AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs

Lors de sa réunion du 26 avril, votre commission des Affaires sociales s'est saisie pour avis du projet de loi relatif aux nouvelles régulations économiques.

Cette saisine est un peu particulière.

Votre commission n'entend pas ici se prononcer sur les dispositions du texte transmis au Sénat qui porte sur des sujets très divers (la concurrence, la transparence des opérations financières et la lutte contre le blanchiment des capitaux, la gouvernance des entreprises, l'évolution du secteur public...), mais qui ne concernent pas en premier chef le domaine d'intervention traditionnel de votre commission.

Votre commission souhaite plutôt combler une lacune et enrichir ce texte car elle constate, hélas, qu'en dépit de son aspect somme toute disparate, ce projet de loi ignore une dimension essentielle de ce pourrait être ces " nouvelles régulations économiques ".

En effet, contrairement à ce qu'avait annoncé le Gouvernement, notamment lors de l'examen au Sénat, le 16 décembre 1999, de la proposition de loi tendant à favoriser le partenariat social par le développement de l'actionnariat salarié, le présent projet de loi ne comporte aucune disposition ni en faveur de l'actionnariat des salariés, ni en faveur de l'épargne salariale.

Aussi votre commission a-t-elle décidé d'introduire, par voie d'amendements, les mesures adoptées par le Sénat le 16 décembre dernier en vue de favoriser le développement de l'actionnariat salarié.

De rapports en reports, de consultations officieuses en concertations inachevées, la réforme de l'épargne salariale annoncée depuis huit mois fait désormais figure d'Arlésienne.

Votre commission des Affaires sociales le regrette d'autant plus qu'elle s'est particulièrement investie dans ce domaine depuis maintenant plus d'un an.

Le 6 avril 1999, votre commission avait confié à votre rapporteur la mission de présenter " une analyse du développement actuel de l'actionnariat salarié, des moyens de mieux appréhender ce phénomène et ses implications, ainsi que les mesures susceptibles de favoriser cette évolution ".

A l'issue d'un important travail d'auditions, votre rapporteur a, le 29 septembre dernier, présenté un rapport d'information 1 ( * ) , formulant 28 propositions pour favoriser un développement organisé de l'actionnariat salarié, celui-ci pouvant constituer à ses yeux le fondement d'un nouveau partenariat dans l'entreprise. Il avait alors annoncé le dépôt d'une proposition de loi destinée à transcrire dans la législation actuelle celles de ses propositions appelant des modifications d'ordre législatif.

Cette proposition de loi 2 ( * ) , déposée le 4 novembre dernier, enrichie par les utiles compléments d'une proposition de loi 3 ( * ) très proche présentée par M. Jean Arthuis et ses collègues du groupe de l'Union centriste, a été adoptée par le Sénat, dans sa séance du 16 décembre 1999 4 ( * ) .

La démarche du Sénat est donc claire : diagnostic, concertation, décision en sont les trois étapes.

Votre commission regrette de ne retrouver une telle clarté dans l'attitude du Gouvernement. En dépit de ses déclarations successives, celui-ci ne s'est toujours pas décidé à agir dans le domaine de l'actionnariat des salariés.

Un bref rappel chronologique s'avère ici indispensable.

Le 20 mai 1999, le Gouvernement s'est opposé à la proposition de loi relative à l'actionnariat des salariés présentée par M. Edouard Balladur qui était discutée à l'Assemblée nationale. A l'époque, pour justifier sa position, il arguait, par la voix de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, de sa volonté de mener " une réflexion globale (...) sur l'ensemble des mécanismes de participation et d'association des salariés au partage de la valeur qu'ils créent dans leur entreprise " 5 ( * ) .

Le 27 septembre 1999, alors que votre commission s'apprêtait à publier son rapport d'information, le Premier ministre annonçait à Strasbourg, aux journées parlementaires du parti socialiste, que " le Gouvernement pense nécessaire, s'agissant des salariés actionnaires, de renforcer leur rôle, leurs moyens d'action et leur représentation " .

Peu après, le 13 octobre, il confiait à MM. Balligand et de Foucauld une mission destinée à étudier " les modalités d'une participation plus active des salariés au développement de leurs entreprises et au partage des fruits de la croissance, notamment grâce à l'épargne salariale et à l'actionnariat salarié " 6 ( * ) . Au même moment, M. Dominique Strauss-Kahn, alors ministre des Finances, déclarait, le 22 octobre : " l'épargne salariale est au coeur de notre projet " .

Ces déclarations auraient pu laisser croire que le Gouvernement s'était enfin converti à la participation.

Le 16 décembre dernier, pourtant, le Gouvernement s'opposait, lors de son examen au Sénat, à la proposition de loi tendant à favoriser le partenariat social par le développement de l'actionnariat salarié. Mme Maryse Lebranchu, secrétaire d'Etat aux PME, au commerce et à l'artisanat, déclarait alors qu'il était préférable d'attendre les conclusions de la mission Balligand-de Foucauld dont les propositions devaient " trouver une traduction législative dans la loi sur les nouvelles régulations économiques " 7 ( * ) .

