b) Les autres patients à risques
Le CSHPF n'a formulé des recommandations expresses que pour les seules femmes pendant la grossesse et l'allaitement. Ces recommandations peuvent-elles aussi concerner d'autres groupes de patients ? D'autres groupes à risques ont été évoqués. Les jeunes enfants, les patients qui ont déjà quinze, vingt plombages, les personnes allergiques... Définir un groupe à risques nécessite cependant beaucoup d'efforts scientifiques...
Quels pourraient être ces groupes ?
- les jeunes enfants , dans la mesure où la résistance par rapport au mercure est amoindrie et que le risque de mastication de gomme à mâcher acide est deux fois plus important que chez l'adulte. La recommandation du CSHPF est cependant très indirecte et porte davantage sur la mastication que sur la pose d'amalgame proprement dite : « la mastication de gomme à mâcher augmente transitoirement la libération de mercure par les amalgames, leur consommation fréquente doit être évitée par les porteurs de nombreux amalgames ».
- les adultes affaiblis , allergiques au mercure et allergiques en général, ou souffrant d'insuffisance rénale.
- les individus à multicaries constituent un groupe particulier dans une situation embarrassante, quel que soit le point de vue duquel on se place. La carie est infectieuse et doit être traitée. Pour beaucoup de praticiens, le composite ne paraît pas indiqué car il n'offre pas les garanties d'étanchéité de l'amalgame et les risques de reprise de carie sont démultipliés. Ce qui favorise la pose d'amalgames. Si les rejets mercuriels sont mineurs, la multiplication des amalgames en bouche peut légitimement être appréhendée. Une étude canadienne préconise une sorte de « limite maximale de pose », fixée à quatre amalgames pour les adultes, trois pour les adolescents, et un pour les enfants. Des recherches méritent d'être poursuivies sur ce point.
c) Les praticiens
Les médecins stomatologistes, chirurgiens-dentistes, assistants dentaires sont les premiers et les plus exposés au mercure de l'amalgame. L'exposition a lieu au moment de la préparation, de la pose, de la dépose, de la récupération des amalgames, et du polissage de la dent, offrant ainsi de nombreuses occasions de contact direct et surtout d'inhalation de vapeurs de mercure.
• Cette situation est connue, même si les conclusions sont ambiguës. Il y a en effet deux façons d'appréhender ce sujet.
D'une part, il est incontestable que l'exposition des chirurgiens dentistes au mercure se traduit dans tous les indicateurs courants : concentrations de mercure dans les urines, dans le sang, dans l'hypophyse (jusqu'à 35 fois plus élevées que dans les groupes témoins...), notablement supérieures à la moyenne de groupes témoins. Le taux de mercure dans l'organisme augmente sensiblement avec les années d'exercice et même les années d'étude... Une étude a montré une augmentation sensible du taux d'hypersensibilité au mercure des étudiants au fur et à mesure de leurs cursus universitaire : tandis que seuls 2 % des étudiants débutants présentaient des risques de sensibilité, cette proportion passe à près de 11 % en dernière année. Les taux de mercure dans l'air des cabinets dentaires sont notablement plus élevés et augmentent au cours de la journée...
D'autre part, aucune maladie ou pathologie professionnelle propre aux dentistes n'a pu être constatée . Sauf exception, il ne semble pas que les dentistes, les femmes dentistes, et les enfants de femmes dentistes, aient de problèmes de santé particuliers.
Les conclusions alarmistes d'une étude sur les femmes chirurgiens dentistes en Pologne, sujettes à un taux anormalement élevé d'avortements spontanés et de malformations de leurs bébés, se sont révélées de fausses pistes. Les femmes dentistes enceintes, normalement le plus exposées , n'arrêtent pas de travailler, sans pour autant avoir des enfants plus malformés ou handicapés que les autres. Les manifestations en question étaient moins liées à la profession qu'aux conditions de manipulation du mercure (à partir d'une poudre écrasée et mélangée manuellement au pilon...). Cette origine a cependant mis en évidence l'importance des conditions de préparation de l'amalgame. Cette pratique du pilon, aujourd'hui dénoncée comme archaïque (le mélange est réalisé par un vibreur ou « amalgameur »), a été en usage pendant près d'un siècle et demi. Il est vrai que la profession a longtemps été à dominante masculine et que les effets du mercure sur la fertilité des hommes sont nuls, mais les assistantes dentaires étaient nombreuses. L'utilisation des capsules prédosées évitera à l'avenir la fabrication en cabinet.
Autant « d'arguments forts en faveur de l'innocuité de l'amalgame » selon l'expression de la Commission d'enquête sur l'amalgame, du Conseil National de l'Ordre des Chirurgiens-dentistes .
