III. LES PRINCIPAUX CHANTIERS DE LA COOPÉRATION CULTURELLE EXTÉRIEURE
A. L'ENSEIGNEMENT FRANÇAIS À L'ÉTRANGER
Depuis le 1er janvier 1991, les moyens affectés par l'État à cette action 1 ( * ) sont centralisés au sein de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), établissement public national créé par la loi n° 90-588 du 6 juillet 1990.
L'Agence fédère plusieurs types d'établissements d'enseignement français à l'étranger : d'une part, les établissements gérés directement et relevant de la tutelle du ministère des affaires étrangères ou de la coopération ; d'autre part, des établissements privés de droit local, associés au service public de scolarisation des enfants français à l'étranger, qui sont liés à l'Agence par une convention.
151.463 élèves étaient scolarisés par le réseau d'enseignement français à l'étranger au cours de l'année scolaire 1994-1995, parmi lesquels 59.227 jeunes Français, 70.947 élèves ressortissants des pays d'accueil des établissements et 21.289 enfants originaires de pays tiers.
Les réformes de 1990 poursuivaient trois objectifs fondamentaux : mettre un terme aux disparités de rémunération des personnels titulaires de l'éducation nationale en poste à l'étranger et favoriser le recrutement de « résidents » ; faciliter, par la centralisation des recrutements, le redéploiement des moyens des établissements scolaires français à l'étranger ; permettre une stabilisation des droits d'écolage versés par les parents d'élève.
Au regard de ces trois objectifs, le bilan que l'on peut dresser de ces réformes après cinq ans d'application paraît mitigé.
On notera, par ailleurs, que les ajustements réglementaires souhaités par l'Ambassadeur Contenay, chargé en 1993 d'une mission de réflexion sur la pertinence de l'organisation administrative issue de la loi de 1990 n'ont toujours pas reçu de traduction, alors même que ces réformes avaient été annoncées par le ministre des affaires étrangères au Conseil supérieur des Français de l'étranger le 6 septembre 1993.
Soulignant que la création de l'Agence avait eu des conséquences globalement positives sur l'organisation et le fonctionnement de l'enseignement français à l'étranger en ce qu'elle avait permis notamment de renforcer la cohérence de l'action éducative extérieure, d'accroître la souplesse de gestion du réseau des établissements français à l'étranger, et d'assurer une meilleure participation des usagers à la définition de la politique menée, il suggérait néanmoins un certain nombre d'adaptations des textes réglementaires.
Les modifications proposées visaient en particulier la définition de « conventions à géométrie variable », destinée à mieux prendre en considération les particularités des établissements dits de coopération éducative, qui accueillent presque exclusivement des élèves étrangers, et dont l'activité se situe dès lors en marge d'une logique de service public. Elles tendaient également à assouplir les règles de recrutement des professeurs « résidents » en supprimant notamment l'obligation de résidence de trois mois à laquelle est subordonnée le recrutement sous ce statut. Une refonte du décret du 22 novembre 1990 relatif à l'administration et au fonctionnement de l'Agence était enfin préconisée, afin d'élargir la composition du conseil d'administration et d'adapter le régime d'autonomie financière des établissements en gestion directe.
Ces réformes sont toujours en attente.
1. La prise en charge de la rémunération des enseignants titulaires par l'État a figé les possibilités de recrutement offertes aux établissements scolaires
Pour mettre un terme aux disparités de rémunérations servies aux enseignants titulaires de l'éducation nationale en poste à l'étranger, le décret du 31 mai 1990 pose le principe de la « prise en charge » par l'État du traitement versé à l'ensemble des titulaires, qu'ils soient recrutés hors du pays d'affectation (« expatriés » 1 ( * ) ) ou dans celui-ci (« résidents »).
Cette prise en charge reste toutefois partiellement fictive puisque les établissements se sont vu imposer de reverser au budget de l'Agence la totalité des sommes qu'ils consacraient jusqu'alors à la rétribution des enseignants résidents. Il n'en est donc résulté aucun allégement de charge pour les établissements scolaires. Bien au contraire, dans les pays où la situation locale le justifie, une « prime de cherté de vie » a été instaurée, qui peut atteindre jusqu'à 50 % du traitement de base versé à l'enseignant, et est intégralement supportée par les établissements.
