Avis n° 184 (1999-2000) de M. Yann GAILLARD , fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 janvier 2000
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INTRODUCTION
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I. LA RÉVISION DE LA LOI DE 1992 : UNE
INITIATIVE URGENTE
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II. DES ADAPTATIONS NECESSAIRES MAIS NON
SUFFISANTES
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A. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES
CULTURELLES
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B. LES AMBITIONS DE LA COMMISSION DES
FINANCES : METTRE EN PLACE UN SYSTEME PLUS INCITATIF QUE COERCITIF
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1. Le système anglais : un
modèle de pragmatisme et d'efficacité
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2. La proposition du rapporteur pour avis :
retenir les oeuvres par des avantages fiscaux
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(1) L'exonération partielle des droits de
mutation à titre gratuit pour les objets mobiliers classés avec
l'accord de leur propriétaire
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(2) La possibilité pour l'État de
présenter une offre émanant d'une personne privée dans le
cadre de la nouvelle procédure
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(3) Le préalable : l'articulation
entre les lois de 1913 et 1992
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(4) Agrément de droit au titre de la dation
en paiement des oeuvres classées à l'issue d'un refus de
certificat
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(1) L'exonération partielle des droits de
mutation à titre gratuit pour les objets mobiliers classés avec
l'accord de leur propriétaire
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1. Le système anglais : un
modèle de pragmatisme et d'efficacité
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A. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES
CULTURELLES
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I. LA RÉVISION DE LA LOI DE 1992 : UNE
INITIATIVE URGENTE
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CONCLUSION
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FAUTE D'EFFORT BUDGÉTAIRE ET FISCAL LA
NOUVELLE PROCÉDURE N'ARRETERA PAS L'EXODE DU PATRIMOINE NATIONAL
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EXAMEN DES ARTICLES
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AMENDEMENTS ADOPTÉS PAR LA COMMISSION
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ANNEXES
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EXAMEN EN COMMISSION
N° 184
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1999-2000
Annexe au procès-verbal de la séance du 25 janvier 2000 |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur les conclusions de la commission des Affaires culturelles sur la proposition de loi de M. Serge LAGAUCHE, Mme Dinah DERYCKE et les membres du groupe socialiste et apparentés relative à la protection des trésors nationaux et modifiant la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane,
Par M. Yann GAILLARD,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Claude Belot, Mme Marie-Claude Beaudeau, MM. Roland du Luart, Bernard Angels, André Vallet, vice-présidents ; Jacques-Richard Delong, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Denis Badré, René Ballayer, Jacques Baudot, Mme Maryse Bergé-Lavigne, MM. Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, Michel Mercier, Gérard Miquel, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Henri Torre, René Trégouët.
Voir les numéros :
Sénat : 444 (1998-1999) et 169 (1999-2000).
Patrimoine . |
INTRODUCTION
La proposition de loi déposée par M. Serge Lagauche et Mme Dinah Derycke relative à la protection des trésors nationaux, ne pouvait pas laisser indifférente la commission des finances.
Sans doute pouvait-elle se rappeler qu'elle avait été saisie au fond de la loi du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane, que cette proposition de loi tend à modifier.
Mais cela n'aurait pas suffi à justifier une saisine pour avis, s'il n'y avait eu l'important travail accompli avec son rapport d'information n° 330 (1998-1999) sur le marché de l'art en France, qui, précisément, a souligné toutes les difficultés auxquelles notre pays doit faire face pour protéger son patrimoine national dans un marché ouvert.
Il résulte de ce rapport qu'il était urgent de réformer le système de contrôle mis en place par la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992, qui a montré ses limites du point de vue de la protection du patrimoine national.
La révision du dispositif initial est d'autant plus justifiée qu'il ressort des travaux préparatoires que certains membres de la commission des affaires culturelles du Sénat parmi les plus éminents, exprimèrent des doutes sur l'efficacité d'un dispositif adopté à la hâte et ont même été jusqu'à souhaiter que la loi ait un caractère provisoire.
Les propositions d'amélioration et de clarification de la commission des affaires culturelles saisie au fond, sont loin d'être négligeables mais elles ne changent pas fondamentalement la portée d'un dispositif d'une efficacité limitée, parce que ne s'appuyant pas sur des moyens financiers à la mesure des besoins.
Dès lors qu'elle avait de bonnes raisons de croire que, pas plus que l'ancienne, la nouvelle procédure n'a des chances d'arrêter l'exode des " trésors nationaux ", votre commission a voulu montrer qu'une action " en amont " pour inciter les propriétaires à conserver les oeuvres sur le territoire national, pourrait avoir des effets bénéfiques sans entraîner de charges excessives pour le budget de l'État.
Tel est l'objectif des amendements proposés qui, fondés sur l'idée qu'il faut aussi mobiliser les propriétaires privés pour la défense du patrimoine national, tendent à conférer des avantages fiscaux aux objets mobiliers classés avec l'accord de leur propriétaire, et, corrélativement, à articuler explicitement classement de la loi de 1913 et refus de certificat de la loi de 1992.
I. LA RÉVISION DE LA LOI DE 1992 : UNE INITIATIVE URGENTE
Certes, cette loi avait mis fin aux procédures régaliennes et donc parfois arbitraires et injustes, qui permettaient à l'État de prononcer des interdictions d'exportations ou de procéder à des retenues en douane, c'est-à-dire à l'achat des oeuvres au prix déclaré par l'exportateur.
Il s'agissait de procédures, héritées d'une tradition étatiste, mal acceptées par les particuliers comme par les professionnels, et qui étaient, au surplus, préjudiciables à la réputation du marché de l'art français. En particulier, les intéressés ressentaient particulièrement mal le fait que les conservateurs puissent " faire leur marché " pour acheter des oeuvres qu'ils avaient souvent vues des semaines voire des mois durant dans les vitrines des marchands ou reproduits dans les catalogues des commissaires-priseurs.
La loi du 31 décembre 1992 a constitué un renversement radical et peut-être quelque peu excessif. Le système régalien antérieur a laissé la place à un régime libéral qui a, de facto, privé l'État de moyens d'action et permis un exode de notre patrimoine national à un rythme inquiétant.
On relève, en effet, ces dernières années, des " excédents " records en matière d'oeuvres d'art qui sont de l'ordre de 2 milliards de francs par an .
Encore faut-il considérer que la réalité des chiffres ne retrace pas parfaitement l'importance des pertes pour notre patrimoine. Le rapport sur le marché de l'art que le rapporteur pour avis a présenté au nom de la commission des finances, montre en s'appuyant sur les témoignages de conservateurs - cités en annexe au présent rapport pour avis, que nombre d'oeuvres sont sorties de France sur la base de prix largement sous-évalués du fait de mauvaises attributions.
A. LES FAIBLESSES DU DISPOSITIF ACTUEL
Le système mis en place par la loi de 1992, initialement équilibré, s'est révélé inefficace et même dangereux pour le patrimoine national par suite d'une évolution jurisprudentielle.
Au départ, l'oeuvre qualifiée de trésor national pouvait à l'issue de la période de trois ans après le refus de délivrance du certificat, être soit acquise, soit classée. Or, la jurisprudence issue de l'affaire du jardin à Auvers de Van Gogh a en effet placé l'État dans le dilemme suivant : acheter le trésor national ou le laisser sortir.
Dans les faits, la maîtrise nécessaire des dépenses publiques a conduit le plus souvent l'État à accepter la sortie des trésors nationaux. Ainsi, a-t-on créé les conditions dans lesquelles une bonne partie des trésors nationaux, pour ne pas dire la plupart d'entre eux, sont destinés à quitter le territoire national. On peut même affirmer paradoxalement que plus un trésor national est cher, plus il a de chances de pouvoir quitter le territoire national .
1. Les limites juridiques
Le régime de la loi du 31 décembre 1992 s'appuie sur deux principes posés par les textes communautaires : d'une part, l'exception admise par l'article 36 du Traité de Rome à la libre circulation des marchandises à l'intérieur de l'espace européen, exception qui trouve sa justification dans la "protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique" ; d'autre part, le fait que la Communauté constitue une union douanière et que, partant, elle applique un régime commun aux exportations vers les pays tiers.
Pour définir les " trésors nationaux" - la Commission Européenne avait eu quelques velléités de préciser cette notion - les pouvoirs publics français se sont montrés très pragmatiques, en estimant qu'en font partie les biens appartenant aux collections nationales ou classés monuments historiques, ainsi que ceux pour lesquels on a refusé la licence d'exportation ou pour lesquels on refuse le certificat.
Le certificat constitue, la pierre angulaire du nouveau dispositif. Il s'agit d'une sorte de "passeport" - qui n'est exigé qu'au dessus de certains seuils de valeur - garantissant que l'oeuvre en question n'est pas considérée comme un trésor national et qu'elle peut donc quitter librement le territoire français.
Il remplace la licence d'exportation, du moins lorsque l'oeuvre d'art quitte la France à destination d'un des pays de la Communauté ; en revanche, lorsqu'elle est exportée vers un pays tiers, elle doit être également munie d'une autorisation d'exportation, étant entendu que, dès l'instant où elle a reçu le certificat, elle obtient automatiquement l'autorisation.
Pour résumer, les différences entre le certificat et l'ancienne licence sont les suivantes :
1. la licence était exigée, quelles que soient la nature et la valeur du bien ; le certificat n'est obligatoire que pour les oeuvres appartenant à des catégories déterminées et, dans la plupart des cas, ayant une valeur supérieure à certains seuils de valeur : 1 million de francs pour les tableaux, 350 000 francs pour les sculptures, objets de collection, meubles anciens..., 100 000 francs pour les dessins, estampes, photographies, aucun seuil de valeur pour les archives et les objets archéologiques.
2. La licence devait être demandée au moment de l'exportation ; le certificat peut l'être à tout moment. Ainsi, un commissaire-priseur est-il en mesure de savoir, avant une vente, si une oeuvre peut quitter la France.
3. La licence était valable pendant six mois, tandis que le certificat l'est pendant cinq ans.
4. Le nouveau système institue une commission, actuellement présidée par M. André Chandernagor, composée de représentants de l'État, et comportant deux professionnels du marché de l'art, qui doit donner son avis lorsqu'un refus est envisagé, ce qui permet un débat contradictoire.
5. La licence pouvait être refusée autant de fois qu'elle était demandée. Il n'en va pas de même s'agissant du certificat. Le propriétaire de l'oeuvre d'art qui s'est vu refuser une première fois le certificat peut, après trois ans, adresser une nouvelle demande à l'administration. Celle-ci n'a alors d'autre choix, si elle considère que l'oeuvre en question ne doit pas quitter la France, que de l'acquérir ou de la classer monument historique, avec le risque de devoir verser une indemnité au propriétaire.
