B. LA PRÉPAPARATION DU PROCHAIN SOMMET DE LA FRANCOPHONIE : LE DÉFI DE L'ÉLARGISSEMENT
Les prochaines rencontres francophones vont préparer le VIII° Sommet de la francophonie. Outre les thèmes retenus, il convient dans cette perspective d'examiner la problématique de l'élargissement de la communauté francophone, qui représente un enjeu majeur pour la cohérence et l'avenir de la francophonie.
1. La préparation du Sommet de Moncton
a) La conférence ministérielle de Bucarest
•
La conférence ministérielle qui aura lieu les 4 et 5
décembre 1998 à Bucarest contribuera à préparer la
conférence des ministres francophones de l'économie. Cette
conférence se tiendra en avril 1999 à Monaco sur le thème
de l'investissement et du commerce dans l'espace francophone. Un nouveau champ
de réflexion et d'information communes aux pays francophones sera donc
ouvert, dans les domaines des échanges commerciaux, mais aussi de
l'environnement économique des entreprises et de la constitution
d'ensembles économiques régionaux. Jusqu'à présent,
la francophonie se définissait surtout comme un espace de
solidarité culturelle, si elle touchait à l'économie par
certains aspects comme la solidarité pour le développement, elle
reculait cependant devant le concept " d'espace économique
francophone ". Le VIIe Sommet a cependant innové sur ce point en
faisant des échanges commerciaux et économiques francophones un
des thèmes principaux de discussion. La conférence de Monaco sera
donc une étape importante dans la reconnaissance de la dimension
économique de la communauté francophone.
• La conférence ministérielle dressera également un
premier bilan des actions menées depuis le Sommet de Hanoi : le
Secrétaire général présentera à cette
occasion son rapport d'activité. Elle examinera également les
propositions de restructurations présentées par l'administrateur
de l'Agence de la francophonie. Cette conférence préparera le
prochain Sommet des chefs d'Etat et de gouvernement de pays francophones qui
aura lieu dans le Nouveau Brunswick.
b) Le Sommet de Moncton et le tricentenaire de la présence française en Amérique du Nord
Le
Nouveau Brunswick, qui comporte une importante population francophone acadienne
accueillera le VIII° Sommet de la francophonie à Moncton. Le sujet
de ce prochain rassemblement sera la jeunesse francophone.
A l'occasion de ce Sommet seront également examinées les
nouvelles demandes d'adhésion à la francophonie, en tant que
membre associé, observateur ou invité spécial, et
l'évolution du statut des pays, déjà membre associé
ou observateur, qui en feront la demande. La question de l'élargissement
de la francophonie sera donc posée de façon cruciale.
Il faut signaler que l'année 1999 sera particulièrement
importante pour la francophonie en Amérique du Nord, puisque la
Louisiane fêtera le tricentenaire de la présence
française.
2. La problématique de l'élargissement de la communauté francophone : le risque de dilution de la francophonie
De nombreux pays déposent de nouvelles demandes d'adhésion, ce qui correspond à la volonté du Secrétaire général d'élargir la communauté francophone. On peut cependant se demander si toutes les candidatures doivent être acceptées. En effet, l'élargissement de la francophonie, effectué sans discernement, pourrait conduire à une dilution du projet francophone. Il est donc important d'examiner soigneusement les critères d'adhésion et de définir en la matière une politique claire, seule à même de résoudre cette question.
a) La francophonie pourrait être victime de son succès
Le
Secrétaire général a déjà exprimé
à plusieurs reprises sa volonté d'ouvrir la communauté
francophone au reste du monde, favorisant l'adhésion de pays non
spécifiquement francophones. Considérant que l'action en faveur
de la francophonie ne consiste pas seulement à défendre le
français, mais plutôt à défendre le multilinguisme,
M. Boutros Boutros-Ghali estime que la francophonie devrait accueillir d'autres
communautés linguistiques (hispanique, lusophone et arabe). Ainsi, la
Guinée Bissau et le Cap Vert sont à la fois membres de
l'organisation internationale de la francophonie et de la communauté des
pays de langue portugaise.
