Article 4
(Article 36 de l'ordonnance du 1er décembre 1986)
Pratiques restrictives entre professionnels
L'article 36 de l'ordonnance définit les pratiques commerciales restrictives entre professionnels susceptibles d'engager la responsabilité civile de leur auteur.
Il s'agit des pratiques discriminatoires dépourvues de contrepartie créant pour le partenaire un désavantage ou un avantage dans la concurrence, du refus de vente ou de la vente liée.
Ces pratiques sont également prohibées par l'article 8 de l'ordonnance dès lors qu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché. C'est alors le Conseil de la concurrence qui est compétent pour sanctionner et faire cesser ces pratiques restrictives alors que, sur le fondement de l'article 36, l'action est portée devant la juridiction civile ou commerciale par « toute personne justifiant d'un intérêt, par le parquet, par le ministre chargé de l'économie ou par le président du Conseil de la concurrence ». Le président de la juridiction saisie peut, en référé, enjoindre la cessation des agissements en cause ou ordonner toute autre mesure provisoire.
En matière de refus de vente, la responsabilité civile de son auteur est engagée lorsque la demande de l'acheteur ne présente aucun caractère anormal et qu'elle est faite de bonne foi. Le refus peut cependant être justifié dès lors qu'il a pour effet d'assurer un progrès économique (art. 10 de l'ordonnance). La charge de la preuve du caractère anormal de la demande et de la mauvaise foi qui l'affecte pèse sur le vendeur. La loi du 31 décembre 1992 a toutefois créé un cas de présomption du caractère anormal de la demande lorsqu'il est établi que l'acheteur se livre à l'une des pratiques restrictives prohibées par les articles 32 à 37 de l'ordonnance (revente à perte d'un produit en l'état, non respect des délais de paiement...).
Le projet de loi initial proposait de renverser la charge de la preuve : il incombait dès lors à l'acheteur confronté à un refus de vente d'apporter la preuve que sa demande ne présentait pas de caractère anormal. Cela revenait à reporter la charge de la preuve sur le demandeur, conformément aux règles de droit commun de la procédure civile.
L'exposé des motifs souligne que l'objectif était d'inverser les principes en faisant du refus de vente une pratique licite, sauf lorsqu'il constitue la manifestation d'une pratique abusive.
L'Assemblée nationale, conformément aux conclusions du rapport Villain précité, a préféré une libéralisation totale du refus de vente, en supprimant les troisième et quatrième alinéas de l'article 36 actuellement en vigueur. Ce rapport souligne que l'interdiction du refus de vente n'apparaît dans les législations des pays développés que dans des cas très spécifiques (situations monopolistiques par exemple, en Allemagne et au Royaume-Uni) et que « d'une façon générale, la règle universellement acceptée chez nos voisins est qu'un producteur a le droit de choisir ses canaux de distribution, afin de valoriser sa marque ».
L'interdiction du refus de vente, instaurée dans un contexte économique de pénurie, paraît aujourd'hui archaïque. Sa suppression doit permettre aux industriels de réserver certains produits à des distributeurs ayant une stratégie commerciale fondée sur la qualité et contribuer à rétablir un meilleur équilibre dans les relations entre fournisseurs et distributeurs.
Le projet de loi initial avait par ailleurs complété l'énumération figurant à l'article 36 par la mention de trois nouvelles pratiques susceptibles d'engager la responsabilité civile de leur auteur :
- l'exigence d'un avantage en contrepartie du seul référencement d'un produit, sans engagement du distributeur sur un volume d'achat proportionné ou sur la réalisation d'une prestation de service demandée par le fournisseur (chantage au référencement) ;
- l'obtention, sous la menace d'une rupture brutale des relations commerciales, de conditions d'achat (prix, délais de paiement, conditions de livraison ...) ou de coopération commerciale manifestement exorbitantes des conditions générales de vente (chantage au « déréférencement ») ;
- la rupture brutale, totale ou partielle, et sans motif légitime, des relations commerciales établies avec un fournisseur ou un client.
Ces comportements abusifs, révélateurs d'un rapport de force favorable aux distributeurs, peuvent d'ores et déjà engager la responsabilité de leur auteur sur le fondement de l'article 1382 du code civil. Mais les producteurs, soucieux d'assurer la pérennité de leur entreprise, préfèrent généralement accorder les avantages requis plutôt que d'engager une action contentieuse. Or, la mention de ces pratiques répréhensibles à l'article 36 de l'ordonnance offre l'avantage de permettre au parquet, au ministre chargé de l'économie ou au président du Conseil de la concurrence d'introduire l'action en justice, le président de la juridiction saisie ayant alors la possibilité, en référé, d'ordonner la cessation des agissements en cause et de décider des mesures conservatoires nécessaires.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale a modifié la définition des nouvelles pratiques répréhensibles visées par l'article 36.
