III. L'ACCÈS DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES AUX MARCHES PUBLICS
Les articles 14 à 16 des conclusions de la commission des Affaires économiques procèdent à des modifications ponctuelles des règles applicables aux marchés publics dans le but de faciliter l'accès des petites et moyennes entreprises à ces marchés.
L'ensemble des biens et services achetés par les administrations est évalué à 740 milliards de francs par an (environ 9% du PIB), dont 250 milliards de francs de dépenses relevant des procédures du code des marchés publics (42% pour l'Etat, 58% pour les collectivités locales et leurs établissements publics). Les prestations concernent les travaux publics (45%), les fournitures (40%) et les services (15%).
Les marchés publics constituent donc un enjeu majeur dans l'économie nationale. Or les règles qui leur sont applicables souffrent tout à la fois d'un éparpillement des textes, de leur manque de lisibilité voir de leur incohérence.
Cette situation est préjudiciable tout à la fois aux entreprises, notamment les PME, qui ne peuvent être que rebutées par des procédures complexes pour ne pas dire incompréhensibles et aux décideurs publics eux-mêmes, en particulier aux élus locaux, qui se trouvent exposés dans ce domaine à une insécurité juridique croissante , récemment encore soulignée par le rapport d'étape de la mission sénatoriale d'information sur la décentralisation.
La réforme des marchés publics a fait l'objet sous la précédente législature de réflexions approfondies, notamment dans le cadre de la mission confiée à notre ancien collègue député M. Alfred Trassy-Paillogues.
Ces réflexions avaient conduit à l'élaboration d'un projet de loi, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, le 20 mars 1997, dont le changement de majorité n'a pas permis l'examen.
Or, depuis cette date, le nouveau texte annoncé par le Gouvernement, qui a fait l'objet d'un document d'orientation, est toujours attendu.
Cette attente d'une réforme du dispositif en vigueur dans le sens d'une plus grande clarté, se double de l'attente de l'achèvement du travail de refonte du code des marchés publics entrepris au sein de la commission supérieure de codification et qui n'a, à ce jour, pas encore abouti.
Dans un contexte de préparation d'une réforme d'ensemble du droit des marchés publics, des modifications ponctuelles intéressant l'accès des PME aux marchés publics pourraient paraître réductrices.
En outre, de telles modifications interfèrent dans un droit qui est largement d'origine réglementaire , même si des dispositions législatives relativement récentes ont pu être adoptées, notamment pour transposer des directives européennes ou dans le cadre de la loi n° 95-127 du 8 février 1995.
Pourtant, l'urgence commande au législateur d'agir. Comme l'a parfaitement souligné dans son rapport écrit notre collègue Francis Grignon, les PME connaissent de trop grandes difficultés dans l'accès aux marchés publics, même si les statistiques en la matière mériteraient d'être améliorées. Ces difficultés sont tout à la fois imputables à la méconnaissance qu'elles ont des offres, à la complexité des procédures et à des délais de paiement excessifs.
C'est dans cet esprit que la proposition de loi préconise trois dispositions ponctuelles qui tendent, d'une part, à permettre une attribution préférentielle des marchés publics à offre équivalente (article 14), d'autre part, à favoriser l'allotissement des marchés publics (article 15) et, enfin, à accélérer les délais de règlement des marchés publics (article 16).
Votre commission des Lois observera d'emblée que la question du partage entre la loi et le règlement ne constitue pas un obstacle insurmontable à l'adoption de ces dispositions, en l'état actuel de la remise en ordre des textes applicables aux marchés publics. Ce partage n'apparaît,en effet, pas clairement aujourd'hui en raison de la stratification du droit applicable. Il est ainsi envisagé dans le cadre des travaux de refonte du code des marchés publics d'établir une partie législative qui permettra de clarifier la répartition des compétences entre la loi et le règlement, exigence qui a été largement perdue de vue au cours du temps.
Votre commission des Lois a néanmoins cherché à évaluer dans quelle mesure les dispositions proposées était de nature à améliorer effectivement le cadre juridique en vigueur et à faciliter l'accès des PME à la commande publique.
A. L'ATTRIBUTION PRÉFÉRENTIELLE DES MARCHÉS PUBLICS AUX PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES
1. Les préférences autorisées par le droit en vigueur
Le code des marchés publics admet que, dans des cas présentant un intérêt social, une préférence puisse être accordée à des organismes particuliers. La validité de ces préférences a été reconnue par les directives européennes " Travaux " et " Fournitures ".