Les demandes d'admission de pays non francophones marquent la reconnaissance de
la francophonie et l'importance de son rôle international. Cependant,
même si cette dynamique prouve que la francophonie est une puissance
fédératrice, elle pourrait amener à une certaine
dispersion des acquis et des valeurs de la francophonie. Elle serait à
terme dommageable, alors que la francophonie est justement en train de
développer de nouveaux axes d'action, tels que l'organisation
internationale de la francophonie ou le renforcement des solidarités
économiques francophones.
Sans vouloir faire de la communauté francophone un espace fermé,
ce qui est à l'opposé de son combat pour la tolérance et
la démocratisation des relations internationales, il convient donc de
réfléchir aux modalités d'adhésion à la
conférence des chefs d'Etat et de gouvernement ayant le français
en partage.
b) L'application des critères d'adhésion définis à Cotonou
•
La procédure d'adhésion à la francophonie s'effectue en
cinq étapes :
- toute nouvelle demande d'adhésion ou de participation en tant
qu'observateur à la conférence des chefs d'Etat et de
gouvernement ayant le français en partage doit être
adressée au président en exercice de la conférence, six
mois avant la tenue du Sommet suivant, assortie d'un exposé des motifs ;
- cette demande, et le dossier qui l'accompagne, sont communiqués au
président du conseil permanent de la francophonie, qui les soumet
à l'examen d'une commission
ad hoc
chargée de
l'instruction du dossier ;
- cette commission établit un dossier circonstancié qu'elle
soumet au conseil permanent de la francophonie, qui adopte après examen
un avis destiné à la conférence ministérielle ;
- la conférence ministérielle formule une recommandation
destinée à la conférence des chefs d'Etat et de
gouvernement ;
- lorsque la recommandation est favorable, le président du prochain
Sommet, après consultation des autres chefs d'Etat et de gouvernement,
et en cas d'unanimité des membres, décide d'inviter au Sommet
l'Etat ou le gouvernement candidat, qui sera accueilli en qualité de
membre associé ou le cas échéant d'observateur.
La procédure est la même lorsqu'un pays, membre associé,
désire devenir membre à part entière et lorsqu'un pays
bénéficiant du statut d'observateur souhaite devenir membre
associé. Les plus hautes instances de la francophonie se prononcent donc
tour à tour, la décision ultime relevant de la conférence
des chefs d'Etat et de gouvernement ayant le français en partage, et
requérant l'unanimité.
• Les critères permettant d'apprécier les candidatures ont
été redéfinis, depuis leur adoption au Sommet de Cotonou,
par la commission
ad hoc
du conseil permanent qui a, d'une part,
renforcé les éléments d'appréciation des demandes
d'accession au statut de membre associé et, d'autre part,
distingué le statut d'observateur de celui d'invité
spécial.
Le statut d'invité spécial
s'adresse aux
collectivités territoriales des Etats non membres de la francophonie qui
en font la demande dès lors qu'elles manifestent leur volonté
d'engagement dans la francophonie et que l'usage de la langue française
est attesté dans leur pays ou territoire. Il permet une
coopération souple avec la communauté francophone, afin que ces
collectivités territoriales puissent envisager les modalités
d'une future adhésion à la francophonie.
Le statut d'observateur
s'acquiert au terme de la procédure
précédemment décrite, sous réserve que l'Etat ou le
gouvernement qui le sollicite fasse preuve d'un réel
intérêt pour la francophonie et ses valeurs, et manifeste la
volonté de favoriser le développement de l'usage du
français dans son pays, quel que soit l'usage effectif au moment de la
demande. Ce statut pourrait être accordé à des
organisations internationales intergouvernementales, sur une base de
réciprocité au regard du statut qu'elles reconnaissent
elles-mêmes à l'organisation de la francophonie.
Enfin, pour devenir
membre associé
, les critères sont plus
stricts. Pour apprécier la volonté politique d'engagement dans la
francophonie divers éléments sont pris en compte. On peut
notamment citer :
- l'acceptation des résolutions antérieures des
conférences des chefs d'Etat et de gouvernement et leur application sans
réserve ;
- la participation effective et régulière à la
concertation francophone dans les organisations ou les grandes manifestations
internationales ;
- l'engagement de principe d'utiliser la langue française dans les
enceintes internationales, lorsque la langue nationale de l'Etat membre n'est
pas reconnue comme langue de travail. (Ce dernier critère a
été ajouté par la commission
ad hoc
au sein du
conseil permanent, après le Sommet de Cotonou.)