Toutes les difficultés d'application du texte sont venues d'une décision de la Cour de Cassation, relative à un tableau de Van Gogh, qui s'est traduite par l'impossibilité pratique pour l'État de classer une oeuvre.
Rappelons les faits. M. Jacques Walter a acquis en 1955 un tableau de Vincent Van Gogh intitulé " Le Jardin à Auvers ". A la suite d'une demande d'autorisation d'exportation en Juin 1982, refusée, le tableau a été classé d'office parmi les monuments historiques confirmé par décret du 28 juillet 1989, décret contre lequel M. Walter a exercé un recours, rejeté par l'arrêt du Conseil d'État du 31 juillet 1992.
M. Walter a ensuite demandé à l'État l'indemnisation du préjudice qu'il estimait avoir subi du fait de la décision de classement, à hauteur de 250 millions de francs. Il fondait sa demande sur l'article 16 de la loi du 31 décembre 1913 relatif à l'indemnisation du préjudice résultant de l'application de la servitude de classement d'office.
Sur le plan juridique, la Cour de cassation a, à l'occasion de son arrêt, opéré un revirement de jurisprudence pour confirmer la méthode des juges du fond quant à l'évaluation de l'indemnité résultant d'un classement d'office.
En effet la Cour de cassation a rejeté le moyen avancé dans son pourvoi par l'État, à savoir que le dommage subi par M. Walter avait un caractère incertain dès lors qu'à défaut du classement d'office, le ministre de la culture aurait pu, de manière discrétionnaire, sur le fondement de la loi du 23 juin 1941 (en vigueur à l'époque des faits), refuser l'autorisation d'exporter, ce qui aurait provoqué un préjudice identique, non indemnisable. Ce moyen rencontrait pleinement la jurisprudence de la Cour de cassation qui, avant l'affaire en question, avait cassé, le 28 mai 1991, l'arrêt rendu dans l'affaire Schlumpf, allouant une indemnité pour le classement d'office d'une collection de voitures.
Dans son jugement la Cour de cassation a relevé que la Cour d'appel a souverainement retenu que le refus d'autorisation d'exportation notifié à M. Walter en octobre 1989, se fondait sur la seule mesure de classement d'office du tableau et qu'elle en a justement déduit que le préjudice avait pour seule origine cette mesure de classement d'office, qui en vertu de l'article 16 de la loi de 1913 ouvrait au propriétaire un droit à indemnisation ; elle a également noté que, dès lors le préjudice étant né du seul fait que le bien ne peut quitter le territoire national, sa cause n'est rien d'autre que la perte du marché international et qu'il s'évalue en comparant le prix de vente du tableau en France avec ceux d'oeuvres comparables vendues sur le marché international à la date du classement.
Enfin, la Cour de cassation en 1996 a estimé que le classement créait un préjudice intangible, à l'inverse du refus de certificat d'exportation qui ne créerait qu'un préjudice temporaire, alors que le tableau avait fait l'objet de refus de certificat et que par ailleurs la loi de 1913 prévoit une procédure de déclassement.
Cette jurisprudence a rendu de fait quasiment impossible la procédure du classement pour protéger le patrimoine mobilier national. Il peut en effet paraître dès lors déraisonnable de faire courir au budget de l'État le risque d'avoir de lourdes indemnités à supporter 1 ( * ) , alors que le bien demeure entre des mains privées et n'a pas vocation à être exposé publiquement.
2. Les limites budgétaires
Comme l'a très justement souligné, un des membres de votre commission des finances, M. Michel Moreigne dans sa question écrite n° 16639 du 27 mai 1999 2 ( * ) , la valeur des trésors nationaux pour lesquels a été demandé un certificat est hors de proportion avec les moyens actuels du ministère de la culture.
La réponse du ministère du budget mérite d'être citée dans son intégralité : " le système actuel de protection des trésors nationaux est issu de la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992. Depuis la jurisprudence de 1995 sur l'indemnisation du classement d'office, l'acquisition des trésors nationaux est devenue de fait le seul moyen permettant de garantir leur maintien définitif sur le territoire. L'État n'a cependant pas vocation à acquérir la totalité des trésors nationaux, pas plus qu'il ne doit en être l'unique financeur. En effet si elles concourent à la protection du patrimoine mobilier de la France, les acquisitions d'oeuvres d'art doivent servir avant tout à enrichir les collections nationales dans un souci de diversification plus que d'accumulation. Ainsi, il peut parfois être plus opportun de rapatrier une oeuvre de l'étranger plutôt que d'en acquérir une dans le seul but d'empêcher sa sortie du territoire national. Par ailleurs, le délai de trois ans à l'issue duquel tombe l'interdiction d'exporter un trésor national peut être mis à profit par l'État pour encourager la mobilisation d'autres financeurs. Les conséquences budgétaires de la réforme de 1992 et de la jurisprudence Walter se sont effectivement traduites sur la dotation du fonds du patrimoine, qui a augmenté de 300 % en quatre ans. Passée de 34 millions de francs en 1995 à 85,1 millions de francs en 1996 (année d'arrivée à échéance des premiers refus de certificat), cette dotation atteint 105,3 millions de francs en 1999 afin de faire face au flux exceptionnel de trésors nationaux susceptibles de quitter le territoire. Ce flux sera nettement moindre en 2000 (70 millions de francs environ contre près de 660 millions de francs en 1999). Il faut enfin insister sur l'importance des moyens consacrés par le ministère de la culture aux acquisitions d'oeuvres d'art qui incluent, outre les crédits inscrits sur le chapitre 43-92 de son budget (257,3 millions de francs en 1999), les dépenses fiscales correspondant à la valeur des dations acceptées (123 millions de francs par an en moyenne entre 1988 et 1998) ainsi que les acquisitions patrimoniales financées par d'autres voies à hauteur d'environ 100 millions de francs par an (crédits de fonctionnement de la Bibliothèque nationale de France, etc.). L'effort du ministère de la culture représente au total près d'un demi-milliard de francs par an. "
La série chiffrée figurant dans le tableau ci-dessous montre les limites de l'argumentation développée par le ministère du budget. Certes, votre rapporteur pour avis fait partie de ceux qui considèrent, comme l'affirme le ministre du budget, que " L'État n'a cependant pas vocation à acquérir la totalité des trésors nationaux, pas plus qu'il ne doit en être l'unique financeur " ... et que ", les acquisitions d'oeuvres d'art doivent servir avant tout à enrichir les collections nationales dans un souci de diversification plus que d'accumulation ".
Maintenant, si l'État ne peut et ne doit pas tout acheter, il a le devoir de jouer son rôle et, en l'occurrence, d'intervenir dans une perspective à long terme pour, sinon se substituer à l'initiative privée défaillante, du moins s'efforcer de la stimuler.
De ce point de vue, des chiffres figurant dans le tableau ci-dessous qui concernent les seules acquisitions des musées - qui ne recouvrent pas toutes les interventions patrimoniales de l'État mais qui parce qu'elles concernent les biens les plus chers sont les plus pertinentes - ne permet pas d'afficher la satisfaction dont semble faire preuve le ministre du budget.
Si l'on se situe bien, actuellement, nettement au dessus du niveau des crédits de 1995, qui étaient pour l'ensemble de l'effort de l'État - crédits budgétaires plus dations - de 190 millions de francs, on est très loin des montants des années 1988, 1989, 1990 et 1991 où en moyenne l'État a dépensé plus de 360 millions de francs par an.
Les quelque 257 millions de francs inscrits pour 1999 au chapitre 43 -92 du budget du ministère de la culture - d'ailleurs en baisse dans le budget 2000 de 3,5 millions de francs - dont il est fait état dans la réponse ministérielle recouvrent des dépenses assez différentes comme le soutien, nécessaire, aux arts plastiques contemporains et, notamment, la commande publique.
Par ailleurs, on peut se montrer sceptique sur l'importance des financements complémentaires dont fait état le ministère du budget. Dans le rapport très documenté de la commission des affaires culturelles, il est mentionné que la valeur totale des trésors nationaux acquis depuis 1993 s'est montée à 271,8 millions de francs et la dépense est ainsi répartie : 157,3 millions de francs de crédits d'acquisition de l'État, 8,1 millions de francs de crédits des collectivités territoriales et 106,4 millions de francs d'autres financements.
Or, il ne faudrait pas que l'on considère ces " autres financements " comme recouvrant exclusivement du mécénat. L'examen du détail des financements complémentaires montre, que les apports du mécénat, important à la marge, ne sont pas - à l'heure actuelle - à la hauteur des oeuvres les plus chères et en particulier des grands tableaux impressionnistes : si l'on retire les dations, on arrive à un montant total de près de 50 millions de francs, hors apports de la société des Amis du Louvre, sur six exercices, soit 8 millions de francs par an. Si l'on y ajoute les apports de sociétés d'amis importantes, on aboutit à un volume de financements extérieurs qui se situent dans le meilleur des cas autour de 25 millions de francs par an. C'est loin d'être négligeable, mais ce n'est pas à la mesure des problèmes posés par l'exode massif des oeuvres majeures du patrimoine national.
3. L'hémorragie en chiffres
L'évolution de la balance des échanges extérieurs d'oeuvres d'art est marquée par un déséquilibre croissant entre exportations et importations.
En la matière, on raisonne à front renversé par rapport aux autres secteurs économiques : un taux de couverture trop largement positif est non synonyme de performance mais, au contraire, un phénomène inquiétant, qui témoigne de l'appauvrissement de notre pays.
Non seulement, le taux de couverture a tendance sur une quinzaine d'années à s'accroître, passant de 2 à 3 entre 1983 et 1998, mais encore, en dépit de la crise, les montants absolus recommencent à augmenter, au moins pour les exportations.
Il en résulte que, pour la balance globale, l'excèdent passe d'à peine plus de 600 millions de francs en 1983 à près de 2 milliards de francs en 1998 ; c'est un montant proche de ceux des années 1987 à 1990, mais acquis à des niveaux d'importations et d'exportations bien supérieurs.
*
* *
La défense du patrimoine suscite naturellement dans les pays latins des attitudes protectionnistes. Il faut empêcher les oeuvres de sortir, tel a été longtemps le leitmotiv de tous ceux qui se voulaient les défenseurs des arts.
Hier, il suffisait d'interdire, aujourd'hui, il faut acheter et c'est beaucoup plus difficile, voire impossible, vu l'ampleur de l'hémorragie. D'où le cri d'alarme des conservateurs qui assistent, impuissants, au vidage de la France de son patrimoine, dont on retrouve l'écho dans un éditorial non signé de la Revue de l'art (n°121, 1998-3), cité en annexe, qui montre que la France alimente très largement les ventes d'art ancien à Londres comme à New-York.