Outre le cas des organismes d'aveugles et de handicapés (article 175 du code de la famille et de l'aide sociale), elles concernent les sociétés coopératives de production, les groupements de producteurs agricoles et les artisans.
• Les sociétés coopératives ouvrières de production (SCOP)
Cette préférence est reconnue par l'article 260 du code des marchés publics aux sociétés coopératives de production régies par les articles 27 à 31 et 39 à 45 du livre III du code du travail, dont les trois quarts au moins des sociétaires travaillant à titre permanent dans l'entreprise sont de nationalité française et qui sont inscrites sur une liste établie par le ministre des affaires sociales et publiée au journal officiel.
L'article 261 du code des marchés publics accorde à ces sociétés, lors de la passation d'un marché, un droit de préférence, à égalité de prix ou équivalence d'offres, à la soumission ou à l'offre qu'elles ont présentées.
L'article 262 précise que lorsque les travaux, fournitures ou services sont répartis par lots de même nature et de même consistance ressortissant à une même profession et pouvant donner lieu chacun à un marché distinct, la collectivité ou l'établissement contractant est tenu de réserver préalablement à la mise en concurrence, et dans la proportion d'un lot sur quatre, un ou plusieurs lots qui seront attribués, au prix moyen retenu pour les autres lots, aux SCOP.
• Les groupements de producteurs agricoles
Les groupements de producteurs agricoles reconnus par arrêté ministériel bénéficient à soumission égale d'un droit de préférence dans les marchés par adjudication ou appel d'offres.
• Les artisans et sociétés coopératives d'artisans
Lorsque les marchés portent sur des prestations le permettant, la personne publique doit pratiquer une division par lots de façon à permettre à ces entreprises de se voir attribuer le quart des prestations qu'elles sont susceptibles d'exécuter à égalité de prix ou équivalence d'offres ( article 267 du code des marchés publics).
Le Conseil d'Etat a ainsi jugé irrégulière l'exclusion d'un artisan pour insuffisance de garanties techniques présentées à l'occasion d'un appel d'offres restreint au motif que la personne publique était tenue de définir les travaux susceptibles d'être attribués à des artisans avant de procéder à l'appel d'offres restreint ( 30 mai 1986, Syndicat départemental d'électrification des Hautes Pyrénées c/ Pierrot ).
• Les artisans d'art, coopératives d'artisans d'art, sociétés coopératives d'artistes
Comme les autres artisans, ils bénéficient d'une préférence mais celle-ci est portée à la moitié des prestations (article 268 du code des marchés publics).
• Le cas particulier des coopératives d'utilisation en commun des matériels agricoles (CUMA)
Régies par les articles L. 521-1 et suivants du code rural, elles bénéficient de certaines dispositions spécifiques prévues par la loi n° 85-30 du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne.
En dehors de ces cas, le code des marchés publics ne prévoit aucune possibilité d'accorder des marchés publics de manière préférentielle à des PME. Le juge administratif considère que des instructions ministérielles incitant à écarter des candidatures d'entreprises, au motif que leur chiffre d'affaires est trop important, sont discriminatoires et portent une atteinte injustifiée à l'égalité de traitement entre les candidats aux marchés publics ( Conseil d'Etat, 13 mai 1987, Société Warner Isofi Isolation ).
2. La proposition de loi : une attribution préférentielle des marchés publics aux PME
L'article 14 de la proposition de loi prévoit d'accorder une préférence aux PME pour certains marchés publics. Ne seraient concernés que les marchés inférieurs à un seuil fixé par décret en Conseil d'Etat.
La fixation d'un seuil a pour objet d'éviter que la disposition proposée ne contrevienne aux règles communautaires, le seuil qui sera retenu devant se situer au-dessous des différents seuils prévus par les directives communautaires.
Rappelons, cependant, que le droit communautaire n'interdit pas, de manière générale, l'utilisation des marchés publics dans un but d'interventionnisme économique et social, dans la mesure où il n'en résulte pas d'incidences discriminatoires directes ou indirectes à l'égard des entreprises issues d'autres Etats membres de l'Union européenne.
