AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'examen du budget de l'outre-mer est, chaque année, l'occasion de mesurer la cohérence des orientations présentées par le Gouvernement avec les moyens mis en oeuvre pour leur réalisation.

A cet égard, le budget qui nous est soumis cette année témoigne d'une continuité évidente avec la loi de finances initiale pour 1998.

Continuité dans les moyens tout d'abord. Les crédits du secrétariat d'Etat à l'outre-mer pour 1999 augmentent fortement, passant de 5,23 à 5,59 milliards de francs en crédits de paiement et dépenses ordinaires, soit une croissance de 7 % après une croissance déjà soutenue de 7,3 % en 1998.

Continuité dans les objectifs également. L'emploi et le logement social restent les priorités du Gouvernement.

Le budget du secrétariat d'Etat continue en effet à se recentrer sur le développement économique et social de l'outre-mer. Les crédits correspondants représentent désormais 79 % de l'ensemble des crédits du département ministériel. Et ce sont les crédits relatifs à l'emploi et au logement social (crédits du Fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer et de la ligne budgétaire unique d'aide au logement dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte) qui augmentent le plus rapidement.

Au total, ces deux lignes budgétaires, abondées par la créance de proratisation du RMI, représentent 63 % des crédits contre seulement 58 % en 1998.

Votre rapporteur tient toutefois à rappeler que le budget du secrétariat d'Etat ne peut résumer à lui seul l'ensemble de l'effort budgétaire en faveur de l'outre-mer. Les dotations du secrétariat d'Etat ne représentent en effet qu'entre 10 et 11 % de l'ensemble des crédits budgétaires affectés à l'outre-mer. Ainsi, en matière sociale, les crédits du secrétariat d'Etat ne recouvrent que les dispositifs relatifs à la politique de l'emploi, à l'insertion et au logement social. Les dépenses relatives à la solidarité, à la politique de la ville et à l'action sanitaire restent inscrites au budget du ministère de l'emploi et de la solidarité.

Mais, la progression des crédits et leur réorientation ne peuvent assurer à elles seules la cohérence d'une politique. C'est en réalité à l'aune de l'impact prévisible du budget sur une situation sociale qui continue à se dégrader qu'il importe d'évaluer les crédits du secrétariat d'Etat à l'outre-mer.

Dans cette perspective, le présent budget apparaît beaucoup plus contrasté.

En effet, en dépit de l'augmentation des crédits, ce budget s'analyse avant tout comme un simple budget de reconduction. Il ne propose aucune mesure nouvelle forte en faveur de l'outre-mer alors même que la situation sociale y est suffisamment préoccupante pour rendre nécessaire une action rapide.

Certes, M. Jean-Jacques Queyranne, secrétaire d'Etat à l'outre-mer, a annoncé le 23 octobre dernier à l'Assemblée nationale que le Parlement aura à examiner en automne prochain un projet de loi d'orientation sur les départements d'outre-mer, qui devrait comporter un important volet social, touchant aussi bien la poursuite de la politique d'égalité sociale que l'adaptation de la politique de l'emploi.

Dans cette perspective, votre commission a souhaité insister dans le présent rapport sur les évolutions et les adaptations de la politique sociale envers l'outre-mer qu'elle juge souhaitables afin de prendre date pour la discussion du prochain projet de loi d'orientation.

Afin d'intégrer l'indispensable éclairage qu'apportent les acteurs locaux à ses conclusions, votre rapporteur a tenu à consulter l'ensemble de ses collègues d'outre-mer pour la préparation du présent rapport. Il tient ici à les remercier tout particulièrement pour leurs contributions.

I. LES DIFFICULTÉS DE LA POLITIQUE DE L'EMPLOI

Le chômage dont l'évolution reste très préoccupante constitue incontestablement le défi social majeur de toute politique de l'outre-mer.

A cet égard, même si l'actuel gouvernement a maintenu les instruments de la politique de l'emploi mis en place par ses prédécesseurs, le recentrage de cette politique sur les emplois-jeunes ne permettra pas d'apporter une réponse durable à la question du chômage. Dans ces conditions, une réforme de la politique de l'emploi outre-mer est plus que jamais nécessaire.

A. LA SITUATION DE L'EMPLOI CONTINUE DE SE DÉGRADER

1. La progression continue du chômage

Les départements d'outre-mer (DOM)

Alors que le nombre de demandeurs d'emploi diminue depuis un an en métropole (- 4,1 %), il continue à croître dans les DOM (+ 2,2 %). Le nombre de demandeurs d'emploi inscrits à l'ANPE est ainsi passé de 209.230 à 213.768 entre août 1997 et août 1998. Cette progression a été particulièrement forte en Guyane (+ 6,1 %) et à la Martinique (+ 4,9 %).

Le tableau suivant retrace cette évolution :

 

Demandeurs d'emploi en fin de mois (1)

Evolution
sur 12 mois
(en %)

Indicateur de chômage (2)

Guadeloupe

51.364

+ 0,3 %

28,8 %

Martinique

48.730

+ 4,9 %

26,6 %

Guyane

13.510

+ 6,1 %

23,0 %

Réunion

100.164

+ 1,6 %

37,3 %

Total DOM

213.768

+ 2,2 %

31,6 %

Source : ANPE

(1) Chiffres au 31 août 1998

(2) Taux de chômage estimé en se fondant sur la population active au 31/03/97

Le taux de chômage moyen dans les DOM atteint donc 31,6 % et est près de trois fois supérieur à celui de métropole.

Si le chômage est plus élevé dans les DOM qu'en métropole, il est également d'une autre nature. Le chômage dans les DOM accentue en effet fortement les caractéristiques les plus défavorables du chômage français :

- le chômage touche particulièrement les jeunes . On estime que le taux de chômage des jeunes, au sens du BIT, avoisine les 55 % dans les DOM contre 22,5 % en métropole en août 1998.

Taux de chômage des jeunes, au sens BIT

 

1993

1995

1996

1997

Guadeloupe

48,0

49,7

54,1

54,4

Guyane

42,9

41,7

36,5

51,2

Martinique

49,4

55,4

52,4

63,1

Réunion

52,7

53,1

nd

nd

Source INSEE (enquêtes emploi)

- le chômage dure plus longtemps dans les DOM qu'en métropole. En août 1998, 51 % des demandeurs d'emploi des DOM étaient au chômage depuis plus d'un an contre seulement 39,3 % en métropole. Plus inquiétant encore, la proportion de chômeurs de longue durée tend à s'accroître du fait d'un allongement de la durée moyenne de chômage. Ainsi, en Guadeloupe, la durée moyenne d'inscription à l'ANPE est passée de 485 jours en 1993 à 577 jours en 1997 (contre 418 jours en métropole).

Proportion de chômeurs de longue durée

(en %)

 

1994

1995

1996

1997

Guadeloupe

49,4

51,9

48,9

49,5

Guyane

39,0

38,3

35,4

40,3

Martinique

45,9

49,9

54,4

55,5

Réunion

44,4

44,1

40,3

45,0

Chiffres au 31 août 1998

- le chômage est moins bien indemnisé outre-mer , ce qui contribue à fragiliser plus encore la situation financière des demandeurs d'emploi en les condamnant aux minima sociaux. Ainsi, seuls 38,9 % des demandeurs d'emploi des DOM étaient indemnisés au titre de l'assurance chômage en août dernier.

Cela étant, ces chiffres ne permettent de saisir qu'imparfaitement la réalité du chômage outre-mer. Ils sont en effet affectés par deux biais , l'un tendant à surestimer le taux de chômage réel et l'autre à le sous-estimer.

D'une part, l'importance du travail informel reste conséquente dans les DOM. Une étude de l'INSEE des Antilles-Guyane de septembre 1998 avance par exemple que 30 % des allocataires du RMI exerceraient un travail informel.

D'autre part, le nombre de demandeurs d'emplois inscrits à l'ANPE ne permet pas de comptabiliser tous les chômeurs . Il semble en effet que le nombre de " chômeurs découragés " soit plus important outre-mer qu'en métropole. Cela tiendrait à la conjonction de deux phénomènes : la pénurie des offres d'emplois proposées par le service public de l'emploi et la faible indemnisation du chômage.

Les territoires et collectivités territoriales d'outre-mer

Nouvelle-Calédonie


Au 31 décembre 1997, la population totale de Nouvelle-Calédonie est estimée à 204.000 personnes contre 196.800 en avril 1996, date du dernier recensement.

La population active représentait 80.589 personnes, dont 64.377 actifs occupés, 1.199 militaires du contingent et 15.018 chômeurs. Le taux de chômage serait donc de 18,6 %.

Seuls 7.900 demandeurs d'emploi étaient inscrits à l'Agence pour l'emploi (APE) au 31 décembre 1997. Le nombre de demandeurs d'emploi a crû de 4,5 % en 1997. La hausse du chômage se poursuivait au même rythme annuel au premier semestre 1998.

Le chômage en Nouvelle-Calédonie présente donc les caractéristiques suivantes :

- la croissance continue du nombre de demandeurs d'emploi ;

- la très faible inscription des chômeurs à l'APE, cette faiblesse pouvant s'expliquer par le faible taux de placement de l'APE : en moyenne, seuls 133 chômeurs ont trouvé chaque mois un emploi grâce à l'APE en 1997 ;

- la très faible indemnisation du chômage : seuls 1.093 chômeurs étaient indemnisés en 1997 par le régime d'assurance chômage total de Nouvelle-Calédonie, soit 15 % de l'ensemble des chômeurs.

