EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 13 NOVEMBRE 2024
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen de l'avis préparé par Sabine Drexler sur les crédits consacrés aux patrimoines.
Mme Sabine Drexler, rapporteure pour avis sur les crédits des patrimoines. - Je me trouve dans une situation inédite pour vous présenter les crédits du programme 175 « Patrimoines » de la mission « Culture ». En effet, mon analyse porte sur un budget qui, nous le savons par avance, pourrait être largement remanié par l'amendement gouvernemental dont le dépôt nous a été annoncé en commission par la ministre, le 5 novembre dernier.
Cet amendement est loin d'être neutre. Il vise à abonder le programme à hauteur de 200 millions d'euros en crédits de paiement (CP) et de 300 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE). S'il était adopté, le programme 175 ferait l'objet d'une reconfiguration majeure : les CP seraient réhaussés de 17 % ; les AE de 26 %.
Mais nous n'en sommes pas encore là ! J'en viens donc à la présentation du programme prévu dans le PLF initial.
Les crédits proposés pour les patrimoines offrent au moins un motif de satisfaction : après une hausse continue de plusieurs années, les crédits de paiement sont reconduits au niveau historique de 2024, à hauteur de 1,2 milliard d'euros. Dans le contexte de maîtrise des finances publiques, cette préservation budgétaire témoigne d'une réelle attention portée aux patrimoines, dont je me félicite.
Ce premier sentiment positif doit cependant être tempéré par une analyse plus attentive du programme. Pour reprendre l'image éloquente employée par la ministre, il s'agit d'une stabilisation budgétaire en trompe-l'oeil, qui masque une décorrélation entre le niveau des crédits proposés et les besoins immenses d'investissement de notre patrimoine, notamment dans son versant monumental.
En effet, un quart des quelque 45 000 édifices protégés au titre des monuments historiques sont en mauvais état, et 5 % sont même en état de péril. La situation des édifices religieux est plus dégradée encore, ceux-ci étant souvent situés dans de petites communes à faibles ressources. Alors que le coût des chantiers a fortement augmenté, il en résulte un besoin de financement non seulement colossal, mais également urgent.
Devant ce constat, le budget initialement proposé pour notre patrimoine monumental m'inspire plusieurs motifs d'inquiétude.
Tout d'abord, je m'inquiète du manque de financements dévolus à l'entretien des édifices, qui ne mobilise que 14 % des crédits des monuments historiques. Cette situation perdure depuis de nombreuses années et a entraîné la formation d'un véritable cercle vicieux, la dégradation des édifices alimentant le mur d'investissements qui se trouve devant nous.
Ensuite, je m'interroge sur la baisse affichée des investissements programmés par le ministère : les autorisations d'engagement diminuent de 341 millions d'euros sur l'ensemble du programme.
Enfin, la concentration des dépenses sur les grands projets me préoccupe, car elle se fait au détriment des édifices des territoires. Seuls 5 % des nouveaux crédits arbitrés profitent à ces derniers, en particulier à l'abbaye de Clairvaux, au château de Gaillon et à la tour Saint-Nicolas de La Rochelle. Du fait du contexte budgétaire, cette concentration porte désormais également préjudice à d'autres grands projets. Je pense notamment aux schémas directeurs des château de Versailles, de Chambord et de Fontainebleau, ainsi qu'au Palais de la Porte Dorée.
En dépit de l'impératif de maîtrise des comptes publics, nous ne pourrons, me semble-t-il, accueillir l'amendement annoncé par la ministre qu'avec soulagement. Pour autant, j'observe que les crédits supplémentaires proposés au travers de cet amendement ne dégageront pas de fortes marges de manoeuvre pour mener de nouveaux projets : en AE, ils ne feront que compenser la baisse décidée dans la version initiale du PLF.
De plus, l'annonce tardive de ces financements additionnels empêche le Parlement de jouer pleinement son rôle, dans la mesure où nous ne pourrons pas nous prononcer avec un niveau d'information suffisant sur l'affectation de ces considérables crédits supplémentaires. Aussi devrons-nous nous montrer très attentifs à leur ventilation, notamment pour nous assurer que le patrimoine monumental des territoires en reçoive sa part.
Malgré ces remarques, l'adoption de cet amendement aura au moins le grand mérite de permettre à plusieurs grands chantiers, comme celui de Versailles, de se poursuivre sereinement pendant au moins un an encore. Pour des chantiers patrimoniaux qui s'inscrivent dans le temps long, il est crucial de pouvoir se projeter.