Certes, l'État ne doit pas tout acheter et doit se garder de tout mercantilisme patrimonial à courte vue :
• il ne faut pas d'abord négliger l'impact sur le rayonnement culturel de la France des oeuvres prestigieuses qui partent à l'étranger : il est particulièrement souhaitable que le Musée Getty expose et achète des oeuvres françaises, car dans cette région des États-Unis, la France est presque totalement absente sur le plan culturel. La France a perdu des oeuvres, voire des collections entières qu'elle aurait pu acheter ou qui aurait pu lui être données, mais force est bien d'admettre que Les grandes baigneuses de Cézanne ou la Madeleine de Georges de La Tour, respectivement à Philadelphie et Washington, font, au-delà de l'émotion initiale, beaucoup pour l'image de la France et le prestige de la culture française ;
• on ne peut manquer de souligner un biais important dans la politique d'achat des musées qui ont tendance à retenir ce qui est déjà sur le territoire français, alors même qu'il serait parfois plus opportun de rapatrier des oeuvres essentielles ou de faire rentrer des oeuvres qui nous font cruellement défaut si l'on veut que le Musée du Louvre, notamment, puisse présenter, comme devait le faire le Museum de Napoléon, le plus beau rassemblement de chefs-d'oeuvre du monde entier 3 ( * ) . A cet égard, il faut sans doute faire preuve d'esprit critique et considérer que certains exemples de mobilisation au niveau national pour empêcher le départ d'une oeuvre, au demeurant austère, d'un peintre dont les musées français sont largement dotés est moins utile à l'enrichissement du patrimoine national que l'achat d'un beau tableau figuratif de tel ou tel peintre de la Sécession viennoise, ou des beaux paysages de l'école anglaise qui manquent aux collections nationales.
De toute façon, pour avoir ce recul et cette sérénité que suppose la stratégie exposée ci-dessus, il convient de mettre en place un système qui permette enfin aux Musées de France de cesser d'intervenir très souvent dans l'urgence et de mener une politique d'achat constamment sous pression. Faire faire plutôt que faire, tel est le principe qui devrait guider, chaque fois que cela est possible, la politique de préservation du patrimoine national.
Soucieux de soulager des budgets d'acquisition, dont on sait qu'ils sont toujours insuffisants., votre rapporteur pour avis estime préférable d'accorder des avantages fiscaux à toutes les personnes qui contribueront au maintien sur notre sol de nos "trésors nationaux". Il y a là un effet de levier d'autant plus important que le niveau d'imposition dans notre pays est - malheureusement - élevé. On pourrait même y voir une tactique consistant à faire d'une faiblesse - notre niveau élevé de taxation - une force au service de l'intérêt national.
Le rapport Aicardi 4 ( * ) rappelle à cet égard : " c'est une évidence que de la dire mais on peut la rappeler : toute grande oeuvre détenue par un résident français reste dans le patrimoine national et son maintien ne nécessite pas de la part de l'État une intervention toujours onéreuse pour les finances publiques. On peut ajouter que la détention privée d'une oeuvre plutôt que publique, décharge l'État du soin d'assurer son entretien et sa surveillance et la transfère au propriétaire qui participe ainsi à la politique de maintien du patrimoine . "
B. LES APPORTS DE LA PROPOSITION DE LOI
La présente proposition de loi, manifestement très inspirée de projets qui étaient en attente dans les cartons de l'administration, vient opportunément combler une lacune du régime actuel.
1. Une procédure d'acquisition par l'État à dires d'experts
Prenant modèle sur la procédure anglaise, la présente proposition de loi permet à l'État, en l'absence d'accord amiable avec le propriétaire, d'acquérir l'oeuvre à un prix déterminé après une expertise contradictoire, sauf si le propriétaire n'accepte pas l'offre, auquel cas le refus de certificat est indéfiniment renouvelé. Des garanties sont prévues pour s'assurer du maintien sur le territoire national des oeuvres en cours d'acquisition dans le cadre de cette procédure.
La valeur du bien est déterminée à partir des évaluations des deux experts, désignés l'un par l'État et l'autre par le propriétaire 5 ( * ) . Dans le cas où les deux experts ne parviennent pas à s'entendre, la partie la plus diligente sollicite du président du tribunal de grande instance statuant en la forme des référés, la désignation d'un troisième expert dont l'avis est déterminant.
A l'issue de cette procédure contradictoire de détermination du prix, l'État peut soit procéder à l'acquisition, soit y renoncer.
La novation de la procédure préconisée par le projet de loi, tient à ce que, si le propriétaire refuse l'offre de l'État, le refus de certificat peut être renouvelé indéfiniment.
2. Des garanties supplémentaires pour l'État, les propriétaires et les tiers
Diverses améliorations ponctuelles ont été apportées à la procédure actuelle en vue de renforcer les garanties des différentes parties prenantes :
• l'administration doit ainsi être tenue informée de toute mutation portant sur un bien ayant fait l'objet d'un refus de certificat ;
• le propriétaire d'un bien n'ayant pas obtenu le certificat, doit en informer son acquéreur, tout comme il doit porter à la connaissance de ce dernier les offres d'acquisition faites par l'État ;
• le paragraphe I de l'article 3 de la proposition de loi précise que l`exportation de biens importés à titre temporaire n'est pas subordonnée à la production d'un certificat : il s'agit de rassurer - de façon sans doute un peu superfétatoire - d'éventuels vendeurs ou des collectionneurs étrangers souhaitant mettre en vente leurs oeuvres en France ;
• pour le propriétaire d'une oeuvre d'une ancienneté égale ou supérieure à 100 ans, la durée de validité du certificat, qui, sous le régime actuel, est de 5 ans, devient valable sans limitation de durée, tandis que les biens importés depuis moins de 50 ans se voient, dans le nouveau régime, automatiquement délivrer le certificat. La commission des affaires culturelles a noté que ce texte supprimait également implicitement la possibilité pour l'État de classer de telles oeuvres.
Cette dernière mesure - calquée sur le système britannique, est importante pour rassurer les collectionneurs internationaux et permettre au marché de l'art français de se développer.
Enfin, on remarque que la proposition de loi prévoit que la commission qui est chargée de donner un avis pour la délivrance des certificats, sera composée à parité entre représentants de l'État et personnalités qualifiées. Il y a là une initiative intéressante, même si les personnalités qualifiées sont également de membres de l'administration ou d'anciens conservateurs. Deux personnalités seulement peuvent effectivement être considérées comme représentant le marché de l'art.
II. DES ADAPTATIONS NECESSAIRES MAIS NON SUFFISANTES
L'efficacité du système anglais tient tout autant au régime juridique, lui-même tout imprégné du pragmatisme anglo-saxon, qu'à l'environnement favorable aux collectionneurs privés et, surtout, aux ressources importantes sur lesquelles il s'appuie.
Il en résulte que des adaptations destinées à rapprocher le régime juridique actuel du système anglais, aussi nécessaires sont-elles, n'auront que des effets limités si elles ne sont pas accompagnées de mesures budgétaires ou fiscales.
A. LES PROPOSITIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES
La commission des affaires culturelles s'est efforcée d'apporter divers aménagements inspirés par la volonté de rendre la procédure plus efficace, tout en assurant un meilleur dialogue entre les propriétaires et l'autorité administrative.
1. Le raccourcissement des délais
Le souci essentiel de la commission des affaires culturelles est d'éviter que la nouvelle procédure ne pénalise de façon excessive les propriétaires. Dans ce but, elle a voulu raccourcir les délais au minimum nécessaire au bon déroulement de la procédure d'acquisition.
La commission a ainsi :
fixé à trois mois le délai laissé aux experts pour se prononcer sur la valeur du bien ;
réduit à six mois le délai maximal dont dispose l'administration pour régler le prix de l'oeuvre.
ramené de trois ans à trente mois la durée de validité du refus de certificat, afin de bien marquer le caractère transitoire de la situation.
Au total, il devrait s'écouler une durée maximale de 16 mois entre la première offre faite par l'État et le paiement du bien, durée portée à 19 mois dans le cas où il y a désignation d'un troisième expert.
On note également que la commission des affaires culturelles met en place une procédure de délivrance tacite du certificat, qui, tout en permettant de simplifier les tâches de l'administration, devrait aboutir à un traitement plus rapide des demandes.
2. La clarification des procédures
D'autres aménagements proposés par la commission des affaires culturelles tendent à améliorer l'information de l'État comme celle des tiers.
En premier lieu, il est prévu que le certificat ne pourra être refusé que sur avis conforme de la commission, et d'autre part, que ses avis seront publiés dans les conditions fixées par décret en Conseil d'État. La commission des affaires culturelles a estimé que cette publication était préférable à l'établissement d'une liste des biens déclarés " trésors nationaux ", dans la mesure où elle éclairerait les propriétaires sur la doctrine de l'administration en matière de refus de certificat.
En second lieu, la commission des affaires culturelles a souhaité préciser que l'administration avait la possibilité et non l'obligation de faire une offre d'achat, en cas de refus de certificat. Il lui est apparu préférable de ne pas lier automatiquement le refus de certificat à une offre d'achat. L'État peut donc refuser le certificat à titre conservatoire afin de vérifier le bien-fondé de sa décision d'achat et de s'assurer des financements éventuels.
On note qu'un tel assouplissement a deux conséquences : d'une part, il aboutit a allonger le délai entre la décision de ne pas laisser sortir une oeuvre et son paiement effectif en cas d'acquisition, puisque cette durée pourra aller dans des cas extrêmes jusqu'à 4 ans. D'autre part, si d'aventure l'État n'avait pas les crédits nécessaires, où si il préjugeait de ses forces financières, la procédure ainsi mise en place se traduirait simplement par le report de trois ans de la délivrance du certificat.
Enfin, la commission a estimé nécessaire de préciser que la nouvelle procédure s'appliquait au refus de certificat en cours de validité au moment de la promulgation de la présente loi. On remarque qu'il y a là une certaine forme de rétroactivité puisque le propriétaire d'une oeuvre ayant fait sa demande sous un régime lui permettant d'obtenir le certificat, sauf classement de l'oeuvre, pourra désormais se le faire refuser s'il refuse de céder son bien au prix fixé par les experts.
B. LES AMBITIONS DE LA COMMISSION DES FINANCES : METTRE EN PLACE UN SYSTEME PLUS INCITATIF QUE COERCITIF
Le guide des procédures pour l'obtention d'une licence d'exportation pour les biens culturels constitue un modèle instructif auquel il est intéressant de faire référence, dès lors que notre pays n'a pas fait le choix comme cela a été fait en Allemagne ou en Italie, d'établir une liste des trésors nationaux.
La proposition de loi affirme ouvertement s'en être inspirée. Un examen attentif montre que l'on aurait sans doute aller encore plus loin en dépit de la différence des systèmes juridiques.
