EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 27 novembre 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport pour avis de Mme Jocelyne Guidez sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » du projet de loi de finances pour 2025.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure pour avis de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». - En 2025, la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » bénéficiera de 1,906 milliard d'euros en crédits de paiement (CP), après une enveloppe de 1,927 milliard d'euros ouverte en loi de finances initiale (LFI) de 2024.
Avant d'en présenter les enjeux financiers, je regrette d'emblée que, une fois encore, les termes « anciens combattants » retenus dans l'intitulé de la mission ne soient pas en conformité avec la nouvelle réalité du monde combattant...
Par rapport à l'an passé, les crédits demandés se contractent légèrement de 1,02 % et suivent donc la baisse continue du nombre de bénéficiaires des pensions militaires d'invalidité (PMI) et des autres prestations versées aux combattants.
Les crédits prévus pour le versement des PMI s'élèvent à 662 millions d'euros, soit une diminution de 30 millions d'euros par rapport à la LFI de 2024. Cette baisse s'explique, comme chaque année, par le déclin démographique naturel des bénéficiaires des pensions. L'hypothèse retenue par le Gouvernement est celle d'une diminution de 5,4 % du nombre de pensionnés, qui devrait atteindre 137 000 en 2025.
L'allocation de reconnaissance du combattant, dénomination de la retraite du combattant depuis juin 2023, est attribuée aux titulaires de la carte du combattant ayant atteint l'âge de 65 ans, en témoignage de la reconnaissance de la Nation. L'enveloppe proposée est de 505 millions d'euros, en baisse de 31 millions d'euros par rapport à la LFI de 2024. De même, la diminution anticipée de 8 % du nombre de bénéficiaires explique une moindre budgétisation.
Cette tendance démographique est appelée à se poursuivre puisque les nouveaux titulaires de la carte du combattant ne peuvent numériquement remplacer les générations déclinantes des combats d'Indochine ou d'Afrique du Nord. Ainsi, au 1er juillet 2024, le nombre de l'ensemble des cartes accordées au titre d'une opération extérieure (Opex) s'élevait à 239 000, alors que plus de 1,6 million de cartes ont été attribuées au titre de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
À ce sujet, les fédérations et associations du monde combattant sollicitent de longue date l'ouverture de la reconnaissance d'Opex à certains théâtres d'intervention extérieure, afin que les militaires engagés dans ces missions puissent se voir reconnaître la qualité de combattants. Comme moi, vous devez être saisis de demandes en ce sens.
Il faut tenir un discours de franchise sur cette question qui relève, au cas par cas, du seul pouvoir réglementaire. Les enjeux - de vérité historique, de reconnaissance, de traitement équitable, mais également d'incidence budgétaire - de cette qualification exigent que les réponses à ces demandes ne soient pas stéréotypées, mais le fruit de véritables travaux. Les gouvernements successifs ont tendance à engager des démarches sans jamais poursuivre sur le long terme ces réflexions, ce qui est regrettable.
Les pensions et allocations sont calculées sur la base du point de PMI qui, depuis 2005, est lui-même indexé sur l'évolution de la rémunération des fonctionnaires.
En 2022, une revalorisation de 7 % du point de PMI avait été décidée à titre exceptionnel. Elle résultait des travaux d'une commission tripartite dont le rapport de mars 2021 avait constaté un écart de 5,9 % entre la valeur du point de PMI au 1er janvier 2020 et la valeur atteinte si ce point avait progressé avec l'inflation depuis 2005.
Les modalités de calcul du point de PMI ont ensuite été revues par décret en 2022. Toutefois, des règles transitoires ont été prévues afin de prendre en compte dans l'évolution de 2023 la revalorisation du point d'indice des fonctionnaires intervenue en juillet 2022. La revalorisation au 1er janvier 2025 doit se faire en fonction de l'évolution de l'indice de traitement brut - grille indiciaire (ITB-GI) sur la période du dernier trimestre de 2023 et des deux premiers trimestres de 2024.
Sur cette période, l'évolution de l'ITB-GI, qui prend notamment en compte l'attribution en janvier 2024 de 5 points d'indice à tous les fonctionnaires, s'élève à 1,07 %. Or le PLF pour 2025 est construit avec une hypothèse d'une valeur du point de PMI de 16,05 euros au 1er janvier 2025, soit une revalorisation de seulement 0,94 % par rapport à 2024. Après des échanges avec le Gouvernement, j'ai obtenu l'assurance que le point de PMI devrait finalement s'établir à 16,09 euros ou 16,10 euros en janvier 2025, soit une revalorisation proche de 1,2 %. Le Gouvernement m'a également garanti que la budgétisation permettra de financer ce surcoût qui avoisinera 4 millions d'euros.