De même la situation du français doit être satisfaisante
dans les pays souhaitant devenir membres associés. Le français
doit être langue officielle ou langue d'usage habituel et
fréquent, on observe pour en juger l'utilisation du français dans
les administrations, l'enseignement, les médias et les instances
internationales. De plus, d'autres paramètres permettent
d'apprécier la situation du français, tels que le nombre de
locuteurs francophones réels, le nombre d'élèves suivant
des cours de français, l'adhésion à l'Assemblée
parlementaire de la francophonie, à l'association internationale des
maires francophones, etc.
Ces critères devraient permettre un élargissement harmonieux de
la francophonie. Ils sont adaptés aux différents stades de
coopération, puis d'adhésion à l'organisation
internationale de la francophonie. Leur gradation doit favoriser l'association
de pays désireux de participer à la francophonie, tout en tenant
compte de la situation du français et de la culture politique
francophone sur leur territoire.
Ainsi, les membres associés peuvent présenter, après
accord de la Présidence, une communication à la conférence
des chefs d'Etat et de gouvernement, à la conférence
ministérielle de la francophonie et au conseil permanent de la
francophonie. Les pays ayant le statut d'observateur ne peuvent, dans les
mêmes conditions, présenter une communication qu'à la
conférence ministérielle de la francophonie. Enfin, les pays,
invités spéciaux assistent, sans prendre part au débat aux
travaux des Sommets. Des rencontres directes entre leurs représentants
et la CMF ou le CPF peuvent être organisées afin de mettre en
oeuvre des programmes particuliers de soutien à la langue
française, ou participer, sur une base volontaire, à certains
programmes de coopération. Ces différences sont justifiées
par la différence de degré d'implication des pays au sein de la
francophonie.
Les critères et les procédures d'admission de nouveaux pays
à la conférence des chefs d'Etat et de gouvernement ayant le
français en partage, devraient contribuer à l'enrichissement de
la francophonie, chaque nouveau pays participant étant associé en
fonction de la situation de la francophonie sur son territoire, toute
évolution de cette situation permettant d'accéder à un
rôle plus actif dans les instances de la francophonie. Mais le changement
de statut est fonction d'un vote à l'unanimité des pays
déjà membres de la communauté francophone, dont on peut
parfois se demander s'il se base réellement sur les critères
précédemment décrits.
c) La définition d'une nouvelle politique en matière d'élargissement de la francophonie
L'admission de nouveaux pays à la conférence des
chefs
d'Etat et de gouvernement ayant le français en partage dépend
finalement du vote unanime de la conférence des chefs d'Etat et de
gouvernement ayant le français en partage. Il est donc moins
nécessaire de réformer les critères et les
modalités d'adhésion, que de définir une politique claire
et lisible en matière d'élargissement de la francophonie.
Il convient de permettre aux pays qui le désirent de s'associer à
l'organisation internationale francophone, sans qu'il en résulte un
affaiblissement des instances francophones. Il n'est pas envisageable de priver
un pays du statut d'observateur ou de membre associé, ou
d'empêcher toute évolution de statut, une fois que ce pays a
manifesté sa volonté de participer au développement de la
francophonie. Mais il serait sans doute nécessaire de fixer aux pays
observateurs des objectifs concrets en matière d'engagement en faveur de
la francophonie et de défense du français, et de prévoir
qu'ils puissent, une fois ces objectifs atteints, changer de statut, pour
évoluer progressivement vers le statut de membre à part
entière.
Il serait également souhaitable de s'interroger sur les modalités
de coopération avec des pays non francophones. La francophonie doit
rester cet "
espace de tolérance et d'ouverture
",
selon les termes de M. Boutros Boutros-Ghali, cependant, l'adhésion de
pays non francophones n'est pas forcément la meilleure, ni l'unique
solution dans ce domaine. La communauté francophone a déjà
fait preuve d'inventivité et d'originalité à de nombreuses
reprises pour aboutir aujourd'hui à la mise en place de l'organisation
internationale de la francophonie, d'autres modalités pourraient ainsi
être envisagées pour associer les autres aires linguistiques
à l'action de la francophonie. Celles-ci pourraient se voir proposer
sous réserve de réciprocité le statut d'observateur. Cette
solution garantirait une réelle concertation entre aires linguistiques,
afin de promouvoir le plurilinguisme par exemple, tout en préservant la
cohérence de la communauté francophone.