Dans les cas existants mentionnés ci-dessus, le législateur a pris soin de rendre applicables les dispositions reconnaissant une préférence aux entreprises issues de ces Etats : loi n° 85-703 du 12 juillet 1985 pour les sociétés coopératives de production, les artisans et les sociétés coopératives d'artisans ou d'artistes ; article L. 551-2 du code rural pour les groupements de producteurs agricoles.
Cette extension du régime préférentiel concerne les entreprises présentant des caractéristiques comparables et inscrites sur une liste établie par le ministre compétent.
Si la proposition de loi ne prévoit pas une disposition similaire, le dispositif qu'elle institue sera néanmoins ouvert à l'ensemble des PME des Etats membres sans formalisme particulier. Elle n'établit donc aucune discrimination à l'égard de ces entreprises ni aucune entrave indirecte à la liberté de prestation.
La préférence ne pourrait jouer qu'à offre équivalente . Elle n'a donc pas pour effet de fausser la concurrence ni d'imposer aux responsables des marchés des solutions éventuellement contraires à l'intérêt des finances publiques ou à la qualité de la prestation qu'ils sollicitent.
La notion d'offre équivalente doit s'entendre au regard des règles traditionnelles prévues par le code des marchés publics pour la sélection des offres, notamment le prix des prestations, le coût d'utilisation, la valeur technique et le délai de réalisation et éventuellement d'autres critères mentionnés dans le règlement de la consultation.
L'attribution préférentielle bénéficierait aux entreprises qui comptent moins de 50 salariés , dont le chiffre d'affaires est inférieur à 50 millions de francs, et dont le capital est détenu majoritairement par des personnes physiques ou des personnes morales détenues par des personnes physiques.
A travers ses trois critères, l'objectif est de cibler les petites entreprises indépendantes.
L'identification des PME susceptibles de bénéficier d'une attribution préférentielle peut soulever des difficultés.
Il n'existe pas, en effet, de définition juridique stricte de ce qu'est la petite entreprise même si divers dispositifs ont pu chercher à appréhender cette notion.
Si elle peut constituer un moyen envisageable pour identifier cette catégorie, la fixation d'un seuil peut également présenter divers inconvénients. En particulier, elle risque de produire les inévitables effets de seuil aboutissant à des différences de traitement entre des entreprises se trouvant pourtant dans des situations assez comparables. De ce point de vue, la combinaison de trois critères paraît préférable car elle permet de souligner que le dispositif tend à prendre en compte la situation spécifique d'entreprises indépendantes connaissant, en raison de leur taille, des difficultés particulières pour accéder aux marchés publics.
Au plan communautaire , le seuil retenu pour définir une PME est de 250 salariés . Il aurait donc pu être envisagé de privilégier le même seuil pour ouvrir le bénéfice d'une attribution préférentielle.
Cependant, un seuil de 250 salariés ne permettrait pas de viser la cible choisie. En effet, les PME de moins de 250 salariés - appartenant ou non à des grands groupes - représentent 72% du montant des marchés de travaux publics.
L'ajout d'un critère financier peut permettre de mieux appréhender la situation de l'entreprise et semble cohérent avec le seuil de 50 salariés prévu par ailleurs.
Enfin, le critère de l'indépendance a pour objet de ne pas inclure dans le dispositif les filiales confortées par ces moyens et le soutien de grands groupes dont ne disposent pas leurs concurrentes de taille équivalente.
Votre rapporteur pour avis s'est demandé s'il ne serait pas plus opérationnel d'établir expressément cette exclusion dans le texte proposé. Il a néanmoins constaté que le critère de l'indépendance tel que défini par la proposition de loi était déjà utilisé dans des dispositifs en vigueur, par exemple pour les fonds communs de placement dans l'innovation, issus de la loi du 30 décembre 1996.
Une autre difficulté tient à ce que les personnes publiques responsables des marchés devront être en mesure d'avoir une connaissance précise des caractéristiques des entreprises soumissionnaires, afin de faire jouer à bon escient l'attribution préférentielle.
Il reviendra à chaque candidat d'apporter la preuve qu'il entre dans la catégorie susceptible de bénéficier de cette attribution préférentielle.