Cependant, la hausse globale du point de PMI reste inférieure au niveau de l'inflation qui, selon les prévisions disponibles, devrait s'établir à 1,8 % en 2025. Pour la préservation du pouvoir d'achat des pensionnés, le Gouvernement doit respecter son engagement de réunir la commission tripartite pour évaluer la nécessité de prendre de nouvelles mesures de correction du point. De même, il est regrettable que le rapport prévu pour 2024 et devant comparer l'évolution constatée de la valeur du point et de celle de l'indice des prix à la consommation (IPC) ne soit pas encore remis alors que la période d'examen budgétaire est déjà bien entamée...
J'en viens aux moyens alloués aux opérateurs qui accompagnent les combattants et les blessés de guerre.
La subvention pour charge de service public versée à l'Institution nationale des invalides (INI) s'établit à 14,4 millions d'euros et reste stable.
La subvention versée à l'Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) progresse de 62,5 millions d'euros en LFI de 2024 à 65,7 millions d'euros en PLF pour 2025. Les moyens accordés à l'ONaCVG pour assurer ses missions sont globalement satisfaisants. L'Office souligne néanmoins que ses effectifs sont plutôt décroissants, non en raison d'un plafond d'emplois contraignant ou de besoins réduits, mais parce que ses marges budgétaires trop faibles l'ont contraint à geler les recrutements durant une grande partie de l'année 2024.
Les 3,2 millions d'euros de crédits supplémentaires demandés pour l'ONaCVG seraient alloués à l'entretien des hauts lieux de la mémoire nationale et des sépultures de guerre, dont les moyens financiers sont insuffisants depuis quelques années, ainsi qu'au relogement de services départementaux de l'opérateur. Un montant de 1,12 million d'euros supplémentaires serait également destiné au dispositif des maisons Athos en vue de financer le déploiement de nouvelles maisons.
Ce dispositif de réhabilitation psychosociale des blessés psychiques est financé par la subvention à l'Office depuis 2023. L'enveloppe budgétaire globale en faveur des maisons Athos atteindra 6,1 millions d'euros en 2025. Je me réjouis que leurs moyens financiers soient ainsi consolidés. Le dispositif, qui entrera bientôt dans sa sixième année d'existence, a pleinement prouvé son utilité. Cinq maisons sont déjà en fonctionnement, pour 400 membres accueillis début 2024. Une sixième structure doit ouvrir ses portes en 2025 dans la région Grand Est.
Les moyens alloués aux actions en faveur des harkis et des autres rapatriés augmentent de 10,1 %, avec une budgétisation de 123,5 millions d'euros.
Les enveloppes consacrées à l'allocation de reconnaissance et à l'allocation viagère progressent, respectivement de 1,8 million d'euros et de 9,4 millions d'euros, par rapport à 2024. Cette augmentation est en partie la conséquence de la levée par la loi du 23 février 2022 de la forclusion qui s'appliquait depuis janvier 2016 aux veuves de harkis souhaitant demander l'allocation viagère - nous l'avions déjà évoquée l'année dernière.
L'autre ligne budgétaire concerne le dispositif institué par la loi précitée de réparation du préjudice subi par les harkis et les autres membres des formations supplétives pour l'indignité des conditions de leur accueil. Le ministère des armées indique que, de 2022 au 31 juillet 2024, 15 133 demandes ont fait l'objet d'une décision d'indemnisation par la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis (CNIH). Le montant cumulé de cette indemnisation est de 129,4 millions d'euros.
Pour 2025, l'enveloppe budgétisée à cette fin s'établit à hauteur de 70,4 millions d'euros, soit une hausse de seulement 600 000 euros par rapport à 2024. Or la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) le 4 avril 2024 dans l'affaire Tamazount. Le Gouvernement a pris acte de cette décision et a choisi de revaloriser la réparation en portant à 4 000 euros l'indemnisation par année passée dans les camps de Bias et de Saint-Maurice-l'Ardoise, contre un dispositif actuel prévoyant 4 000 euros la première année complète de séjour et 1 000 euros par année supplémentaire.
Cette revalorisation représentera un coût budgétaire de plus de 40 millions d'euros, qui n'est donc pas intégré dans le PLF. La décision du Gouvernement de donner la priorité à la réparation des harkis survivants plutôt qu'à leurs ayants droit se comprend. Toutefois, je regrette l'absence de budgétisation complète d'un droit à indemnisation qui n'est pas pilotable. Cette décision risque de rallonger la durée de traitement des demandes et de créer un contentieux juridique pour des raisons de simple affichage comptable.