La réforme des modalités de rémunération des enseignants titulaires qui visait à garantir aux personnels « résidents » le versement d'un salaire au moins équivalent au traitement indiciaire qu'ils percevraient en France s'est accompagnée d'une centralisation du recrutement de cette catégorie d'enseignants.
Jusqu'alors laissée à la libre appréciation des responsables des établissements en gestion directe ou des associations de parents d'élèves gestionnaires des écoles conventionnées, l'affectation des personnels résidents est désormais décidée par l'Agence, en fonction des vacances de postes ou des supports budgétaires nouvellement disponibles, après une procédure locale de concertation associant les chefs d'établissements, les services culturels de l'ambassade et les commissions consultatives paritaires locales, composées de représentants de l'administration et des syndicats ou organisations professionnelles d'enseignants.
En figeant ainsi le nombre des agents titulaires susceptibles d'être recrutés par les établissements, cette réforme a supprimé toute souplesse de recrutement -fût-ce à coût nul pour l'Agence- d'enseignants titulaires de l'éducation nationale.
Elle contraint de ce fait les établissements qui n'ont pu bénéficier d'un nombre suffisant d'enseignants titulaires sur les cadres d'emplois de l'Agence à se tourner, pour faire face à leurs besoins, vers le recrutement local d'enseignants non titulaires de l'éducation nationale. Cette solution comporte deux types d'inconvénients : elle s'opère au détriment de la qualité de l'enseignement dispensé par ces établissements ; elle laisse à l'entière discrétion des établissements la fixation de la rémunération versée aux enseignants « recrutés locaux », générant d'importantes disparités de traitement.
Il faut aussi mentionner le cas d'une vingtaine d'établissements scolarisant près de 7.000 élèves aux États-Unis, qui bien que reconnus par l'éducation nationale, n'ont pas signé de convention avec l'Agence parce que celle-ci n'était pas en mesure de leur accorder, sur son contingent actuel de postes de résidents, le nombre d'enseignants jugés nécessaires à leur bon fonctionnement.
La situation décrite ci-dessus est encore aggravée par la très grande difficulté rencontrée par les établissements à recruter localement des enseignants titulaires du fait de la clause de résidence à laquelle est subordonnée, en application du décret du 31 mai 1990, le bénéfice du statut de « résident ».
Pour attester de la réalité du recrutement local des enseignants « résidents », l'article 2 de ce décret conditionne à une résidence effective de trois mois au moins dans le pays d'implantation de l'établissement scolaire, le recrutement de titulaires de l'éducation nationale sous le statut de « résident ». Il prévoit toutefois une exception pour les agents qui y sont établis depuis moins de trois mois afin suivre leur conjoint dans son nouveau pays d'affectation.
Cette exigence constitue incontestablement un frein au recrutement de personnels résidents. De plus, elle a été fréquemment tournée, les enseignants se mettant en disponibilité et se faisant recruter sur un contrat de « recruté local » le temps de satisfaire à la condition de résidence nécessaire à l'obtention d'un contrat de résident.
Ces motifs ont conduit l'Ambassadeur Contenay à proposer la suppression de cette clause de résidence.
Sur instruction de ses ministres de tutelle, l'Agence étudie actuellement une modification du décret du 31 mai 1990 tendant à proposer une nouvelle définition de la notion de résident.
Les représentants des personnels restent mitigés sur l'opportunité d'une telle réforme. Au cours de la consultation interministérielle à laquelle a procédé l'Agence, les ministères de la fonction publique et du budget se sont par ailleurs interrogés sur les conséquences que risquerait d'avoir une telle réforme, et en particulier sur la revendication de nouveaux avantages (voyages, prime de déménagement, voire même bénéfice du statut d'expatrié) qu'elle pourrait susciter chez les personnels résidents.