Permettez-moi à présent de me pencher plus précisément sur les crédits déconcentrés du patrimoine monumental, c'est-à-dire les crédits affectés aux directions régionales des affaires culturelles (Drac) en vue de leur distribution aux projets de réhabilitation qui maillent le territoire. Sans surprise, ces crédits seront en baisse, alors que, selon les remontées de terrains dont je dispose, certaines Drac ont déjà attribué la totalité de leur budget non seulement pour 2025, mais également pour 2026.
Dans ce climat budgétaire morose, les pouvoirs publics s'efforcent depuis 2018 de diversifier les financements destinés au patrimoine des petites collectivités, en s'appuyant principalement sur deux outils.
Tout d'abord, le fonds incitatif et partenarial (FIP) permet de relever le taux de soutien par l'État des projets financés à l'échelle territoriale, à condition que la région s'engage à hauteur d'au moins 15 %. Depuis cette année, l'ensemble des régions françaises y participent et 850 opérations ont été financées par cet outil, dont les trois quarts dans des communes de moins de 2 000 habitants.
À l'heure de la mise en oeuvre du plan Culture et ruralité, cet outil m'apparaît particulièrement intéressant pour soutenir le patrimoine des petites communes, dont je redis qu'il constitue le premier vecteur d'accès à la culture pour nombre de nos concitoyens. Alors que le FIP ne reçoit que 6 % des crédits des monuments historiques fléchés vers les Drac, et dans la mesure où les demandes ont pour la première fois cette année dépassé le montant de 20 millions d'euros inscrit dans le budget, il me semble que cet outil partenarial vertueux mériterait de recevoir une plus large part des crédits déconcentrés.
À côté de cela ont été développés des financements reposant sur un appel à la générosité publique. Ceux-ci accroissent à la fois les moyens du patrimoine et sa visibilité auprès du grand public. Les résultats obtenus grâce à ces outils sont contrastés : si le Loto du patrimoine permet à la mission Patrimoine en péril de recueillir 25 millions à 28 millions d'euros annuels, la collecte en faveur du patrimoine religieux, qui vient de fêter son premier anniversaire, enregistre en revanche des résultats très en-deçà des attentes.
Pour mémoire, cette collecte a été créée par l'article 30 de la loi de finances pour 2024 sous la forme d'un taux exceptionnel de 75 % de réduction d'impôt sur le revenu. Elle a été déployée par la Fondation du patrimoine, désignée par la loi comme collecteur unique de l'opération, et prend la forme d'une collecte nationale, assortie d'une pluralité de collectes locales en faveur de projets précis.
Le principal intérêt du dispositif est de financer le patrimoine religieux n'étant ni classé ni inscrit au titre des monuments historiques. Ainsi, cent édifices représentant tous les cultes ont été sélectionnés pour bénéficier de la collecte nationale, dont un tiers se situent dans des communes de moins de 500 habitants.
Alors que 10 millions d'euros annuels de dons étaient attendus, 2,9 millions d'euros seulement ont à ce jour été recueillis auprès de 15 000 participants par la collecte nationale. Les collectes locales ont davantage mobilisé les donateurs, 9 millions d'euros ayant été versés par plus de 22 000 participants.
Deux enseignements peuvent être tirés de ces premiers résultats. En premier lieu, nos concitoyens souhaitent pouvoir choisir les projets auxquels ils apportent leur soutien financier. En second lieu, si le choix d'un collecteur unique avait l'avantage de la simplicité opérationnelle et de la lisibilité, il n'a sans doute pas permis de toucher tous nos concitoyens susceptibles de se mobiliser.
Je présenterai donc un amendement visant à élargir le socle des opérateurs de la collecte en faveur du patrimoine religieux au-delà de la seule Fondation du patrimoine, afin d'y intégrer d'autres fondations reconnues d'utilité publique. J'invite chacun d'entre vous qui partage mon analyse à le cosigner.
La ministre a laissé entendre devant notre commission que le patrimoine religieux pourrait prochainement bénéficier de nouvelles sources de financement, grâce à l'instauration d'un droit d'entrée pour visiter la cathédrale Notre-Dame de Paris. Je comprends les critiques qui s'élèvent contre cette proposition inédite dans notre pays, mais elle pourrait se révéler nécessaire pour gérer l'afflux certainement très important de visiteurs lors de la réouverture au public, ne serait-ce que pour assurer la sécurité et le confort de visite. Un tel système aura un coût certain, qu'il sera de toute façon nécessaire de financer.
