B. LE PROGRAMME DE SIMULATION
Le renoncement définitif et irréversible aux essais en grandeur réelle fait désormais reposer sur le programme de simulation la garantie de la fiabilité et de la sûreté des armes futures.
1. La nécessité du programme de simulation
La
nécessité de la simulation découle de deux types de
raisons :
- des raisons d'ordre juridique, liées à la signature par la
France du CTBT et du traité de Rarotonga de
dénucléarisation du Pacifique Sud, traités par lesquels
elle renonce à réaliser toute explosion expérimentale
d'arme nucléaire,
- des raisons d'ordre matériel, puisque la France a achevé en
juin dernier la totalité du démantèlement de ses sites
d'expérimentations nucléaires et qu'elle s'est ainsi
privée, de manière irréversible, de ses capacités
d'expérimentation ; elle s'est de ce fait placée dans une
position singulière par rapport aux Etats-Unis, à la Russie ou
à la Chine, qui ont signé le CTBT tout en conservant leurs sites
d'expérimentations.
La France, si elle veut conserver une dissuasion nucléaire
crédible, doit ainsi, en l'absence d'essais, maintenir la garantie de la
fiabilité et de la sûreté des armes futures,
c'est-à-dire de celles qui remplaceront les armes actuelles sans avoir
pu bénéficier des essais en vraie grandeur.
Votre rapporteur souhaite ici rappeler les
principaux enjeux de la
simulation
:
- les armes subissent des phénomènes de vieillissement des
charges qu'il importe de surveiller et dont il faut mesurer les incidences pour
y remédier. En l'absence d'essais, la simulation permettra
d'évaluer les conséquences du vieillissement des charges et
contribuera au maintien de la durée de vie des armes actuelles, telle
qu'elle est prévue jusqu'à leur remplacement ;
- les têtes nucléaires appelées à remplacer les
charges actuelles seront définies à partir des concepts
"robustes" testés lors de la dernière campagne d'essais, avec des
modifications limitées par rapport aux engins testés. Mais seule
la simulation permettra de garantir la fiabilité et la
sûreté de ces charges nouvelles, garantie sans laquelle la
dissuasion perdrait une grande part de sa crédibilité.
- enfin, à plus long terme, les concepteurs des armes qui assureront le
renouvellement appartiendront à une génération n'ayant pas
été confrontée aux essais en grandeur réelle.
Au-delà des données recueillies lors de ces essais, la simulation
leur fournira des calculateurs et des moyens expérimentaux
adaptés (la machine radiographique AIRIX et le laser Mégajoule)
leur permettant de confronter leurs calculs à l'expérience.
C'est à cette triple nécessité que répond le
programme de simulation.
2. La mise en oeuvre du programme de simulation
La mise
en oeuvre du programme de simulation repose sur de
puissants moyens de
simulation numérique
fournis par des ordinateurs beaucoup plus
performants que ceux actuellement en service, et sur des
installations
expérimentales
permettant de valider les modèles physiques
décrivant les phénomènes essentiels du fonctionnement des
armes nucléaires : la machine radiographique AIRIX pour la visualisation
détaillée du comportement dynamique de l'arme, et le laser
Mégajoule pour l'étude des phénomènes physiques,
notamment thermonucléaires.
La
machine radiographique AIRIX
, en phase de construction à
Moronvilliers, en Champagne, sera vouée à l'analyse de la
dynamique des matériaux et elle permettra d'étudier le
fonctionnement non nucléaire des armes, à l'aide
d'expériences au cours desquelles les matériaux nucléaires
sont remplacés par des matériaux inertes. Elle devrait être
opérationnelle dès 1999 et succéder à l'actuelle
machine GREC.
Projet de plus grande ampleur, le
laser Mégajoule
qui sera
installé au Barp, en Gironde, est pour sa part destiné à
l'étude du domaine thermonucléaire. Il permettra de
déclencher une combustion thermonucléaire sur une très
petite quantité de matière et de mesurer ainsi les processus
physiques élémentaires. Le développement du projet doit
s'effectuer en plusieurs étapes, avec tout d'abord la construction d'une
ligne d'intégration laser (LIL) qui devra valider et qualifier la
définition de la chaîne laser de base du laser Mégajoule.
Le calendrier du programme de simulation a été
arrêté en fonction de plusieurs critères : d'une part, la
relève des équipes de concepteurs actuels par des équipes
n'ayant pas connu les essais nucléaires, qui implique la mise à
disposition de ces dernières de moyens de simulation, et d'autre part
les échéances de remplacement des charges nucléaires
actuelles.
L'infrastructure de l'installation d'AIRIX est aujourd'hui achevée, la
machine radiographique étant en phase de fabrication. Sa mise en
service, avec un premier tir de démonstration, devrait intervenir fin
1999.
En ce qui concerne le laser Mégajoule, les principales phases de ce
calendrier sont :
- fin 1998 : achèvement de l'infrastructure de la ligne
d'intégration laser
- 2001 : mise en service de la ligne d'intégration laser
- 2006 : premières expériences sur le laser Mégajoule avec
un tiers des faisceaux
- 2010 : premières expériences sur le laser Mégajoule avec
la totalité des faisceaux.
Il convient également de rappeler que l'étude du laser
Mégajoule bénéficie d'échanges et de
coopérations techniques conduites avec le laboratoire Lawrence de
Livermore, les Etats-Unis réalisant pour leur propre programme de
simulation un projet similaire, le National Ignition Facility (NIF).
L'ensemble du programme de mise en place de moyens de simulation
représente un coût global de 15 milliards de francs, dont 9,5
milliards de francs d'investissements et 5,5 milliards de francs de
sous-traitance d'études et de développement.
Sur la période 1997-2002, les moyens prévus par la loi de
programmation (actualisés en francs 1998) représentent 11
milliards de francs, incluant le coût du millier d'agents du CEA
travaillant sur le programme et le développement, et la fabrication des
moyens de simulation.
Votre rapporteur croit devoir souligner une nouvelle fois que la contrepartie
indispensable aux engagements internationaux souscrits par la France et
à ses initiatives unilatérales, réside dans le respect
scrupuleux des enveloppes financières allouées à la
simulation par la dernière loi de programmation militaire.