Wallis et Futuna

La population active salariée recensée par la caisse locale de retraite et la caisse de compensation des prestations familiales (CLR-CCPF) est de 1.479 personnes en septembre 1997. Cet effectif est stable par rapport à septembre 1996.

L'effectif salarié du secteur public, en diminution est toujours prédominant. Il regroupe 58 % des salariés locaux en 1997.

Le développement de l'emploi sur ce territoire est particulièrement difficile dans la mesure où aucune implantation, aucun investissement extérieur n'est envisageable, du fait de l'impossibilité pour un non-autochtone d'acquérir un terrain.

L'office local de la main-d'oeuvre, qui recense les demandeurs d'emploi, estime leur nombre à 430 au 31 décembre 1997 contre 321 un an auparavant. Cette évaluation reste cependant très incertaine, l'absence d'indemnisation du chômage sur le territoire n'incitant pas les demandeurs d'emploi à se déclarer.

Polynésie française

Les statistiques de l'agence pour l'emploi et la formation professionnelle (AEFP) ne donnent qu'une vision très partielle du marché de l'emploi car, en l'absence de système d'indemnisation du chômage, l'inscription comme demandeur d'emploi, bien que recommandée, est facultative.

Par ailleurs, ces statistiques ne reflètent que la situation de l'archipel de la Société, le marché de l'emploi dans les autres archipels restant encore très embryonnaire.

L'indicateur de chômage atteint 17,6 % de la population active en 1997 (au sens du BIT). Une enquête menée par l'Institut territorial de la statistique en 1994 évaluait alors le taux de chômage à 11,8 %.

Les données de l'AEFP confirment cette progression du chômage.

Demandes d'emploi enregistrées (cumul annuel)

1994

1995

1996

1997

7.416

11.448

12.598

13.972

Source : AEFP

Une nouvelle dégradation de la situation est intervenue en 1997, le nombre de demandes d'emploi ayant augmenté de 11 %. Cette tendance se confirme au premier semestre 1998 puisque le nombre de demandes enregistrées progresse de 35 % par rapport à 1997, alors que les demandes d'emploi satisfaites diminuent de 15 %.

Au 31 décembre 1997, 46 % des demandeurs d'emploi avaient moins de 25 ans et les deux tiers étaient sans qualification.

Mayotte

Selon le dernier recensement général de la population effectué en 1997, Mayotte compte aujourd'hui 131.320 habitants contre 94.410 en 1991.

L'accroissement démographique annuel ne s'est guère ralenti, passant de 5,8 % pour la période 1985-1991 à 5,7 % pour la période 1991-1997. Cette croissance démographique a deux sources principales : une maîtrise de la natalité encore très insuffisante et une recrudescence de l'immigration clandestine, essentiellement depuis les Comores.

Dans ce contexte démographique, l'évolution du chômage apparaît très préoccupante à Mayotte.

La situation de l'emploi est difficile à appréhender à Mayotte, compte tenu notamment de l'existence d'un marché occulte, résultant de l'immigration clandestine d'une part et de l'importance des activités tournées vers l'autoconsommation d'autre part.

Le retard de développement de Mayotte est particulièrement marqué dans le domaine de l'emploi. La population en âge de travailler est nombreuse et souffre de graves insuffisances de formation et de qualification.

Le secteur public n'a plus la capacité financière de poursuivre sa politique d'embauche menée par le passé et les entreprises, à la recherche d'une main-d'oeuvre expérimentée, n'offrent encore que des débouchés limités. De fait, le marché de l'emploi présente un déséquilibre permanent qui ne se résout que par la précarité des emplois et par la persistance de la pluri-activité.

Le nombre de demandeurs d'emploi inscrits à la direction du travail et de l'emploi et de la formation professionnelle est de 15.463 personnes au 1 er trimestre 1998, soit 11 % de plus en un an.

Les femmes représentent 63 % des demandeurs d'emploi. Les jeunes de moins de 25 ans représentent quant à eux 49 % de la demande d'emploi. 96 % des demandeurs d'emploi n'ont aucun diplôme.

L'indicateur de chômage était de 42,8 % au 1 er trimestre 1998 contre 35,4 % en 1997.

Saint-Pierre-et-Miquelon

En l'absence de recensement démographique exhaustif depuis 1990, on peut estimer la population active à environ 2.800 personnes pour une population totale de 6.700 à la fin de 1997.

La situation de l'emploi est très difficile à appréhender car elle est soumise à d'importantes variations saisonnières. L'activité de la pêche et du BTP, qui sont les deux principaux secteurs économiques de la collectivité, est en effet concentrée sur la période estivale.

Ainsi, alors que l'on recensait 438 demandeurs d'emploi le 31 décembre 1997 (en hausse de 20 % par rapport au 31 décembre 1996), ils n'étaient plus que 234 en mai 1998 (en baisse de 12 % par rapport à avril 1997).

Il semble néanmoins que la tendance reste à une augmentation du chômage, les difficultés de la pêche n'étant que partiellement compensées par la forte activité du BTP constatée au printemps. De plus, l'activité du BTP devrait se réduire sensiblement en 1999.

2. Quelques éléments d'explication

En dépit des spécificités de chaque département, territoire ou collectivité d'outre-mer, les situations de l'emploi revêtent de grandes similitudes :

- un taux de chômage élevé,

- une progression continue du nombre de demandeurs d'emploi,

- la très forte proportion des jeunes et des personnes faiblement qualifiées parmi les demandeurs d'emploi,

- l'importance du chômage de longue durée.

Ces similitudes peuvent largement s'interpréter comme la résultante commune de différents facteurs spécifiques qui permettent d'expliquer la progression du chômage outre-mer.

S'il ne s'agit pas ici d'analyser les causes du chômage ultra-marin, votre commission souhaite néanmoins rappeler quelques éléments d'analyse que doit nécessairement intégrer toute politique de l'emploi outre-mer.

Le facteur démographique

La croissance démographique de l'outre-mer reste bien supérieure à celle de métropole.

Pour s'en tenir aux DOM, et même si elle a tendance à diminuer sur longue période, la croissance démographique reste très élevée. En 1996, elle était de 4,7 % en Guyane, de 1,7 % à la Réunion, de 1,5 % en Martinique et de 1,4 % en Guadeloupe contre seulement 0,3 % en métropole.

Cette croissance s'explique d'abord par l'excédent naturel, c'est-à-dire par un nombre de naissances très supérieur à celui des décès.

 

Population

Taux d'accroissement naturel

Indice synthétique

 
 

1974-1982

1982-1990

1990-1994

de fécondité

Guadeloupe

417.000

+ 11,9 %

+ 12,9 %

+ 12,6 %

2,0

Martinique

384.000

+ 11,4 %

+ 11,2 %

+ 10,6 %

1,7

Guyane

151.800

+ 18,7 %

+ 23,4 %

+ 25,9 %

3,6

Réunion

658.900

+ 19,6 %

+ 17,9 %

+ 16,8 %

2,3

Métropole

58.020.000

+ 4 %

+ 4,1 %

+ 3,7 %

1,7

Sources : INSEE, INED - Chiffres au 01.01.95.

La baisse de l'indice de fécondité ne doit cependant pas faire illusion. Même s'il diminue pour se rapprocher de celui de métropole, la croissance de la population devrait rester rapide. La population est, en effet, jeune : les moins de 25 ans représentent en 1996 50 % de la population en Guyane, 46 % à la Réunion, 42% en Guadeloupe et 38 % en Martinique. Aussi, même si les femmes ont moins d'enfants qu'auparavant, il existe beaucoup plus de femmes en âge d'en avoir. Le taux de natalité devrait donc se maintenir à un niveau élevé.

Mais cette croissance démographique tient aussi aux mouvements migratoires.

D'une part, l'émigration des habitants des DOM vers la métropole s'est ralentie.

D'autre part, l'immigration vers les DOM augmente, en particulier l'immigration irrégulière. Ainsi, on estime aujourd'hui qu'environ 43 % de la population guyanaise est étrangère, près de la moitié de cette population étrangère étant en situation irrégulière.

La conjonction d'un excédent naturel élevé et de ces mouvements migratoires explique alors le taux d'accroissement démographique de l'outre-mer.

La croissance démographique alimente alors largement la progression du chômage. Elle se traduit, en effet, par une augmentation de la population active qui n'est plus compensée par les créations nettes d'emplois. Le nombre de nouveaux entrants sur le marché du travail est désormais, chaque année, supérieur au nombre de postes disponibles ou créés.

La faiblesse des qualifications

Le chômage élevé des habitants d'outre-mer s'explique également par leur faible qualification.

Ainsi, en 1990, plus de 50 % des hommes de 23 à 27 ans et 40 % des femmes du même âge n'avaient aucun diplôme dans les DOM.

Or, l'absence de qualification semble être un facteur aggravant du chômage outre-mer. Parmi les chômeurs de moins de 25 ans, 27 % étaient de niveau VI ou V bis dans les DOM en 1997 contre 17 % seulement en métropole.