J'en viens à présent aux crédits affectés aux dispositifs d'ingénierie dans les espaces patrimoniaux protégés, c'est-à-dire aux travaux et aux études qui permettent le déploiement des sites patrimoniaux remarquables (SPR) et des périmètres délimités des abords (PDA), mais également le fonctionnement de certains labels comme les villes et pays d'art et d'histoire.
La faiblesse de cette ligne budgétaire - 10 millions d'euros - contraste avec les effets très positifs de ces outils sur la protection du patrimoine, ainsi que sur la qualité des relations entre les élus locaux et les unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap), comme nous l'avons vu au cours de la mission d'information sur le périmètre d'intervention et les compétences des architectes des bâtiments de France (ABF), présidée par Marie-Pierre Monier.
Le plan Culture et ruralité comporte d'ailleurs quatre mesures destinées à renforcer l'ingénierie dans les territoires ruraux, parmi lesquelles l'emblématique annonce de disposer d'au moins deux ABF dans tous les départements de la ruralité. Toutefois, aucun horizon ni temporel ni budgétaire ne nous a été précisé. Sont également annoncées la création d'une filière de spécialisation en ingénierie rurale, l'augmentation du cofinancement par l'État de l'assistance à maîtrise d'ouvrage et une augmentation des vacations des architectes-conseils de l'État dans les Drac, au bénéfice des petites communes.
Je dois dire que la traduction de ces annonces dans le budget des patrimoines n'est pas évidente, puisque les crédits relatifs à l'ingénierie sont reconduits à leur niveau de 2024. Je relève en particulier que seulement 2,5 millions d'euros sont prévus au titre des études préalable à la mise en place des PDA, alors que la mission d'information sur les ABF les a identifiés comme un outil majeur de la protection patrimoniale. J'ai d'ailleurs appris, au fil des auditions que j'ai menées, que le ministère projetait d'externaliser complètement ces études préalables auprès de bureaux spécialisés afin de décharger les Udap de ces tâches très chronophages. Pour ce faire, des marchés publics seraient passés à l'échelle régionale.
Je note également que 2,9 millions d'euros sont prévus pour financer les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE), dont le modèle économique pourrait être menacé par le ralentissement de la taxe d'aménagement dans les années à venir.
Le statu quo prévaut sur les autres actions du programme.
Les crédits relatifs aux acquisitions des collections publiques restent ainsi stables à près de 10 millions d'euros, soit un niveau inchangé depuis 2017, en dépit de l'envolée des prix sur le marché de l'art. Cette ligne budgétaire pèse bien peu dans les acquisitions des grands musées nationaux, qui sont soumis à la concurrence de leurs homologues internationaux. En effet, pour enrichir leurs collections, les trente-et-un musées nationaux ont déboursé 111 millions d'euros en 2023, soit onze fois plus que le montant budgété. Pour cela, ils ont mobilisé d'autres sources de financement, au premier rang desquelles les libéralités et les dispositifs fiscaux incitant au mécénat.
Par ailleurs, 40 % de ces 10 millions sont destinés à l'enrichissement des collections publiques n'appartenant pas à l'État, parmi lesquels 1,8 million d'euros sont affectés aux fonds régionaux d'acquisition des musées et 2,2 millions d'euros aux acquisitions des musées des collectivités territoriales. Si les marges de manoeuvre sont bien minces, la piste d'une tarification différenciée pour les visiteurs extra-communautaires des grands musées pourrait changer la donne.
Les opérateurs publics de l'archéologie préventive font l'objet d'un même statu quo, y compris en ce qui concerne les revendications des services des collectivités territoriales. Ces derniers estiment que la réforme de 2023 du barème des indemnités versées au titre de leurs interventions ne suffit pas à compenser la hausse des coûts d'intervention résultant de la complexité technique croissante des diagnostics, ceux-ci étant de plus en plus souvent réalisés en zone urbaine. En conséquence, ils demandent que les indemnisations versées par l'État soient alignées sur le niveau de celles qui sont versées aux agents de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), ainsi qu'un montant minimal d'indemnisation de 10 000 euros pour toute opération réalisée.
