EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
M. Christian Poncelet, Président du Sénat, a pris l'initiative de demander l'inscription à l'ordre du jour réservé du Sénat du 18 janvier 2001 de plusieurs propositions de loi concernant ce qui est communément appelé le " statut de l'élu " 1 ( * ) .
Il appartient en effet au Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales de " favoriser l'égal accès des citoyens à l'exercice des mandats locaux, sans pour autant tomber dans les errements d'une inacceptable fonctionnarisation des élus ", selon les termes employés par M. le Président Poncelet devant le 83 ème congrès de l'Association des maires de France, le 23 novembre 2000.
Le rapport de la mission sénatoriale d'information, que votre rapporteur a présidée et dont M. Michel Mercier était le rapporteur, comporte une analyse structurée et de nombreuses propositions dans ce domaine 2 ( * ) .
Les différentes associations d'élus locaux, entendues par votre rapporteur, ainsi que la commission pour l'avenir de la décentralisation, présidée par M. Pierre Mauroy ont également formulé des propositions en ce sens.
M. Lionel Jospin, Premier ministre, a lui-même indiqué, lors du dernier congrès de l'Association des maires de France, que le Gouvernement préparait un projet de loi comportant, en particulier, des dispositions pour " faciliter l'accès des citoyens aux mandats locaux et la conciliation de la vie professionnelle et personnelle avec l'exercice d'un mandat ".
L'Assemblée nationale a, pour sa part, adopté, le 14 décembre 2000, une proposition de loi de Mme Jacqueline Fraysse et les membres du groupe communiste tendant à améliorer l'accès aux fonctions électives municipales. Ce texte ne concerne pas, en revanche, les élus des départements et des régions.
Au-delà de nuances portant sur tel ou tel aménagement à apporter aux conditions d'exercice des mandats locaux, le débat sur la situation de l'élu apparaît assez largement consensuel, chacun convenant de ce que la montée en puissance de la décentralisation a changé les données du problème .
L'accroissement des charges qui pèsent sur les responsables des collectivités décentralisées, en raison d'une réglementation instable de plus en plus complexe, des besoins et des attentes croissantes du public, sont également reconnus par tous.
La technicité accrue des fonctions à exercer et le contexte de judiciarisation de la société conduisent les élus de toutes tendances à souhaiter une définition plus précise des responsabilités des décideurs locaux, ce à quoi a d'ailleurs contribué la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, adoptée à l'initiative de notre collègue M. Pierre Fauchon.
Les contraintes croissantes liées à l'exercice des mandats locaux et la difficulté qui en résulte pour leur conciliation avec une activité professionnelle dans le secteur privé, débouchent sur une baisse déjà constatée de l'attrait du mandat local, auquel accèdent en majorité certaines catégories socioprofessionnelles.
Il existe donc un risque réel de paupérisation de la vie locale.
Le débat à engager ne porte cependant pas sur le " statut de l'élu ", comme s'il s'agissait d'améliorer celui de telle ou telle profession.
Le débat que doit conduire le Sénat, représentant constitutionnel des collectivités territoriales, porte plutôt sur la démocratie locale elle-même.
C'est, en effet, pour assurer le développement de la démocratie locale qu'il convient d'apporter certains aménagements à la situation de l'élu.
La réflexion doit, à cet égard, porter sur le prix à payer pour une démocratie locale vivante, ce qui suppose de favoriser un meilleur équilibre entre la société dans son ensemble et les élus locaux.
Votre commission des Lois espère donc qu'un large accord pourra être trouvé en vue d'une amélioration significative des moyens nécessaires à l'exercice des mandats électoraux, moyens dont dépend notre démocratie.
Avant d'examiner l'état de la réflexion en la matière et les propositions présentées, votre rapporteur, à partir d'un bref rappel de " l'état des lieux ", s'interrogera sur l'équilibre à trouver entre, d'une part, un nouvel aménagement du principe de gratuité et, d'autre part, le risque de professionnalisation du mandat, afin de favoriser l'égal accès des citoyens à celui-ci, et donc la vigueur de la démocratie locale elle-même.
I. L'ÉTAT DES LIEUX
A. UN MALAISE QUI S'AGGRAVE
En réponse à une question écrite de notre collègue M. Jean Clouet 3 ( * ) , le ministre de l'intérieur a indiqué que, lors des élections municipales de juin 1995, sur 36.167 maires sortants de communes de moins de 20.000 habitants, 9.475 ne se sont pas représentés (soit 26,20 %) . En outre, 1.652 maires de ces communes élus en 1995 (soit 4,57 %) avaient été remplacés le 1 er janvier 1999.