Cette difficulté est à relier à la question plus générale de la vérification par les responsables de marchés d'un certain nombre d'informations concernant les entreprises soumissionnaires. On peut penser que le développement des nouvelles technologies de l'information devrait permettre d'aboutir à des procédures moins lourdes dans ce domaine.
Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi énonçait au préalable le principe selon lequel les marchés publics doivent être passés selon des procédures destinées à garantir la mise en concurrence de plusieurs entreprises, sauf exceptions justifiées par les caractéristiques de la prestation ou les conditions de son exécution, et assurer l'égalité de traitement des candidats.
Cette précision, qui n'était qu'un simple rappel des solutions actuelles, n'avait qu'une faible portée normative, sauf à envisager qu'elle soit reprise à l'article 1 er du code des marchés publics dans le cadre de la refonte en cours de ce code.
C'est donc à juste titre que la commission des Affaires économiques et du Plan ne l'a pas reprise dans ses conclusions.
Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Lois a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 14 de la proposition de loi dans la rédaction proposée par la commission des Affaires économiques et du Plan.
B. LE FRACTIONNEMENT DES MARCHÉS PUBLICS PAR LOTS
1. Le droit en vigueur
Le fractionnement d'un marché public peut poser un problème au regard d'un certain nombre de seuils qui déterminent l'application des règles de mise en concurrence et dont l'appréciation requiert d'avoir connaissance du programme d'ensemble de l'opération ou de l'ouvrage. Il s'agit notamment des seuils de publicité, des commandes hors marché (300 000 F TTC) et des marchés négociés (700 000 F TTC).
Le droit communautaire est ainsi très attentif au fractionnement compte tenu des seuils élevés qu'il prévoit. Les prescriptions communautaires en la matière ont été transcrites par un arrêté du 31 mars 1992 relatif au montant des marchés publics de fournitures et des marchés publics et contrats de travaux soumis aux règles de la concurrence dans le cadre de la CEE.
Ainsi, pour le calcul des seuils en matière de fournitures, l'arrêté précise que lorsqu'un achat envisagé de fournitures homogènes peut donner lieu à des marchés passés en même temps par lots séparés, c'est la valeur estimée de la totalité de ces lots qui doit être prise en considération. Dans le même esprit, lorsqu'un ouvrage est réparti en plusieurs lots faisant chacun l'objet d'un marché, la valeur technique de chaque lot doit être prise en compte pour l'évaluation du seuil.
Le code des marchés publics (articles 77 et 274) permet néanmoins un tel fractionnement lorsqu'il est " susceptible de présenter des avantages techniques ou financiers ". Dans ce cas, " les travaux, fournitures ou services sont répartis en lots pouvant donner lieu chacun à un marché distinct ". La division par lots est donc possible. Elle reste néanmoins facultative .
Le règlement de la consultation doit préciser le nombre des lots, leur consistance et les modalités de leur attribution . En cas de non attribution des lots, la personne responsable du marché a la faculté d'engager une nouvelle procédure en modifiant, le cas échéant, la consistance de ces lots.
Dans certains cas, une proportion de lots peut être réservée par préférence à des sociétés ouvrières de production (articles 61 à 64 et article 262 du code des marchés publics). De même, lorsque les marchés portent, en tout en partie, sur des prestations susceptibles d'être exécutées par des artisans ou des sociétés coopératives d'artisans, préalablement à la mise en concurrence, doivent être définis les travaux, fournitures ou services qui, à ce titre, et dans la limite du quart du montant de ces prestations, à égalité de prix dans le cas d'adjudication ou à équivalence d'offres dans le cas d'appel d'offres, seront attribués par préférence à tous autres soumissionnaires, aux artisans ou aux sociétés coopératives d'artisans ( article 267, Conseil d'Etat, 30 mai 1986, Syndicat d'électrification des Hautes-Pyrénées ).
En principe, le fractionnement par lots répond à des préoccupations d'ordre technique , le lot correspondant à une spécialité technique, par exemple le terrassement. Il peut également correspondre à l'unité physique d'une opération, la construction d'un bâtiment, notamment. Il peut aussi faire intervenir d'autres critères tels que le temps (un décalage dans le temps entre les prestations) ou le lieu.
