3. Un mécanisme facteur de lourdes inégalités
a) Au détriment de la protection sociale complémentaire en général
(1) L'inégal traitement entre la CNAMTS et les organismes de protection complémentaire
Les deux
principales inégalités entre la CNAMTS et les organismes
complémentaires portent sur la prolongation de la couverture
complémentaire pendant un an et sur les différences de
modalités de remboursement de la prise en charge des
bénéficiaires du volet complémentaire du projet de loi.
La prolongation des droits pendant un an est obligatoire si le
bénéficiaire qui s'est adressé à un organisme
complémentaire en fait la demande, alors qu'elle est impossible pour
celui qui se sera adressé à la caisse primaire d'assurance
maladie. Ainsi, les acteurs privés accueillant des
bénéficiaires de la couverture maladie universelle
supporteront-ils des charges que la CNAMTS n'aura pas pour ses propres
bénéficiaires.
La justification de cette inégalité réside probablement
dans le fait que les organismes complémentaires pourront ensuite
conserver ces bénéficiaires comme clients, alors que la CNAMTS ne
le pourra pas puisqu'elle n'assurer pas de prestations complémentaires.
Mais ce raisonnement conduit à un double paradoxe :
• Il y aura
de facto
un partage des rôles entre la CNAMTS et
les acteurs privés. Mais alors les plus démunis, qui iront
à la CNAMTS, ne pourront pas bénéficier d'un tarif
avantageux s'ils sortent de la couverture maladie universelle et seront donc
défavorisé par rapport à ceux, moins démunis, qui
se seront adressés à un acteur privé ; ceux qui
auraient eu le plus besoin d'un accompagnement supporteront donc plus durement
l'effet de seuil ; le paradoxe engendre l'inégalité ;
• Le Gouvernement affirme que la prolongation entre dans le cadre de la
couverture maladie universelle et, pourtant, la sépare de son aspect
complémentaire en indiquant qu'il ne s'agit plus de la même
activité mais de quelque chose relevant de l'assurance ; en ce cas,
l'aspect complémentaire du texte relève, lui, de la
sécurité sociale et fait intervenir à tort les organismes
complémentaires privés ; le paradoxe engendre
l'incohérence.
La seconde source d'inégalités entre la CNAMTS et les acteurs
privés se trouve dans les modalités de la compensation des
dépenses engagées par chacun au titre de la couverture
complémentaire. Pour l'une, CNAMTS, ces dépenses sont
intégralement remboursées. Pour les autres, acteurs
privés, les mêmes dépenses sont remboursées à
hauteur de 1.500 F. Or, dans les deux cas, l'activité est la même
puisque le Gouvernement refuse la répartition des publics entre les deux
organismes. Avec ce mécanisme différencié, il
reconnaît lui-même qu'une sélection se fera ; ou bien
il reconnaît lui-même que le forfait de 1.500 F correspond à
une estimation erronée de la réalité (si elle était
juste et il n'y aurait pas de raison que le remboursement se fasse de
manière différente dans un cas ou dans l'autre).
Ce mécanisme génère enfin un effet pervers
important : la CNAMTS n'a aucune incitation à rechercher une
limitation de ses dépenses au titre de la couverture
complémentaire.
Enfin, le projet de loi dans son article 20 organise la liquidation des droits
auprès d'un interlocuteur unique, la caisse primaire d'assurance
maladie. Ceci va contraindre les organismes de protection complémentaire
à mettre en place un échange d'informations avec un protocole
coûteux, Noemie 3 aux caractéristiques fixées par le
régime général de façon unilatérale.
(2) Les inégalités de couverture
Le
projet de loi risque de susciter de lourdes inégalités de
traitement, au sein des entreprises et au sein de l'ensemble des
Français.
La couverture maladie universelle pourra s'adresser à des
salariés ayant une faible rémunération (salariés
à temps partiel ou bien salariés payés au SMIC et ayant
charge de famille). Cependant, dans les entreprises n'ayant pas de
complémentaire santé à titre collectif, ils pourraient
travailler avec d'autres salariés soit sans aucune couverture
complémentaire santé individuelle, soit versant des cotisations
élevées à ce titre pour des prestations inférieures
à celles obtenues dans le cadre de la couverture maladie universelle.
A l'inverse, dans les entreprises couvertes par un accord collectif de
prévoyance santé, les salariés bénéficiaires
de la couverture maladie universelle pourraient bénéficier de la
couverture d'entreprise à titre différentiel tandis que ceux
n'ayant que cette dernière seraient moins bien couverts.
Enfin, la couverture maladie universelle offrira une protection complète
et gratuite en dessous d'un certain seuil de revenus alors que pour un
très faible différentiel de revenus l'effort facultatif et
individuel aura un coût très important pour des prestations en
retrait.
b) Au détriment des assurances en particulier
(1) La double imposition certaine avec l'impôt sur les sociétés
Les
sommes versées par le fonds de financement de la protection
complémentaire de la couverture maladie universelle aux acteurs
privés ayant décidé de participer restent soumises
à l'impôt sur les sociétés dans la rédaction
du projet de loi telle qu'elle résulte des débats à
l'Assemblée nationale.
