CHAPITRE IV - LES AUTRES ACTIONS COMMUNES
I. LE RENSEIGNEMENT
Bien que tenu le plus souvent à l'écart du débat national, le renseignement -sujet sensible s'il en est- est une fonction essentielle à la stratégie de défense du pays et, plus généralement, à la bonne marche de l'Etat . Véritable enjeu de pouvoir, le renseignement est, dans une démocratie, un moyen d'aide à la décision quelle qu'elle soit, politique, militaire, diplomatique, économique ou scientifique.
Cela est encore plus vrai dans le nouveau contexte géostratégique qui a fait apparaître une situation mondiale souvent indéchiffrable et aux risques multiples, faisant du renseignement une véritable matière première stratégique.
C'est pourquoi le livre blanc sur la défense et la dernière loi de programmation ont fait, à juste titre, du renseignement, sous toutes ses formes, une priorité essentielle qui trouve notamment sa traduction dans le développement de nos moyens militaires spatiaux (cf. chapitre III ci-dessus) et qui doit être impérativement préservée dans la prochaine loi de programmation.
C'est dans cet esprit que doivent être appréciés les moyens consacrés, dans le projet de loi de finances pour 1996, aux services rattachés au ministère de la Défense et qui participent à la fonction du renseignement.
A. LES MOYENS DES SERVICES PARTICIPANT À LA FONCTION DU RENSEIGNEMENT
1. La DGSE (direction générale de la sécurité extérieure)
La priorité relative accordée au renseignement dans le projet de budget pour 1996 apparaît notamment dans la création de 40 emplois civils au bénéfice de la DGSE pour un coût de 11,5 millions de francs, et de 33 emplois militaires par redéploiement interne au ministère. Rappelons toutefois que la loi de programmation votée en 1994 prévoyait, de 1995 à 2000, le renforcement de 500 emplois budgétaires civils et de 200 postes de militaires. Les effectifs de la DGSE sont, au total, de l'ordre de 4 000, dont environ 2 500 effectifs budgétaires civils.
Les crédits dont disposera la DGSE en 1996 (crédits budgétaires proprement dits + crédis reportés) s'élèveront à 1 350,367 millions de francs , soit un accroissement de 3,47 % d'un an sur l'autre.
Les crédits inscrits au titre III atteindront 696 millions (au lieu de 671 millions en 1995) en raison de deux mouvements différents : l'augmentation sensible des rémunérations et charges sociales (+ 5 %) due notamment aux créations d'emplois, et à la diminution (- 0,04 %) des crédits de fonctionnement.
Pour leur part, les crédits disponibles du titre V passeront de 634 millions en 1995 à 654 millions en 1996, soit une progression de 3,15 % en francs courants. Mais ce montant global recouvre, là aussi, deux évolutions très contrastées : une baisse sensible (de 8 %), regrettable, des crédits disponibles dans le domaine des équipements techniques et des matériels ; et une forte hausse apparente (de 16,9 %) des crédits de paiement dans le domaine des infrastructures.
Les investissement dans le domaine des travaux d'infrastructure courants seront toutefois en réalité en forte diminution pour permettre le maintien des dotations nécessaires à l'opération de transfert de la DGSE sur le site de Noisy-le-Sec . Cette opération très importante -d'un coût global supérieur au milliard de francs- est désormais entrée dans sa phase de réalisation, et la réception des travaux est prévue pour 2002. Elle doit se traduire par le transfert de la plupart des fonctions opérationnlles à Noisy, qui deviendra le siège principal de la DGSE, certaines fonctions techniques devant être conservées dans le quartier des Tourelles.
2. La DRM (direction du renseignement militaire)
Créée en 1992, la Direction du renseignement militaire poursuit sa montée en puissance qui devrait être achevée en l'an 2000. Une délégation importante de notre commission a eu l'occasion de visiter, le 27 avril dernier, les installations, sur la base de Creil, de la DRM et des organismes qui lui sont rattachés : l'Unité interarmées Hélios (UIAH), le Centre d'information sur les rayonnements électromagnétiques (CIREM) et le Centre de formation et d'interprétation interarmées de l'imagerie (CFIII).
Sur le plan des effectifs , la DRM, sauf évolution nouvelle du contexte international, devrait compter en l'an 2000 environ 1 900 personnes (administration centrale et organismes rattachés), étant précisé qu'il n'y aura pas de création d'emplois mais des transferts de postes au sein du ministère de la défense vers la DRM.
Pour l'heure, les effectifs totaux s'élèvent à 1 600 personnes ainsi réparties :
- 608 à « l'administration centrale » dont la moitié à Paris et la moitié à Creil,
- 330 pour les trois organismes rattachés, également installés sur la base de Creil,
- 385 pour l'Ecole interarmées du renseignement et des études linguistiques (EIREL) située à Strasbourg,
- et 277 pour le détachement autonome des transmissions.
Les moyens techniques de la DRM se développent rapidement, en particulier son équipement informatique : en application d'un plan sur trois ans (1993-1995), le nombre total d'ordinateurs a été multiplié par 3,5, pour atteindre aujourd'hui 781, dont 489 à Creil.