2. La proposition de loi : faciliter l'allotissement des marchés publics
S'inspirant d'une disposition qui figurait à l'article 18 du projet de loi déposé sous la précédente législature, la proposition de loi (article15) prévoit que les prestations et travaux peuvent " si leurs caractéristiques ou les conditions de leur exécution le permettent, être réparties en lots homogènes donnant lieu à un marché distinct ". Elle rappelle néanmoins au préalable - à l'instar du projet de loi précité - qu'" aucune prestation ni aucun ouvrage ne peut être scindé en vue d'être soustrait aux procédures applicables aux marchés publics ".
L'idée d'utiliser la procédure d'allotissement pour favoriser l'accès des PME aux marchés publics est exprimée dans le document d'orientation sur la réforme des marchés publics établi par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie qui relève qu'il " permet l'accès direct des entreprises et plus particulièrement des PME, à la commande publique " et qu' " il donne au maître d'ouvrage une meilleure visibilité des compétences et des qualifications des entreprises ".
Cependant, la gestion d'un marché par lots séparés est plus lourde que celle d'un marché unique pour les maîtres d'ouvrage, en particulier les plus petits d'entre eux. Reconnaissant cette difficulté, le document d'orientation sur la réforme des marchés publics suggère de promouvoir la formule du groupement d'entreprises dans laquelle le mandataire est l'interlocuteur unique de l'acheteur public.
La proposition de loi ne rend pas obligatoire le recours à la procédure d'allotissement. Elle vise plus simplement à favoriser son utilisation, tout en lui maintenant un caractère facultatif.
La rédaction suggérée par la proposition de loi n'a néanmoins pas un caractère innovant puisque - comme il a été indiqué ci-dessus - la procédure de fractionnement par lots est déjà admise dans le droit en vigueur. Au demeurant, celui-ci, en visant les " avantages techniques et financiers " que peut procurer cette procédure, peut sembler plus précis que le texte proposé qui se borne à ouvrir la faculté de recourir à cette procédure " si les caractéristiques ou les conditions de l'exécution des prestations et travaux le permettent ". Cette limitation n'apparaît pas définie de manière suffisamment claire pour prévenir d'éventuels contentieux. En outre, la portée qui devra être conférée à la notion de " lots homogènes ", utilisée dans la rédaction proposée, peut prêter à discussion.
C'est pourquoi, par un amendement , votre commission des Lois vous propose - reprenant ainsi une solution qui figurait dans le projet de loi déposé à la fin de la précédente législature - d'habiliter les responsables de marché à prévoir une répartition des prestations en lots donnant lieu à des marchés distincts, selon les modalités qui seront fixées par le règlement de la consultation. Il ne s'agira que d'une simple faculté ouverte au responsable du marché qui appréciera l'opportunité d'y recourir en fonction des caractéristiques du marché et des contraintes du maître d'ouvrage.
Sous réserve de cet amendement, votre commission des Lois a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 15 de la proposition de loi dans la rédaction proposée par la commission des Affaires économiques et du Plan.
C. DÉLAIS DE RÈGLEMENT DES MARCHÉS PUBLICS
1. Le droit en vigueur
L'article 177 du code des marchés publics dispose que les opérations effectuées par le titulaire du marché qui donnent lieu à versement d'avances ou d'acomptes ou à paiement pour solde doivent être constatées par écrit dressé par l'administration contractante ou vérifié et accepté par elle.
Pour les marchés qui ne prévoient pas un règlement par lettre de change-relevé, l'article 178 prévoit que l'administration contractante est tenue de procéder au mandatement des acomptes et du solde dans un délai qui ne peut dépasser 35 jours . Toutefois, pour le solde de certaines catégories de marché, un délai plus long peut être fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie et des finances. Ce délai ne peut être supérieur à trois mois.
Des délais spécifiques ont été déterminés par un arrêté du 17 janvier 1991 pour les marchés de travaux et les marchés industriels dont la durée d'exécution contractuelle est supérieure à six mois. Pour les marchés de travaux, le délai de mandatement du solde est de deux mois à compter de la notification du décompte général au titulaire du marché. Pour les marchés industriels, le même délai est de 75 jours à compter de la date d'effet de la réception des prestations ou de la réception de la facture si celle-ci est postérieure à la précédente.
Pour les marchés des collectivités locales, l'article 352 bis du code des marchés publics précise que le délai visé à l'article 178 pour le mandatement des acomptes et du solde ne peut excéder 45 jours.