Quant à l'Inrap, il alerte sur le fait que la dégradation de sa situation financière à cause des mesures salariales intervenues en 2023 et des annulations de crédits de 2024 pourrait entraîner une réduction de ses capacités opérationnelles.
Le ministère ne partage pas la même analyse. Mettant en avant la tendance à la réduction des diagnostics effectués par les services des collectivités territoriales, il estime que leur situation ne peut être comparée à celle de l'Inrap, qui a l'obligation d'intervenir en dernier ressort sur tout le territoire. Il indique par ailleurs qu'il se montrera attentif à ce que le niveau de prescription émanant des Drac ne conduise pas à mettre l'Inrap en difficulté.
Il m'est difficile de me forger une opinion sur la question dans le cadre de ce simple avis budgétaire. Compte tenu de l'importance du sujet pour tout l'écosystème d'aménagement de notre pays, j'appelle le ministère à engager un travail d'analyse approfondi au cours duquel il pourra dresser un bilan de la réforme du barème intervenue l'année dernière.
Sans surprise, j'en terminerai avec ce qui constitue, comme vous le savez, mon centre d'intérêt majeur en même temps qu'un immense impensé de ce budget des patrimoines : la rénovation énergétique du bâti patrimonial.
En effet, le PLF pour 2025 ne comporte aucune mesure d'aide spécifique à la rénovation énergétique du bâti patrimonial ancien. Par ailleurs, alors qu'une revue prochaine des aides dédiées à la rénovation énergétique du bâti ancien avait été annoncée au cours des travaux conduits par la mission d'information sur les ABF, il semble que les objectifs de maîtrise des finances publiques aient mis fin à cette ambition.
Pour ma part, j'estime indispensable d'accorder à cette thématique une place au sein de ce programme, ne serait-ce que pour s'assurer que les travaux de rénovation énergétique réalisés ne sont pas délétères pour le bâti ancien, et donc plus coûteux pour la collectivité au bout du compte. Je proposerai un amendement visant à intégrer les enjeux de la rénovation énergétique dans le dispositif Malraux, et j'invite tous ceux d'entre vous qui partagent cette préoccupation à le cosigner.
Mes auditions m'ont également permis de faire le point sur les travaux de mise en adéquation du diagnostic de performance énergétique (DPE) avec les spécificités des bâtiments anciens. Je suis heureuse de vous faire part de deux avancées majeures : l'ajout au QCM de sélection des diagnostiqueurs de questions portant sur le bâti ancien, qui a opportunément rendu cet examen plus sélectif ; l'achèvement de la rédaction de guides nationaux, qui devraient être disponibles dans les prochains mois. Le ministère de la culture est par ailleurs très mobilisé pour enrichir la bibliothèque des matériaux disponibles sur la plateforme de diagnostic.
Malheureusement, mon enthousiasme a été tempéré - et le mot est faible - par mes échanges avec les services du ministère de la transition écologique. Si les choses ne progressent pas davantage au cours des prochains mois, il me semble que nous pourrions envisager de nous inspirer du modèle belge, où il existe une filière de diagnostiqueurs spécialisés dans le bâti patrimonial disposant d'un agrément spécifique. Il s'agit le plus souvent d'architectes ou d'ingénieurs à haut niveau de formation, auxquels les propriétaires peuvent choisir de recourir - pour des tarifs, bien entendu, plus élevés. Sans être idéale, cette solution aurait au moins le mérite d'offrir une solution aux propriétaires de bâtiments anciens, qui se trouvent lésés par le système actuel.
Telles sont les observations dont je souhaitais vous faire part. Sur le patrimoine, les crédits ne sont jamais à la hauteur des besoins. Toutefois, comme la plupart des personnes que j'ai auditionnées, j'ai été soulagée de la préservation initiale des crédits, et plus rassurée encore par l'annonce de l'amendement gouvernemental, dont l'adoption permettra de poursuivre plusieurs grands chantiers engagés.
Je vous propose donc de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175. Si l'essentiel devrait être préservé en 2025, il faudra être vigilant quant aux mesures affectant nos territoires. À l'heure du resserrement budgétaire, les compétences non obligatoires des collectivités territoriales, dont fait partie le patrimoine, seront les premières à être sacrifiées.