L'enthousiasme du Gouvernement allait pourtant, une nouvelle fois, se refroidir le 28 janvier dernier, date de la remise de ce rapport. Le Premier ministre publiait alors un communiqué de presse à la fois tiède et laconique qui annonçait que " la rénovation [de l'épargne salariale] prendra en compte les propositions de MM  Balligand et de Foucauld et interviendra à l'issue d'une concertation menée auprès de l'ensemble des acteurs concernés " 8 ( * ) .

Votre rapporteur observe, à ce propos, que les propositions de ce rapport se révèlent très proches du texte voté au Sénat.

Ce rapport en est très proche dans son constat et dans sa philosophie , en estimant nécessaire d'actualiser -et non de bouleverser- les dispositifs d'épargne salariale, d'encourager le développement de l'actionnariat salarié dans un cadre incitatif et contractuel et d'en favoriser l'organisation.

Mais il en est aussi très proche dans ses propositions . Celles-ci sont en effet pour beaucoup identiques ou d'inspiration commune à celles du Sénat. A titre d'exemple, on peut citer la création des plans d'épargne interentreprises, la mise en place de plans d'épargne à long terme, l'amélioration des conditions d'application du " rendez-vous obligatoire ", la possibilité de mobilité de l'épargne salariale parallèlement à la mobilité des salariés, le renforcement des conseils de surveillance des fonds communs de placement d'entreprise, l'extension du champ de négociation sur l'épargne salariale...

Cette grande similitude n'a pourtant pas poussé le Gouvernement à agir. Bien au contraire. Ainsi, il n'a pas jugé souhaitable d'inscrire le texte voté au Sénat à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale et n'a donc pas permis au débat parlementaire de se poursuivre.

De même, le Gouvernement s'est à nouveau opposé, le 8 février 2000 à l'Assemblée nationale, à la proposition de loi présentée par M. Philippe Douste-Blazy relative à la participation et à la croissance pour tous 9 ( * ) .

Parallèlement, M. Christian Sautter, alors ministre des Finances, soumettait, le 10 février, à la concertation des partenaires sociaux un avant-projet de loi relatif à l'épargne salariale, sensiblement en retrait par rapport aux propositions de MM. Balligand et de Foucauld.

Les atermoiements du Gouvernement n'allaient pas s'arrêter là.

Le 17 février, il renonce à intégrer les dispositions relatives à l'actionnariat et à l'épargne des salariés dans le projet de loi sur les nouvelles régulations économiques.

Le 25 avril, M. Laurent Fabius annonce à l'Assemblée nationale sa volonté de préparer un texte spécifique sur l'épargne salariale qui devrait être déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale en principe fin juin " pour examen lors de la rentrée parlementaire d'automne et adoption définitive avant la fin de l'année " 10 ( * ) .

Le 2 mai, enfin, était rendu public un " avant-projet soumis à la concertation ", avant-projet qui, par son absence de précision, tient plus du communiqué de presse que du projet de texte législatif, même s'il présente certains aspects intéressants.

Mais, le 16 mai dernier, le Gouvernement se refuse à nouveau à engager la discussion à l'Assemblée nationale à l'occasion de l'examen de la proposition de loi de M. Edouard Balladur sur l'épargne salariale et la participation 11 ( * ) .

Votre commission ne peut que déplorer ces tergiversations qui sont d'autant plus regrettables qu'une réponse urgente lui paraît indispensable.

On ne reviendra pas sur les raisons qui incitent au développement de l'actionnariat salarié et à la modernisation de l'épargne salariale. Votre rapporteur se permet de renvoyer sur ce point à son récent rapport d'information. Mais il souhaite toutefois insister sur un point. On ne peut pas à la fois continuellement regretter la fragilité du capital de nos entreprises, critiquer l'emprise croissante des fonds de pension -souvent au détriment de l'intérêt des salariés- et retarder le développement de l'actionnariat salarié en France.

C'est pourquoi votre commission a jugé nécessaire de vous proposer de rétablir, par voie d'amendements, les dispositions du texte voté au Sénat en décembre dernier, relatives à l'actionnariat des salariés et à l'épargne salariale.

Cet exercice est loin d'être inutile, comme en témoigne l'examen en première lecture du présent projet de loi à l'Assemblée nationale.

Celle-ci a en effet adopté un amendement de M. Balligand (à l'article 70 bis nouveau) qui reprend une des dispositions adoptées par le Sénat en décembre dernier. Cet exemple ne peut que conforter votre rapporteur dans l'idée qu'il est souhaitable que les propositions du Sénat puissent être examinées par l'Assemblée car un accord lui semble envisageable sur de nombreux points.