Le coût du travail dans un environnement concurrentiel particulier

Les économies d'outre-mer ont pour caractéristique d'être très peu diversifiées. Outre les secteurs du BTP et du tourisme, ce sont souvent les productions naturelles qui constituent l'essentiel de leur production : la banane à la Guadeloupe et en Martinique, la filière canne-sucre-rhum aux Antilles et à la Réunion, la pêche à Saint-Pierre-et-Miquelon, la vanille à Mayotte...

Or, ces productions naturelles sont tout particulièrement exposées à la concurrence internationale, et notamment à celle des pays voisins des départements, territoires et collectivités d'outre-mer.

Dans ce contexte régional de vive concurrence internationale, qui tend désormais à s'étendre au secteur du tourisme au-delà des seules productions naturelles, la France d'outre-mer apparaît très handicapée par le coût du travail.

Le coût du travail y est, en effet, très sensiblement plus élevé que chez leurs concurrents directs : Maurice, Madagascar, les Comores, les Seychelles pour Mayotte et la Réunion, les Antilles et l'Amérique centrale pour les départements français d'Amérique.

La revalorisation du SMIC, puis son alignement sur le niveau de métropole n'a fait qu'accentuer cet écart salarial défavorable à l'outre-mer français.

Cet écart salarial participe alors doublement à la croissance du chômage que connaît l'outre-mer.

D'une part, il accroît l'attractivité des départements d'outre-mer pour les populations environnantes et alimente alors des flux d'immigration très importants qui gonflent à leur tour le chômage. C'est ce phénomène qui se déroule actuellement avec une forte intensité à Mayotte et en Guyane.

D'autre part, le coût du travail contribue à dégrader la compétitivité-prix des produits et des services de la France d'outre-mer vis-à-vis de leurs concurrents régionaux. Il se traduit donc soit par des restructurations, soit par des faillites qui tendent à accroître le chômage.

B. L'EFFORT BUDGÉTAIRE DOIT S'ACCOMPAGNER D'UNE RÉFORME DE LA POLITIQUE DE L'EMPLOI OUTRE-MER

1. Un effort sensible en faveur de la politique de l'emploi

Les spécificités de la politique de l'emploi outre-mer

Dans les territoires d'outre-mer , la compétence en matière d'emploi et de formation est territoriale. L'Etat concourt cependant à l'exercice de la politique de l'emploi dans les TOM au travers des engagements souscrits dans les contrats de plan et les conventions de développement, mais aussi par les actions directes (chantiers de développement local, programme " jeunes stagiaires "...).

Compte tenu de ces spécificités, votre commission examinera essentiellement la politique de l'emploi menée dans les départements et collectivités territoriales d'outre-mer.

Dans les DOM, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte , la politique de l'emploi, outre les dispositifs de droit commun qui peuvent s'y appliquer, est régie par la loi n° 94-638 du 25 juillet 1994, tendant à favoriser l'emploi, l'insertion et les activités économiques dans les DOM , dite loi Perben.

Cette loi s'articule autour de trois axes principaux.

En premier lieu, afin d'encourager l'emploi par l'abaissement du coût du travail dans les secteurs les plus exposés à la concurrence internationale, elle a institué des exonérations sectorielles de charges sociales . Les exonérations touchent ainsi les principaux secteurs de production : agriculture, pêche, industrie, hôtellerie-restauration.

Ce dispositif, entré en vigueur en 1995, permet d'alléger d'environ 18 % la masse salariale des entreprises éligibles. Au 31 décembre 1996, 4.751 établissements et 36.600 salariés bénéficiaient de ces exonérations. Le coût total des exonérations de cotisations s'est élevé à 872 millions de francs en 1997.

En second lieu, l'article 6 de la loi Perben a créé le FEDOM . Ce fonds, mis en place en 1995, vise à regrouper l'ensemble des financements des actions spécifiques menées par l'Etat en faveur de l'emploi et de l'insertion, dans un souci de souplesse et de cohérence de l'action publique.

Le FEDOM

La loi du 25 juillet 1994 a créé un fonds pour l'emploi dans les départements d'outre-mer et Saint-Pierre-et-Miquelon, appelé FEDOM. Géré directement par le secrétariat d'Etat à l'outre-mer, ce fonds est souple d'utilisation et adapté aux spécificités économiques et sociales des DOM.

Le comité directeur du FEDOM, composé de parlementaires des départements d'outre-mer, se prononce sur la répartition des crédits entre les différentes solutions d'insertion : contrat d'accès à l'emploi (CAE), contrat d'insertion par l'emploi (CIA), contrat emploi solidarité (CES), primes à la création d'emplois ainsi que les emplois-jeunes.

Le contrat d'accès à l'emploi (CAE)

Il est proposé aux demandeurs d'emploi de longue durée, aux bénéficiaires du RMI, aux travailleurs handicapés et aux jeunes en grande difficulté. L'employeur privé bénéficie pour chaque recrutement en contrat à durée indéterminée ou déterminée d'au moins 12 mois, d'une prime modulable en fonction de l'ancienneté du chômage de 1.000 à 2.000 francs par mois et de l'exonération des charges sociales patronales. Ce type de contrat est réservé au secteur privé.

Le contrat d'insertion par l'activité (CIA)

Ce dispositif consiste à remettre en activité, par l'exécution de tâches d'utilité sociale, des bénéficiaires du RMI exclusivement, au moyen d'un véritable contrat de travail. Les titulaires de CIA ont un employeur unique, l'agence d'insertion, établissement public créé dans chaque département, qui les met par voie de convention à la disposition des collectivités et des associations. Comme pour les CES, l'activité est exercée à mi-temps. Elle est rémunérée sur la base du SMIC horaire.

Le contrat d'emploi solidarité (CES)

Ce dispositif est le même qu'en métropole. Il s'agit d'offrir à des publics en difficulté d'insertion un emploi à mi-temps, rémunéré au SMIC horaire, pour satisfaire, dans le secteur associatif ou auprès de collectivités, des besoins d'utilité collective.

Les primes à la création d'emplois

Elles sont attribuées sur agrément préfectoral aux entreprises dont l'activité est principalement orientée vers des débouchés commerciaux à l'extérieur des départements d'outre-mer et qui augmentent leurs effectifs.

Source : Secrétariat d'Etat à l'outre-mer

Les crédits du FEDOM (hors emplois-jeunes) sont " fongibles ", ce qui permet de redéfinir les priorités et de modifier les différentes enveloppes budgétaires en fonction de l'évolution de la situation de l'emploi et du nombre de solutions retenues.

Enfin, la loi Perben a institué les agences départementales d'insertion (ADI) ( cf. Infra ).

Le budget pour 1999 se caractérise par des moyens importants

S'agissant de la politique de l'emploi stricto sensu , l'effort budgétaire consenti pour 1999 est important. Le total des crédits du FEDOM augmente de 6,4 % pour atteindre 1,808 milliard de francs. Au total, quelque 60.000 solutions d'insertion nouvelles devraient être proposées en 1999 contre 52.500 prévues par la loi de finances initiale pour 1998 1( * ) .

Le FEDOM devrait d'abord permettre de financer, à hauteur de 1,362 milliard de francs en 1999, 56.500 solutions d'insertion au titre des dispositifs prévus par la loi Perben contre 48.500 prévues par la loi de finances initiale pour 1998 : 34.000 CES, 15.000 contrats d'insertion par l'activité (CIA), 7.000 contrats d'accès à l'emploi (CAE) et 500 primes à la création d'emplois.

En outre, 445 millions de francs devraient être affectés au financement des emplois-jeunes permettant ainsi de créer 3.500 emplois-jeunes.

Le FEDOM est en effet chargé, depuis le 1 er janvier, d'assurer le financement des emplois-jeunes créés par les collectivités locales, leurs établissements et les associations dans le cadre de la loi n° 97-940 du 16 octobre 1997 relative au développement d'activités pour l'emploi des jeunes .

L'expérience de l'année en cours montre que, sur le plan quantitatif, les emplois-jeunes sont un succès. Ce succès n'est d'ailleurs pas une surprise puisque le développement des emplois-jeunes permettait d'apporter une réponse rapide aux carences du marché du travail des DOM : une très faible création d'emplois dans le secteur privé et un taux de chômage des jeunes aux environs de 50 %.

Le FEDOM :

Crédits budgétaires et solutions d'insertion


 

1996

1997

1998

1999

 

Crédits (1) en LFI

Crédits (1) consommés

Solutions d'insertion proposées

Solutions réalisées

Crédits (1) en LFI

Crédits (1) consommés

Solutions d'insertion proposées

Solutions réalisées

Crédits (1) en LFI

Crédits (1) (2) consommés

Solutions d'insertion
proposées

Solutions (2) réalisées

Crédits (1) PLF

Solutions d'insertion proposées

CES

434

1.099

30.000

44.800

665

691

25.000

38.161

430

529

25.000

33.900

662

34.000

CIA

107

47

10.370

9.000

153

126

15.000

15.000

175

179

15.000

15.000

179

15.000

CAE

440

183

17.500

12.300

622

531

13.000

10.600

763

668

8.000

7.000

496

7.000

Primes

24

5

1.000

200

22

9

500

390

21

9

500

364

15

500

CRE

30

8

-

-

25

26

-

-

10

10

-

-

10

-

Sous-Total

1.035

1.342

58.870

66.300

1.487

1.568 (3)

53.500

64.151

1.399

1.395

48.500

56.264

1.362

56.500

Emplois-Jeunes

-

-

-

-

-

-

-

-

300

200

4.000

4.000

445

3.500 (4)

TOTAL

1.035

1.342

58.870

66.300

1.487

1.568 (3)

53.500

64.151

1.699

1.595

52.500

60.264

1.807

60.000

(1) En millions de francs.