1. Le système anglais : un modèle de pragmatisme et d'efficacité
On ne peut d'abord qu'adhérer aux objectif du système qui est conçu " pour trouver un équilibre aussi juste que possible entre les différents intérêts en cause dans toute demande de licence d'exportation : la sauvegarde du patrimoine national, les droits du vendeur de l'oeuvre comme ceux de l'exportateur ou de l'acheteur étranger, le bon fonctionnement et la réputation, enfin, de la Grande-Bretagne en tant que marché de l'art international . "
La façon dont sont libellés les critères distinctifs de l'appartenance d'un objet à la catégorie des trésors nationaux - dits critères Waverley du nom du président dans les années cinquante de la commission ayant à statuer sur les licences d'exportation - est également révélatrice d'une mentalité pragmatique :
• Waverley 1 : l'objet est-il si étroitement lié à l'histoire ou à la vie nationale que son exportation serait un malheur ?
• Waverley 2 : est-il d'une valeur esthétique exceptionnelle ?
• Waverley 3 : est-il d'une importance exceptionnelle pour l'étude d'une branche particulière des arts du savoir ou de l'Histoire ?
Dans son rapport annuel pour l'année 1988-1989, la commission précise son interprétation de ces critères et notamment des numéros 2 et 3 : " il ne peut y avoir de règles définitives pour juger du caractère esthétiquement exceptionnel des chefs-d'oeuvre de la peinture ou de la sculpture. On peut considérer qu'une boite de tabac à priser satisfait tout aussi bien à ce critère qu'un tableau de Poussin. Dans le cas d'oeuvres de grands artistes, il est parfois affirmé que tout ce qui est de la main de Rembrandt est exceptionnel. La commission n'est pas toujours convaincue par de tels arguments et peut prendre en considération l'état ou les restauration antérieurement subies par l'oeuvre. " Au sujet du critère n°3, la commission précise que " tout ou presque peut être pris en compte à ce titre : les pires oeuvres des meilleurs artistes..., la facture de blanchisserie d'un poète ou une collection de carte postales maritimes...Beaucoup de ces objets peuvent constituer d'intéressants sujets de thèses sans pour autant être d'une importance pour l'étude de la matière dans son ensemble. "
La présentation sous forme de " questions réponses " démontre dans une volonté de rapidité et d'efficacité un moindre souci de formalisme. On se contente de fixer des principes pour laisser toujours à l'autorité la possibilité d'écarter pour des raisons d'opportunité l'application de la règle générale.
Ainsi, à la question " dans combien de temps vais-je recevoir la licence après le dépôt de ma demande ? ", il est répondu : si un expert doit être consulté, le dossier est normalement transmis dans les cinq jours ouvrables. Nous demandons à nos experts consultants de faire connaître leur décision dans les quinze jours ouvrables ." Plus loin, il est précisé que ces experts dont le rôle est de saisir le comité ( reviewing committee) défèrent devant ce dernier entre 25 et 50 objets par an sur un nombre de demandes de licences compris entre trois et quatre mille.
Deux points méritent d'être soulignés : les critères Waverley sont applicables aux oeuvres d'artistes vivants ; le ministre peut modifier ou revenir sur la décision d'octroi de la licence à tout moment.
Devant le comité - qui est composé de huit membres nommés par le ministre de la culture de la communication et des sports, il est prévu une procédure contradictoire : le propriétaire et l'expert sont invités à faire connaître leurs arguments par écrit ; au cours de la réunion où sont également conviés avec voix délibérative, trois conseillers choisis pour leur connaissance sur l'objet concerné, chacune des parties peut intervenir pour compléter l'argumentation développée par écrit, étant noté que le propriétaire peut se faire accompagner du conseiller de son choix et qu'il peut faire transporter l'objet devant le comité.
A l'issue de ce débat, le comité se retire pour délibérer et voter. Si l'objet satisfait à l'un des critères, le comité recommande au ministre de différer l'octroi de la licence et précise dans sa décision à la fois la durée de ce report et le prix de marché minimal auquel peut être présenté un offre d'achat.
Il est indiqué que l'objet du sursis dans la délivrance de la licence est de permettre à une offre de se manifester à un niveau égal ou supérieur au juste prix du marché (fair market price). Le sursis peut être simple ( straight ) lorsque l'on se contente de fixer une certaine période de temps - en général trois mois - pour permettre à l'offre d'être effectuée ; il est " scindé " ( split ) lorsque le comité distingue une période initiale - le plus souvent de deux mois - au cours de laquelle on s'efforce d'identifier un acquéreur potentiel d'une seconde période en général de quatre mois pour lui laisser le temps de rassembler les fonds. Cette méthode permet de délivrer la licence dès l'expiration de la période initiale si l'on constate qu'il n'y a pas de personnes susceptibles de présenter une offre crédible. La durée du sursis est notamment fonction de la valeur de l'objet et de la probabilité que soit lancée une opération de souscription.
Les éléments pris en compte pour la détermination du " juste prix de marché " sont les suivants : le prix d'achat en vente publique ou non de l'objet, le prix de vente déclaré par le propriétaire, les transactions portant sur des biens analogues ; il est tenu compte des frais de conservation raisonnables ainsi que des commissions de vente publique ou de la marge du marchand. En revanche, on ne prend pas en considération des frais financiers, de stockage ou d'assurance consécutifs au déroulement de la procédure, eu égard au fait qu'un acheteur étranger se doit d'être conscient des risques de cette nature attaché à la qualité d'un objet pouvant satisfaire à un critère Waverley.
La position du comité est transmise au Ministre qui fait connaître sa décision par un communiqué qui constitue le point de départ de la période de suspension. Celui-ci sans révéler le nom du demander précise la consistance de l'objet, la durée de la période de suspension et le prix de marché. Le comité ne donne au ministre qu'un avis que le ministre est libre ou non de suivre, même si précise la notice " ce pouvoir discrétionnaire doit être exercé raisonnablement. "
Il est important de souligner que le propriétaire peut refuser une offre émanant d'une personne publique - musée ou institution comme le National Trust - mais que dans ce cas, le ministre en tire les conséquences en refusant normalement d'accorder la licence d'exportation. Lorsque le propriétaire refuse l'offre d'une personne privée, le ministre peut en tenir compte et refuser la licence si l'offre s'accompagne de certains engagements. Dans ce cas, il faut que l'offre privée garantisse " un accès raisonnable du public " à l'oeuvre, de bonnes conditions de conservation, ainsi qu'une durée minimale de détention.
Comme on l'a indiqué plus haut, il ne s'agit là que des règles générales que les Britanniques ont su écarter dans certaines circonstances particulières, comme cela avait été le cas pour la sculpture de Canova : Les trois grâces, convoitées par le Musée Getty ont pu finalement être maintenues en Grande-Bretagne grâce à la générosité de JP Getty junior et du baron Thyssen ainsi qu'à un montage complexe partageant le détention de la statue entre Londres et Edimbourg. Il est effectivement possible pour le comité de décider d'un nouveau report, s'il appert qu'un délai supplémentaire est de nature à permettre aux intéressés de rassembler les sommes résiduelles manquantes.
L'efficacité du système britannique tient à son pragmatisme et notamment à des délais brefs qui ne lèsent guère les propriétaires et ne perturbent pas trop le bon fonctionnement du marché : la décision est prise dans la plupart des cas en moins de six mois. Il tient également à l'existence d'institutions puissantes comme le National Trust ou le National Art Collection Fund ainsi qu'à un réseau de collectionneur dont un des plus actifs est JP Getty junior, capable de participer à des offres privées. Mais il tient surtout aux fonds mis à la disposition des institutions par le loto.
Le problème du nouveau régime que tend à mettre en place la proposition de loi, c'est qu'il " importe " une procédure en vigueur à l'étranger, sans réaliser que son efficacité tient à des mécanismes juridiques pragmatiques, impossibles à transposer en droit français et à un contexte économique et social favorable au mécénat et à des moyens financiers connsidérables.
Faute pour la France de réunir ces trois éléments, les résultats de la nouvelle procédure pourraient bien se révéler décevants.
2. La proposition du rapporteur pour avis : retenir les oeuvres par des avantages fiscaux
Bien conscient de la différence de système juridique entre la France et la Grande-Bretagne, votre rapporteur pour avis estime que l'on peut encore s'en rapprocher au moins dans l'esprit.
A quoi bon obliger les propriétaires à vendre des oeuvres à dire d'experts si on n'a pas les crédits pour les acheter ? Tout au plus transformera le pouvoir de faire une offre ayant des vertus suspensives en simple pouvoir de retardement, ce qui n'est pas du tout dans l'esprit britannique dans lequel les délais ne sont utilisés parfois au delà des longueurs habituelles que pour permettre à une offre de se constituer.
De ce point de vue, la rédaction de la commission des affaires culturelles tendant à faire de l'offre une possibilité et non une obligation en cas de refus de certificat, quelque logique qu'elle soit, devrait avoir pour conséquence d'officialiser un pouvoir d'autant plus contestable que, les miracles budgétaires étant rares, il y a peu de chances qu'on puisse acheter dans trois ans ce qu'on ne peut pas s'offrir aujourd'hui.
Les délais restent d'ailleurs encore particulièrement longs puisqu'il pourra s'écouler 4 ans entre le dépôt de la demande de certificat et la perception du prix par le propriétaire . De même, peut-on s'interroger sur la légitimité d'in système qui retarde la sortie d'oeuvres au moins pour la plupart des plus chères d'entre elles, alors même qu'il n'est entrepris aucune opération de levée des fonds.
Tout cela n'est pas très favorable au développement du marché " de l'art français, qui a besoin de sécurité et, à défaut, de la réduction au strict minimum de la période d'instabilité due à la mise en oeuvre de prérogatives régaliennes.
Telle est la raison pour laquelle, votre rapporteur pour avis estime qu'à côté de l'indispensable renforcement des crédits budgétaires, il faut aussi mettre en place un système d'incitation fiscale ne faisant pas reposer sur l'État toute la charge de la protection du patrimoine national.
(1) L'exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit pour les objets mobiliers classés avec l'accord de leur propriétaire
La seule voie pour atténuer l'hémorragie est de s'efforcer de fixer les oeuvres en amont en accordant des avantages fiscaux aux propriétaires acceptant de maintenir leur bien sur le territoire national.
En l'occurrence, il est proposé d'assortir le classement d'une exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit à raison de 50% de leur valeur pour compenser la diminution de valeur consécutive à l'impossibilité de profiter des prix plus élevés susceptibles d'être payés par les collectionneurs étrangers.
L'exonération totale a été écartée à ce stade par souci de réalisme et pour éviter que des successions composées presqu'exclusivement d'oeuvres d'art puissent échapper à l'impôt. Il n'aurait toutefois pas été inconcevable de porter l'exonération à 100 % lorsque l'oeuvre est exposée au public, même si le système devient naturellement plus complexe à gérer.
Il faut souligner que cette défiscalisation partielle fait jouer des mécanismes économiques. La création d'un marché pour des actifs partiellement défiscalisés tend à augmenter la demande interne pour les oeuvres d'art et donc leurs prix, diminuant d'autant la pénalisation résultant de l'interdiction d'exportation consécutive au classement.
