CHAPITRE III -
L'ESPACE ET LE RENSEIGNEMENT MILITAIRES
Le
rôle majeur de la maîtrise de l'information dans la gestion des
crises et la nécessité de disposer de capacités autonomes
viennent d'être illustrés lors du conflit au Kosovo, en
particulier en ce qui concerne le choix des cibles et l'évaluation des
dommages.
La France s'est distinguée des autres pays européens par sa
contribution significative au recueil du renseignement, grâce à
une panoplie diversifiée de moyens complémentaires, bien plus
importants que lors de la guerre du Golfe. Ces progrès ne sauraient
occulter le constat global de la forte disproportion entre ces capacités
et celles des Etats-Unis, ces derniers disposant, dans la maîtrise de
l'information, d'une incontestable suprématie qui conforte leur
rôle dominant dans la gestion des crises.
L'un des enseignements majeurs de ce conflit est bien la
nécessité pour notre pays de poursuivre cet effort dans les
domaines des systèmes d'information, de communication et de
renseignement, effort qu'il est également nécessaire d'inscrire
dans une volonté européenne plus large.
Votre rapporteur se limitera ici à l'analyse des moyens ne relevant pas
des trois armées, dans le domaine des programmes spatiaux et du
renseignement.
Si le budget 2000 confirme une certaine priorité reconnue au
renseignement, par une progression de ses moyens humains et financiers, il
s'avère extrêmement décevant sur les programmes spatiaux
pour lesquels l'absence actuelle de volonté politique européenne
conduit à remettre profondément en cause les objectifs de la loi
de programmation.
I. L'ESPACE MILITAIRE
Le
conflit du Kosovo a une nouvelle fois démontré l'importance des
équipements spatiaux militaires dans la conduite des crises.
Le recueil du renseignement repose sur une panoplie de moyens
complémentaires dans lesquels les moyens spatiaux d'observation jouent
un rôle déterminant, même si l'apport de l'observation
aérienne, de l'écoute électromagnétique et du
renseignement humain demeure indispensable. Ils ont largement
conditionné l'accès à l'information concernant le choix
des cibles et l'évaluation des dommages, s'avérant ainsi plus que
jamais indissociables de toute capacité de décision autonome.
Dans le domaine des télécommunications, les moyens spatiaux
jouent également un rôle primordial.
Le conflit a illustré le déséquilibre entre les
capacités américaines, couvrant une gamme étendue
d'équipements en nombre important, et celles des alliés
européens, essentiellement limitées aux équipement
français.
Plusieurs responsables politiques et militaires français ont
déclaré que ce déséquilibre avait
entraîné, chez nos partenaires européens, une prise de
conscience sur la nécessité de se doter de moyens propres. Mais
cette prise de conscience tarde à se manifester dans les faits, la
coopération spatiale militaire européenne semblant toujours
enlisée.
Dans ce contexte, le programme spatial militaire français doit se
trouver révisé à la baisse et le recul, cette année
encore, des dotations budgétaires consacrées à l'espace
semble consacrer l'abandon des ambitions affichées dans la loi de
programmation.
A. LA FAIBLESSE DES CAPACITÉS EUROPÉENNES
1. Une écrasante supériorité américaine
La
suprématie américaine dans le domaine spatial militaire repose
sur une large gamme d'équipements (satellites radars et optiques,
satellites d'écoute, satellites météo et système de
navigation GPS) et sur le nombre de chacun de ces types de matériel, ce
qui permet de multiplier les zones observées et d'assurer un
présence permanente sur les objectifs.
Les Etats-Unis disposent en effet de trois satellites d'observation optique
Keyhole et de deux satellites d'observation radar Lacrosse. Ils
possèdent également près d'une quinzaine de satellites
d'écoute électromagnétique et des constellations de
satellites de surveillance des océans.