Le délai de mandatement doit être précisé dans le marché. La date du mandatement est portée, le jour de l'émission du mandat et par écrit, à la connaissance du titulaire par l'administration contractante.
Le Conseil d'Etat a néanmoins considéré que les dispositions réglementaires relatives aux délais de règlement des marchés ne présentaient pas un caractère d'ordre public ( 11 février 1976, SA l'Industrielle européenne de construction Ineurco ). Mais l'administration commet une faute en incluant dans un contrat des stipulations contraires à des dispositions impératives édictées pour la protection d'un cocontractant ( Conseil d'Etat, 8 juillet 1985, SA Lyonnaise des eaux et de l'éclairage ).
Le défaut de mandatement dans les délais réglementaires fait courir de plein droit et sans autre formalité, au bénéfice du titulaire du marché ou du sous-traitant, des intérêts moratoires , à partir du jour suivant la date du mandatement du principal.
Toutefois, dans le cas où le mandatement est effectué hors du délai prévu, lorsque les intérêts moratoires n'ont pas été mandatés en même temps que le principal et que la date du mandatement n'a pas été communiquée au titulaire, les intérêts moratoires sont dus jusqu'à ce que les fonds soient mis à la disposition de celui-ci.
Le défaut de mandatement de tout ou partie des intérêts moratoires lors du mandatement du principal entraîne une majoration de 2% du montant de ces intérêts par mois de retard.
Pour les marchés prévoyant un règlement par lettre de change-relevé, l'article 178 bis du code des marchés publics précise qu'en vue du règlement des acomptes et du solde, l'administration contractante est tenue d'envoyer au titulaire du marché, dans un délai qui ne peut dépasser trente jours, une autorisation d'émettre une lettre de change-relevé conforme à un modèle fixé par arrêté du ministre chargé du budget.
Toutefois, comme pour les autres modes de règlement, un délai plus long peut être fixé pour le solde de certaines catégories de marchés, par arrêté du ministre chargé de l'économie et des finances. L'arrêté du 17 janvier 1991 a précisé que pour les marchés payés par lettre de change-relévé d'une durée supérieure à six mois et faisant référence au cahier des clauses administratives générales des marchés industriels, le délai d'envoi de l'autorisation d'émettre une lettre de change-relevé est de deux mois à compter de la date d'effet de la réception de la facture si celle-ci est postérieure à la précédente. Le délai d'envoi de l'autorisation d'émettre une lettre de change-relevé est fixé dans le marché.
Le défaut d'envoi de l'autorisation dans le délai prévu fait courir de plein droit et sans autre formalité, au bénéfice du titulaire, des intérêts moratoires, à partir du jour suivant l'expiration dudit délai et jusqu'à la date d'envoi de l'autorisation. Toutefois, dans le cas où l'envoi de l'autorisation est effectué hors du délai prévu, lorsque les intérêts moratoires n'ont pas été ajoutés au principal faisant l'objet de cette autorisation, les intérêts moratoires sont dus jusqu'au quinzième jour inclus suivant la date d'envoi de l'autorisation. En tout état de cause, les intérêts moratoires sont mandatés en même temps que le principal.
L'échéance de la lettre de change-relevé est fixée dans le marché. Cette échéance est postérieure de trente ou trente cinq jours à la date effective d'émission de l'autorisation. L'échéance de la lettre de change-relevé ne peut être modifiée.
Pour les marchés des collectivités locales, l'article 352 bis du code des marchés publics précise que l'échéance de la lettre de change-relevé est postérieure de trente, quarante, cinquante ou soixante jours à la date effective d'émission de l'autorisation.
Le défaut de paiement de la lettre de change-relevé à la date d'échéance pour des raisons imputables à l'administration, fait courir de plein droit et sans autre formalité des intérêts moratoires à partir du jour suivant la date d'échéance jusqu'à ce que les fonds soient mis à la disposition du titulaire. L'administration contractante doit mandater les intérêts moratoires dans un délai d'un mois à compter de la date à laquelle les fonds ont été mis à la disposition du titulaire. Elle doit procéder au mandatement des avances, acomptes ou soldes, de telle sorte que le dossier de mandatement soit reçu par le comptable au moins vingt et un jours avant la date d'échéance de la lettre de change-relevé.