Enfin, on note également que le bénéfice de la défiscalisation - applicables aux seules oeuvres classées à compter du 1 er janvier 2000 - est limitée aux oeuvres classées avec le consentement de leur propriétaire, de façon à éviter que l'un d'entre eux puisse éventuellement cumuler l'indemnisation au titre de le loi de 1913 et l'avantage fiscal.
(2) La possibilité pour l'État de présenter une offre émanant d'une personne privée dans le cadre de la nouvelle procédure
Il s'agit de prévoir, à l'instar de ce que permet la procédure en vigueur en Angleterre, la possibilité pour l'autorité administrative de présenter une offre émanant de personnes privées aux conditions fixées par les experts, dès lors que celles-ci s'engagent à demander le classement et le cas échéant, à respecter certaines obligations concernant l'accès du public à l'oeuvre.
Toutefois, le privilège ainsi conféré à des personnes autres que l'État ne saurait conduire à assimiler offres publiques et privées, au regard du report indéfini de la délivrance du certificat. Le propriétaire doit être incité mais pas obligé de vendre à une personne privée. Telle est la raison pour laquelle le refus de prendre en considération une offre émanant d'une personne autre que l'Etat n'a pour conséquence que d'entraîner la prolongation de la validité du refus de délivrance du certificat de la durée de validité de l'offre, soit entre un et deux ans.
(3) Le préalable : l'articulation entre les lois de 1913 et 1992
Le lien entre la loi de 1913 sur les monuments historiques et la loi de 1992 concernant les trésors nationaux est pour l'instant à sens unique : la loi du 31 décembre 1992 fait référence à celle de 1913 à la fois dans la définition des trésors nationaux - tous les biens classés appartiennent par définition à cette catégorie - et dans l'énoncé des suites possibles au refus de certificat.
L'objet d'importance historique ou artistique majeure pour lequel se justifie le refus de certificat, a en principe vocation dans la logique théorique de la loi de 1992 à être classé ou acquis par l'État.
En revanche, la réciproque n'est pas vraie. Il n'est fait aucune mention de la loi de 1992 dans le régime des biens classés, tel qu'il résulte de la loi de 1913 et des textes subséquents. Or, ceci apparaît indispensable dans l'optique de votre rapporteur pour avis consistant à assortir d'un avantage fiscal l'oeuvre ayant fait l'objet d'un refus de certificat et donc à laquelle, comme pour les biens mobiliers classés, on refuse l'accès au marché international.
Pour que le système conserve toute son efficacité " en aval ", au passage de la ligne frontière, il a paru en outre nécessaire de considérer que l'avantage fiscal conféré aux oeuvres classées devait être étendu à celles s'étant vu opposer un refus de certificat. Concrètement, il a paru souhaitable de garantir au propriétaire d'une oeuvre qualifiée de trésor national de pouvoir obtenir à sa demande son classement, soit que finalement celui-ci décide d'en tirer avantage pour lui-même, soit, plus probablement qu'il puisse en garantir le bénéfice à un acquéreur éventuel.
On comprendrait mal qu'un bien considéré comme majeur du point de vue de l'histoire ou du patrimoine national puisse justifier une interdiction de sortie et non le classement. Il y va de la cohérence de l'État.
On ne fait que systématiser et encourager une pratique souvent tentée et plus rarement couronnée de succès consistant pour les conservateurs à trouver des acquéreurs privés.
(4) Agrément de droit au titre de la dation en paiement des oeuvres classées à l'issue d'un refus de certificat
Le dispositif proposé ne correspond pas à tous les cas de figure de nature à justifier l'acquisition du bien. Il faut également tenir compte de la volonté que pourrait manifester un particulier d'anticiper sur le règlement de sa succession en achetant un bien dont il sûr qu'il sera accepté en dation par l'État.
Tel est l'objet du présent article additionnel, qui tend à prévoir que l'agrément est de droit, à condition que le bien n'ait fait l'objet d'aucune mutation depuis son classement et que la valeur libératoire proposée soit égale au prix fixé dans le cadre de la procédure de l'article 9-1 de la loi du 31 décembre 1992.
Concrètement, cela signifie qu'un bien ayant fait l'objet d'un refus et pour lequel son propriétaire ou un acquéreur demande le classement est accepté en dation si les héritiers ou donataires proposent le bien au prix payé par le défunt ou le donataire, dès lors que ce prix est égal à celui fixé par les experts dans les conditions prévues à l'article 9-1 de la loi de 1992 et qu'il n'a pas été refusé par l'autorité administrative. Il s'agit également d'une simple mesure de cohérence.
On note que, là encore, on ne fait que proposer de systématiser une pratique tentée avec plus ou moins de bonheur par certaines personnes privées et que la définition d'un cadre juridique serait susceptible de développer.
Régime actuel de la loi du 31 décembre 1992) Refus du certificat de sortie valable trois ans. Au bout de trois ans, il y a achat ( ou classement devenu rare par suite de la jurisprudence Walter ) sortie Conséquences : |
• le propriétaire qui ne veut pas vendre est sûr de sortir l'oeuvre |
• plus une oeuvre est chère, plus il lui est facile de sortir après trois ans Régime de la proposition de loi n°444 - Commission des Affaires culturelles Refus du certificat de sortie valable 30 mois Fixation d'un prix de marché, après expertise contradictoire En cas d'offre au prix d'expertise, il y a soit : acceptation par le propriétaire refus de l'offre et donc renouvellement indéfini du refus de certificat En l'absence d'offre d'achat, pas de changement par rapport au régime actuel. Régime proposé par la Commission des finances Refus du certificat de sortie valable 30 mois Fixation d'un prix de marché, après expertise contradictoire Offre présentée par les pouvoirs publics ou par une personne privée En cas d'offre de l'État : - acceptation achat - refus maintien indéfini du blocage. En cas d'offre présentée par d'autres personnes publiques ou privées il y a soit : |
• acceptation et transfert de propriété à la personne qui peut bénéficier - soit d'une exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit à concurrence de 50% de la valeur du bien - soit la garantie de l'obtention de l'agrément au titre de la dation sur la base de la valeur d'expertise contradictoire |
• refus avec blocage du bien pour la durée de validité de l'offre, soit entre 1 et 2 ans En tout état de cause, possibilité pour un propriétaire de demander le classement et donc de bénéficier de l'avantage fiscal indépendamment de tout refus de certificat |
CONCLUSION
FAUTE D'EFFORT BUDGÉTAIRE ET FISCAL LA NOUVELLE PROCÉDURE N'ARRETERA PAS L'EXODE DU PATRIMOINE NATIONAL
La protection du patrimoine national longtemps assurée par des mesures autoritaires passe aujourd'hui par des mécanismes de marché. Les auteurs de la proposition de loi, qui savent que cette évolution est irréversible, ne préconisent que des aménagements juridiques limités à la loi du 31 décembre 1992.
L'introduction d'une procédure d'acquisition encadrée des trésors nationaux est utile certes pour pallier certain refus de vente portant sur des biens relativement secondaires. Le problème reste entier pour les biens d'une importance artistique vraiment majeure à l'échelle du monde, et, notamment, les grands tableaux impressionnistes.
Faute de mesures d'accompagnement fiscal et d'un effort budgétaire substantiel, le nouveau régime ne changera rien ; tout au plus va-t-on retarder de quelques années la sorties des oeuvres les plus chères au détriment des droits légitimes de leurs propriétaires et de la crédibilité du marché de l'art français que, précisément l'on cherche à relancer.
D'où l'intérêt de la mesure de défiscalisation partielle, souhaitée par le présent rapport. La dépense fiscale reste modérée bien que non négligeable. Mais, c'est sans doute la seule façon économe des deniers publics de défendre le patrimoine national. Tôt ou tard, ces oeuvres seront par le jeu normal des mutations proposées à l'État sous forme de dations ou de donations pour le plus grand profit de la collectivité.
Maintenir le patrimoine national dans un monde désormais ouvert à la fois économiquement et idéologiquement a un coût que le Gouvernement ne veut pas assumer ni même expliquer au Français. Une opération " vérité des prix " s'impose. 200 millions, c'est le prix minimum d'une oeuvre majeure d'un grand peintre impressionniste. Ce prix est hors de proportion avec les crédits d'acquisition normaux du Fonds du patrimoine et les ressources dégagées par la Réunion des musées nationaux. Mais est-il hors de portée d'un Etat souverain ?
Doit-on, en particulier, laisser partir le fascinant tableau de Degas " la duchesse de Montéjasi et ses filles Elena et Camilla " pour lequel vient d'être accordé le certificat ?. L'État ne peut et ne doit pas tout acheter. Votre rapporteur en a la conviction, surtout lorsqu'il s'agit d'oeuvres moyennes...Faut-il pour autant assister sans réagir au départ d'un des derniers chefs-d'oeuvre de l'impressionnisme en main privée encore présent sur le territoire national ? A ce niveau, le problème n'est pas financier ; C'est une simple question de volonté politique .
EXAMEN DES ARTICLES
ARTICLE ADDITIONNEL AVANT L'ARTICLE
5
Exonération partielle de droits de mutation
à titre gratuit des objets mobiliers classés
Commentaire : le présent article a pour objet d'exonérer les objets mobiliers classés à partir du premier janvier 2000 de droits de mutation à titre gratuit à raison de 50% de leur valeur.
Il a été amplement montré au cours de l'exposé général que les crédits publics actuellement consacrés aux acquisitions d'oeuvres d'art, étaient structurellement insuffisants pour permettre d'endiguer l'exode du patrimoine artistique oui historique national.
De même, il est illusoire de croire que, sans incitations fiscales nouvelles, on puisse espérer rassembler des concours publics ou des fonds de mécénat à la hauteur des besoins : 107 millions de francs, certes, ont été fournis en dehors des crédits d'État et des concours des collectivités locales ; mais cette somme, qui reste au surplus modeste eu égard aux quelques 200 millions que coûte une oeuvre majeure d'un grand peintre impressionniste, apparaît en fait éclatée en de multiples petites - au moins relativement - opérations, sans que jamais, sauf pour l'opération exceptionnelle menée par les amis du Louvre à l'occasion de leur centenaire ou celle des amis de Versailles, la contribution du mécène ait excédé cinq millions de francs.
La seule voie pour atténuer l'hémorragie est de s'efforcer de fixer les oeuvres en amont en accordant des avantages fiscaux aux propriétaires acceptant de maintenir leur bien sur le territoire national.
En l'occurrence, il est proposé d'assortir le classement d'une exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit à raison de 50% de leur valeur pour compenser la diminution de valeur consécutive à l'impossibilité de profiter des prix plus élevés susceptibles d'être payés par les collectionneurs étrangers
L'exonération totale a été écartée à ce stade par souci de réalisme et pour éviter que des successions composées presqu'exclusivement d'oeuvres d'art puissent échapper à l'impôt. Il n'aurait toutefois pas été inconcevable de porter l'exonération à 100 %, lorsque l'oeuvre est exposée au public, même si le système devient naturellement plus complexe à gérer.