Ces craintes ne semblent pas infondées : si la situation financière des enseignants résidents s'est globalement améliorée depuis la mise en place de la réforme, les écarts de rémunération entre ces deux catégories de personnels titulaires restent très sensibles : en moyenne mensuelle calculée sur les sept premiers mois de 1995, un enseignant résident gagnait 24.983 francs de moins que son homologue expatrié dans les pays situés dans le champ du ministère de la coopération (14.493 francs contre 39.476 francs) et 22.827 francs de moins dans les autres pays (14.179 francs contre 37.006 francs). Ces différences s'expliquent pour l'essentiel par la prime d'expatriation versée aux seconds, et qui atteignait 19.415 francs dans les pays du champ et 17.761 francs dans les pays hors champ.
2. Une augmentation continue des droits de scolarité que pourrait ne plus parvenir à atténuer l'octroi de bourses
• La question de l'augmentation importante des frais
de scolarité depuis la création de l'Agence est
particulièrement sensible pour nos compatriotes expatriés qui
sont légitimement soucieux de permettre à leurs enfants de
poursuivre leurs études dans des conditions satisfaisantes, de
manière à ce que leur éloignement de la métropole
ne pénalise pas de manière irréversible leur futur
parcours professionnel.
De nombreux français de l'étranger se sont vu imposer des augmentations parfois très sensibles des droits d'écolage qu'ils doivent acquitter. Cette augmentation est contraire aux engagements pris au moment de la création de l'Agence, selon lesquels les frais de scolarité ne doivent pas augmenter plus vite que « l 'inflation locale constatée ».
Or, les données actuellement disponibles conduisent à constater une hausse moyenne des frais de scolarité supérieure à l'inflation locale. Sur deux ans 1 ( * ) , et d'après les chiffres communiqués par l'Agence, les frais de scolarité versés par les parents d'élèves français, exprimés en monnaie locale, ont progressé de 42,32 % en moyenne dans les 260 établissements référencés (parmi lesquels 204 établissements relevant de l'Agence et 56 établissements situés hors réseau mais dans lesquels des bourses de scolarité sont versées aux élèves français).
Une étude générale sur dix ans fait par ailleurs apparaître une augmentation globale de 53 % des frais de scolarité (38 % en francs constants) entre 1982 et 1992.
L'Agence conduit actuellement des investigations destinées à identifier avec précision les causes de cette inflation continue.
D'ores et déjà, l'on peut affirmer que la réforme des modalités de rémunération des enseignants intervenue en 1990, qui a indexé les traitements de l'ensemble des titulaires de l'éducation nationale sur le salaire parisien en y intégrant les différentes mesures de revalorisation intervenues en France, a largement contribué à la dérive des coûts, ne serait-ce parce que le déroulement plus rapide des carrières à l'étranger entraîne un glissement vieillissement-technicité (GVT) supérieur à celui qui est observé en France.
• Depuis la création de l'Agence,
l'enveloppe de crédits affectée au service des bourses a
été très sensiblement réévaluée.
Elle est passée de 102 millions de francs en 1991 à 185
millions de francs en 1995, soit une progression de plus de 80 % en francs
courants.
Pour 1996, cet effort devrait être conforté grâce au rétablissement dans la base budgétaire de 23 millions de francs prélevés l'an passé sur le fonds de roulement de l'Agence.
Le tableau ci-après retrace cette évolution.
ÉVOLUTION DES CRÉDITS DE BOURSES ET DU NOMBRE D'ALLOCATAIRES
(1991-1995)
Dans le même temps, l'Agence a procédé à une réforme importante du système d'attribution des bourses scolaires, tendant d'une part à assurer la gratuité de l'enseignement aux familles dont les revenus sont insuffisants, et d'autre part à moduler le montant des bourses attribuées aux autres bénéficiaires en fonction des réalités locales et des spécificités familiales.
A cette fin, un seuil de revenus insuffisants a été défini pour chaque pays. Il varie selon la composition de la famille. Les commissions locales d'attribution des bourses ont été par ailleurs chargées d'évaluer la part des frais scolaires que pouvait supporter chaque famille, en fonction de nouveaux barèmes élaborés par la commission nationale des bourses, qui assurent une meilleure prise en compte des spécificités locales.