Votre commission des finances estime que cette double imposition serait
infondée et augmenterait les distorsions de concurrence
déjà élevées entre la caisse nationale d'assurance
maladie et les organismes de protection complémentaire, mais aussi entre
ceux d'entre eux qui sont soumis à l'impôt sur les
sociétés et ceux qui ne le sont pas.
Elle vous proposera donc d'exclure explicitement les sommes versées par
le fonds du champ de l'impôt sur les sociétés. Ceci
constitue un argument supplémentaire pour la déconnexion
comptable entre le prélèvement obligatoire et l'allocation
reçue pour compenser pour compenser une partie des charges
occasionnées par la participation à la couverture maladie
universelle.
(2) La double imposition probable avec la taxe de 7 % sur les contrats d'assurance
Par ailleurs, les sociétés d'assurance seront conduites, comme les mutuelles, à répercuter la charge du nouveau prélèvement obligatoire sur leurs primes d'assurance. Cependant, toute augmentation des primes reste soumise à la taxe de 7% sur les contrats d'assurance qui constitue une distorsion de concurrence entre les mutuelles et les entreprises relevant du code des assurances.
Prélèvements fiscaux sur les contrats de complémentaire santé
|
Entreprises relevant du code des assurances |
Institutions de prévoyance |
Mutuelles du code de la mutualité |
Taxe d'assurance |
7 % |
0 |
0 |
Contribution C.M.U (projet) |
1,75 % |
1,75 % |
1,75 % |
Pour réduire cette distorsion de concurrence, votre commission des finances estime nécessaire de prévoir un dispositif de crédit d'impôt assorti d'une clause de sauvegarde préservant l'avenir en cas d'augmentation du taux de la contribution de 1,75 %.
(3) Une mise en oeuvre pratique délicate
L'article 20 du projet de loi adopté par
l'Assemblée
nationale introduit un article L. 861-7 dans le code de la
sécurité sociale prévoyant les modalité pratiques
de mise en place de la liste proposée aux futurs
bénéficiaires de la couverture maladie universelle. Les
organismes désireux de participer établiront une
déclaration. Puis l'autorité administrative - ce qui laisse
entendre que la déclaration sera déposée auprès des
directions départementales des affaires sanitaires et sociales -
établira et diffusera la liste de organismes participants. Sur cette
liste figureront également les coordonnées des associations,
services sociaux et organismes à but non lucratif et
établissements de santé concernés.
La mise en oeuvre de cet article paraît cependant se heurter à des
obstacles pratiques importants. D'abord, les préfets devront-ils faire
le recensement préalable de tous les distributeurs possibles pour leur
soumettre le formulaire de participation au dispositif ou bien se
contenteront-ils de recueillir ceux qui leur parviendront ? Ensuite, le
texte ne prévoit pas quels documents les organismes
complémentaires pourront proposer en même temps que leurs
coordonnées pour présenter leurs produits aux futurs
bénéficiaires de la couverture maladie universelle. Enfin, se
pose un problème juridique pour les courtiers. Le texte du projet de loi
les en exclue : en effet, ce sont les organismes qui décident de
participer ou non. Or les courtiers ne sont pas un organisme mais proposent des
produits de plusieurs organismes dont aucun ne pourra les désigner en
tant que tel. Cependant, les exclure revient à exclure de la mise en
oeuvre de la couverture maladie universelle les principaux acteurs de
l'assurance. La lecture partenariale trouve ici des limites juridiques.
c) Au détriment de l'ensemble du secteur de la prévoyance par incidente
(1) Une volonté affichée de développer la prévoyance...
L'Assemblée nationale a adopté deux amendements
insérant deux articles additionnels, articles 20
bis
et 20
ter
, pour étendre les obligations de négociation
d'entreprise en matière de prévoyance santé. Ainsi, le
projet de loi prévoit l'obligation d'une négociation annuelle
dans chaque entreprise sur le thème de la prévoyance maladie, si
les salariés ne sont pas déjà couverts par un accord de
branche ou un accord d'entreprise. Parallèlement, les
" modalités d'accès à un régime de
prévoyance maladie "
sont ajoutées aux conditions mises
par l'article L. 133-5 du code du travail pour l'extension d'une convention de
branche au niveau national.
Cette volonté d'extension de la prévoyance maladie rejoint le
juste souci d'assurer une protection générale en étendant
la couverture complémentaire. Cependant, s'agissant d'une
négociation paritaire et partenariale et d'un domaine où la
liberté a toujours été la règle, votre commission
pense que les obligations intégrées à ces articles ne
constituent pas une réponse adaptée.