Il faut souligner que cette défiscalisation partielle fait jouer des mécanismes économiques. La création d'un marché pour des actifs partiellement défiscalisés tend à augmenter la demande interne pour les oeuvres d'art et donc leurs prix, diminuant d'autant la pénalisation résultant de l'interdiction d'exportation consécutive au classement.
Enfin, on note également que le bénéfice de la défiscalisation est limité aux oeuvres classées avec le consentement de leur propriétaire, de façon à éviter que l'un d'entre eux puisse éventuellement cumuler l'indemnisation au titre de la loi de 1913 et l'avantage fiscal.
On note que la mesure ne concerne que les oeuvre classées à compter de l'année 2000, ce qui rend le coût plus facilement maîtrisable. Il ne serait pas inconcevable que le ministère des finances soit associé à la décision, dès lors qu'elle emporte un avantage fiscal.
Un tel dispositif ne constitue en aucune manière une panacée tant sont puissants les facteurs structurels qui poussent les propriétaires d'oeuvres majeures à les vendre à l'étranger et, en particulier, aux États-Unis.
Avis de la commission : votre commission vous demande d'adopter l'article additionnel qu'elle vous propose.
ARTICLE 5
Possibilité pour
l'État de présenter au propriétaire d'une oeuvre ayant
fait l'objet d'un refus de certificat une offre émanant d'une personne
privée acceptant le classement de l'oeuvre
Commentaire : le présent article a pour objet de permettre à l'État de présenter au propriétaire d'une oeuvre ayant fait l'objet d'un refus de certificat une offre au prix fixé par l'expertise contradictoire émanant d'une personne privée acceptant de demander le classement de l'oeuvre.
Il s'agit de prévoir, à l'instar de ce que permet la procédure en vigueur en Angleterre, la possibilité pour l'autorité administrative de présenter une offre émanant de personnes privées aux conditions fixées par les experts, dès lors que celles-ci s'engagent à demander le classement et, le cas échéant, à respecter certaines obligations concernant l'accès du public à l'oeuvre.
Le texte de la proposition de loi prévoit que l'offre peut être faite par l'État pour le compte d'autres personnes publiques, ce qui permet aux établissements publics - qu'il s'agisse ou non de musées ou d'institutions culturelles - et aux collectivités territoriales de se porter acquéreurs d'un bien pour lequel a été refusé le certificat.
Il est proposé d'élargir encore le cercle des personnes habilitées à présenter une offre aux personnes privées comme c'est le cas en Grande-Bretagne. Dans ce pays, le comité compétent peut présenter l'offre d'un particulier acceptant de payer le prix fixé par les experts et de maintenir l'oeuvre sur le territoire national.
L'acceptation du classement et le cas échéant de certaines contraintes en matière d'accès du public à l'oeuvre, paraît de nature à justifier que la puissance publique soutienne, au nom de l'intérêt du patrimoine national, une offre privée.
Toutefois, le privilège ainsi conféré à des personnes autres que l'État ne saurait conduire à assimiler offres publiques et privées, du point de vue du report indéfini de la délivrance du certificat. Le propriétaire doit être incité mais pas obligé de vendre à une autre personne que l'État .
Par ailleurs, une personne privée ou même une personne publique autre que l'État ne peut s'engager sans limite de durée. Telle est la raison pour laquelle le refus de prendre en considération une offre n'émanant pas de l'État n'a pour conséquence que de retarder la délivrance du certificat pour la durée de validité de l'offre. Cette offre serait dans le système proposé par votre rapporteur pour avis d'une durée de validité comprise en un et deux ans.
Avis de la commission : votre commission vous demande d'adopter cet article sous réserve de l'amendement qu'elle vous propose.
ARTICLE ADDITIONNEL AVANT L'ARTICLE
5
Classement de droit à la demande de leur
propriétaire des oeuvres ayant fait l'objet d'un refus de
certificat
Commentaire : le présent article a pour objet d'introduire un nouvel alinéa à l'article 16 de la loi du 31 décembre 1913 prévoyant que le classement d'une oeuvre ayant fait l'objet d'un refus de certificat est de droit lorsqu'il est demandé par son propriétaire.
Le lien entre la loi de 1913 sur les monuments historiques et la loi de 1992 concernant les trésors nationaux est pour l'instant à sens unique : la loi du 31 décembre 1992 fait référence à celle de 1913 à la fois dans la définition des trésors nationaux - tous les biens classés appartiennent par définition à cette catégorie - et dans l'énoncé des suites possibles au refus de certificat.
L'objet d'importance historique ou artistique majeure pour lequel se justifie le refus de certificat, a en principe vocation dans la logique théorique de la loi de 1992 à être classé ou acquis par l'État.
En revanche, la réciproque n'est pas vraie. Il n'est fait aucune mention de la loi de 1992 dans le régime des biens classés, tel qu'il résulte de la loi de 1913 et des textes subséquents. Or ceci apparaît nécessaire dans l'optique de votre rapporteur pour avis consistant à assortir l'oeuvre ayant fait l'objet d'un refus de certificat et donc à laquelle on refuse au nom de l'intérêt national la possibilité de bénéficier des prix élevés du marché international
L'avantage fiscal qu'il est proposé de mettre en place pour s'efforcer de maîtriser " en amont " l'exode des oeuvres majeures en mains privées encore présentes sur le territoire national, doit correspondre à un statut juridique permanent. Il ne peut donc être attaché au refus du certificat, qui correspond à un état par nature transitoire, même si la présente proposition tend précisément à permettre à l'autorité administrative de le renouveler indéfiniment en cas non acceptation de l'offre d'acquisition à un prix établi à dire d'expert.
Attacher un avantage fiscal aux oeuvres classées qui sont, du fait même de leur statut, " assignées à résidence ", est logique dans la perspective choisie par votre rapporteur pour avis. On agit en amont en évitant précisément que les oeuvres soient présentées en vue de leur exportation.
Mais, pour que le système conserve toute son efficacité " en aval " au passage de la frontière, il a paru nécessaire de considérer que l'avantage fiscal conféré aux oeuvres classées devait être étendu à celles qui ont fait l'objet d'un refus de certificat.
Concrètement, il est proposé de garantir au propriétaire d'une oeuvre qualifiée de trésor national de pouvoir obtenir à sa demande son classement, soit que finalement celui-ci décide d'en tirer avantage pour lui-même, soit, plus probablement qu'il puisse en garantir le bénéfice à un acquéreur éventuel.
Votre rapporteur pour avis est conscient de ce qu'il y a là un raccourci administratif qui peut être considéré comme audacieux. Le classement résulterait en effet d'une procédure faisant intervenir, non la commission supérieure des monuments historiques mais celle des trésors nationaux, constituée dans un but différent bien que connexe, et dont on note au passage que sa décision lierait le ministre, contrairement à la commission de droit commun. Pour résoudre la difficulté, il pourrait être envisagé de faire précéder la décision de la commission des trésors nationaux de l'avis de la commission supérieure des monuments historiques.
Mais, on comprendrait mal qu'un bien considéré comme majeur du point de vue de l'histoire ou du patrimoine national puisse justifier une interdiction de sortie et non le classement. Il y va de la cohérence de l'État.
On ne fait que systématiser et encourager une pratique souvent tentée et plus rarement couronnée de succès, consistant pour les conservateurs à trouver des acquéreurs privés.
Avis de la commission : votre commission vous demande d'adopter l'article additionnel qu'elle vous propose.
ARTICLE ADDITIONNEL APRES L'ARTICLE
5
Agrément de droit au titre de la dation en
paiement des oeuvres classées à l'issue d'un refus de certificat
Commentaire : le présent article a pour objet d'introduire un nouveau paragraphe II à l'article 1716 bis du code général des impôts pour prévoir que l'agrément est de droit pour les oeuvres qui ont été classées à la suite d'un refus de certificat, à certaines conditions visant à éviter un cumul injustifié d'avantages fiscaux.
Le bien ayant fait l'objet d'un refus de certificat et classé à la demande de son propriétaire bénéficierait dans le régime proposé par votre commission des finances d'un avantage en matière de droits de mutation à titre gratuit compensant la diminution de la valeur du bien consécutive à l'impossibilité de le mettre en vente au prix a priori plus élevé du marché international.
Mais cela ne correspond pas à tous les cas de figure de nature à justifier l'acquisition du bien. Il faut tenir compte de la volonté que pourrait manifester un particulier d'anticiper sur le règlement de sa succession en achetant un bien dont il sûr qu'il sera accepté en dation par l'État.
Tel est l'objet du présent article additionnel, qui tend à prévoir que l'agrément est de droit, à condition que le bien n'ait fait l'objet d'aucune mutation depuis son classement et que la valeur libératoire proposée soit égale au prix fixé dans le cadre de la procédure de l'article 9-1 de la loi du 31 décembre 1992.
Concrètement, cela signifie qu'un bien ayant fait l'objet d'un refus et pour lequel son propriétaire ou un acquéreur demande le classement - renonçant du même coup aux prix élevés du marché international et à l'éventualité d'une indemnisation en cas de classement d'office - est accepté en dation si les héritiers ou donataires proposent le bien au prix payé par le défunt ou le donataire, dès lors que ce prix est égal à celui fixé par les experts dans les conditions prévues à l'article 9-1 de la loi de 1992 et qu'il n'a pas été refusé par l'autorité administrative. Encore une fois, il s'agit d'une simple mesure de cohérence.
Avis de la commission : votre commission vous demande d'adopter l'article additionnel qu'elle vous propose.
AMENDEMENTS ADOPTÉS PAR LA COMMISSION
ARTICLE ADDITIONNEL AVANT L'ARTICLE 5
I.- Il est inséré à l'article 793 du code général des impôts un 3 ainsi rédigé :
" 3. Les objets classés avec le consentement de leur propriétaire en application de l'article 16 de la loi modifiée du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques, à concurrence de la moitié de leur valeur, sous réserve des dispositions de l'article 793bis A et du paragraphe II de l'article 1716 bis ;
II.- Il est inséré après l'article 793 bis du code général des impôts un article ainsi rédigé :
" Art 793 bis A. L'exonération partielle prévue au 3. de l'article 793 est subordonnée à la condition que le bien soit resté la propriété du défunt ou du donateur pendant 5 ans à la date de la transmission à titre gratuit. "
III.- Le présent article est applicable aux objets classés à compter du 1 er janvier 2000.