(2) Estimation.

(3) Ces tableaux incluent la part insertion de la créance de proratisation du RMI. Pour 1997, nous n'avons pas d'indication sur la répartition de cette part entre les différents dispositifs d'insertion.

(4) Ce chiffre ne comptabilise que les emplois-jeunes créés en 1999 et ne tient pas compte de ceux déjà créés en 1998.






La loi de finances initiale pour 1998 réservait 300 millions de francs, permettant de financer 5.000 emplois-jeunes. 2.834 emplois-jeunes avaient été effectivement créés au 31 juillet 1998 et la montée en charge du dispositif devrait se poursuivre au cours du second semestre pour atteindre un effectif total d'environ 4.000 postes créés à la fin de l'année.

Votre commission observe cependant que le développement des emplois-jeunes est freiné dans le contexte particulier des DOM . La faible implantation des entreprises publiques limite sensiblement le champ des employeurs potentiels, tandis que la fragilité de la situation financière des collectivités locales et des associations rend délicat le financement des 20 % de la rémunération des emplois-jeunes qui restent à la charge des employeurs. Dans ces conditions, votre commission s'inquiète des perspectives de pérennisation de ces emplois au bout de cinq ans quand les employeurs devront en supporter 100 % de la charge financière.

A ces emplois-jeunes, s'ajoutent les quelque 2.600 aides-éducateurs et adjoints de sécurité pris en charge par le ministère de l'éducation nationale et le ministère de l'intérieur.

Le tableau suivant présente le bilan des emplois-jeunes au 31 juillet 1998.

Emplois-jeunes dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon : bilan

 

FEDOM

Education nationale

Intérieur

Total

 

Emplois créés au 28 juillet 1998

Embauches non encore effectuées

Total emplois prévus par convention

Postes aides-éducateurs créés

Postes adjoints sécurité créés

général

Guadeloupe

128

40

168

497

23

688

Guyane

70

70

140

424

10

574

Martinique

251

452

703

598

18

1.319

Réunion

1.224

590

1.814

1.008

38

2.860

St-Pierre-et-Miquelon

7

2

9

-

-

9

Total

1.680

1.154

2.834

2.527

89

5.450

Source : secrétariat d'Etat à l'outre-mer.

L'effort budgétaire apparaît enfin d'autant plus significatif que la part de la créance de proratisation du RMI à verser aux agences d'insertion viendra compléter cette dotation en cours d'exercice. Le montant de la créance s'élèvera à 815 millions de francs. Environ le quart pourrait alors être affecté aux dispositifs d'insertion.

S'agissant de la formation professionnelle , le projet de loi de finances pour 1999 accompagne des évolutions que votre commission juge positives.

D'une part, la restructuration de l'Agence nationale pour l'insertion et la promotion des travailleurs d'outre-mer (ANT) se poursuit .

Certes, les crédits affectés à l'ANT diminuent, passant de 44,5 millions de francs en 1998 à 43,6 millions de francs en 1999, tandis que la dotation en faveur de la formation individualisée-mobilité (FIM) restent stable à 28 millions de francs. Mais le budget total de l'ANT devrait très légèrement augmenter grâce à une plus forte participation des collectivités locales d'outre-mer au financement de l'agence.

Il semble toutefois que la restructuration de l'ANT, engagée en 1993, commence à porter ses fruits.

Ainsi, l'ANT privilégie désormais la gestion prévisionnelle des emplois et le suivi des stagiaires à une simple logique de stages, qui ne débouchait que très rarement sur une réelle insertion professionnelle.

Parallèlement, les modalités pratiques d'intervention de l'ANT gagnent en efficacité :

- le nombre de places offertes aux personnes originaires des DOM, au titre de la commande publique à l'AFPA, pour acquérir une formation qualifiante en métropole augmente. 140 personnes en ont bénéficié en 1993, 530 en 1995, 800 en 1997. Le budget pour 1999 ouvre 1.500 places ;

- le maintien du dispositif FIM devrait permettre de former 500 jeunes en difficultés. Ce dispositif permet à des jeunes de faible niveau de suivre une formation en métropole dans le cadre du crédit de formation individualisé ;

- le développement de l'insertion par l'alternance se confirme, l'ANT poursuivant sa politique de conventionnement avec les régimes et les organismes de formation de métropole.

Au total, l'ANT devrait offrir quelque 3.500 actions de formation en métropole.

D'autre part, le budget pour 1999 assure la pérennité du service militaire adapté (SMA) .

Le SMA est une forme de service militaire propre à l'outre-mer qui combine une formation militaire, une formation professionnelle et une participation au développement local, par le biais des chantiers-écoles notamment. En 1997, 3.003 jeunes ont ainsi été formés grâce au SMA.

Très apprécié par les élus d'outre-mer, le SMA assure aux jeunes de très fortes chances d'insertion professionnelle ultérieure. Le taux d'insertion professionnelle est en effet de 63 % à l'issue du service national, ce qui en fait un instrument de formation très efficace.

Cependant, la loi du 28 octobre 1997 portant réforme du service national a rendu nécessaire une réforme du SMA afin d'assurer sa pérennité. La disparition programmée de la conscription oblige le SMA à faire appel au volontariat.

Le budget pour 1999, qui voit les crédits du SMA augmenter de 8 %, marque la première étape de cette réforme. Il prévoit la création de 500 postes de volontaires en contrepartie de la suppression de 1.000 postes d'appelés. La durée du volontariat est fixée à 5 ans maximum et la durée de formation à 24 mois maximum.

A l'horizon 2002, les effectifs globaux du SMA devraient se stabiliser à 2.600 environ.

La création de 500 postes de volontaires représente une mesure nouvelle de 38,2 millions de francs en 1999.

2. Des incertitudes sur son efficacité

L'effort budgétaire en faveur de la politique de l'emploi apparaît, en première analyse, conséquent : augmentation sensible des crédits, croissance du nombre de solutions d'insertion proposées, reconduction des principaux dispositifs de formation.

Mais votre commission tient cependant à formuler certaines réserves sur les orientations budgétaires en matière de politique de l'emploi outre-mer. Elle regrette en effet que ces orientations ne soient pas à la hauteur des enjeux et craint qu'elles ne soient lourdes de menaces pour l'avenir .

Ces réticences sont de cinq ordres.

Les effets pervers des emplois-jeunes

Votre commission déplore tout d'abord que le développement des emplois-jeunes se fasse très largement au détriment des autres mesures en faveur de l'emploi. Alors que les crédits destinés aux emplois-jeunes augmentent de 48 % dans le projet de loi de finances pour 1999, la dotation budgétaire affectée aux autres dispositifs d'insertion du FEDOM diminue, elle, de 2,2 %.

Les crédits destinés aux emplois-jeunes représenteraient en 1999 25 % du total des crédits du FEDOM, alors que les emplois-jeunes ne constitueraient que 6 % des nouvelles solutions d'insertion proposées.

Votre commission estime que le développement des emplois-jeunes ne doit pas se substituer aux mesures existantes, mais doit au contraire accompagner leur extension dans un contexte de chômage croissant.

La réorientation critiquable de la politique de l'emploi vers le secteur non marchand

Les aides à la création d'emplois dans le secteur marchand ne représentent plus que 12 % des solutions d'insertion proposées par le projet de loi de finances pour 1999 contre 31 % pour la loi de finances initiale pour 1996 .

Une telle évolution apparaît dangereuse. Votre commission estime, en effet, que la réponse durable au chômage ne passe pas par des mesures transitoires de traitement social, mais par un effort de créations d'emplois dans le secteur marchand avec le soutien de l'Etat.

Certes, votre commission constate que le Gouvernement a prorogé jusqu'à la fin de l'année 1999 le régime des primes à la création d'emplois en faveur des entreprises exportatrices. Mais elle constate également qu'elles ne devraient permettre que la création de quelque 350 emplois en 1998.

Certes, les contrats d'accès à l'emploi (CAE) ont soulevé des problèmes d'application. D'une part, le coût budgétaire du dispositif était lourd du fait de la montée en charge progressive du dispositif. Le CAE permettait à l'employeur de bénéficier d'une prime de 2.000 francs par mois et de l'exonération de charges patronales pour chaque recrutement supérieur à 12 mois d'une personne parmi les publics prioritaires. Pour 16.500 CAE en cours de 1998, le coût budgétaire total devrait atteindre 670 millions de francs, soit près de la moitié des dépenses du FEDOM. D'autre part, le CAE était critiqué car il se traduisait par d'importants effets d'aubaine pour les employeurs.

C'est pourquoi l'article 28 de la loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions a recentré les CAE vers les publics les plus en difficulté en instaurant une modulation de l'aide afin de maîtriser le coût budgétaire et de limiter les effets d'aubaine. La prime est désormais modulée : 1.000 francs pour les personnes au chômage depuis plus de 2 ans, 2.000 francs pour les personnes au chômage depuis plus de trois ans.

Mais le Gouvernement estimait que ce recentrage du CAE risquait de se traduire par une diminution de l'ordre de 30 % du recours à la mesure.