Ce projet de loi bouleverse certes les rapports entre protection
complémentaire et protection de base en rendant la première
obligatoire. Il ne s'agirait cependant pas d'étendre ce principe comme
le font ces deux articles additionnels car cela reviendrait à
intégrer progressivement la souscription facultative et volontaire
à une assurance complémentaire dans le champ de l'assurance de
base. Votre commission des finances se prononce donc contre les contraintes
formulées dans ces deux articles additionnels et préfère
une suppression progressive des obstacles fiscaux pesant sur la
prévoyance maladie.
(2) ... alors que continue à peser sur elle de lourds prélèvements
Inspirée du souci de favoriser la souscription de
contrats
d'effort individuel et collectif en matière de prévoyance
maladie, plutôt que d'imposer une nouvelle contrainte, votre commission
des finances constate que de nombreux prélèvements obligatoires
découragent aujourd'hui ne partie la souscription de tels contrats. Il
convient d'ailleurs de noter que la contribution de 1,75 % introduite par ce
projet de loi les augmente.
Prélèvements obligatoires opérés sur l'assurance
maladie complémentaire
(Frais de santé) 10( * )
|
Couverture collective |
|||||
PRELEVEMENTS FISCAUX |
Part patronale 11( * ) |
Part salariale 12( * ) |
||||
|
Entreprises relevant du code des assurances |
Institutions de prévoyance |
Mutuelles du code de la mutualité |
Entreprises relevant du code des assurances |
Institutions de prévoyance |
Mutuelles du code de la mutualité |
Taxe d'assurance |
7 % |
0 |
0 |
7 % |
0 |
0 |
Taxe sur la prévoyance |
8 % |
8 % |
8 % |
|
|
|
C.S.G |
7,5 % |
7,5 % |
7,5 % |
|
|
|
C.R.D.S |
0,5 % |
0,5 % |
0,5 % |
|
|
|
Contribution C.M.U (projet) |
1,75 % |
1,75 % |
1,75 % |
1,75 % |
1,75 % |
1,75 % |
PRELEVEMENTS SOCIAUX |
La part des contributions " employeur " de prévoyance complémentaire qui excède 19 % de 85 % du plafond de la Sécurité Sociale est soumise aux cotisations sociales |
|
Ainsi
donc, votre commission des finances s'interroge sur l'opportunité de
réduire le poids de ces prélèvements fiscaux et sociaux
sur les contrats collectifs pour inciter les entreprises et les salariés
à augmenter leur effort.
L'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996 a créé la taxe de 6
% sur les contrats de prévoyance, dont le taux a été
élevé à 8 % par la loi de financement de la
sécurité sociale pour 1998. Votre commission des finances vous
avait lors de l'examen de ce texte proposé la suppression de cette taxe
dont elle avait démontré qu'elle avait une
régularité juridique douteuse (un arrêt du Conseil d'Etat
du 12 juin 1998 est d'ailleurs venu confirmer ces observations) et une
justification économique absurde.
Les problèmes juridiques concernant l'assiette de cette taxe ont
été réglés depuis lors. La taxe sur contrats de
prévoyance est due par les employeurs depuis le 1
er
janvier
1996 sur les contributions versées par eux-mêmes ou par les
comités d'entreprise pour le financement de prestations
complémentaires de prévoyance. Son assiette recouvre l'ensemble
des cotisations versées à un organisme tiers pour financer des
prestations de prévoyance complétant celles servies par les
régimes de base de sécurité sociale au
bénéfice des seuls salariés actifs et de leurs
ayants-droit. Sont exclues les cotisations pour garantir l'obligation de
maintien de salaire en cas de maladie et les contributions des organismes
assureurs pour provisions. En sont exonérées les entreprises
n'occupant pas plus de 9 salariés.
Cependant, cette taxe garde son fondement théorique contestable. En
effet, elle introduit une inégalité de traitement entre le
salariés des entreprises ayant mis en place une prévoyance
complémentaire et ceux des entreprises ne l'ayant pas fait. La taxation
des entreprises les plus prévoyantes apparaît absurde et les
conduit à ne plus mettre en place de prévoyance ou à
réduire les prestations. Il est d'autant plus urgent de revenir sur ce
dispositif que se déroulent déjà les négociations
pour le renouvellement des contrats souscrits avant la loi du 8 août 1994
qui a introduit l'obligation de réexamen quinquennal.
De plus, ce projet de loi entend favoriser la protection complémentaire
et les efforts individuels de couverture. Votre commission des finances estime
donc une nouvelle fois souhaitable la suppression de cette taxe sur les
contrats prévoyance.
Cependant, elle reconnaît que le montant de cette taxe
(2,350 milliards de francs prévus en 1999, affectés au Fonds
de solidarité vieillesse) peut difficilement être compensé
par l'Etat dans le contexte budgétaire actuel.
Tout en réaffirmant son hostilité de principe aux recettes de
poche dont relève cette taxe, votre commission des finances vous propose
donc d'en extraire de son assiette toutes les cotisations concernant la
santé et de compenser la perte de recettes ainsi
générée par une augmentation à due concurrence des
droits sur les tabacs.