2. Discussion critique (1) : le débat scientifique

a) Quelle est la réalité du risque ?

D'une part, aucun cas de mortalité lié à une intoxication par le plomb d'origine hydrique n'a été signalé, même si des risques sanitaires non négligeables peuvent résulter pour certains groupes à cible (jeunes enfants) ou certaines régions (Massif central, Vosges, Bretagne...), tant en raison de l'importance des canalisations en plomb qu'en raison des caractéristiques de l'eau. D'autre part, le fondement scientifique est discuté. « Dans un récent rapport, l'Académie des Sciences rappelle que les normes applicables à la qualité d'eau potable, notamment celles qui concernent le plomb, ne reposent sur aucune étude épidémiologique à toxicologie préalable. Les valeurs limites imposées à la qualité de l'eau potable correspondent évidemment à la nécessité de protéger la santé des consommateurs. Sans remettre en cause le principe, la réflexion de l'Académie des sciences conduirait cependant à s'interroger sur le bien fondé d'une application rigide de la réglementation » (70 ( * )).

On regrettera que dix mois après, le Ministre chargé de la santé n'ait pas apporté de réponse à cette question écrite pertinente de notre collègue Michel Sergent. Une interrogation légitime qui ne remet pas nécessairement en cause la décision, puisqu'on notera que, le même jour, un autre de nos collègues s'inquiètent de la transposition de la Directive alors même « que 5 % des adultes et 2 % des enfants seraient sujets à des expositions supérieures à la normale ».

b) Quelle est la cohérence de la démarche ?

En agissant sur l'eau potable, l'Union européenne n'intervient que sur une partie des sources de contamination. Or, l'apport en plomb est étroitement dépendant du régime alimentaire et des autres boissons.

Dès lors, deux questions se posent :

Peut-on faire abstraction des autres boissons ? Les eaux minérales, de même que les autres boissons n'entrent pas dans le champ d'application de la Directive. Or, les teneurs moyennes en plomb retrouvées dans les boissons en France sont les suivantes :

- vin 70 ug/l

- Jus de fruits 30 ug/l

- Cidre 15 ug/l

- Bière 5 ug/l

- Boissons gazeuses 5 ug/l

- Lait 15 ug/l

Il n'apparaît ni raisonnable, ni légitime, d'imposer une CMA pour l'eau qui ne serait pas respectée par les autres boissons des enfants, ces autres liquides venant en concurrence avec l'eau utilisée pure ou en dilution des biberons.

Peut-on faire abstraction des apports alimentaires ? La fixation d'une concentration maximale admissible (CMA) pour le plomb dans l'eau dépend très étroitement des autres apports alimentaires, très variables selon le régime alimentaire de l'individu.

Les consommations courantes apportent une certaine quantité de plomb. Cette quantité, déduite de l'apport tolérable, fixé par l'OMS à 25ug/kg, détermine la quantité de plomb qui peut être absorbée par la voie liquide, et par conséquent, les teneurs en plomb dans l'eau. Ces différents calculs sont présents ci-après. Aucun résultat ne conduit à fixer un seuil de 10 ug/l.

Le calcul des valeurs guides pour l'eau pour l'alimentation conduit aux résultats suivants :

Relations entre apports alimentaires et apports hydriques

Nourrisson (5kg)

Enfant (14 kg)

Adulte (60 kg)

Apport (ug/jour)

- alimentation

6

30

50

Apport hebdomadaire

(ug/kg/semaine)

(6 X 7) : 5 = 8,4

(30 X 7) : 14 = 15

(50 X 7) : 60 = 5,8

Apport tolérable dû à l'eau (ug/kg/semaine)

25 - 8,4 = 16,6

25 - 15 = 10

25 - 5,8 =19,2

Apport tolérable (ug/jour)

(16,6 X 5) : 7 = 11,8

(10 X 14) : 7 = 20

(19,2 X 60) : 7 = 164,6

Volume eau (l/jour)

0,75

1

2,00

Valeur guide Pb (ug/l)

11,8 : 0,75 = 16

20 : 1 = 20

164,6 : 2 = 82

Source : Faculté de médecine - Université Henri Poincaré - « Contribution à la réflexion sur la fixation d'une CMA par le plomb dans l'eau de distribution publique » - 1994

Les auteurs de cette étude ajoutaient : « Il convient de s'interroger en termes de gestion de l'intérêt public pour la France de dépenser une somme de près de 120 millliards de francs sans argument médical ».

« L'absence d'argument médical » est peut être excessive et le coût a été révisé à la baisse (70 milliards de francs). Néanmoins, on ne peut que s'interroger sur l'opportunité d'engager une telle dépense pour un résultat au mieux modeste alors que d'autres actions étaient probablement possibles et préférables.

* (70) Question écrite n° 25 082 du 11/05/2000 - JO - Questions Sénat - p ; 1.644.

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