• Est-ce une raison suffisante pour s'en désintéresser ? Votre rapporteur ne le pense pas. L'inhalation de vapeurs de mercure par le chirurgien dentiste et ses assistants représente un risque potentiel d'intoxication. Ce risque a été évalué dans plusieurs pays, notamment au Royaume-Uni, en Allemagne, en Suisse, en Suède, et aux États-Unis. A notre connaissance, les risques professionnels liés au mercure dentaire n'ont pas donné lieu à des investigations très poussées en France, à une exception près, mais plus expérimentale que réellement représentative, compte tenu de la faiblesse de l'échantillon analysé.
Ces analyses donnent néanmoins des résultats intéressants qu'il convient de rappeler.
La teneur en mercure dans l'air des cabinets dentaires Synthèse d'études étrangères et d'une expérimentation en France 1 ère conclusion (études européennes) : La valeur moyenne constatée dans les cabinets dentaires est de 25 ug/m3, soit une valeur de moitié inférieure à la valeur moyenne d'exposition acceptée en France (50 ug/m3 valeur limite fixée par l'Institut National de la Recherche et de Sécurité). 2 ème conclusion : La concentration en mercure dans l'air est très dépendante de la température. Elle triple entre 80° et 20 °. 3 ème conclusion : La valeur moyenne recouvre des mesures très hétérogènes. La concentration varie dans des proportions considérables, selon le lieu de la mesure, dans une proportion de 1 à 1.000. Exemple de mesures dans un cabinet dentaire : - mercure dans la salle d'attente 0,1 ug/m3 d'air - moyenne cabinet 7,8 ug/m3 d'air - mercure dans la poubelle 8,6 ug/m3 d'air - mercure près de l'amalgameur 13,8 ug/m3 d'air - mercure sur le lieu de stockage des déchets 91,9 ug/m3 d'air 4 ème conclusion : Ces mesures font apparaître des pics de concentration et par conséquent, des lieux à surveiller tout particulièrement. |
• Il existe donc une série d'indices qui doivent être pris en compte et qui sont de nature à justifier des précautions et des mesures d'hygiène élémentaire. Elles sont parfaitement connues et le Conseil Supérieur d'Hygiène Publique de France les a récapitulées dans son avis du 12 mai 1998.
Recommandations du CSHPF pour les professionnels
(Avis du 12 mai 1998)
« Afin de limiter au maximum la concentration de mercure dans l'atmosphère des cabinets dentaires, il faut :
1) - informer les professionnels et leurs employés de la toxicité du mercure et de la nécessité de respecter les règles d'hygiène et les bonnes pratiques.
2) - utiliser les nouveaux amalgames (dits non gamma 2) en capsules pré-dosées, afin de limiter tout risque de contamination. Les capsules d'amalgame doivent être stockées dans un endroit frais et ventilé.
3) - travailler dans des locaux ventilés ; le cabinet doit être aéré plusieurs fois dans la journée. S'il y a un dispositif de climatisation avec filtrage d'air, il faut respecter les consignes du fabricant pour l'entretien régulier des filtres.
4) - proscrire tapis, moquettes, rideaux et tissus muraux dont la décontamination est impossible.
5) - condenser l'amalgame par les moyens classiques (fouloir) et ne pas utiliser de condensateur à ultrasons afin d'éviter la formation d'aérosols.
La plupart de ces recommandations paraissent élémentaires, et l'on peut même s'étonner que le Conseil ait cru bon de devoir les rappeler. Hélas, quelques entretiens avec des praticiens montrent que ces rappels ne sont pas superflus. Une décision faisant obligation d'utiliser des capsules prédosées , plusieurs fois annoncée depuis cet avis, a été publiée dans les premiers jours de l'année 2001 (voir annexe).
Enfin, quelques pistes complémentaires méritent d'être évoquées.
- une meilleure information. Bien que directement exposés à titre professionnel, la plupart des praticiens sont largement ignorants de cette situation et sont même peu sensibilisés à ces questions, considérées à tort comme anecdotiques ou fantaisistes. Dans un premier temps, une meilleure information paraît indispensable.
- une meilleure évaluation. De plus, il n'y a actuellement aucun suivi médical des praticiens. Dans un second temps, une meilleure évaluation des risques dans les cabinets dentaires paraît nécessaire. Au vu des résultats, les instances professionnelles pourraient utilement recommander de procéder à des mesures régulières de concentration du mercure dans l'air des cabinets (une fois l'an par exemple) et à des contrôles personnels des praticiens (une fois tous les trois ou cinq ans par exemple).