La proportion de maires de villes de plus de 20.000 habitants qui ne se sont pas représentés lors de la dernière échéance est, en revanche, moins élevée, puisque, pour les 396 communes concernées, 41 maires sortants ne se sont pas représentés ou se sont représentés sans figurer en tête de liste (10,35 %), mais 53 maires élus en 1995 avaient abandonné leurs fonctions trois ans et demi plus tard (13,38 %).
Il est difficile d'évaluer de manière précise le pourcentage de maires qui, au terme de leur réflexion, décideront, pour la prochaine échéance électorale, de ne pas se représenter en tête de liste.
Les sondages réalisés depuis deux ans auprès des maires témoignent néanmoins d'un certain malaise.
En effet, selon un sondage réalisé en novembre 1998 4 ( * ) , 45 % des maires n'avaient pas l'intention de solliciter un nouveau mandat en mars 2001 (47 % des maires des communes de moins de 2.000 habitants et 25 % des maires de celles de plus de 10.000 habitants).
Le quart des maires élus pour la première fois en 1995 n'avait pas, trois ans plus tard, l'intention de solliciter un nouveau mandat.
Parmi les raisons conduisant à ne pas souhaiter un nouveau mandat , figurait en bonne position " le caractère trop ingrat de la fonction et le statut de maire ". Ce motif était même le premier invoqué par les maires élus pour la première fois en 1995 et n'envisageant pas un renouvellement.
Plus de la moitié des élus interrogés (52 %) se plaignaient de la complexité croissante des textes législatifs , des normes qui régissent l'exercice de leur mandat et des réglementations européennes .
Notre collègue M. Daniel Hoeffel indiquait récemment 5 ( * ) que depuis sa publication, en 1996, la partie législative du code général des collectivités territoriales a été modifiée par 42 lois qui ont eu un impact sur 390 articles .
Il a recensé au total 450 modifications, soit 139 créations d'articles, 30 déplacements avec renumérotation, 50 abrogations et 231 modifications rédactionnelles.
A l'instabilité des normes juridiques, s'ajoute aussi la préoccupante judiciarisation de la société (40 % des élus invoquent les responsabilités croissantes au niveau juridique), préoccupation à laquelle devrait, dans une certaine mesure, remédier la loi n° 2000-647 du 10 juillet 2000 relative à la définition des délits non intentionnels, à l'origine de laquelle s'est trouvé notre collègue M. Pierre Fauchon.
Selon un sondage réalisé par la SOFRES pour l' Association des petites villes de France (APVF) , en septembre 1999, 84 % des élus concernés considéraient insatisfaisant le " statut " actuel de l'élu local, les points sur lesquels il conviendrait d'agir en priorité étant la clarification sur le plan juridique de la responsabilité des élus (60 %) les conditions matérielles d'exercice du mandat (54 %) et la possibilité de mieux concilier mandat et activité professionnelle (47 %) .
Le même sondage révèle, parmi les principaux motifs d'insatisfaction des maires des " petites villes ", la multiplication et l'instabilité des normes, notamment en matière de sécurité (77 %), la complexité croissante des dossiers (52 %) et le manque de temps (28 %) .
Certes, la plupart des réponses qui seraient apportées à ce malaise des élus locaux entraînerait inévitablement une augmentation des charges publiques, que ce soit au travers du budget des collectivités territoriales ou de celui de l'État, selon les options qui seraient choisies.
Il n'est pas certain que les Français soient opposés par principe au paiement du " coût de la démocratie ", puisque selon un sondage de la SOFRES réalisé en août 2000 pour la Commission pour l'avenir de la décentralisation présidée par M. Pierre Mauroy, 77 % des Français préfèrent, " pour un maire de ville moyenne ou de grande ville, qu'il se consacre à plein temps à son mandat et soit rémunéré en tant que tel ".
* 1 Il s'agit des propositions de loi n°s 398, 443, 454 (1999-2000), 59 rectifiée et 98 (2000-2001)
* 2 Rapport n° 447 (1999-2000).
* 3 J.O. Questions Sénat, 7 janvier 1999, p. 47.
* 4 IPSOS pour " Le Courrier des Maires "
* 5 Avis au nom de la commission des Lois sur les crédits du ministère de l'intérieur (décentralisation) pour 2001, n° 97 tome I (2000-2001).