L'interconnexion des réseaux et la mise en place de communications performantes devraient en outre limiter les nombreux déplacements provoqués par l'implantation de la DRM sur deux sites, à Paris et à Creil.
S'agissant enfin des moyens financiers, l'enveloppe de crédits du titre III alloués à la DRM pour 1996 s'élève à 37,375 millions. Ce montant tient compte du transfert de l'EIREL à la DRM pour un montant de 10,6 millions et de celui de 1,5 million de la DRM à l'armée de l'air, et se traduit donc par une forte augmentation apparente. Par ailleurs, les dépenses en capital inscrites au titre V accordées à la DRM passent d'un an sur l'autre de 46 à 48 millions de francs.
On relèvera en outre que des crédits consacrés au renseignement militaire figurent dans des articles budgétaires pour lesquels il n'est pas possible de séparer précisément les crédits spécifiquement consacrés au renseignement et ceux consacrés à d'autres fonctions contribuant au renseignement comme, par exemple, les systèmes d'information et de commandement (SIC).
3. Les autres services
Outre la DGSE et la DRM, de nombreux autres services relevant du ministère de la défense participent également, d'une manière ou d'une autre, à la fonction de renseignement, notamment la DGA elle-même (cf. II ci-dessous) et diverses structures ou unités militaires spécialisées telles que : le « commandement des opérations spéciales » ( COS ), les CRAP ( commandos de recherche et d'action dans la profondeur ) ou la BRGE (brigade de renseignement et de guerre électronique).
Mais deux autres services ont une activité de renseignement essentielle : la DPSD et la DAS.
a) La DPSD (direction de la protection et de la sécurité de défense)
La DPSD, dont les missions sont fixées par un décret du 20 novembre 1981, contribue à la fonction de renseignement, notamment pour prévenir et rechercher les atteintes à la défense nationale et coordonner les mesures nécessaires à la protection des renseignements intéressant la défense.
Les crédits de fonctionnement de la DPSD n'évolueront guère, en lois de finances initiales, d'un an sur l'autre, passant de 44,35 millions pour 1995 à 44,26 millions pour 1996. Les crédits du titre V passeront pour leur part, en crédits de paiement, de 31 millions en 1995 à 28 millions en 1996. Au total, si l'on se réfère aux seules lois de finances initiales, le budget de la DPSD passera de 75,35 millions en 1995 à 72,26 millions en 1996.
Les effectifs de la DPSD s'élèvent à 1 620 personnes :
- 1 360 militaires, après la fermeture des organismes militaires stationnés à Berlin,
- et 260 civils, compte tenu de la poursuite de la déflation annuelle de 1,5 % imposée jusqu'en 1997.
b) La DAS (délégation aux affaires stratégiques)
La DAS, délégation aux affaires stratégiques, est une structure récente, créée par un décret du 16 juin 1992, qui a permis de renforcer la participation du ministère de la défense dans l'analyse et la réflexion stratégique, à l'image de structures correspondantes existant dans de nombreux pays.
Les effectifs de la DAS s'élèvent à environ 80 personnes ainsi réparties : 32 fonctionnaires (dont 24 de catégorie A), 19 officiers (dont 3 officiers généraux), 15 sous-officiers et 13 appelés du contingent.
Du point de vue budgétaire, la DAS, comme les autres organismes de l'administration centrale du ministère de la défense, bénéficie de crédits de fonctionnement (titre III) gérés par la direction de l'administration générale. La DAS est en outre habilitée à passer des contrats d'études avec des instituts et organismes de réflexion stratégique, ces crédits d'études (titre V) étant gérés par la direction de la recherche de la DGA.
B. LES RÉFLEXIONS DE VOTRE RAPPORTEUR
Par-delà ces données financières, le traitement du renseignement dans notre pays -qui ne fait pas partie de notre culture nationale au même degré que dans les pays anglo-saxons- appelle de votre rapporteur quelques réflexions d'ordre plus général.
1. La question récurrente et difficile de la coordination des moyens du renseignement
Quelle que soit la qualité des services de renseignement français et des hommes qui s'y consacrent, chacun s'accorde, depuis des années, à estimer que la coordination interministérielle du renseignement constitue une priorité pour que notre pays tire de son dispositif toute l'efficacité qu'il peut en attendre.
Non pas qu'il faille considérer que la situation se soit récemment dégradée -des améliorations ont même été réalisées. Mais il s'agit là d'un problème particulièrement difficile à résoudre compte tenu de la multiplicité des services contribuant au renseignement -à commencer par la DGSE, la DRM et la DPSD, qui relèvent du ministère de la Défense, la DST qui relève du ministère de l'Intérieur, et le SGDN qui relève du Premier ministre- et des exigences particulières inhérentes à toute activité de renseignement.