Or, dans son bilan de l'application de la loi Perben, le secrétariat d'Etat à l'outre-mer affirmait que : " Le contrat d'accès à l'emploi répond, pour l'ensemble des secteurs de l'économie des DOM, à la réalité du marché du travail, tant du point de vue des employeurs que des demandeurs d'emploi. Il s'avère être un outil efficace de lutte contre le chômage. La raréfaction relative du CAE sur la fin de l'année 1997 a gêné les recrutements et freiné l'activité de l'ANPE " .

Ce constat était fondé notamment sur le fait que le CAE apparaît comme un moyen puissant d'insertion dans l'entreprise : près de 80 % des CAE sont des contrats à durée indéterminée et 91 % sont des contrats à temps plein.

Aussi, même si un recentrage du CAE était nécessaire pour éviter certaines dérives, votre commission ne peut que regretter l'absence de dispositif alternatif en faveur de l'emploi dans le secteur marchand.

Un risque de stagnation et de précarisation des solutions d'insertion proposées

Le projet de budget pour 1999 affiche un objectif ambitieux en matière de politique. Il prévoit que le FEDOM financera 60.000 solutions d'insertion nouvelles, contre 52.500 seulement prévues par la loi de finances initiale pour 1998.

L'ambition affichée de cet objectif doit cependant être relativisée.

D'une part, d'après les dernières précisions du secrétariat d'Etat à l'outre-mer, 60.264 solutions d'insertion nouvelles seront sans doute déjà réalisées en 1998. Le projet de budget pour 1999 marquerait alors une stagnation du nombre de solutions proposées.

D'autre part, le budget pour 1999 prévoit une augmentation de 14,3 % du nombre de solutions alors que les crédits du FEDOM n'augmentent que de 6,4 %. Cet écart masque alors une diminution de la durée effective moyenne des actions proposées . C'est notamment le cas pour les CES : l'augmentation du nombre de contrats en 1998 (34.000 réalisés pour 25.000 prévus) s'accompagne d'une diminution de leur durée. La durée moyenne, passée de 7 à 6 mois en 1997, devrait encore se réduire en 1998. Votre commission exprime la crainte que l'augmentation du nombre de contrats affichés par le projet de budget ne cache, en réalité, une précarisation croissante de ceux-ci.

Un déséquilibre géographique pour la répartition des crédits de la politique de l'emploi outre-mer

Alors que les dotations en faveur de la politique de l'emploi dans les DOM et à Saint-Pierre-et-Miquelon augmentent de 6,4 %, le budget pour 1999 ne prévoit qu'une simple reconduction, à hauteur de 35,4 millions de francs, des actions d'insertion dans les TOM et à Mayotte.

Un impact négatif de la diminution des dotations du FIDOM et du FIDES

Le projet de budget pour 1999 prévoit une diminution des subventions au fonds d'investissement des DOM (FIDOM) et au fonds d'investissement pour le développement économique et social (FIDES), en crédits de paiement.

Les subventions de l'Etat au FIDOM passeront de 247,5 millions de francs en 1998 à 198,7 millions de francs en 1999.

Les subventions de l'Etat au FIDES (section générale et section des territoires) passeront, elles, de 137,8 millions de francs en 1998 à 130,4 millions de francs en 1999.

Il est donc à craindre que cette diminution de 14,6 % des dotations au FIDOM et au FIDES ne se traduise par un impact négatif sur l'emploi, dans la mesure où ces deux fonds exercent un effet d'entraînement direct sur les économies locales.

3. Une réorientation nécessaire

En dépit de l'augmentation sensible de l'effort budgétaire, il est donc à craindre que la politique de l'emploi menée outre-mer reste très en retrait par rapport à l'immense défi que représente la progression inquiétante du chômage.

Dans ces conditions, votre commission estime que la politique de l'emploi et de l'insertion doit faire très rapidement l'objet d'un réaménagement afin d'accroître son efficacité.

L'analyse des causes du chômage outre-mer montre clairement que cette réorientation doit se faire dans un double sens :

- l'amélioration de la formation professionnelle afin d'augmenter les qualifications ;

- la baisse du coût du travail pour relancer l'activité.

En matière de qualification, une réorganisation de la politique de formation est actuellement en cours au niveau recentralisé. Ainsi, l'ANT commence à mettre en place les outils de gestion prévisionnelle des emplois afin d'assurer une meilleure adéquation entre l'offre de formation et les besoins économiques des économies ultra-marines. De même, les AFPA des DOM, qui sont indépendantes de l'AFPA métropolitaine depuis 1983, commencent à se rapprocher de celle-ci afin de bénéficier de son concours technique. Ces évolutions doivent se poursuivre.

Mais, si la formation professionnelle est très largement une compétence régionale, c'est au niveau national que doit être définie la politique de l'emploi.

Or, le dispositif issu de la loi Perben n'est applicable en l'état que jusqu'en mars 2000.

M. Jean-Jack Queyranne a d'ores et déjà annoncé à l'Assemblée nationale que ces dispositifs seront sans doute prorogés, mais modifiés. Le ministre s'est ainsi fixé deux objectifs : réorientation des dispositifs vers les jeunes et les personnes les plus en difficulté et ciblage prioritaire des exonérations fiscales et sociales sur les entreprises tournées vers la production de biens et de services et vers l'exportation.

Votre commission souhaite que la révision de la loi Perben soit l'occasion de repositionner l'ensemble de ce dispositif vers le secteur marchand.

L'exemple des exonérations sectorielles de charges sociales instituées par la loi Perben montre qu'une politique de baisse du coût du travail peut relancer l'emploi dans le secteur privé.

Le secrétariat d'Etat à l'outre-mer estime ainsi que ces mesures ont permis la création de 4.000 emplois en 1996 sur un total de 11.000 emplois créés.

Il importe donc d'amplifier l'effet de ces exonérations.

Or, au 31 décembre 1996, seuls 4.489 établissements et 38.871 salariés bénéficiaient de cette exonération, permettant d'alléger en moyenne de 18 % la masse salariale. Seuls 57,4% des établissements éligibles étaient effectivement exonérés.

L'amplification de l'effet des exonérations peut alors passer par deux voies :

- l'extension des secteurs éligibles,

- la résorption des points de blocage existants, certaines entreprises ne pouvant pas bénéficier des exonérations alors qu'elles sont pourtant éligibles.

Au-delà de cette extension du dispositif d'exonération sectorielle de charges sociales, d'autres pistes de réforme méritent également d'être étudiées :

- extension du FEDOM à Mayotte où le chômage atteint 41 % ;

- mise en place d'un contrat d'insertion, dans le secteur marchand, moins aidé que le CAE mais plus étendu.

II. LE RENFORCEMENT DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT

Le logement social constitue la seconde priorité de la politique en faveur de l'outre-mer.

La politique du logement social possède trois spécificités outre-mer :

- Dans les territoires d'outre-mer, le logement social ne relève pas de la compétence de l'Etat, mais de celle des provinces pour la Nouvelle-Calédonie et du Territoire pour la Polynésie et Wallis-et-Futuna.

- Dans les DOM, à Saint-Pierre-et-Miquelon et à Mayotte, le financement du logement repose sur une aide à la pierre forte. L'ensemble des aides à la pierre est regroupé sur la ligne budgétaire unique (LBU), ligne budgétaire totalement fongible, qui laisse au niveau local des marges d'adaptation permettant de répondre à la diversité des situations.

A ces crédits, s'ajoute une fraction importante de la créance de proratisation du RMI.

Les financements mis en place concernent l'aide à l'accession, la location ou l'amélioration.

L'aide à l'accession très sociale intervient grâce au logement évolutif social (LES). L'aide à l'accession sociale et intermédiaire se concrétise par la mise en oeuvre, à l'été 1997, d'un prêt à taux zéro spécifique à l'outre-mer en remplacement du prêt spécial immédiat (PSI) du crédit foncier de France.

L'aide au logement locatif s'effectue par le biais du logement locatif très social (LLTS), du logement locatif social, ou du logement locatif intermédiaire. Pour cette dernière catégorie, le prêt locatif intermédiaire (PLI) a été introduit dans les DOM en remplacement de l'immeuble à loyer modéré (ILM).

Enfin, l'aide à l'amélioration concerne la réhabilitation du parc locatif social ou l'amélioration réalisée par les propriétaires occupants.

- L'aide personnalisée au logement (APL) n'existe pas outre-mer.

A. L'AUGMENTATION SOUTENUE DES CRÉDITS AU LOGEMENT INTERVIENT DANS UN CONTEXTE PRÉOCCUPANT

1. La situation très préoccupante du logement outre-mer

Cette situation très préoccupante du logement tient à la conjonction d'une double insuffisance du parc existant.

L'insuffisance est d'abord quantitative . L'outre-mer connaît en effet une véritable pénurie de logements.

Cette pénurie se vérifie par le constat d'une suroccupation manifeste du logement . Alors qu'en métropole le taux d'occupation (nombre moyen de personnes par logement) est de 2,6, il atteint 3,4 en Guadeloupe et en Martinique, 3,5 en Guyane, 3,8 à La Réunion et 4,7 à Mayotte. Et la croissance démographique devrait encore accentuer ce phénomène.

On estime ainsi à 170.000 le nombre de logements qu'il faudrait construire pour parvenir à une situation équivalant à celle de la métropole et cela sans tenir compte de la croissance démographique. Cela représente déjà plus de 16 ans de construction aidée au rythme actuel.