Mme Marie-Pierre Monier. - Je vous remercie de tout le travail que vous réalisez sur le patrimoine, en général, et, en particulier, sur cette question des DPE et du bâti ancien.
Les échanges avec le ministère de la transition écologique ont en effet été très décevants et inquiétants. Nous ressentons une volonté de bouger, mais celle-ci ne se traduit ni dans le PLF ni dans les propos qui nous sont tenus. Il convient donc de se mobiliser à l'échelle de la commission. Globalement je partage l'ensemble de vos analyses.
Dans un contexte marqué par une restriction des dépenses publiques, le programme 175 n'échappe pas à une logique austéritaire. Cette année, nous examinons le budget dans des conditions particulières. Des bleus budgétaires nous ont été soumis, mais on ne cesse de nous annoncer des évolutions de crédits, à la hausse ou à la baisse. Il est très difficile de travailler dans ces conditions.
Les CP de ce programme stagnent ; ils baissent même légèrement en euros constants, tandis que les AE subissent une baisse significative de 23,6 % par rapport à 2024. Rappelons que ce programme avait subi en février dernier une coupe budgétaire de 99,5 millions d'euros sur les crédits initialement programmés pour 2024.
Cette évolution budgétaire défavorable s'inscrit dans un contexte où la hausse des prix de l'énergie continue d'affecter le secteur du patrimoine et où les coupes budgétaires programmées sur les budgets des collectivités territoriales risquent d'avoir des répercussions en cascade sur la revalorisation et la sauvegarde du patrimoine.
Certes, la ministre nous a annoncé lors de son audition avoir préparé un amendement pour rehausser les crédits du programme de 300 millions d'euros en autorisations d'engagement et 200 millions en crédit de paiement. Il s'agit d'une bouffée d'air bienvenue, mais aussi d'un aveu de reconnaissance de la très grande fragilité du budget consacré à notre patrimoine. Nous manquons de visibilité sur la manière dont ces crédits seront fléchés, mais 55 millions d'euros devraient être destinés aux monuments historiques en région, 23 millions d'euros pour les musées dans les territoires et 8 millions d'euros pour les musées en ruralité. Nous devons porter une attention particulière à la vitalité culturelle de nos territoires.
L'action n° 1 « Monuments historiques et patrimoine monumental » accuse une baisse de crédits de 7,33 % en AE et de 3,53 % en CP. Quelque 394 millions d'euros sont mobilisés en CP pour financer l'entretien et la restauration des monuments historiques, en baisse par rapport à 2024, ce qui est inquiétant.
Les crédits de l'action n° 2 « Architecture et sites patrimoniaux » sont en stagnation à 0,7 %, ce qui constitue une baisse en euros constants.
Je me réjouis que vous ayez appelé notre attention sur une disposition de la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, dite loi LCAP, que nous avons votée : la création des sites patrimoniaux remarquables. Cela a permis une simplification importante, dans la mesure où nous avons supprimé les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) et les aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine (Avap). Encore faut-il que les communes aient les moyens de les mettre en place. Or le budget pour 2025 ne prévoit pas de crédits supplémentaires par rapport aux 9,9 millions d'euros, ce qui empêche une montée en puissance du dispositif.
Par ailleurs, les travaux que j'ai menés avec Pierre-Jean Verzelen ont montré que les architectes des bâtiments de France sont en sous-effectifs au regard des dossiers qu'ils doivent traiter. Je vous rappelle que le nombre d'avis rendus par ces derniers entre 2013 et 2023 a augmenté de 63 %, ce qui engendre une surcharge de travail au détriment de leur mission de conseil et d'accompagnement des élus. C'est pourquoi je proposerai un amendement visant à recruter un ABF supplémentaire par département.
L'action n° 3 « Patrimoine des musées de France » fait l'objet d'une forte baisse en AE et d'un léger mieux en CP. Les subventions aux musée nationaux augmentent de manière modique, alors que leur fréquentation a augmenté.
La trajectoire de l'action n° 4 « Acquisition et enrichissement des collections publiques » est quant à elle inquiétante : les crédits sont inchangés après des années de stagnation, dans un contexte d'inflation du marché de l'art et de forte concurrence internationale.
Enfin, j'ai été contactée par l'Inrap au sujet des crédits de l'action n° 9 « Patrimoine archéologique », qui déplore l'insuffisance du niveau de subventions pour charges de service pour réaliser les diagnostics archéologiques préventifs. En découle un allongement potentiellement conflictuel des durées d'aménagement, qui poserait des difficultés aux élus locaux.
