Article premier C
(Art. 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986)
Exceptions aux prohibitions prévues
par les articles 7 et 8 de l'ordonnance
Les articles 7 et 8 figurant au titre III de l'ordonnance du 1er décembre 1986 intitulé « Des pratiques anticoncurrentielles » définissent les pratiques prohibées ayant pour objet ou susceptibles d'avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché.
Il s'agit par exemple d'interdire les actions concertées tendant à limiter l'accès à un marché pour d'autres entreprises, à contrôler la production ou les débouchés (art. 7), mais aussi l'exploitation abusive d'une position dominante sur un marché ou de l'état de dépendance économique dans lequel se trouve un client ou un fournisseur (art. 8).
Ces pratiques ne sont répréhensibles que dans la mesure où elles ont une incidence macro-économique sur un marché et compromettent le libre jeu de la concurrence.
L'article 10 admet toutefois certaines dérogations :
- pratique autorisée par un texte législatif, ou résultant d'un texte réglementaire pris pour son application ;
- pratique ayant pour effet d'assurer un progrès économique et réservant aux utilisateurs une partie équitable du profit qui en résulte, sans pour autant éliminer la concurrence. La pratique restrictive doit en outre être indispensable pour atteindre cet objectif de progrès.
Certains accords peuvent être reconnus comme satisfaisant à ces conditions par décret pris après avis conforme du Conseil de la concurrence. Cette procédure dite des « décrets d'exemption » n'a jamais été utilisée. Lors de l'examen du projet de loi à l'Assemblée nationale, le ministre a cependant annoncé la préparation de deux décrets de ce type en matière agricole, afin de réglementer les filières qualité et les cas de crise de production.
Sur proposition de sa commission des Lois, l'Assemblée nationale a complété l'article 10 afin de prendre en considération l'hypothèse d'une pratique anticoncurrentielle ayant pour effet de maintenir ou de développer l'emploi. L'ajout de cette mention paraît inutile et risque de conduire à une interprétation réductrice de la notion de progrès économique. Or, cette notion connaît une acception très large en matière de concurrence, tant en droit français qu'en droit européen, et inclut l'objectif de sauvegarde de l'emploi.
Ainsi le Conseil de la concurrence (décision n° 88.D.20 en date du 3 mai 1988) a-t-il estimé justifié le regroupement, dans un même organisme chargé de l'organisation du stockage, de la vente et de la constitution d'un réseau de distribution, des producteurs de sel de la presqu'île de Guérande, du fait de la nécessité d'assurer la survie d'exploitations soumises à d'importantes et imprévisibles variations de production, en faisant valoir que la saliculture contribuait au maintien de l'activité économique locale.
Le droit européen de la concurrence a également intégré les préoccupations de sauvegarde de l'emploi dans la mise en oeuvre des règles relatives à la concurrence. La commission des Communautés européennes a ainsi admis, par une décision en date du 29 avril 1994, une entente dans le secteur des briques aux Pays-Bas, en considérant que l'accord permettrait de conduire les opérations de restructuration dans des conditions sociales acceptables.
L'Assemblée nationale a par ailleurs complété le dispositif de l'article 10 en précisant que les pratiques susceptibles d'exemption pouvaient consister à « organiser les volumes et la qualité de la production ainsi que la politique commerciale, y compris en convenant d'un prix de cession commun ». Or, selon les explications fournies à votre rapporteur, il apparaît que, concernant des ententes portant sur l'organisation des volumes de production et la définition des politiques commerciales, en particulier celle des prix de cession, les critères de répartition équitable du progrès économique au bénéfice des consommateurs et de non élimination de la concurrence fixés par l'article 10 ne peuvent être satisfaits. Des ententes telles que celle des producteurs européens de carton pour définir des prix communs de cession ou celle des producteurs de ciment tendant à une régulation des ventes et à un alignement des prix ont été considérées par la Commission européenne comme des ententes illicites caractérisées et insusceptibles de bénéficier d'une exemption sur le fondement de l'article 85 paragraphe 3 du traité de l'Union.
Il convient en outre de souligner que la rédaction de l'article 10 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 est très proche de celle de l'article 85 paragraphe 3 du traité. Cette similitude traduit une volonté de faciliter la mise en oeuvre du principe de subsidiarité et de renforcer la sécurité juridique : il ne paraît donc pas souhaitable de la remettre en cause.
Pour toutes ces raisons, votre commission vous propose un amendement de suppression de l'article premier C.