PREMIÈRE PARTIE -
LA RÉFORME DE LA JUSTICE
MILITAIRE
I. UNE TENDANCE HISTORIQUE À L'ATTÉNUATION DES SPÉCIFICITÉS DU DROIT PÉNAL MILITAIRE PAR RAPPORT AU DROIT COMMUN
L'histoire de la justice militaire est caractérisée par une tendance régulière, souhaitée depuis la Révolution, au rapprochement entre le droit pénal militaire et le droit commun, cette tendance paraissant parfois en contradiction avec le souci de garantir la discipline militaire et de protéger les spécificités du métier des armes par un régime dérogatoire, en temps de paix comme en temps de guerre.
A. RAPPEL HISTORIQUE : UNE LENTE ADAPTATION DE LA JUSTICE MILITAIRE AU DROIT PÉNAL GÉNÉRAL
1. Un débat ancien sur le principe d'une justice militaire spécifique
De
manière générale, l'instauration d'une justice militaire
spécifique remonte à la
mise en place d'armées
permanentes
, dès le XIVè siècle.
.
A la
fin de l'Ancien Régime
1(
*
)
, la justice militaire relevait de trois
tribunaux distincts :
- le
tribunal de la connétablie
était compétent
pour juger des infractions militaires, des infractions de droit commun commises
par les militaires, des différends civils des militaires, et des actions
intentées par des civils contre des militaires ;
- les
prévôts
jugeaient les " excès,
oppressions et autres crimes " commis par les militaires ;
- les
conseils de guerre
, composés d'officiers du régiment
auquel appartenait l'accusé, connaissaient des manquements à la
discipline et des infractions commises par des militaires aux dépens
d'autres militaires.
Les rigueurs, voire l'arbitraire de la justice militaire (l'accusé
comparaissait sans défenseur, l'officier ne pouvait être traduit
devant le Conseil de guerre que sur ordre du roi, tandis que le soldat se
trouvait à la merci du chef qui décidait de le
déférer au Conseil de guerre et choisissait ses juges) se
traduisirent par la revendication, fréquemment exprimée par les
cahiers de doléance,
d'élaborer une "
loi unique
en matière pénale pour tout le royaume et tous les
citoyens
".
.
Les lois adoptées pendant la Révolution (22 octobre 1790
et 12 mai 1793) se caractérisent donc, non seulement par l'instauration
d'un
droit d'appel,
et par la création de
jurys
où
figuraient des soldats aux côtés des officiers, mais aussi par la
compétence reconnue aux
tribunaux ordinaires
pour les
infractions de droit commun
commises par les militaires. Les
cours
martiales
, qui succédèrent aux conseils de guerre de l'Ancien
Régime, ne devaient connaître, quant à elles, que des
infractions spécifiquement militaires. "
Les défenseurs
de la patrie ne doivent pas être soumis plus que les autres citoyens
à une forme de jugement oppressive et arbitraire "
: cette
citation de Robespierre illustre clairement la volonté des
révolutionnaires de promouvoir "
les principes de la justice et
de la raison
" dans le droit pénal militaire.
.
En 1792 cependant, les
tribunaux révolutionnaires
militaires
, dont l'organisation était inspirée de celle des
tribunaux révolutionnaires, prirent la place des cours martiales. Les
jurys
étaient composés de cinq militaires et de quatre
civils. Puis les
conseils militaires
, constitués exclusivement de
militaires, dénués de jurys et aux compétences très
étendues, se substituèrent dès 1794 aux tribunaux
révolutionnaires militaires.
Les abus commis par les conseils militaires furent tels que la volonté
de banaliser la justice militaire resurgit à l'époque du Premier
Empire, Napoléon estimant qu'"
on est citoyen français
avant d'être soldat
". Malgré ce souci de réforme,
l'Empire maintint cependant une justice militaire à l'organisation
très spécifique.