Le caractère indispensable de cette difficile coordination apparaît cependant chaque jour davantage dans des domaines aussi divers que la lutte contre le terrorisme -dont l'importance a malheureusement été encore illustrée par l'actualité récente-, le renseignement d'ordre économique, le renseignement électronique, ou la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Reste à trouver les formes de cette coopération renforcée . Une réflexion approfondie a eu lieu récemment au sein du SGDN, qui fait lui-même l'objet d'une profonde réorganisation. L'idée, émise depuis quelques années, d'une structure comparable au Conseil national de sécurité américain, a été écartée dans la mesure, semble-t-il, où elle bouleverserait trop l'organisation et l'équilibre actuels en impliquant directement le Président de la République. D'autres structures, plus légères, de coordination, pourraient toutefois être envisagées autour d'un coordinateur qui, sans exercer pour autant d'autorité fonctionnelle sur les services, en serait l'interlocuteur quotidien et renforcerait l'efficacité du dispositif de renseignement en confortant sa place dans le processus de décision des plus hautes autorités de l'Etat.
L'élection d'un nouveau Chef de l'Etat pourrait constituer, aux yeux de votre rapporteur, une conjoncture particulièrement favorable à la mise en place d'une telle réforme.
2. L'importance accrue du renseignement économique et technologique
S'il est bien un domaine dans lequel l'action en matière de renseignement doit être aujourd'hui renforcée et davantage coordonnée, c'est sans aucun doute celui du renseignement économique et technologique, afin d'éclairer le gouvernement dans le domaine de l'information économique stratégique.
Le phénomène n'est pas propre à la France. Et les Etats-Unis ont donné l'exemple en créant, auprès du Président, un Conseil national de sécurité économique dont l'objectif clairement affiché est la reconstruction des forces économiques des Etats-Unis et doit être « l'élément central de la politique de sécurité nationale ». L'efficacité du système trouve son illustration dans les interventions directes et pressantes du Président américain pour soutenir les industriels américains face à la concurrence internationale.
S'agissant de la France , si le dispositif national de recueil et d'exploitation de l'information économique stratégique est substantiel, il souffre, là encore, de cloisonnements importants et d'une insuffisante coordination. Votre rapporteur se félicite, dans cet esprit, de la création, par un décret du 4 avril 1995, d'un « comité national pour la compétitivité et la sécurité économique » , composé de sept personnalités du monde des affaires et dont le secrétariat est assuré par le SGDN, qui dépend du Premier ministre, en association avec l'ensemble des ministères concernés.
Chargé d'éclairer le gouvernement « dans un strict respect de la légalité », sur les questions de compétitivité et de sécurité économique, de le conseiller sur la politique suivie en la matière, et d'assurer en permanence la cohérence et la coordination des actions entreprises, ce comité doit désormais faire la preuve de son efficacité. Il répond, en tout cas, dans le domaine de « l'intelligence économique », au souci de coordination nécessaire à l'efficacité. Il devrait aussi, aux yeux de votre rapporteur, être capable de créer le lien indispensable entre la collecte du renseignement économique ouvert et le monde du renseignement lui-même.
3. Quel rôle pour le Parlement dans le domaine du renseignement ?
Votre rapporteur souhaite enfin évoquer dans le présent rapport -qui est, pour le Sénat, l'une des rares occasions annuelles d'aborder les questions relatives au renseignement- le rôle du Parlement en la matière.
M. Claude Silberzahn, ancien directeur de la DGSE, a évoqué dans un ouvrage récent (« Au coeur du secret », Fayard, 1995, pages 313-314) ses « brèves liaisons parlementaires » dans les termes suivants : « Aujourd'hui, le lien du Service avec le Parlement se réduit à des rencontres brèves et informelles avec les rapporteurs du budget général de la défense, ce dernier intégrant la plus grande partie du budget de la DGSE. La qualité de l'échange ouvert en ces occasions autorise à penser qu'une approche plus hardie permettrait, tout en sauvegardant la part de secret nécessaire, de faire comprendre les fins poursuivies et les moyens qu'il convient d'y consacrer. Pourrait être évité, ce faisant, et contrairement à ce que certains craignent souvent, de mettre le doigt dans l'engrenage d'un contrôle parlementaire des services en veillant à ce que celui-ci ne puisse s'instaurer par ce biais, sous peine de limiter à la fois le pouvoir de l'exécutif et le champ du secret nécessaire à l'exercice de la mission des services ».
Si rien ne doit compromettre l'efficacité des services concernés, l'exemple du contrôle parlementaire pratiqué dans plusieurs pays démocratiques -comme les Etats-Unis ou l'Allemagne- justifie aujourd'hui une réflexion de notre pays en la matière à l'heure où chacun souhaite une revalorisation du rôle du Parlement.
Ainsi que le président de notre commission, M. Xavier de Villepin, a déjà eu l'occasion de le souligner, il est nécessaire de ne pas tenir le Parlement à l'écart d'un sujet aussi important pour la nation que le renseignement. Il doit pouvoir être associé, d'une manière ou d'une autre, de façon à être mieux informé des questions les plus importantes de l'heure et d'être mieux armé pour réfléchir aux risques et aux menaces. L'idée d'une représentation restreinte de quelques députés et sénateurs de la majorité et de l'opposition, qui s'engageraient naturellement à la discrétion indispensable, a ainsi été suggérée.
Votre rapporteur souhaite, à l'occasion de la discussion budgétaire, recueillir l'avis du gouvernement sur cette proposition.
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