Compte tenu de ces remarques, nous nous abstiendrons sur ce programme.
Mme Else Joseph. - Madame la rapporteure, je vous remercie de ces éléments argumentés, équilibrés et tempérés. Comme cela a été dit, nous examinons ces crédits dans un contexte très compliqué, dans lequel nous ne disposons d'aucune marge de manoeuvre.
Lors d'examen de l'avis budgétaire sur le même programme il y a un an, nous avions souligné la nécessité d'appuyer les communes, qui sont livrées à elles-mêmes en ce qui concerne le patrimoine non protégé et font face à des problèmes d'ingénierie. Pourtant, je constate qu'aucun effort n'est fourni à cet égard, dans un contexte budgétaire contraint, ce qui risque d'avoir des conséquences dramatiques pour les collectivités locales.
Ces dernières années, les membres de cette commission n'ont cessé d'appeler au renforcement de l'action des collectivités territoriales en matière de rénovation et de protection du patrimoine. Ce volet mérite d'être renforcé.
Comment aider les communes à agir dans le domaine du patrimoine ? Comment préserver leur marge d'action ?
Enfin, je partage les inquiétudes exprimées, en particulier en ce qui concerne l'acquisition des collections muséales et la collecte lancée l'an dernier par le Président de la République auprès des particuliers pour restaurer les milliers d'édifices religieux en péril.
Nous suivrons l'avis de notre rapporteure sur ces crédits.
M. Pierre Ouzoulias. - Je vous remercie du travail très pointu que vous avez réalisé, dont émerge une stratégie qui est complètement absente de l'ambition ministérielle.
Comme vous le dites très justement, nous ne savons pas ce qu'il advient du plan pour la ruralité, pourtant très intéressant. Est-il abandonné ? Est-il remis à plus tard ? Les 200 millions de crédits de paiement supplémentaires y seront-ils consacrés ? Nous l'ignorons.
Il faut obliger le ministère de la culture à réfléchir à une question fondamentale que nous nous sommes posée, Anne Ventalon et moi-même, en réalisant le rapport d'information intitulé Patrimoine religieux en péril : la messe n'est pas dite. Les services déconcentrés de l'État sont-ils encore en mesure d'assurer l'aide à la maîtrise d'ouvrage et l'ingénierie dont ont besoin les collectivités ? Les services du ministère nous ont répondu par la négative à plusieurs reprises. Nous devons en prendre acte et trouver des solutions. Nous avions par exemple proposé de passer par les CAUE. Nous devons mettre le ministère face à ses engagements et le pousser à réfléchir à une nouvelle organisation.
Le fait que les services déconcentrés s'occupent exclusivement du patrimoine classé ne me pose pas de problème, mais des structures doivent prendre en charge le reste du patrimoine. Il s'agissait de la vocation initiale de la Fondation du patrimoine. Celle-ci devait être bâtie sur le modèle des trusts britanniques, mais elle n'a jamais disposé de ressources comparables.
Au sujet de l'instauration d'un droit d'entrée pour visiter Notre-Dame de Paris, je voudrais revenir sur les propos de la ministre, qui a, à plusieurs reprises, cité l'exemple du patrimoine religieux italien. Celui-ci représente 100 000 édifices, dont la visite est payante pour seulement 75 d'entre eux, et encore, elle n'est payante que dans le cas d'une visite particulière dans les deux tiers des cas. Il ne s'agit pas d'un contre-exemple à la situation française. J'ai compris que la ministre compte profiter de la réouverture de Notre-Dame de Paris, qui va bien entendu attirer un grand nombre de personnes, pour permettre au Centre des monuments nationaux d'augmenter son circuit de visites. L'épiscopat s'y opposant, nous devrions refermer le dossier.
Je ne peux pas m'empêcher de me demander si cette manoeuvre ne vise pas en réalité à combler le manque de recettes lié à la baisse de fréquentation du Mont-Saint-Michel, mais surtout au coût de la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts, qui représente une charge supplémentaire non compensée pour le Centre des monuments nationaux, comme nous l'avons souligné à plusieurs reprises.