L'Agence a consacré par ailleurs 10,5 millions de francs en 1995 à l'attribution de « bourses d'excellence » aux meilleurs bacheliers étrangers scolarisés dans son réseau. Ces bourses, réservées aux élèves ayant obtenu une mention « bien » ou « très bien » au baccalauréat, tendent à inciter leurs bénéficiaires à poursuivre leurs études supérieures en France ou dans les filières francophones à l'étranger. Elles tendent ainsi à lutter contre la déperdition des meilleurs éléments observée généralement lors de l'entrée à l'université, au bénéfice des universités américaines le plus souvent.
Accordées pour une durée initiale de deux ans, elles sont susceptibles d'être renouvelées après examen des résultats obtenus par les lauréats au cours du premier cycle d'études supérieures.
Elles bénéficient prioritairement aux élèves se dirigeant vers les classes préparatoires aux grandes écoles, les instituts d'études politiques, les instituts universitaires de technologie ou les instituts nationaux de sciences appliquées.
Au 31 décembre 1995, 205 étudiants étrangers auront bénéficié d'une bourse d'excellence, parmi lesquels 74 étudiants originaires d'Amérique latine et 65 du continent africain.
3. Un redéploiement limité de la carte des établissements scolaires à l'étranger
Des espoirs importants avaient été fondés, lors de la création de l'Agence, sur la centralisation des moyens affectés à l'enseignement français à l'étranger, qui devait permettre au nouvel établissement public de procéder à une redistribution de l'effort consenti vers les zones géographiques prioritaires.
Force est aujourd'hui de constater que le vaste redéploiement escompté de la carte des établissements scolaires à l'étranger ne pourra s'opérer que de façon très progressive et sur des perspectives de très long terme.
Deux phénomènes se conjuguent en effet pour limiter tout mouvement de fond en ce domaine.
• Le premier tient à la
difficulté de revenir sur l'acquis.
L'exemple de
l'Espagne
est à cet égard
particulièrement significatif. Justifiée à l'époque
du franquisme pendant laquelle la France proposait
délibérément un enseignement de substitution, l'importance
de la coopération éducative mise en oeuvre dans ce pays se trouve
aujourd'hui dépourvue de fondement. Or, les établissements
scolaires français implantés dans ce pays continuent de
scolariser aujourd'hui près de 10.500 Espagnols, soit près de
trois fois l'effectif des jeunes Français qui y sont inscrits. Ils
bénéficient du détachement de
116 professeurs
expatriés,
ce qui les situe au deuxième rang mondial de
l'effort consenti par la France en ce domaine, après le Maroc (366
expatriés), mais devant Madagascar (98 expatriés) ou la Tunisie
(97 expatriés). Le même traitement de faveur les
caractérise en ce qui concerne l'attribution de postes de
résidents : avec
426 postes de résidents
ouverts, l'Espagne s'inscrit à nouveau au deuxième rang
mondial, après le Maroc (508 postes), et largement devant la Tunisie
(172 postes) ou la Côte d'Ivoire (125 postes). Toutes catégories
confondues, l'Espagne continue ainsi de bénéficier de près
de 10% des postes d'enseignants titulaires de l'éducation nationale dont
dispose l'Agence...
• Le deuxième résulte de la
faiblesse des crédits d'investissements dont
bénéficie l'Agence pour faire face à des besoins nouveaux.
Ces crédits, qui suivent cependant une courbe ascendante,
devraient plafonner à 23,7 millions de francs en 1996. Ils ne
permettront pas à l'Agence de répondre favorablement à
toutes les demandes d'ouverture de nouveaux établissements qui se
trouvent aujourd'hui formulées.
* 1 A l'exception des moyens affectés à l'enseignement français en Algérie qui continuent de relever de l'office universitaire et culturel français en Algérie (OUCFA).
* 1 Les personnels « expatriés », anciens « détachés au barême » étaient déjà rémunérés par l'Etat, à la différence des personnels « résidents ».
* 1 Année scolaire 1993-1994 à année scolaire 1995-1996