemble des crédits inscrits sur les autres titres, ce plafond pouvant être relevé par arrêté conjoint du ministre chargé des finances et du ministre intéressé. Le sort particulier fait aux crédits du titre des dépenses de personnel résulte de la volonté d'un respect très strict des autorisations annuelles données par le Parlement, s'agissant de dépenses engageant les finances de l'Etat pour plusieurs décennies.
Enfin, les crédits des fonds de concours seront reportés par arrêté du ministre chargé des finances.
Le régime des reports de crédits qui vous est proposé est donc plus souple que celui retenu par l'Assemblée nationale, et limite notamment la capacité du ministre chargé des finances à décider de manière unilatérale des reports de crédits. Votre rapporteur considère que la contrepartie de ce régime souple doit être une meilleure information du Parlement, puisque les reports de crédits altèrent le vote de la loi de finances.
Il vous est donc proposé :
- d'une part, de fixer au 15 mars la date limite pour la publication des arrêtés de report de crédits. Cette mesure permettra d'une part, d'assurer une bonne information du Parlement sur les crédits disponibles, et, d'autre part, de sécuriser la gestion des ministères assez tôt dans l'année ;
- d'autre part, que le gouvernement dépose avant le 31 mars un rapport présentant l'impact sur les crédits disponibles des engagements de crédits par anticipation et des reports de crédits, et justifiant les éventuels relèvements du plafond de 3 % qui s'applique aux reports des crédits de paiement.
Ce dispositif devrait donc offrir la souplesse de gestion nécessaire tout en assurant une bonne information du Parlement.
Votre rapporteur souhaite mentionner à l'article 9 de la présente proposition de loi organique, l'ensemble des dispositions relatives aux reports de crédits et aux engagements par anticipation. C'est la raison pour laquelle il vous propose de supprimer le présent article.
Décision de la commission : votre commission vous propose de supprimer cet article.
* 45 « [les autorisations de programme] demeurent valables sans limitation de durée jusqu'à ce qu'il soit procédé à leur annulation ».
* 46 Rapport d'information fait au nom de la commission des finances du Séna,t n°37 (2000-2001), p. 115 et suivantes.