4. Les « groupes à risques »
L'idée est communément admise qu'il existe des « groupes à risques » pour lesquels il convient d'éviter la pose d'amalgames dentaires. Un consensus se dessine pour faire entrer dans cette catégorie les femmes enceintes par exemple. Les avis sont plus partagés pour les autres groupes d'individus.
a) L'amalgame dentaire et les femmes enceintes
- Les recherches sur les foetus humains et les bébés ont révélé la présence de mercure chez les enfants décédés. La transmission ne pouvant venir que de la mère, les analyses ont montré une corrélation entre la concentration de mercure chez le foetus ou l'enfant ( mercure mesuré dans le foie, les reins, le cortex) et les amalgames des mères. Le mercure s'accumule chez la mère et se transmet par le placenta, puis par le lait maternel.
Toutes les études et l'expérience ont montré la dramatique vulnérabilité des enfants aux intoxications mercurielles, pour deux raisons :
- d'une part, parce que les concentrations sont beaucoup plus élevées que chez les mères. Le placenta, par lequel se font les échanges entre le foetus et le sang maternel, a une capacité à concentrer le mercure. La concentration peut être dix fois supérieure à celle du sang. La transmission à l'enfant n'est cependant pas immédiate. Ainsi, la corrélation entre le mercure chez l'enfant et les amalgames de la mère est significative chez les enfants de onze mois à quatre ans mais pas chez les nourrissons (de moins de dix mois). La présence de métatonine peu après la naissance constitue une sorte de barrière naturelle. La métatonine diminuant peu après la naissance, le mercure est alors relargué et la concentration augmente rapidement dans les mois suivants .
- d'autre part, les effets sont beaucoup plus graves chez l'enfant que chez la mère. Le drame de Minamata a montré des liaisons cérébrales irréversibles, une atrophie du cerveau, des troubles neurologiques graves, léthargie, convulsions, baisse du quotient intellectuel, et surtout des effets tératogènes graves, alors même que les mères ne présentaient pas toujours de signe clinique d'intoxication. Cette différence de concentration a même conduit jusqu'à l'hypothèse selon laquelle les foetus protégeraient la mère contre les effets toxiques du méthylmercure.
Comme souvent, la référence à Minamata est trompeuse car bien évidemment les doses reçues sont sans commune mesure avec la transmission par amalgame. Mais elle illustre - de façon dramatique - la grande vulnérabilité des jeunes enfants au risque mercuriel.
Pour la plupart des chercheurs, l'hypothèse d'une action tératogène (conduisant à des malformations) des vapeurs de mercure lors des manipulations et des préparations est en général acceptée.
Il existerait une corrélation entre la concentration de mercure dans le lait maternel, le placenta, le foetus puis le bébé, et le nombre d'amalgames de la mère, avec un « seuil critique » évalué à 7 amalgames (11 ( * )) . Quelques réserves ont été cependant apportées, mettant en cause cette relation. La corrélation serait surtout vérifiée avec le placenta, ce qui laisserait supposer que le placenta exerce une fonction de rétention- mais beaucoup moins avec le sang. Par ailleurs le rapport de causalité a lui aussi été dénoncé, puisqu'il existe aussi des cas de corrélations entre mercure chez l'enfant et mercure chez la mère... en l'absence d'amalgame !. La concentration en mercure chez la mère provenant alors de la consommation de poissons par exemple. Enfin, l'impact final n'est pas précisé. Comme le reconnaissait le Dr Draasch de l'Université de Munich, au cours d'une conférence scientifique internationale organisée au Parlement européen début 1999 : « Honnêtement, je ne peux que dire que les concentrations de mercure (liées aux amalgames de la mère) ont apporté des dommages aux enfants ». Avant toutefois, d'ajouter « Il faut cependant se demander s'il ne faut pas se passer des amalgames dentaires... ».
L'effet éventuel sur la fertilité a également été étudié. Au début des années 90, une étude polonaise avait relevé le nombre important d'avortements spontanés et d'enfants morts-nés chez les femmes dentistes et assistantes dentaires. Devant l'inquiétude provoquée, plusieurs études complémentaires avaient été diligentées. Sans résultat. L'exposition des hommes et des femmes aux vapeurs mercurielles serait sans incidence sur le nombre d'enfants. Une analyse statistique avait montré que les femmes très exposées (dentistes) avaient bien un nombre d'enfants plus faible que les femmes non exposées, mais celles-ci avaient aussi moins d'enfants que les femmes peu exposées. Aucune hiérarchie claire n'avait donc pu être établie en fonction du degré d'exposition au mercure. Il est certain que les femmes dentistes ont en général moins d'enfants que la moyenne, mais il ne s'agit pas d'une spécificité propre à ce métier. C'est aussi le cas des femmes qui travaillent et notamment des femmes qui occupent des postes de responsabilité. Les comparaisons entre milieux dentaires et milieux enseignants n'avaient d'ailleurs montré aucune différence.
Quant à l'étude polonaise, le taux anormalement élevé d'avortements spontanés était vraisemblablement dû aux conditions de manipulation du mercure dans les cabinets dentaires (les amalgames étant préparés au mortier), sans le minimum de précaution nécessaire.
Si l'effet sur la fertilité est quasi nul, de nombreuses études laissent supposer un risque non négligeable pour les enfants. Le principe de précaution trouva là une occasion de s'appliquer. L'exposition des femmes enceintes doit être aussi faible que possible.
Dès 1980, l'OMS recommandait de limiter l'exposition des femmes en âge de procréer . En Suède, la pose d'amalgames chez les personnes enceintes est pratiquement prohibée par les pouvoirs publics. En France , cette mesure a fait l'objet d'une double recommandation tant du CSHPF (12 ( * )) que du Conseil de l'Ordre des chirurgiens dentistes qui préconise de différer la pose d'amalgame chez les femmes enceintes . On observera que cette mesure n'a été adoptée que près de vingt ans après sa première formulation par l'OMS.
Dès lors que l'on sait que la pose et la dépose d'amalgames sont deux moments critiques qui risquent d'augmenter brutalement les vapeurs de mercure, il ne serait pas absurde de « monter d'un cran » ce conseil de prudence, en prévoyant de reconsidérer la pose d'amalgame pendant la grossesse et chez les femmes allaitantes et de recommander une limitation de la pose d'amalgame aux femmes manifestant l'intention d'avoir des enfants.
* (11) Le lien mère enfant a surtout été étudié par le professeur Draasch. Les bébés de plus de onze semaines présentaient une valeur de pointe de 75,9ug de mercure par kg de tissu rénal, cette valeur augmentant de 30 fois lorsque le nombre d'amalgames passe à 10.
* (12) Avis du CSHPF du 19 mai 1998, point 6 : « la pose et la dépose de l'amalgame augmentant sensiblement la libération de mercure, il est prudent de les éviter pendant la grossesse et l'allaitement ».