Dans le domaine des télécommunications spatiales, ils
possèdent 16 satellites opérationnels, deux grands programmes
militaires étant en cours de réalisation : le programme UHF
Follow-on, qui à terme comportera 10 satellites, et le programme
Milstar, prévu pour 6 satellites.
Enfin, les Etats-Unis bénéficient avec le GPS d'un système
complet de navigation par satellite.
Compte tenu du coût important que représenterait le renouvellement
complet de cet ensemble de moyens constitué dans les années 1980,
la politique américaine s'oriente désormais davantage vers une
approche duale, en vue de conserver des moyens militaires spécifiques
pour les transmissions stratégiques ou le renseignement et de s'appuyer
sur des moyens civils dans les autres domaines. Le transfert à des
organismes civils de la gestion des satellites militaires de
météorologie, l'utilisation des systèmes de
télécommunications Iridium ou Globalstar et de l'imagerie
diffusée par les satellites civils d'observation vont dans ce sens. Au
cours de l'année 1999, le lancement de trois satellites commerciaux
optiques de haute résolution (de l'ordre d'un mètre) est
prévu.
2. L'échec des coopérations européennes
Parmi
les nations européennes, seule la France s'est engagée dans un
programme spatial militaire significatif.
Le
Royaume-Uni
s'est essentiellement consacré aux
télécommunications spatiales, avec le programme Skynet IV qui,
à terme, sera constitué de 6 satellites.
Les Britanniques se
sont toutefois retirés du programme Trimilsatcom,
qui devait
être conduit en coopération avec la France et l'Allemagne en vue
d'élaborer un système successeur, et s'oriente vers un programme
Skynet V.
L'
Allemagne
est pour sa part en discussion avec la France pour
participer à une coopération sur le système de
télécommunications
Syracuse III
. Elle ne
s'associerait cependant que dans la deuxième phase du programme pour le
lancement du deuxième satellite en 2006, le débat
budgétaire en cours prévoyant de surcroît de retarder la
décision définitive. Par ailleurs, les intentions allemandes de
participer aux programmes de satellites d'observation qui s'étaient
manifestées, en décembre 1995, lors du sommet franco-allemand de
Baden Baden, n'ont pas été suivies d'effets,
l'Allemagne ayant
renoncé à participer au programme Hélios II et, surtout,
à s'engager dans le programme d'observation radar Horus
, dont elle
devait assurer la majorité du financement.
L'Italie et l'Espagne
avaient participé, à hauteur
respectivement de 14 % et 7 % au programme du satellite d'observation
optique Hélios I, mais
l'Espagne n'a pas voulu s'engager dans
Hélios II
, préférant lancer son propre programme
national Ishtar de petit satellite d'observation optique. Quant à
l'Italie, une loi-cadre votée par le Parlement envisage un projet dual
Cosmo-Skymed (4 satellites radar et 3 satellites optiques), en cours
d'étude par l'agence spatiale italienne et Alenia Spazio, qui,
initialement dédié à la télédétection
civile, pourrait aussi faire l'objet d'une application militaire.
C'est donc désormais vers l'Italie que se situe, pour la France, la
seule perspective concrète de coopération sur les programmes
spatiaux militaires d'observation. Encore s'agit-il d'une perspective
limitée puisque la vocation du projet italien est essentiellement civile.
On aurait pu penser que les enseignements et la crise du Kosovo, au cours de
laquelle la France a pu faire valoir sa capacité à disposer,
grâce à Hélios, d'une certaine marge d'appréciation,
conduiraient nos partenaires européens à prendre conscience de la
nécessité de se doter de moyens propres, afin de ne pas
rééditer une situation dans laquelle la supériorité
des moyens américains d'acquisition d'images conduirait à donner
un rôle prépondérant aux Etats-Unis dans le choix des
objectifs et l'évaluation des dommages. Il semblerait que cette prise de
conscience soit encore loin d'être généralisée,
puisqu'elle ne se manifeste par aucune avancée concrète de la
coopération européenne.