IV.- La perte de recettes résultant pour l'État des I et II ci-dessus est compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts
ARTICLE ADDITIONNEL AVANT L'ARTICLE 5
Compléter l'article 16 de la loi modifiée du 31 décembre 1913 par un alinéa ainsi rédigé :
" Le classement d'un objet mobilier pour lequel est refusé le certificat prévu à l'article 7 de la loi de la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992, est de droit lorsqu'il est demandé par son propriétaire. "
ARTICLE 5
I.- Rédiger comme suit le début du texte proposé par cet article pour l'article 9-1 de la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 :
Dans le délai prévu au premier alinéa de l'article 9, l'autorité administrative peut, dans l'intérêt des collections publiques ou de celui de la protection du patrimoine national en application du dixième alinéa du présent article, présenter une offre d'achat.
II.- Rédiger comme suit la fin du dixième alinéa du texte proposé par cet article pour l'article 9-1 de la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 :
....
, ou présenter l'offre d'une personne privée qui s'engage à demander, en cas d'acceptation de son offre, le classement du bien au titre du troisième alinéa de l'article 16 de la loi du 31 décembre 1913 précitée et à le rendre accessible au public. Les offres faites en application du présent alinéa peuvent retarder la délivrance du certificat pour leur durée de validité, qui ne peut être inférieure à un an et supérieure à deux ans.
ARTICLE ADDITIONNEL APRES L'ARTICLE 5
Rédiger comme suit le II de l'article 1716 bis du code général des impôts :
" II.- L'agrément mentionné au I est de droit pour les biens classés en application du troisième alinéa de l'article 16 de la loi modifiée du 31 décembre 1913 n'ayant donné lieu à aucune mutation postérieurement à leur classement, à la condition que la valeur libératoire proposée soit égale au prix d'expertise proposé ou non refusé par l'État dans le cadre de la procédure d'acquisition prévue à l'article 9-1 de la loi n°92-1477 du 31 décembre 1992. "
ANNEXES
1. Rappel statistique sur le contrôle à l'exportation avant 1992
2. Liste des refus de certificat au titre de la loi de 1992
Désignation de l'oeuvre |
Date de refus |
Observations |
Jean-Baptiste GREUZE, Autoportrait, huile sur bois, fin du XVIIIème siècle |
15 juin 1993 |
Acquis en 1994 pour musée de Tournus avec le concours du fonds du Patrimoine |
Traités d'Archimède, manuscrit byzantin, palimpseste sur parchemin, Xème-XIIIème siècle |
15 juillet 1993 |
Certificat accordé par la DLL le 15 novembre 1996 |
Louis DENIS, Clavecin, XVIIème siècle |
27 juillet 1993 |
Acquis en 1994 pour le musée de la Musique, Paris, avec le concours du Fonds du Patrimoine |
Pierre-Paul RUBENS, La décollation de Saint Jean-Baptiste, huile sur panneau, XVIIème siècle |
27 juillet 1993 |
Certificat accordé par la DMF (n° 10908 du 9 août 1996 |
Nicolas POUSSIN, L'Agonie au Jardin des Oliviers, huile sur cuivre, XVIIème siècle |
27 juillet 1993 |
Certificat accordé par la DMF (n° 10.909 du 9 août 1996) |
Jean-Etienne LIOTARD, Portrait de Monsieur Levett et de Mlle Glavani assis sur un divan, huile sur carton, XVIIIème siècle |
27 juillet 1993 |
Acquis en 1995 pour le musée du Louvre avec le concours du Fonds du Patrimoine |
Psautier manuscrit illustré, Atelier de Noyon, manuscrit sur vélin, XIIème siècle |
8 novembre 1992 |
Instance de classement prononcée en novembre 1996 et non suivie de classement. Certificat accordé par la DLL le 29-5-1997 |
Mobilier de salon de Mme Récamier, 1798 |
3 décembre 1993 |
Acquis en 1994 par M. Victor Pastor pour le Louvre |
Pierre BONNARD, Le voyage, huile sur toile, 1906 |
2 février 1994 |
Sortie temporaire pour exposition. Acquis en 1996 pour le musée d'Orsay avec le concours du Fonds du Patrimoine |
Pierre BONNARD, Le plaisir, huile sur toile, 1906 |
2 février 1994 |
Sortie temporaire pour exposition. Certificat accordé par la DMF (n° 15528 du 2-6-1997) |
Maurice de VLAMINCK, La danseuse du Rat Mort, huile sur toile, 1904 |
18 avril 1994 |
Certificat accordé par la DMF (n° 15393 du 30-5-1997) |
Edgar DEGAS, Ludovic Halévy parlant à Mme Cardinal, monotype à l'encre noire sur papier, 1877-1878 |
17 juin 1994 |
Acquis en janvier 1996 pour la Bibliothèque nationale de France |
Georges ROUAULT, Nu pour composition (Baigneuses), aquarelle gouaché, 1907 |
28 novembre 1994 |
Acquis en 1997 pour le musée d'art moderne de Villeneuve d'Ascq avec le concours du Fonds du Patrimoine |
James TISSOT, Le cercle de la rue Royale, huile sur toile, 1868 |
26 janvier 1995 |
Mise en instance de classement le 30 mars 1998. Classement parmi les monuments historiques par décret du 3-9-1998 |
Igor STRAVINSKY, Les Noces, manuscrit autographe |
9 mai 1995 |
Acquis en juillet 1997 pour la Bibliothèque nationale de France |
Claude MONET, Marine, huile sur toile, 1873 |
26 juin 1995 |
Certificat accordé par la DMF (n° 20681 du 30-7-1998) |
Attr. À Louis-Simon BOIZOT, Buste de Marie-Antoinette, marbre, XVIIIème siècle |
13 juillet 1995 |
Acquis en 1995 pour le musée national du Château de Versailles au moyen d'une préemption en vente publique |
Torsade à tampons en or, Europe préceltique, Irlande |
13 juillet 1995 |
Acquis en 1995 pour le musée départemental breton de Quimper avec le concours de l'Etat (FRAM) |
Pablo PICASSO, Verre, bouteille de vin, paquet de tabac, journal, collage, gouache et fusain sur papier, 1914 |
23 août 1995 |
Acquis en 1997 pour le musée Picasso avec le concours du Fonds du Patrimoine et du mécénat |
Psautier-livre d'heures, Metz, début du XIVème siècle |
28 septembre 1995 |
Acquis le 15-5-1996 pour la Bibliothèque municipale de Metz avec le concours de l'Etat, de la ville de Metz, du département de la Moselle et de la région Lorraine |
Ensemble de meubles de J.H. RIESENER et d'A-L BELLANGE : commode, secrétaire à abattant et deux encoignures |
28 septembre 1995 |
Certificat accordé par la DMF (n° 27444) |
Edouard MANET, Le Bouquet de violettes, huile sur toile, 1872 |
21 février 1996 |
Acquis en 1998 pour le musée d'Orsay avec le concours du Fonds du Patrimoine et du mécénat |
Pierre Auguste RENOIR, Berthe Morisot et sa fille, huile sur toile, 1894 |
21 février 1996 |
Certificat accordé par la DMF (n° 23122 du 21/02/1999) |
Antoine de SAINT-EXUPERY, Vol de nuit, manuscrit autographe, 1930 |
3 juillet 1996 |
Donné en juillet 1998 par la propriétaire à la Bibliothèque Nationale de France |
Edgar DEGAS, La duchesse de Montejasi et ses filles Elena et Camilla, huile sur toile, 1900-1906 |
4 septembre 1996 |
Certificat accordé par la DMF (n°27476 du 1-12-1999) |
Paul CEZANNE, Le jardinier Vallier, huile sur toile, 1900-1906 |
4 septembre 1996 |
Certificat accordé par la DMF (n° 27807 du 11-01-2000) |
Jacques-Louis DAVID, Portrait de Mlle Juliette de Villeneuve, huile sur toile, 1824 |
30 octobre 1996 |
Acquis en 1997 pour le musée du Louvre avec le concours du fonds du Patrimoine et la Société des Amis du Louvre |
Martin CARLIN, Coffret à bijoux de la Reine Marie- Antoinette, vers 1770 |
30 octobre 1996 |
Acquis en 1997 pour le musée national du château de Versailles avec le concours du Fonds du Patrimoine et de divers mécènes |
André GROULT, Meuble d'appui-chiffonnier, bois, galuchat et ivoire, 1925 |
28 février 1997 |
Acquis en 1998 pour l'UCAD avec le concours du Fonds du Patrimoine et d'un mécénat privé |
3. L'exode invisible : le cri d'alarme d'un conservateur
Un éditorial non signé de la Revue de l'art (n°121, 1998-3) attire l'attention sur un aspect méconnu de l'appauvrissement du patrimoine national :
" Les deux ventes de tableaux anciens de New York du mois de janvier, chez Christie's (29 janvier 1998) et chez Sotheby's (30 janvier), ont fait sensation. Les prix atteints ont confirmé la vigueur du marché. On a pu lire que de nombreux acquéreurs estimaient que les tableaux anciens demeuraient bon marché, à qualité égale (l'expression mériterait un commentaire), par comparaison avec la peinture postérieure à 1800, à plus forte raison avec les Impressionnistes. D'où provenaient ces tableaux ?
Christie's, n° 118 : une Nature morte de Juan van der Hamen y Leon (1596-1631), se vendit pour 662 500 dollars (environ 4 millions de francs). Le 16 juin 1997, à Lille, le même tableau avait été adjugé pour 600 000 francs (hors catalogue dans cette vente).
Sotheby's, n° 43 : L'archange saint Michel était vendu sous le nom de Carlo Dolci (1616-1686) pour 354 500 dollars (environ 2 200 000 francs). A Drouot, le 30 mai 1997, mais sous une attribution à Cesare Dandini (n° 5 du catalogue reproduit), le tableau avait été adjugé au prix de 240 000 francs. Le catalogue de New York précisait que le tableau provenait de France.
Sotheby's, n° 54 : un Joueur de luth chantant de Hendrick Ter Brugghen (1588-1629) se vendit pour 321 500 dollars (2 millions de francs environ). Le commissaire-priseur en avait obtenu à Rouen, moins d'un an auparavant, le 9 février, 810 000 francs (n° 51, reproduit en couleurs).
Autre cas bien plus modeste, mais exemplaire. Il s'agit, cette fois-ci, d'un dessin : vendue chez Christie's le 30 janvier 1998 (n° 59, reproduit) comme de Turchi (1578-1649) pour 6 900 dollars, cette Vierge à l'Enfant accompagnée d'une sainte avait été adjugée à Drouot, le 14-16 mars 1994 (n° 298, reproduit au catalogue), pour 3 800 francs.
Dernier exemple, particulièrement frappant : Sotheby's, n° 137, Rubens : la Tête de saint Jean-Baptiste présentée à Salomé . Ce chef-d'oeuvre de la jeunesse du grand maître flamand se vendit pour 5 500 000 dollars (environ 33 millions de francs). En vente publique à Fontainebleau le 14 juin 1987, le même tableau avait été adjugé pour 1 558 000 francs avec les frais.