Votre commission ne propose toutefois pas le rétablissement des articles de la proposition de loi votée le 16 décembre dernier inhérents aux plans d'options sur actions. Ces articles, rassemblés dans le titre IV ( Régulation et développement des plans d'options sur actions ), sont en effet issus d'amendements présentés par notre excellent collègue, M. René Trégouët au nom de la commission des Finances. Comme le texte adopté à l'Assemblée nationale contient des dispositions relatives aux options sur actions, votre commission vous propose de laisser à la commission des Finances le soin de rétablir, si elle le désire, ces articles, qui relèvent d'ailleurs directement de son domaine de compétence.

Votre rapporteur rappellera ici pour mémoire les grandes lignes du texte voté en décembre. La démarche du Sénat était -et reste- résolument pragmatique. Le texte adopté voulait simplement renforcer l'existant pour lever certains obstacles au développement de l'actionnariat salarié et pour l'adapter à l'évolution du monde du travail et de la vie économique.

Il reposait sur cinq grands principes :

- Le développement de l'actionnariat salarié passe avant tout par une démarche incitative . Ce n'est pas en instaurant par la loi de nouvelles obligations et de nouvelles contraintes que l'actionnariat salarié se développera. Bien au contraire, il est nécessaire que l'actionnariat résulte d'une action volontaire et soit de surcroît défini et organisé par voie contractuelle. La réglementation doit donc être avant tout incitative et favoriser la négociation dans l'entreprise.

- L'actionnariat salarié doit être adapté aux spécificités des entreprises. Il ne s'agit alors pas d'imposer un modèle unique d'actionnariat, mais d'ouvrir des voies différentes et souples. Aussi, ne faut-il pas succomber au mythe d'une règle uniforme, applicable à tous, ce qui est hélas bien souvent le travers de notre législation sociale.

- L'actionnariat salarié doit aussi être stable et durable que possible. Sa vocation n'est pas d'être un placement spéculatif. Il doit donc être fidélisé .

- L'actionnariat salarié ne peut être une " coquille vide ". Il doit se traduire par une participation croissante du salarié à la marche de l'entreprise , et surtout aux décisions qui engagent le destin de l'entreprise.

- L'actionnariat salarié ne sera efficace que s'il est organisé . Un actionnariat exercé individuellement pèse trop peu et ne permet pas aux salariés actionnaires d'être directement associées aux décisions les plus importantes de l'entreprise. Aussi cette organisation doit s'inscrire dans une démarche collective, seule capable de fournir un contrepoids suffisant à la puissance des autres pôles d'actionnariat de l'entreprise.

C'est à ces conditions seulement que l'actionnariat salarié pourra réellement constituer une " révolution sociale ", pour reprendre l'expression chère au président Poncelet.

Votre commission souhaite donc que l'on ne se méprenne pas sur le sens de sa démarche. Il ne s'agit pas, pour elle, de revendiquer une quelconque paternité ou antériorité en la matière. Votre commission vous propose simplement une démarche constructive visant à ouvrir un réel débat parlementaire avec l'Assemblée nationale et le Gouvernement pour aboutir, dans les meilleurs délais, au vote d'un texte le plus conforme à l'intérêt national, à l'intérêt de nos salariés comme à celui de nos entreprises. Un tel débat a été, pour l'instant, impossible, le texte du Sénat n'ayant en effet jamais été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.

Votre commission le regrette. C'est pourquoi elle vous propose d'adopter les amendements portant articles additionnels suivants.

* 1 " L'actionnariat salarié : vers un véritable partenariat dans l'entreprise ", rapport d'information Sénat n° 500 (1998-1999).

* 2 Proposition de loi de M. Jean Chérioux et plusieurs de ses collègues tendant à favoriser le développement de l'actionnariat salarié (Sénat n° 52 (1999-2000).

* 3 Proposition de loi de M. Jean Arthuis et les membres du groupe de l'Union centriste relative au développement du partenariat social (Sénat n° 87 (1999-2000).

* 4 Voir à ce sujet le rapport de votre rapporteur au nom de votre commission (Sénat n° 118 (1999-2000).

* 5 Proposition de loi relative à l'actionnariat des salariés présentée par M. Edouard Balladur et plusieurs de ses collègues (AN, n° 1513, 11 ème législature).

* 6 Lettre de mission du Premier ministre du 13 octobre 1999.

* 7 Journal officiel - Sénat - séance du 16 décembre 1999, p. 7726.

* 8 Communiqué de presse du 28 janvier 2000.

* 9 Proposition de loi relative à la participation et à la croissance pour tous présentée par M. Philippe Douste-Blazy et plusieurs de ses collègues (AN, n° 2105, 11 ème législature).

* 10 Journal officiel - Assemblée nationale - 2 ème séance du 25 avril 2000, p. 3246.

* 11 Proposition de loi sur l'épargne salariale et la participation présenté par M. Edouard Balladur et plusieurs de ses collègues (AN, n° 2099, 11 ème législature).

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