Par ailleurs, une ambiguïté existe dans la législation française entre un article de la loi de 1905, qui interdit toute visite privée d'un monument classé, et un autre du code général de la propriété des personnes publiques, qui permet de telles visites. Un travail législatif doit être mené pour redonner de la cohérence à une stratigraphie législative, qui en est actuellement dépourvue.
Enfin, l'archéologie préventive fait les frais des mesures gouvernementales sur la non artificialisation des sols. Si les élus ne peuvent plus construire sur des terrains qui se trouvent en dehors des centres urbains médiévaux et antiques, ils sont obligés de concentrer les travaux sur les centres-villes, où le patrimoine archéologique est bien plus important. Il s'agit d'une charge supplémentaire en matière de diagnostic et de fouilles. Le ministère de la culture devra envisager une autre configuration de l'Inrap pour s'adapter à la réalité de l'aménagement du territoire. Par ailleurs, l'Inrap a longtemps compté sur les grands programmes autoroutiers pour conforter sa masse financière. Or ceux-ci ont presque tous disparu.
Comme souvent au sein de cette commission, nous constatons un manque de réflexion de la part du ministère de la culture sur l'évolution de ses missions.
Pour toutes ces raisons, nous nous abstiendrons sur l'adoption des crédits de ce programme, malgré l'excellent travail de Mme la rapporteure, que je remercie de sa volonté de dessiner une politique et un horizon au nom de la commission de la culture.
Mme Sonia de La Provôté. - Je vous remercie également de votre excellent rapport, qui dresse un état des lieux très complet à la fois du budget du patrimoine et de la politique du ministère en matière de patrimoine.
J'insisterai sur ce que vous avez appelé la stabilisation budgétaire en trompe-l'oeil, du fait de la décorrélation entre les crédits et les besoins qui vont croissant dans les territoires. Cette situation découle de plusieurs exercices budgétaires durant lesquels l'entretien a été quelque peu négligé. Or l'entretien est une forme de prévention, qui limite in fine les dépenses des communes.
Par ailleurs, les Drac, faute de temps pour se déplacer au chevet du patrimoine de toutes les communes auxquelles elles sont affectées, ne sont pas en mesure de piloter l'entretien des édifices dans le temps. Aussi les interventions sont-elles bien souvent réalisées dans l'urgence, moyennant des sommes colossales que les communes pourront de moins en moins assumer.
Nous demandons depuis des années d'inventorier le bâti patrimonial, classé ou non. La ministre a de nouveau souligné cette nécessité. Faute de bien connaître notre patrimoine, nous ne sommes pas en mesure de prévenir les problèmes.
Pour répondre à l'immensité des besoins dans les territoires, le seul fonds à la main des collectivités est le FIP, mais celui-ci, comme l'entretien, est réduit à la portion congrue dans ce budget. Pourtant, ce fonds constitue peut-être la meilleure porte d'entrée pour entretenir le patrimoine non classé.
Tout cela renforce le sentiment d'une centralisation des crédits de l'État autour des grands monuments - auxquels la rallonge budgétaire devrait d'ailleurs être consacrée -, qui irrigue de moins en moins le patrimoine à mesure que l'on s'éloigne des grands centres urbains. Nous devons alimenter ce FIP pour qu'il joue au moins son rôle d'orientation ministérielle.
Enfin, l'action n° 2 « Architecture et sites patrimoniaux » est fort peu valorisée, alors qu'elle est un outil de préservation du patrimoine dans les territoires dont le ministère devrait s'emparer pour développer une réelle stratégie patrimoniale.
Nous ne pouvons que soutenir ce rapport budgétaire ; il met en exergue la nécessité de porter une réelle vision sur le patrimoine, qui est notre marque de fabrique, notre histoire et probablement notre avenir.
Mme Monique de Marco. - Je remercie moi aussi Mme la rapporteure de son excellent travail.
Dans ce contexte d'austérité budgétaire, la rallonge annoncée par la ministre est certes bienvenue, mais je ne pense pas qu'elle nous permette de faire face au mur d'investissement qui se trouve devant nous.
J'ai écouté avec attention les analyses et l'état des lieux dressés sur ce programme, qui m'a semblé plutôt critique, à tel point que j'ai presque été surprise de vous entendre émettre un avis positif.
Pour notre part, nous nous abstiendrons sur l'adoption de ces crédits.
Mme Béatrice Gosselin. - À mon tour de vous remercier de cet excellent rapport, très précis.