Mais l'insuffisance est aussi qualitative . L'offre de logement est très largement inadaptée aux besoins des populations d'outre-mer. Cette inadaptation est d'ailleurs paradoxale : le logement est à la fois trop cher et largement insalubre.

La pénurie de logement se traduit par une cherté excessive des loyers et une hausse sensible du coût de la construction et du foncier . Dans ces conditions, le coût du logement rend particulièrement délicat l'accès au logement par les familles du fait de la faiblesse des revenus des ménages : 80 % des ménages ont en effet des ressources inférieures aux plafonds du logement social. Les familles peuvent alors difficilement se loger dans le parc privé alors que l'offre de logement social reste restreinte.

Parallèlement, le logement outre-mer est massivement victime d'insalubrité ou de précarité. On peut ainsi évaluer à près de 60.000 le nombre de logements insalubres à Mayotte et dans les DOM, soit 12 % du parc total . De plus, 30 % du parc est précaire ou dépourvu d'éléments de confort.

Votre rapporteur estime tout particulièrement choquant et inacceptable l'existence de véritables bidonvilles sur le territoire de la République.

2. Des orientations positives

Un effort budgétaire important

Face à ces besoins, le projet de loi de finances pour 1999 propose un effort budgétaire important.

Ainsi, les crédits de la LBU passeront, en crédits de paiement, de 568,5 à 897,4 millions de francs, soit une croissance de 58 %. L'effort budgétaire total atteindra 1,507 milliard de francs après abondement d'une partie de la créance de proratisation du RMI.

Evolution de la LBU*

(en millions de francs)

 

1993

1994

1995

1996

1997

1998

1999

Crédits de paiement délégués ou mandatés

1.332

1.252

1.092

1.420

1.284

1.153

1.507

* y compris la créance de proratisation du RMI

Cet effort budgétaire devrait permettre le financement de 19.100 logements.

Cela représenterait 11.800 constructions neuves aidées, qu'il s'agisse d'accession ou de locatif.

Nombre de logements neufs financés grâce à l'aide de l'Etat

 

1992

1993

1994

1995

1996

1997

1998(*)

1999(**)

Guadeloupe

2.203

2.736

2.671

2.898

2.765

2.406

2.329

ND

Martinique

2.022

2.509

2.140

2.344

2.082

2.346

2.105

ND

Guyane

1.256

1.293

865

815

875

1.120

983

ND

Réunion

3.970

4.772

5.229

4.532

4.742

4.100

4.870

ND

Mayotte

441

606

1.006

993

908

1.020

1.200

ND

TOTAL

9.892

11.916

11.911

11.582

11.372

10.992

11.487

11.800

* : estimations

** : objectif budgétaire


Cet effort vise également à relancer les opérations d'amélioration, de réhabilitation et de résorption de l'habitat insalubre. 7.300 opérations sont prévues, dont 5.000 d'amélioration ou de réhabilitation. Le programme physique est donc ambitieux car, en 1997, seuls 2.450 logements avaient été améliorés ou réhabilités.

Au-delà de la seule augmentation des crédits, cet effort budgétaire s'accompagne d'une démarche de simplification et d'accélération des procédures d'attribution des subventions afin d'améliorer sensiblement le taux de consommation effectif des crédits inscrits en loi de finances initiale.

Une réforme en cours de la politique au logement outre-mer

Pour répondre à l'importance des besoins et pour résoudre l'inadaptation de l'offre, une réforme de la politique du logement est également engagée.

Cette réforme en cours suit trois directions : une meilleure prise en compte des plus défavorisés, un élargissement de la gamme des produits et la mise en place d'une politique foncière plus cohérente.

- l'action en faveur du logement des plus défavorisés

La loi du 29 juillet 1998 d'orientation relative à la lutte contre les exclusions contient certaines dispositions s'appliquant à la politique du logement outre-mer destinées à la fois à faciliter l'accès et le maintien dans le logement des plus défavorisés et à mieux garantir les organismes de logements sociaux.

Ces dispositions visent notamment l'extension aux sociétés d'économie mixte (SEM) intervenant dans le domaine du logement social de mesures s'appliquant aux organismes HLM.

Ces dispositions portent :

- extension aux SEM des départements d'outre-mer du délai de 4 mois dans le cadre de la prévention des expulsions - article 66 de la loi .

- extension également aux SEM des départements d'Outre-mer des dispositions relatives à l'attribution des logements locatifs sociaux leur appartenant et ayant bénéficié d'aide de l'Etat.

- extension aux SEM des départements d'outre-mer du bénéfice de l'allocation-logement en tiers-payant - article 116 de la loi .

- extension aux SEM des départements d'outre-mer de la faculté de louer des logements à des associations qui les sous-louent à titre temporaire notamment à des personnes en difficulté - article 66 de la loi.

- extension de l'exonération de l'enquête pour le supplément de loyer de solidarité aux bénéficiaires de l'allocation-logement des DOM (les bénéficiaires de l'APL en métropole étaient exonérés) - articles 56 et 57 de la loi.

Ces différentes dispositions permettent de prendre en compte le fait que plus des deux tiers du parc de logements sociaux dans les DOM appartiennent à des sociétés d'économie mixte. Elles permettront ainsi une meilleure prévention des exclusions en sécurisant davantage les locations de logements sociaux. La dernière disposition ci-dessus permettra de supprimer une formalité coûteuse et inutile.

- l'élargissement de la gamme des produits

Afin de répondre à une demande en évolution et de favoriser la mobilité des occupants entre différents types de logements, le Gouvernement estime nécessaire de compléter cette gamme qui couvre déjà l'accession et le locatif pour des catégories dites intermédiaires, sociales ou très sociales. Deux nouveaux produits sont donc actuellement à l'étude : le " logement en accession différée " qui pourra être acquis après 10 ans de location par des ménages sociaux ou très sociaux ; et le " logement locatif social de transition " qui serait réservé à la frange de population juste au-dessus des plafonds du logement locatif social (LLS) et ne pouvant entrer dans du locatif intermédiaire trop onéreux.

Cette réforme en cours répond assez largement aux propositions que votre commission avait formulées l'an passé.

Constatant l'inadaptation de produits comme le logement évolution social (LES) en accession ou le logement locatif social (LLS) en location, votre commission s'était prononcée en faveur d'un élargissement de la gamme des produits afin de mieux prendre en compte les spécificités de la demande.

Ainsi, en accession, le " logement en accession différée " serait une alternative au LES tandis qu'en location le " logement locatif social de transition " devrait permettre de libérer des LLS en faveur des familles les plus démunies.

- la politique foncière

Conscient que le coût du foncier équipé constitue un obstacle majeur à une plus forte construction de logements sociaux, (il représente environ 15 % du coût de revient total de la production de logement), le Gouvernement propose également de réviser la politique foncière.

Déjà, en 1990, le rapport Ripert 2( * ) constatait que " l'absence de plan d'occupation des sols, une application laxiste de la législation relative aux permis de construire, la médiocrité des réserves foncières affectent la mise en oeuvre d'une véritable politique de l'habitat ".

Le Gouvernement, se fondant sur l'expérience de la Réunion, propose donc la création d'un fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU) dans chaque DOM et à Mayotte. Ces fonds, gérés en partenariat par l'Etat, les collectivités et les opérateurs, seraient chargés de mettre en oeuvre une politique foncière locale devant permettre à la fois d'exercer un effet modérateur sur les coûts et de constituer des réserves foncières pour le moyen et long terme.

Là encore, cette réforme répond à un souhait exprimé l'an dernier par votre commission qui estimait que " la création d'un établissement public foncier entre l'Etat, la région, le département et les communes constituerait un outil privilégié d'une politique foncière à moyen ou long terme ".

B. L'ADAPTATION DE LA POLITIQUE DU LOGEMENT DOIT CEPENDANT ÊTRE APPROFONDIE

1. Un budget qui reste insuffisant

En dépit de l'effort proposé, le budget et, plus généralement, la politique du logement pour l'outre-mer, restent insuffisants pour permettre à l'outre-mer de combler son retard.

En premier lieu, les objectifs fixés restent peu ambitieux par rapport aux besoins .

Ainsi, en matière de construction, le budget prévoit la construction de 11.800 logements neufs alors qu'on estime les besoins à 170.000 logements. A ce rythme, il faudrait donc près de 15 ans pour résorber les besoins existants.

De même, en matière de résorption de l'habitat insalubre (RHI), l'effort budgétaire a doublé passant de 19,2 millions de francs à 38,4 millions de francs en crédits de paiement en 1999, hors part de la créance de proratisation du RMI. Mais, au rythme actuel, il faudrait plus de 20 ans pour résorber l'habitat insalubre dans les DOM alors que celui-ci a tendance à s'étendre du fait de la croissance démographique et de la fragilisation financière des ménages.

En second lieu, les réformes en cours, bien qu'orientées dans la bonne direction, risquent d'avoir des effets incertains .

Ainsi, en matière de politique foncière, l'expérience de la Réunion marque les limites des fonds d'aménagement foncier. Dans la mesure où ces fonds mettent à contribution les collectivités territoriales et les opérateurs du logement social, ils se heurtent par là-même à la contrainte budgétaire, car la situation financière des collectivités et des opérateurs est très fragile outre-mer. La mise en place des FRAFU doit donc se doubler d'un renforcement de leurs moyens pour qu'ils puissent être réellement efficaces.

