B. ASSURER LA PROTECTION ET L'ENRICHISSEMENT DES COLLECTIONS NATIONALES
1. Conduire une politique d'acquisition ambitieuse
La
France a consenti au cours des dernières années un effort
considérable destiné à améliorer les conditions de
présentation de ses collections muséographiques. Cet effort a
été consenti par l'Etat mais également par les
collectivités locales qui ont consacré des budgets importants
-souvent en partenariat avec l'Etat- à la rénovation des
musées de province. Le succès rencontré auprès du
public par des institutions comme le Louvre ou le musée d'Orsay ou par
le musée des beaux-arts de Lille atteste du bien-fondé de cette
politique.
Aujourd'hui, et votre rapporteur l'avait souligné dans son
précédent rapport, le processus de création de nouveaux
musées trouve ses limites tant dans les contraintes budgétaires
qui s'imposent désormais aux collectivités publiques que dans
l'ampleur des opérations déjà réalisées dont
le fonctionnement pèse lourdement sur leurs budgets.
Néanmoins, cela ne signifie pas que la politique muséographique
doit être réduite à la gestion des institutions et
collections existantes. La valorisation de notre patrimoine
muséographique est indissociable d'une politique ambitieuse
d'acquisitions. En ce domaine, la responsabilité de l'Etat est
grande. En effet, il n'existe pas en France, à la différence des
États-Unis, de grands collectionneurs privés. Dans ce contexte,
l'enrichissement de nos collections nationales comme le maintien sur notre
territoire des " trésors nationaux " dépend
principalement des dotations que l'Etat est susceptible de leur consacrer.
En ce domaine, il importe donc, d'une part, de remédier aux lacunes de
notre système de protection du patrimoine national et, d'autre part, de
lui consacrer les dotations nécessaires pour lui assurer son plein
effet.
a) Remédier aux lacunes de notre système de protection du patrimoine national
Au
dispositif douanier hérité du régime de Vichy, la loi
n° 92-1477 du 31 décembre 1992 régissant le
contrôle de la circulation des biens culturels a substitué un
mécanisme de protection fondé sur la délivrance d'un
certificat de libre circulation des biens culturels.
Ce certificat, requis tant pour la circulation d'un bien culturel dans l'Union
européenne que pour son exportation vers un pays tiers, atteste qu'il ne
constitue pas un trésor national et peut dès lors sortir du
territoire. La durée de validité du certificat est de cinq ans.
En cas de refus, l'Etat dispose d'un délai de trois ans soit pour
acheter l'oeuvre soit pour la classer au titre des monuments historiques. Si au
bout de trois ans, l'Etat n'a pas acheté l'oeuvre et si une nouvelle
demande de certificat est déposée et que l'Etat n'a ni
acheté ni classé l'oeuvre avant l'échéance des
quatre mois prévus pour l'instruction du dossier, le certificat ne peut
être refusé.
Cette législation est conforme à nos obligations communautaires
et respectueuse autant qu'il est possible des droits des particuliers. Il en a
été faite une application libérale : sur plus de 13.000
demandes de certificat, on ne compte que 45 refus. Les délais de
délivrance du certificat sont courts, une semaine en moyenne -sauf
à la direction du livre et de la lecture où, pour des raisons
inexpliquées, ils atteignent trois semaines.
Au cours de cette année, un seul trésor national a jusqu'ici
été acquis. Il s'agit du portrait de " Berthe Morisot au
bouquet de violettes " par Edouard Manet dont le refus de certificat
expirait en 1999. Sur les dix trésors nationaux, dont le refus de
certificat expirait en 1998 cinq ont pu être acquis par l'Etat ou des
collections publiques au cours des trois dernières années.
Si votre rapporteur se réjouit de ces acquisitions qui pour celle
réalisée cette année représentait un coût de
80 millions de francs
4(
*
)
,
il nourrit de sérieux doutes sur la possibilité de conserver dans
le patrimoine national l'ensemble des oeuvres de grande valeur dont les refus
de certificat arriveront à échéance dans les années
à venir.
En effet, le dispositif législatif prévu par la loi du 31
décembre 1992, si il n'a pas entravé le bon fonctionnement du
marché de l'art, a révélé ses limites du point de
vue de son efficacité à assurer la protection du patrimoine
national.
Votre rapporteur ne reviendra pas sur l'analyse détaillée des
lacunes de ce dispositif. Il se contentera de rappeler que l'évolution
de la jurisprudence judiciaire (arrêt Walter de la Cour de cassation du
20 février 1996) sur l'indemnisation du classement d'office, et le
coût excessif qui en résulte pour l'Etat, ont eu pour
conséquence de laisser celui-ci désarmé en cas de refus de
vente de l'objet par son propriétaire. Il suffit, en effet, que ce
dernier, spéculant sur le fait qu'on n'osera pas classer l'objet en
raison du coût excessif du classement, refuse de le vendre à
l'Etat et laisse s'écouler le délai de trois ans, pour être
assuré de pouvoir obtenir le certificat. Votre rapporteur avait l'an
dernier souligné l'intérêt de la procédure
britannique qui présentait l'avantage de préciser les
modalités de l'acquisition par les collectivités publiques d'une
oeuvre pour laquelle la licence d'exportation était refusée. Il
souligne, pour s'en féliciter, que le dispositif législatif en
cours d'élaboration au ministère de la culture relève de
la même source d'inspiration. En effet, d'après les indications
fournies par le rapport de l'observatoire des mouvements internationaux
d'oeuvres d'art rendu public en avril dernier, il reposerait sur les deux
principes suivants :
- préciser les modalités d'acquisition par l'Etat des
trésors nationaux : en cas de refus de vente à l'amiable, le
prix est fixé par des experts. Si à ce prix-là, l'Etat
décide d'acheter et si le propriétaire refuse de vendre, le refus
de certificat peut être indéfiniment renouvelé de trois ans
en trois ans ;
- prévoir des exonérations fiscales pour atténuer les
conséquences du classement pour les propriétaires et la rendre
moins coûteuse pour l'Etat.