J'abonderai dans le sens de Sonia de La Provôté, les lignes budgétaires du programme 175 me semblent insuffisamment définies, ce qui fait craindre aux professionnels du patrimoine une politique générale et centralisée, laissant de côté les édifices disséminés partout sur le territoire. Je le signale bien que ces aides ne figurent pas dans le programme, ces derniers s'inquiètent également des aides relatives à l'apprentissage, qui ne sont plus à la hauteur.
En outre, nous savons qu'un euro investi pour préserver le patrimoine engendre 21 euros de recettes touristiques.
Je partage les inquiétudes de notre rapporteure ; nous devrons nous montrer vigilants.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Lors du salon du patrimoine, nous avons été interpellés par le Groupement des entreprises de restauration des monuments historiques, inquiet du niveau de financement des travaux patrimoniaux et des conséquences négatives qui pourraient en découler pour l'emploi et le travail des entreprises. Pouvez-vous nous rassurer à cet égard, madame la rapporteure ?
Mme Sabine Drexler, rapporteure pour avis. - Je vous remercie de l'intérêt que vous portez à ces questions.
Marie-Pierre Monier, je suis d'accord avec vos remarques sur ces questions que vous connaissez bien, notamment en ce qui concerne l'ingénierie. Les chiffres que vous avez retenus sont les bons. Les crédits à destination des collectivités méritent d'être renforcés, car ces dernières ne sont plus en mesure d'assumer le coût des travaux de rénovation. Même les travaux de sécurisation et d'entretien minimaux sont difficiles à assurer.
Pierre Ouzoulias, le « zéro artificialisation nette » (ZAN), qui est l'une des conséquences de la loi du 22 août 2021 dite Climat et Résilience, bouleverse en effet les opérations d'archéologie préventive, et je crois comme vous qu'il est à présent temps de réaliser un travail de fond sur les missions d'archéologie préventive.
Par ailleurs, vous déplorez l'absence de vision à long terme sur le patrimoine et vous interrogez sur la destination des crédits supplémentaires et sur le déficit d'ingénierie, en particulier sur le patrimoine non classé - Sonia de La Provôté a également soulevé ce problème. Le plan Culture et ruralité comportait quelques propositions à cet égard, notamment celle d'affecter des architectes dans les Drac rurales pour leur simplifier la tâche.
L'idée d'instaurer une entrée payant pour visiter Notre-Dame de Paris met au jour les problèmes criants que rencontrent d'autres monuments nationaux, comme le Mont-Saint-Michel. Pour l'instant, cette éventualité ne concerne pas d'autre monument.
M. Pierre Ouzoulias. - Cela viendra !
Mme Sabine Drexler, rapporteure pour avis. - Nous devrons nous montrer vigilants.
Sonia de La Provôté, vous insistez sur la nécessité d'entretenir le patrimoine pour éviter des interventions plus coûteuses par la suite, ainsi que sur l'importance d'inventorier le patrimoine non protégé. Ce dernier est particulièrement fragile, car nous ne le connaissons pas. Ses propriétaires ne sont pas toujours informés des travaux à réaliser. Nous devons absolument réfléchir à ces sujets au sein de la commission et les faire avancer.
Monique de Marco, il est clair que les crédits ne permettront pas de faire face au mur d'investissement.
Béatrice Gosselin, je partage votre préoccupation sur l'apprentissage. Des gestes si précieux pour la préservation du patrimoine sont en train de disparaître avec les métiers qui les cultivent. Même dans les territoires qui peuvent engager des moyens importants, les artisans ont du mal à répondre à la demande. Il convient de redonner leurs lettres de noblesses aux métiers du patrimoine. Ils le méritent, comme nous avons eu l'occasion de le constater lors du salon du patrimoine.
Else Joseph, les petites communes sont en effet prises à la gorge. C'est désolant, mais elles ne sont même plus en mesure de réaliser des travaux strictement nécessaires sur leur église.
Pour conclure, nous avons dressé un bilan amené à évoluer en fonction de l'adoption de l'amendement gouvernemental, qui rebattra les cartes. Nous devons être attentifs à l'affectation des crédits et tout faire pour que ces derniers soient fléchés sur les points de faiblesse que nous avons identifiés, en particulier le patrimoine des territoires et l'ingénierie. Nous devons nous montrer imaginatifs et soutenir de nouveaux moyens de financement, voire participer à leur élaboration.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoines » au sein de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2025.