La loi n° 94-679 du 8 août 1994 (article 67) a précisé qu'" est réputée non écrite toute renonciation au paiement des intérêts moratoires exigibles en raison du défaut, dans les délais prévus, soit du mandatement des sommes dues, soit de l'autorisation d'émettre une lettre de change-relevé, soit du paiement de celle-ci à son échéance ".
2. Le bilan de l'application du droit en vigueur
Une circulaire du 6 novembre 1996 a institué une procédure spécifique pour permettre aux titulaires de marchés, à leurs sous-traitants bénéficiant du paiement direct ainsi qu'aux entreprises ayant assuré des prestations sur la base des articles 123 et 321 du code des marchés publics (travaux sur mémoires et achats sur factures), d'obtenir le paiement de leurs créances non mandatées dans les délais réglementaires. Elle ne concerne que les sommes dues par l'Etat et ses établissements publics.
La circulaire précise que, lorsque dix jours après l'expiration du délai réglementaire le mandatement n'est pas intervenu, le créancier peut saisir, par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, l'ordonnateur (soit, selon les cas, le ministre, le préfet ou l'ordonnateur de l'établissement public). Dans un délai de quinze jours, l'ordonnateur doit : soit indiquer ou rappeler à l'entreprise les motifs de contestation de la créance ; soit ordonnancer ou mandater la dépense, si les crédits sont disponibles ; soit, enfin, en cas d'insuffisance de crédits, informer l'entreprise de cette situation, des dispositions devant être prises simultanément pour abonder, dans un délai de quinze jours, les dotations du chapitre sur lequel s'impute la dépense. La circulaire prévoit également la suspension des contrôles fiscaux concernant les petites et moyennes entreprises dont les créances sur l'Etat ne seraient pas mandatées au-delà des délais qu'elle a prévus.
Un bilan publié par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie en octobre 1998 avait mis en évidence l'amélioration des conditions de règlement des sommes dues au titre des marchés et des achats sur factures, des collectivités et établissements publics locaux, entre 1994 et 1997.
Délais de mandatement 16 ( * ) |
Délais de règlement |
|||
Sans intervention d'un maître d'oeuvre |
Avec intervention d'un maître d'oeuvre |
Délais de paiement
|
(mandatement et paiement par le comptable) 18 ( * ) |
|
1994 |
29,22 |
24,73 |
11 |
40,15 |
1995 |
27,38 |
25,71 |
9,76 |
37,14 |
1996 |
29,27 |
24,57 |
9,04 |
38,31 |
1997 |
28 |
24,20 |
9,26 |
37,26 |
L'enquête réalisée pour 1998, publiée en décembre dernier, fait ressortir que, pour la première fois depuis 1992, toutes collectivités confondues, le délai moyen national de règlement est inférieur à 37 jours.
Cette amélioration concerne en particulier les communes : celles de moins de 10.000 habitants ont réduit de sept jours leurs délais de règlement entre 1997 (34,96 jours) et 1998 (28,25 jours) ; les communes les plus grandes ont également réduit leurs délais de règlement de plus de deux jours (40,79 jours en 1998 contre 42,62 jours en 1997).
Le délai moyen de mandatement de l'ordonnateur, sans l'intervention d'un maître d'oeuvre, s'établit à 27,53 jours, soit une diminution de 0,47 jours par rapport à 1997. En revanche lorsqu'un maître d'oeuvre intervient, le délai moyen de mandatement de l'ordonnateur augmente (26,74 jours en 1998 contre 24,20 jours en 1997).
Le délai de paiement moyen du comptable public s'établit, toutes collectivités et tous achats confondus, à 9,36 jours en 1998 contre 9,26 jours en 1997, cet allongement global du délai traduisant la situation particulière des grandes communes.
Le document d'orientation établi par le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie, en avril dernier, sur la réforme des marchés publics souligne que des efforts importants ont été accomplis ces dernières années pour réduire les délais de paiement publics et que des progrès significatifs ont été enregistrés. Etant en moyenne inférieurs à 40 jours, les délais de paiement de l'Etat et des collectivités locales et des établissements publics locaux soutiendraient la comparaison avec ceux pratiqués entre entreprises. Cependant les situations seraient contrastées selon les services ou collectivités.