Concernant l'obtention d'un avantage, sans contrepartie en termes d'engagement sur un volume d'achat de produits proportionné ou de prestation de service demandée par le fournisseur, la rédaction retenue vise à la fois le fait d'obtenir cet avantage mais également la simple tentative. Elle exige par ailleurs que l'engagement du distributeur soit consigné par écrit, ce qui devrait faciliter l'administration de la preuve.
La portée de la disposition relative à la revendication par le distributeur, sous la menace d'une rupture brutale des relations commerciales, d'avantages dépourvus de toute contrepartie, a été considérablement élargie. Contrairement au projet de loi initial, la menace n'est prise en considération que pour la tentative. Devient ainsi répréhensible le simple fait d'obtenir des prix, des délais de paiement, des modalités de vente ou des conditions de coopération commerciale manifestement exorbitants des conditions générales de vente ou, à défaut, des usages commerciaux. Il s'agit, selon les termes mêmes de M. Jean-Paul Charié, rapporteur au nom de la commission de la production et des échanges, de « fixer une limite aux avantages, aux réductions de prix accordés par le fournisseur à son client ».
Une telle disposition paraît attentatoire au principe de la liberté de la négociation commerciale, de la liberté contractuelle. L'obtention de conditions particulièrement favorables ne semble pas, en soi, devoir être considéré comme illicite. Le caractère répréhensible de l'obtention de tels avantages peut, en revanche, résulter de l'exercice d'une menace de rupture brutale des relations commerciales. L'objectif poursuivi est de protéger le fournisseur, dans le rapport de force que constitue la négociation commerciale, contre les manoeuvres d'intimidation qui le conduiraient à consentir des avantages manifestement excessifs eu égard aux conditions générales de vente ou aux usages commerciaux en vigueur dans le secteur économique concerné.
Il convient en outre de rappeler qu'en l'absence de telles menaces, l'article 36 prévoit d'ores et déjà l'engagement de la responsabilité du commerçant qui obtient d'un partenaire économique des conditions « discriminatoires », non justifiées par des contreparties réelles et créant un avantage dans la concurrence.
On peut enfin s'interroger sur la compatibilité de cette disposition qui confère un caractère répréhensible au simple fait d'obtenir un avantage dérogeant manifestement aux conditions générales de vente ou aux usages commerciaux avec celle permettant l'obtention d'un avantage dès lors qu'il est assorti d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné ou sur une prestation de service demandée par le fournisseur. Le distributeur peut-il, dans ce dernier cas, obtenir un avantage manifestement exorbitant des conditions générales de vente, l'engagement écrit sur l'octroi d'une contrepartie ayant alors valeur exonératoire ?
Pour toutes ces raisons, votre commission vous soumet un amendement tendant à rétablir le texte du projet de loi initial, en substituant toutefois le terme « dérogatoires » au terme « exorbitantes ». Par ce même amendement, elle vous propose d'améliorer la rédaction de la disposition conférant un caractère répréhensible au fait de rompre brutalement une relation commerciale établie, en l'absence de préavis écrit et sans tenir compte des délais prescrits par les accords interprofessionnels.
La dernière disposition de l'article 4 du projet de loi désigne les personnes susceptibles d'introduire l'action en responsabilité devant la juridiction civile ou commerciale (toute personne justifiant d'un intérêt, le parquet, le ministre chargé de l'économie ainsi que le président du Conseil de la concurrence).
Le projet de loi initial limitait, pour les autorités publiques précitées, la possibilité d'introduire l'action au cas où la pratique répréhensible est « contraire à l'ordre public économique ». Considérant que la référence à cette notion risquait d'être source de contentieux et d'affaiblir le dispositif, l'Assemblée nationale a supprimé cette condition.
Il paraît cependant préférable de conserver le texte actuellement en vigueur En effet, celui-ci dispose que le président du Conseil de la concurrence peut introduire l'action lorsqu'il constate une pratique mentionnée à l'article 36 de l'ordonnance, à l'occasion des affaires relevant de sa compétence, et non de façon générale. Par ailleurs, le texte adopté par l'Assemblée nationale, comme d'ailleurs le projet de loi initial, précisent que « Seule la personne justifiant d'un intérêt peut formuler une prétention à caractère indemnitaire. » : cette mention est inutile puisqu'elle se borne à énoncer un principe relevant du droit commun.
En conséquence, votre commission vous soumet un amendement tendant à rétablir la disposition actuellement en vigueur.
Votre commission vous propose d'adopter l' article 4 ainsi modifié.