Et pour faire bonne mesure, interrogeons-nous sur le prix que le musée de Kansas City aux Etats-Unis a pu offrir pour un Saint Jérôme du rare Tanzio da Varallo (1575/80-vers 1635 ; l'artiste semble absent des collections publiques françaises). L'oeuvre, reproduite au catalogue (n° 20) s'était vendue à Drouot le 11 décembre 1996 pour 1 100 000 francs (hors frais) comme " Ecole flamande du XVII e siècle ".
Il serait fastidieux de multiplier les exemples. Contentons-nous de quelques remarques, brutales dans leur sécheresse.
Ces cas sont contrôlables. Nous ignorerons toujours le nombre exact de tableaux des ventes de Sotheby's et de Christie's qui provenaient de France, qu'ils aient été exportés légalement ou frauduleusement, qu'ils soient passés en vente publique ou qu'ils proviennent du commerce, de foires de toutes natures ou de collections particulières. D'après les rumeurs du commerce parisien, ce serait près de la moitié des 550 lots des deux ventes de New York qui auraient une provenance française récente.
Nous avons insisté sur les ventes publiques car elles étaient " vérifiables ". Mal attribués, mal catalogués (ou non catalogués), vendus sans publicité, ces tableaux se sont, en France, mal vendus. Au détriment de leurs propriétaires. Comment, dès lors, s'étonner, que ceux-ci se tournent, de plus en plus nombreux, vers les salles de ventes anglaises ?"
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 25 janvier 2000 sous la présidence de M. Alain Lambert, président, la commission a examiné, sur le rapport de M. Yann Gaillard, rapporteur pour avis, la proposition de loi n° 444 (1998-1999) relative à la protection des trésors nationaux et modifiant la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 relative aux produits soumis à certaines restrictions de circulation et à la complémentarité entre les services de police, de gendarmerie et de douane.
M. Yann Gaillard, rapporteur pour avis, a, au préalable, indiqué que, s'il avait pris l'initiative de demander à la commission de se saisir pour avis, c'était moins parce que celle-ci avait été saisie au fond de la loi du 31 décembre 1992 que la proposition de loi tend à modifier, que parce que l'important travail qu'il avait accompli sur le marché de l'art en France avait précisément mis l'accent sur les difficultés que rencontre notre pays pour protéger son patrimoine dans un marché ouvert.
Rappelant que la France enregistrait des " excédents " records en matière d'oeuvres d'art ces dernières années, d'un montant moyen de l'ordre de 2 milliards de francs par an, le rapporteur pour avis a souligné que la loi du 31 décembre 1992 avait fait preuve de graves lacunes. Au départ, l'oeuvre qualifiée de trésor national, pouvait, à l'issue de l'appel de trois ans après le refus du certificat lui tenant lieu " de passeport ", être, soit acquise, soit classée. Or, la jurisprudence résultant de l'affaire du " Jardin à Auvers " de Van Gogh a placé l'État dans le dilemme suivant : acheter le trésor national ou le laisser sortir. Compte tenu des efforts de maîtrise des dépenses publiques, le rapporteur pour avis a souligné un paradoxe : plus un trésor national est cher, plus il a des chances de quitter le territoire national.
Ensuite, M. Yann Gaillard a présenté les principales novations résultant de la proposition de loi déposée par M. Serge Lagauche et Mme Dinah Derycke : l'instauration d'une procédure d'acquisition à dires d'experts des biens ayant fait l'objet d'un refus de certificat et l'octroi de garanties supplémentaires pour l'État, les propriétaires et les tiers.
En ce qui concerne le premier point, le rapporteur pour avis a signalé que le nouveau régime permettrait à l'État d'acquérir l'oeuvre à un prix déterminé par une expertise contradictoire, sauf si le propriétaire n'accepte pas l'offre, auquel cas le refus de certificat est indéfiniment renouvelé.
Puis, il a détaillé les diverses améliorations ponctuelles que la proposition de loi envisage pour renforcer les garanties offertes aux différentes parties prenantes.
- l'administration devra ainsi être tenue informée de toute mutation portant sur un bien ayant fait l'objet d'un refus de certificat ;
- le propriétaire d'un bien n'ayant pas obtenu le certificat doit en informer un acquéreur éventuel, tout comme il doit porter à la connaissance de ce dernier les offres d'acquisition faites par l'État ;
- les biens importés à titre temporaire sont dispensés de certificat.
- la durée de validité du certificat, qui est de cinq ans actuellement, deviendrait valable sans limitation de durée pour les objets ayant plus de cent ans.
- Enfin, il est prévu que la proposition de la commission chargée de délivrer les certificats serait désormais composée paritairement de représentants de l'État et de personnalités qualifiées.
Puis, M. Yann Gaillard a exposé brièvement les principales améliorations que la commission des affaires culturelles, saisie au fond, s'est efforcée d'apporter au texte initial de la proposition de loi.
Ces modifications ont essentiellement pour objet de raccourcir et d'encadrer les délais de procédure dans l'intérêt des collectionneurs privés et de préserver la marge de manoeuvre de l'État.
Abordant enfin ses propres propositions, le rapporteur pour avis a souligné qu'elles tendaient à mieux associer les propriétaires privés à la défense du patrimoine national en accordant des avantages fiscaux à ceux qui feraient l'acquisition de trésors nationaux.
Il a alors exposé le principe des quatre amendements qu'il voulait soumettre à la commission. Ceux-ci ont pour objet : de prévoir :
- l'exonération partielle des droits de mutation à titre gratuit des objets mobiliers classés avec l'accord de leur propriétaire ;
- la possibilité pour l'État de présenter une offre émanant d'une personne privée dans le cadre de la nouvelle procédure d'acquisition à dires d'experts :
- l'articulation entre les lois de 1913 et de 1992, afin de prévoir que le classement d'un objet mobilier interdit d'exportation est de droit ;
- un agrément de droit au titre de la dation en paiement pour les oeuvres classées après un refus de certificat.
A l'issue de cet exposé, M.Yann Gaillard a, en réponse à une question de M. Philippe Marini, rapporteur général, précisé, notamment, qu'il n'existait pas en France de doctrine pour la détermination de la qualification de trésor national sur le modèle des critères dits loi Waverley applicables en Grande-Bretagne.
Passant à l'examen des articles, la commission a adopté, avant l'article 5, un article additionnel, modifiant l'article 793 du code général des impôts pour prévoir que les objets classés à la demande et avec le consentement de leur propriétaire, ne sont pris en compte au titre des droits de mutation à titre gratuit qu'à concurrence de la moitié de leur valeur. Un sous-amendement de M. Michel Charasse a été adopté à cet article.
La commission a adopté un deuxième article additionnel avant l'article 5 modifiant l'article 16 de la loi du 31 décembre 1913, pour prévoir que le classement d'un objet mobilier auquel est refusé le certificat de la loi du 31 décembre 1992, est de droit lorsqu'il est demandé par son propriétaire.
A l'article 5, la commission a adopté sur, proposition du rapporteur pour avis, un amendement permettant à l'État de présenter l'offre d'une personne privée qui s'engage à demander, en cas d'acceptation de son offre, le classement du bien et à le rendre accessible au public.
Enfin, la commission a adopté, sur proposition du rapporteur pour avis, un amendement à l'article 1716 bis du code général des impôts prévoyant que l'agrément est de droit au titre de la dation en paiement pour les biens ayant fait l'objet d'un certificat, dès lors que la valeur libératoire proposée est celle à laquelle sont parvenus les experts dans le cadre de la procédure de l'article 9-1 de la loi du 31 décembre 1992.
A l'issue de ce débat, au cours duquel sont notamment intervenus MM. Michel Charasse et Roland du Luart, la commission a donné un avis favorable à la proposition de loi sous réserve de l'adoption des amendements exposés ci-dessus.
* 1 l'État fut condamné à payer la somme de 422.187.693 francs (jugement du TGI Paris 22 mars 1994), indemnisation réduite à la somme de 145 millions de francs par arrêt de la Cour d'appel de Paris du 6 juillet 1994. La Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi formé contre cette décision, le ministère de la Culture a versé une indemnité de 147.920.657,54 francs.
* 2 M. Michel Moreigne souhaite attirer l'attention de M. le secrétaire d'État au budget sur le maintien en France des oeuvres d'art ou biens culturels d'un intérêt majeur pour le patrimoine national, et considérés comme trésors nationaux. En effet, le dispositif mis en place par la loi n° 92-1477 du 31 décembre 1992 nécessite la mobilisation de fonds publics exceptionnels. Si le ministère en charge de la culture peut refuser la délivrance d'un certificat d'exportation aux oeuvres précitées, ce refus ne peut s'exercer que dans la limite d'une durée de trois ans. Au terme de ce délai, l'obtention du certificat de sortie est de droit. L'État doit donc mobiliser des crédits importants s'il désire que les chefs-d'oeuvre en question demeurent sur le territoire, et entrent dans les collections publiques. La valeur des oeuvres majeures de notre patrimoine dont le refus de certificat d'exportation arrive à échéance en 1999 est estimée à plus de 500 millions de francs. Le ministère de la culture est dans l'impossibilité de mobiliser une telle somme. Ainsi, il lui demande si la puissance publique compte assurer le maintien en France de ces trésors artistiques et augmenter durablement le budget du ministère précité.
* 3 M. Neil Mac Gregor, directeur de la National Gallery de Londres pose à cet égard une question fondamentale : " Est-ce qu'on cherche principalement à protéger ou à enrichir le patrimoine ? Le choix anglais reconnaît que fort souvent, les oeuvres d'art qui se trouvent dans les collections privées sont du même type que celles que possèdent déjà les musées nationaux, pour la raison très évidente que ceux-ci ont été en grande mesure formés de celles-là. Si l'on veut que les collections publiques se dotent d'oeuvres jusqu'ici peu appréciées ou peu collectionnées par les amateurs dans notre pays, il faut réserver une partie des fonds disponibles pour acheter au-delà des frontières. C'est ce qu'a fait récemment The Heritage Lottery Fund, permettant à la Tate Gallery d'acheter à l'étranger un beau Mondrian, alors qu'il n'avait pas aidé un peu plus tôt à empêcher le départ d'un portrait britannique, beau, certes, mais infiniment moins rare dans les collections anglaises que Mondrian. C'est-à-dire que le but principal n'est pas de retenir ce qui se trouve, souvent par hasard, sur le sol national, mais de créer, avec le fonds de la loterie, les meilleures collections possibles pour les générations futures ".
* 4 Rapport de la commission d'études pour la défense et l'enrichissement du patrimoine national et le développement du marché de l'art présidée par M. Maurice Aicardi (juillet 1995)
* 5 En cas de carence dans la désignation des experts,, celle-ci est effectuée par l'autorité judiciaire à l'initiative de l'une ou l'autre des parties.