Le document d'orientation fait valoir que la situation actuelle dans laquelle seuls les délais de mandatement sont encadrés par la réglementation n'est pas pleinement satisfaisante car elle constitue un facteur d'imprévisibilité pour les entreprises, en particulier pour les PME. Il préconise, en conséquence, une solution tendant à ce que les administrations et collectivités publiques s'engagent contractuellement sur un délai global de paiement auprès de leurs fournisseurs. Telle est la voie défendue par le Gouvernement dans le cadre de la négociation du projet de directive sur les retards de paiement.
Ce projet de directive communautaire prévoit un délai global de paiement, prenant en compte mandatement et paiement stricto sensu .
3. La solution préconisée par la proposition de loi
Reprenant des dispositions qui figuraient à l'article 25 du projet de loi déposé à la fin de la précédente législature, l'article 16 de la proposition de loi renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer un délai maximal dans lequel les sommes dues en exécution d'un marché doivent être mandatées, à compter de la date à laquelle sont remplies les conditions administratives ou techniques déterminées par le marché auxquelles sont subordonnés les mandatements.
Le renvoi à un décret en Conseil d'Etat pour fixer un délai maximal de mandatement ne constitue qu'un simple " rappel " puisque - comme il a été indiqué ci-dessus - un tel délai est d'ores et déjà prévu au plan réglementaire.
En outre, comme l'avait observé le rapport de mission établi par M. Alfred Trassy-Paillogues en 1996, les entreprises créancières de paiements publics souhaitent qu'un délai limite de paiement soit substitué au délai limite de mandatement. Telle semble la solution susceptible d'être retenue dans le projet de directive communautaire sur les retards de paiement.
Il pourrait donc être préférable d'envisager une disposition innovante qui, fixant un délai limite de paiement, répondrait plus efficacement aux demandes des entreprises créancières tout en rapprochant le droit national des évolutions prévisibles du droit communautaire.
Tel est l'objet des trois amendements que vous soumet votre commission des Lois.
Le troisième de ces amendements précise, en outre, que le défaut de paiement dans le délai fait courir de plein droit, sans autre formalité, des intérêts moratoires à compter du jour suivant l'expiration du délai. Il répare ainsi une omission du texte de la proposition de loi.
Il règle également les modalités de répartition des intérêts moratoires dans le cas des marchés des collectivités territoriales. En effet, dès lors que le retard sera imputable au comptable, la charge des intérêts moratoires devra revenir à l'Etat.
L'article 16 de la proposition de loi précise, en outre, qu'à défaut de date certaine, ressortant du dossier de mandatement et permettant de déterminer le point de départ du délai de mandatement, celle-ci sera la date de la facture augmentée de deux jours. Il s'agit par cette disposition de rendre automatique, pour les entreprises, le versement des intérêts moratoires exigibles.
Enfin, la proposition de loi étend aux marchés des collectivités territoriales et des établissements publics locaux, le bénéfice, à l'initiative du fournisseur , du règlement par lettre de change-relevé.
Les dispositions du code des marchés publics qui traitent de la lettre de change-relevé pour les marchés de l'Etat (article 178 bis ) sont étendues aux marchés des collectivités locales et des établissements publics locaux par l'article 352 du même code.
Cependant n'ont pas été étendues aux marchés des collectivités territoriales, les dispositions de l'article 179 bis du code des marchés publics qui prévoit que la lettre de change-relevé est obligatoirement acceptée comme moyen de paiement des marchés de l'Etat.
On rappellera que la lettre de change-relevé, adaptant la lettre de change à des procédés informatiques, a pour effet d'accélérer les règlements et de faire bénéficier le destinataire d'un paiement à date certaine. Avec ce procédé, en effet, le titulaire du marché est assuré de la date à laquelle il aura la disposition des fonds, cette date étant déterminée dès l'envoi par l'administration de l'autorisation d'émettre une lettre de change-relevé.
Sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois a donné un avis favorable à l'adoption de l'article 16 de la proposition de loi.
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Sous réserve de ces observations et des amendements qu'elle vous soumet, votre commission des Lois a émis un avis favorable à la proposition de loi tendant à favoriser la création et le développement des entreprises sur les territoires dans le texte adopté par votre commission des Affaires économiques.
* 16 Moyenne nationale
* 17 Délai de paiement moyen du comptable public toutes collectivités et achats confondus (marchés, achats sur factures)
* 18 Moyenne nationale