En matière d'élargissement de la gamme des produits, on peut craindre que le " logement en accession différée " ne se focalise sur un habitat de type " maison individuelle ". Or, cet habitat est fortement consommateur de foncier, ce qui contribue alors au renchérissement des coûts. On risque alors d'aboutir à de nombreux échecs dans le parcours d'accession, les ménages n'ayant pas les moyens financiers suffisants pour passer de la phase location à la phase accession.

De la même manière, le " logement locatif social de transition " ne pourra désengorger le parc social que si le loyer est plus proche des loyers du parc social que les loyers du logement intermédiaire.

2. Des adaptations nécessaires

Votre commission estime que la réforme en cours de la politique du logement -qui est exclusivement une réforme des aides à la pierre- ne sera efficace que si elle s'accompagne d'une réforme des aides à la personne.

La solvabilité des ménages reste en effet très insuffisante pour leur permettre d'obtenir un accès durable au logement.

Or, les conditions d'attribution de l'allocation logement -à caractère familial ou social- restent très strictes.

Ainsi, pour ouvrir droit à une allocation logement, le logement concerné doit répondre à certaines normes d'hygiène, de salubrité et d'occupation, la mauvaise qualité du parc et la cohabitation fréquente de plusieurs ménages dans un même lieu écartant alors souvent beaucoup de familles du bénéfice de l'allocation.

Dans ces conditions, une meilleure solvabilisation des ménages par une réforme des aides à la personne devrait permettre de garantir un meilleur accès au logement pour les familles, mais pourrait également relancer l'effort de construction, en limitant le risque pesant sur les opérateurs.

III. LE RETARD DE LA POLITIQUE DE SOLIDARITÉ

La politique de solidarité envers l'outre-mer prend une double forme :

- la lutte contre les exclusions ;

- la politique d'égalité sociale.

Or, dans ces deux domaines, force est de constater que la politique de solidarité prend du retard :

- la progression du nombre d'allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI) témoigne des difficultés croissantes d'insertion sociale de nos compatriotes d'outre-mer ;

- la politique d'égalité sociale est au point mort depuis 1996.

A. L'INSERTION DES PERSONNES LES PLUS EN DIFFICULTÉ RESTE TRÈS DÉLICATE

1. La progression du nombre d'allocataires du RMI

Les spécificités du RMI outre-mer

L'article 51 de la loi du 1er décembre 1988 a prévu l'application aux DOM du RMI " selon les modalités particulières d'application... dans le respect des principes mis en oeuvre en métropole ".

Ces modalités particulières d'application sont au nombre de trois :

- le montant de l'allocation du RMI dans les DOM est inférieur de 20 % au montant métropolitain. Cette différence se justifiait principalement par le souci de ne pas inciter au travail non déclaré ou au non-travail ;

- la différence entre les allocations versées dans les DOM et le montant qu'elles auraient atteint si le barème métropolitain avait été appliqué correspond à la créance de proratisation du RMI. Cette créance est utilisée au financement d'actions d'insertion et au financement du logement ;

- la loi Perben a institué les agences départementales d'insertion (ADI) chargées d'assurer l'insertion des allocataires au RMI.

Le nombre d'allocataires du RMI continue à augmenter

Fin décembre 1997, on compte 111.305 allocataires du RMI, soit une progression de 4,3 % en moyenne par an.

Même si cette progression est plus lente qu'en métropole, où le nombre d'allocataires a augmenté de 5,9 % en 1997, elle demeure préoccupante pour deux raisons :

- cette progression est continue depuis 1993, alors que le nombre de bénéficiaires s'était stabilisé entre 1990 et 1993 ;

- la population vivant du RMI (allocataires et ayant-droits) est d'environ 233.000 personnes, soit près de 15 % de la population des DOM contre 3 % en métropole.

Nombre d'allocataires du RMI(1)

 

1993

1994

1995

1996

1997

Progression96/97

Martinique

18.525

20.696

22.200

24.226

24.991

+ 3,2 %

Guadeloupe

26.455

26.387

ND

23.892

24.278

+ 1,6 %

Guyane

6.565

7.004

7.304

7.674

7.910

+ 3,1 %

Réunion

44.810

50.946

51.310

50.876

54.126

+ 6,4 %

Total DOM

96.335

105.033

ND

106.668

111.305

+ 4,3 %

(1) Chiffres au 31 décembre

Il semble cependant que le premier semestre de 1998 se traduise par une légère amélioration, le nombre de foyers d'allocataires passant à 105.705 au 1 er juillet.

L'allocation mensuelle moyenne versée était de 1.643 francs en 1997, l'allocation mensuelle de base pour un allocataire seul s'élevant à 1.943 francs maximum.

Les dépenses d'allocations s'élevaient à 2.200 millions de francs en 1997.

2. Une amélioration de l'insertion cependant

La réforme des agences départementales d'insertion

La loi n° 94-638 du 25 juillet 1994 s'était fixée pour objectifs principaux :

- de favoriser la reprise d'activité des bénéficiaires du RMI en développant les possibilités d'insertion professionnelle, notamment par la création des contrats d'insertion par l'activité (CIA) ;

- d'améliorer la définition et la mise en oeuvre d'une politique d'insertion couvrant les différents domaines de l'emploi, de la formation professionnelle, du logement, de la santé, de l'action sociale et de la lutte contre l'illetrisme ;

- d'optimiser le fonctionnement du dispositif d'insertion du RMI et la gestion de ses moyens humains et financiers.

Pour cela, a été créée dans chaque DOM une agence d'insertion (ADI), à l'origine établissement public national à caractère administratif, placé sous tutelle du ministre chargé de l'outre-mer, qui se substituait au conseil départemental d'insertion.

Administrée par un conseil d'administration coprésidé par le préfet et le président du conseil général, dirigée par un directeur auprès de qui est placé un comité d'orientation, l'ADI est chargée d'élaborer le programme départemental d'insertion (PDI) et le programme annuel de tâches d'utilité sociale (PATUS), d'en animer et piloter la réalisation, de coordonner l'activité des commissions locales d'insertion, de développer le partenariat, et d'assurer la gestion des personnels intervenant dans le dispositif d'insertion du RMI.

L'ADI est, par ailleurs, l'employeur unique des bénéficiaires du RMI recrutés en CIA.

En 1998, le budget initial des ADI s'élève à 865,5 millions de francs en progression de 6,6 % et regroupe les crédits suivants :

- Etat : 371,3 millions de francs, dont 192,2 millions de francs pour la part insertion de la créance 1998 et 179,1 millions de francs provenant de la participation de l'Etat aux contrats d'insertion par l'activité (CIA) ;

- Département : 460,5 millions de francs dont 359,9 millions de francs pour l'obligation légale et 100,6 millions de francs pour les créances antérieures ;

- Autres (communes, associations) : 11,7 millions de francs ;

- Fonds social européen : 8,1 millions de francs ;

- Fonds de roulement : 13,9 millions de francs.

Plusieurs reproches ont été avancés, notamment par les élus locaux, à l'encontre de ce dispositif de lutte contre l'exclusion spécifique aux départements d'outre-mer, et en particulier :

- une remise en cause des principes fondamentaux de la décentralisation ;

- une trop grande complexité des procédures administratives et budgétaires imposées par les textes réglementaires.

Le système devait donc évoluer, dans le sens d'une plus grande déconcentration des décisions et d'une meilleure prise en compte du rôle des élus d'outre-mer, par la mise en place d'un cadre de fonctionnement rénové, permettant néanmoins à ces établissements publics de demeurer l'instrument partenarial privilégié de l'Etat et du département dans la lutte contre l'exclusion.

La loi n° 98-657 du 28 juillet 1998 a donc transformé les ADI en établissements publics locaux.

Cette évolution institutionnelle a pour effet de réduire sensiblement la tutelle du ministère chargé de l'outre-mer et du ministère chargé du budget, d'accroître le rôle des autorités locales et d'alléger les procédures administratives, jugées jusqu'ici lourdes et complexes.

Les progrès de l'insertion

Votre commission avait souligné, l'année dernière, l'efficacité encore trop limitée des ADI, en regrettant que moins de 20 % des allocataires du RMI bénéficiaient d'un dispositif d'insertion en 1996.

L'année 1997 marque un redressement sensible de l'action des ADI, notamment grâce à un recours plus fréquent aux CIA.


Au total, sur l'année, sur 111.305 bénéficiaires du RMI, 28.086 d'entre eux sont entrés dans une des mesures pour l'emploi, soit 26 % du total.

Année

Nombre de bénéficiaires du RMI entrés dans les mesures pour l'emploi

1991

16.721

1992

31.138

1993

16.964

1994

13.717

1995

15.556

1996

22.113

1997

28.086

En 1997, les entrées dans les différentes mesures pour l'emploi se répartissent de la façon suivante :

Mesures pour l'emploi

Nombre d'entrées de bénéficiaires RMI
en 1996

Nombre d'entrées de bénéficiaires RMI
en 1997

Contrat emploi-solidarité (conventions initiales)

8.864

5.210

Contrat emploi-consolidé (conventions initiales)

530

673

Contrat d'insertion par l'activité

9.094

19.592

Contrat d'accès à l'emploi

1.593

1.283

Stage d'insertion et de formation à l'emploi

2.032

1.328

TOTAL

22.113

28.086

Ces résultats restent bien sûr insuffisants, mais constituent un progrès notable qui semble se confirmer en 1998.