Si votre rapporteur insiste sur la nécessité de soumettre
rapidement de telles dispositions au Parlement, il rappelle qu'il avait
déjà souligné l'an dernier, au vu de l'analyse des
crédits d'acquisition des musées nationaux, que la modification
de la loi de 1992 ne saurait à elle seule suffire à
protéger notre patrimoine national.
Son analyse se trouve confirmée par les conclusions du rapport
précité qui relève:
" On ne saurait trop insister
(...) sur la nécessité absolue d'assortir l'application de la loi
du 31 décembre 1992 des moyens financiers sans lesquels, modifiée
ou non, elle ne répondra que très imparfaitement à son
objet, le maintien sur notre territoire de nos trésors
nationaux ".
b) Une nécessité : doter l'Etat des moyens d'une politique d'acquisition ambitieuse.
Le tableau ci-dessous retrace l'origine et le montant des crédits d'acquisition des musées nationaux depuis 1995.
EVOLUTION DEPUIS 1990 DES CRÉDITS D'ACQUISITIONS
DESTINÉS
AUX MUSÉES NATIONAUX
(au 1er novembre
1999)
|
SUBVENTIONS ETAT |
CREDITS RMN |
|||||
ANNÉE |
Subvention annuelle
|
Fonds du
patrimoine Chapitre
|
Autres (1) |
Dotation
RMN
|
Dons et
legs affectés
|
" mécénat " chapitre 657.13 |
TOTAL |
1990 |
29,7 |
22,9 |
0,60 |
47,7 |
38,0 |
2,9 |
141,8 |
1991 |
16,5 |
8,40 |
0,50 |
46,4 |
1,6 |
2,6 |
76,0 |
1992 |
32,72 |
11 |
0,61 |
57,64 |
18,47 |
5,33 |
125,77 |
1993 |
16,56 |
1,50 |
0,30 |
40,55 |
3,81 |
7,04 |
69,76 |
1994 |
14,26 |
15 |
0,62 |
77,29 |
20,42 |
11,72 |
139,31 |
1995 |
7,28 |
9,3 |
0,20 |
55,0 |
6,3 |
9,7 |
87,6 |
1996 |
6,05 |
36,20 |
0,00 |
43,62 |
0,95 |
7,79 |
94,61 |
1997 |
7,87 |
55,75 |
0,05 |
26,51 |
37,13 |
14,87 |
142,18 |
1998 |
11,87 |
51,05 |
0,5 |
57,6 |
15,3 |
14,4 |
159,7 |
(1)
Commission nationale de la photographie
A partir de 1995, les difficultés financières de la
Réunion des musées nationaux (RMN) résultant du recul de
la fréquentation des musées nationaux et des mauvais
résultats de ses activités commerciales ont eu pour
conséquence de réduire le montant de sa participation aux
acquisitions des musées nationaux, qui est passée de
77 millions de francs en 1994 à 26 millions de francs en 1997,
soit le niveau le plus bas jamais atteint depuis 1990.
Afin de compenser cette évolution, le ministère de la culture a
accru significativement sa contribution, d'une part, par le biais de la
subvention annuelle inscrite au chapitre 43-92 article 30 (patrimoine
muséographique) et, d'autre part, grâce à une augmentation
des crédits du fonds du patrimoine. L'effort de l'Etat, conjugué
au redressement de la situation financière de la RMN, a permis en 1998
une augmentation du montant des crédits d'acquisition. Sur les dix
premiers mois de l'année, ils se sont élevés à
159,7 millions de francs.
En 1999, les crédits du fonds du patrimoine bénéficieront
d'une augmentation de 8 %, passant de 97,49 millions de francs
à 105,25. Par ailleurs, la subvention annuelle sera reconduite en francs
courants à son niveau de 1998 (soit 11,87 millions de francs).
Il importe de souligner que d'après les indications fournies à
votre rapporteur, les crédits du fonds du patrimoine devront
également, comme en 1998, financer les acquisitions destinées
à enrichir les collections du nouveau musée des arts et des
civilisations, ce qui limitera d'autant les crédits disponibles pour
l'achat des trésors nationaux. En 1998, 30 millions de francs ont
été consacrés à des acquisitions destinées
à cette nouvelle institution, 11millions de francs provenant du budget
du ministère de la culture (fonds du patrimoine) et 19 millions de
francs du budget du ministère de l'éducation nationale. En 1999,
le montant des acquisitions devrait s'élever à 50 millions de
francs, financées pour moitié par les deux ministres de tutelle.
Ce sera donc près d'un quart des crédits du fonds du patrimoine
qui seront affectés à la constitution des collections de ce
musée.
L'étroitesse de la marge de manoeuvre dont disposent les musées
nationaux, en dépit de l'effort consenti au cours des dernières
années, exige que la réflexion sur les moyens de diversifier
leurs sources de financement aboutisse dans les plus brefs délais. Le
rapport précité préconise l'affectation à
l'acquisition de trésors nationaux d'une part préfixée des
recettes de la Française des jeux, ce qui permettrait de réserver
les dotations budgétaires aux acquisitions ordinaires. A ce titre, il
indique que
" faute de disposer rapidement de ces ressources
exceptionnelles, la plupart des trésors nationaux, quitteront notre
territoire national sans espoir de retour ".