Il n'en reste pas moins que l'action d'insertion des ADI reste fragile. La principale faiblesse en matière de politique d'insertion des personnes les plus en difficulté reste bien évidemment l'insertion professionnelle durable dans le secteur marchand.

B. LA POLITIQUE D'ÉGALITÉ SOCIALE DOIT ÊTRE POURSUIVIE

1. Un effort inachevé

La politique d'égalité sociale vise à réduire progressivement les disparités en matière de droits sociaux et de protection sociale qui existent entre les DOM et la métropole.

Consacrée par la loi de programme du 31 décembre 1986 relative au développement des DOM, relancée par les propositions des commissions Rivierez en 1987 et Ripert en 1990, réaffirmée par le Président de la République en 1995, la politique d'égalité sociale est cependant au point mort depuis deux ans.

Les principales étapes de la politique d'égalité sociale

La loi du 31 juillet 1991 a prévu l'alignement des allocations familiales des DOM sur la métropole, mais a maintenu les allocations familiales au premier enfant ainsi que les majorations pour âge correspondantes. L'alignement est effectif depuis le 1 er juillet 1993.

La loi du 25 juillet 1994 relative à la famille a étendu aux DOM l'allocation pour garde d'enfants à domicile ( AGED ) avec application au 1 er janvier 1995.

Les décrets n° 95-1202 et n° 95-1203 du 6 novembre 1995 ont aligné l'allocation de soutien familial (ASF) et la prime de déménagement sur les montants métropolitains à compter du 1 er septembre 1995.

Au 1 er janvier, l'alignement complet du SMIC des DOM sur le niveau métropolitain a été réalisé. L'écart existant a été comblé par deux revalorisations successives : une au 1 er juillet 1995, une au 1 er janvier 1996.

Enfin, la loi n° 96-609 du 5 juillet 1996 portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer a permis d'étendre aux DOM, dans les mêmes conditions qu'en métropole, l'allocation pour jeune enfant (APJE) et l'allocation parentale d'éducation (APE).

Le coût de l'alignement des prestations familiales a représenté environ 600 millions de francs.

Les entorses existantes au principe d'égalité sociale

A l'heure actuelle, quatre prestations sociales restent moins favorables dans les DOM qu'en métropole.

Il s'agit :

- du RMI , qui est inférieur de 20 % ;

- de l'allocation de parent isolé (API). Il s'agit d'un revenu minimum garanti dont le montant est de 3.198 francs par mois avec 1.066 francs supplémentaires par enfant à charge. Dans les DOM, le montant n'est que de 1.797 francs par mois avec 599 francs par enfant à charge ;

- du complément familial (CF). Son montant est de 888 francs en métropole contre 507 francs seulement dans les DOM ;

- de l'aide personnalisée au logement (APL), qui n'existe pas dans les DOM.

2. Une politique à poursuivre

Votre commission estime que la politique d'égalité sociale doit aujourd'hui se poursuivre par l'alignement des montants de l'API et du complément familial.

Généralement, trois sortes d'arguments sont avancés pour justifier la non-extension ou le non-alignement de certaines prestations sociales dans les DOM.

D'une part, le caractère nataliste des prestations familiales imposerait une démarche d'alignement très prudente pour ne pas alimenter plus encore la croissance démographique des DOM.

D'autre part, l'alignement des prestations sociales inciterait la population des DOM à ne plus travailler et à se réfugier dans un assistanat nocif.

Enfin, l'inégalité de traitement se justifierait par la disparité des niveaux de vie .

Ces trois idées reçues sont contestables.

S'agissant de l'impact nataliste, force est de constater que le processus d'alignement des prestations familiales n'a pas relancé la natalité outre-mer depuis le début des années 1990. La forte croissance démographique naturelle des DOM ne s'explique pas par un taux de fécondité supérieur, mais avant tout par la proportion bien plus élevée de femmes en âge d'avoir des enfants et par le faible taux de mortalité. Les taux de fécondité se sont en effet rapprochés des taux métropolitains. Alors que, dans les années 1960, le nombre de naissances par femme était supérieur à 5 aux Antilles et à 6 à la Réunion, l'indice synthétique de fécondité était, en 1995, de 1,7 en Martinique, de 2 à la Guadeloupe et de 2,3 à la Réunion contre 1,7 en métropole. Seule la Guyane connaît une fécondité sensiblement supérieure à la métropole avec un taux de 3,6. L'alignement des prestations familiales ne peut non plus alimenter l'immigration illégale car elles restent soumises à un critère de présence régulière sur le territoire.

S'agissant de l'assistanat, votre rapporteur tient à souligner que nos compatriotes d'outre-mer ne sont pas les assistés que certains se plaisent à décrire. Ainsi, une récente enquête de l'INSEE 3( * ) montre que la part des revenus sociaux (retraite, chômage, aide au logement, handicap, RMI, prestations familiales) est plus forte en métropole qu'outre-mer. Ils représentent, en effet, 29,6 % des revenus totaux en métropole contre 27,2 % dans les DOM . Cette situation s'explique très largement par la faible proportion de ménages percevant des retraites, la population des DOM étant bien plus jeune que celle de la métropole : seuls 26,6 % des ménages percevaient une retraite dans les DOM contre près de 38 % en métropole en 1995.

Enfin, on assiste actuellement à un alignement progressif des niveaux de vie entre les DOM et la métropole. Ainsi, en 1995, le revenu médian par ménage s'établissait à 123.000 francs après impôts contre 143.000 francs en métropole (hors Paris), soit une différence de 14 %. La convergence des niveaux et des modes de vie plaide donc en faveur de la poursuite de l'alignement des prestations.

Dans ces conditions, la poursuite de la politique d'égalité sociale relève bien plus de l'équité que de l'assistanat.

Reste alors à définir les modalités de cette politique.

Dans un premier temps, votre commission ne juge pas souhaitable d'étendre l'APL aux DOM et d'aligner le RMI sur le niveau de métropole .

L'extension de l'APL se heurte d'emblée à la contrainte budgétaire. Plus de 38 milliards de francs ont en effet été dépensés pour l'APL en 1997. En outre, on a vu 4( * ) qu'une réforme de l'allocation logement devrait permettre une meilleure solvabilisation des ménages pour l'accès au logement.

L'alignement du RMI soulève également des problèmes. Certes, le relèvement du SMIC rend le RMI moins " attractif ". Il n'en reste pas moins que le RMI continue d'exercer un effet désincitatif sur le travail régulier. On rappellera, à ce propos, que l'INSEE estime que, dans les DOM, environ 30 % des allocataires du RMI exercent parallèlement une activité informelle.

De plus, l'alignement du RMI aurait pour conséquence directe de supprimer la créance de proratisation du RMI, destinée justement à compenser son moindre montant. Or, la suppression de la créance se traduirait par une mise en péril des dispositifs d'insertion (elle représente près du quart du budget des ADI) et par une très forte diminution des crédits de la LBU.

En revanche, votre commission est favorable à un alignement de l'API et du complément familial .

L'API est un minimum social servi sous condition de ressources aux personnes vivant seules et ayant au moins un enfant à charge ou aux femmes seules enceintes. Elle est versée pendant une période maximale de 12 mois ou bien jusqu'à ce que le dernier enfant ait atteint l'âge de trois ans.

L'alignement de l'API apparaît d'autant plus nécessaire qu'il permettrait de répondre à des situations de grande détresse. Votre rapporteur souhaite attirer notamment l'attention sur la situation de total dénuement de certaines jeunes femmes en rupture familiale, ne pouvant toucher le RMI.

Au 31 décembre 1996, 14.000 personnes toucheraient l'API dans les DOM pour un montant total de 212 millions de francs. L'alignement de l'API devrait se traduire par un surcoût inférieur à 200 millions de francs.

Votre commission, rappelant que le Gouvernement avait justifié en 1996 l'absence d'alignement de l'API par la situation financière de la branche famille, réaffirme son souhait d'un alignement de l'API.

Le complément familial est une allocation versée sous condition de ressources aux familles, mais le champ d'application et le montant du complément familial diffère entre les DOM et la métropole. Dans les DOM, le complément familial atteint 507 francs et est versé aux familles ayant un ou plusieurs enfants à charge de 3 à 5 ans. En métropole, le complément familial atteint 888 francs et est servi aux familles qui ont la charge d'au moins trois enfants tous âgés de plus de 3 ans.

Sans forcément harmoniser le champ d'application du complément familial (dans la mesure où celui-ci prend bien souvent la succession de l'API dans les DOM), un alignement des montants semble envisageable à court terme, comme le proposait le rapport de la commission Ripert dès 1990.

*

En conclusion, votre commission prend acte de l'évolution favorable des crédits pour l'outre-mer. Elle estime également que les priorités retenues par le Gouvernement (emploi et logement) correspondent effectivement aux besoins les plus pressants.

En revanche, elle regrette l'absence de mesures nouvelles notamment en matière d'égalité sociale et s'inquiète de l'orientation de la politique de l'emploi.

Dans ces conditions, elle décide de s'en remettre à la sagesse de la Haute Assemblée quant à l'adoption des crédits consacrés à l'outre-mer par le projet de loi de finances pour 1999.

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