Les crédits en faveur de la politique de mémoire diminuent de 22 % par rapport à 2024, pour s'établir à 31,4 millions d'euros. Cette baisse s'explique par la spécificité de l'année 2024, avec les célébrations mémorielles du 80e anniversaire des débarquements de Normandie et de Provence.
En revanche, les crédits consacrés aux liens armées-jeunesse augmenteront significativement de 57,4 % en 2025, pour atteindre 41 millions d'euros. La hausse s'explique par une refonte complète de la Journée défense et citoyenneté (JDC) annoncée par le Gouvernement. Un montant supplémentaire de 15 millions d'euros est ainsi prévu dans l'optique de « remilitariser » cette journée. Ma conviction est que cette réforme, qui n'est pas encore aboutie, devrait être l'occasion de se réinterroger sur le bien-fondé du maintien en parallèle du service national universel (SNU). Ce dispositif n'a pas comblé toutes les attentes et ne sera probablement jamais rendu obligatoire. Si, certes, il n'est pas financé sur les crédits de la mission, il y a néanmoins là un enjeu global d'efficience de la dépense publique.
En ce qui concerne l'indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale, 85,35 millions d'euros sont prévus en 2025, soit une diminution de 3,16 % par rapport à la LFI de 2024.
Les crédits pour l'indemnisation des orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites diminueront de 5,91 % en 2025, les nouvelles demandes devenant rares.
Concernant les indemnisations des victimes de spoliations durant la Seconde Guerre mondiale, après demande à la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS), les crédits augmentent très légèrement de 3,91 %, pour atteindre 11,2 millions d'euros. De nouvelles demandes continuent d'être déposées auprès de la Commission : en 2023, 85 nouveaux dossiers ont été enregistrés, dont 54 pour des spoliations matérielles, 19 pour des spoliations bancaires et 12 plus spécifiquement pour des spoliations de biens culturels.
En conclusion, je vous invite à émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de cette mission, sous le bénéfice des observations formulées s'agissant de la PMI.
Mme Émilienne Poumirol. - Je regrette également l'absence d'alignement du point de PMI sur l'inflation, alors que cette pension s'adresse à d'anciens combattants dont les moyens demeurent modestes et pour qui chaque augmentation compte.
Le renforcement du soutien, via l'ONaCVG, aux maisons Athos et à leur développement apparaît important en raison du rôle que ce dispositif joue dans le traitement du syndrome post-traumatique des anciens combattants.
Par ailleurs, quel sera le règlement financier de l'affaire Tamazount, après la condamnation de la France par la CEDH ? Pourquoi le PLF pour 2025 ne prévoit-il pas ce règlement et quels autres financements pourront-ils y pourvoir ?
Enfin, je m'interroge à mon tour sur l'intérêt de maintenir le SNU à côté de la JDC.
Mme Marie-Pierre Richer. - Je siège au sein de la CNIH. Je puis préciser qu'elle a commencé son travail d'indemnisation des personnes qui ont été résidentes des camps de Bias et de Saint-Maurice-l'Ardoise. Cette commission doit remettre tous les ans son rapport au Premier ministre, ce qu'elle n'a pu faire cette année en raison du contexte politique. Dans son premier rapport, elle sollicitait le Gouvernement sur le montant des indemnisations et la ministre Patricia Mirallès avait entériné le principe de leur revalorisation. Des personnes ont ainsi pu engager un second recours devant la CNIH afin d'obtenir un complément d'indemnisation. Les fonds utilisés sont ceux qui ont déjà été alloués à l'indemnisation des harkis et il nous faudra rester vigilants quant au niveau des moyens restant disponibles pour l'instruction de nouveaux dossiers.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure pour avis. - L'absence de budgétisation pour 2025 conduit à étaler l'indemnisation sur plusieurs années alors même que l'ONaCVG dispose de la capacité de traiter les demandes.
Sur le point de PMI, après la perspective d'une revalorisation de seulement 0,94 % par rapport à 2024, je suis satisfaite de l'augmentation à laquelle le ministre a consenti lors de notre rencontre de lundi dernier ; elle correspond, à peu de choses près, à ce que souhaitaient les associations du monde combattant que j'ai entendues en audition.
Ma visite de la maison Athos de Bordeaux m'a instruite sur la nature de l'accompagnement que ce type de structures apporte. Il s'agit non pas d'un suivi médical, mais d'un accompagnement qui met l'accent sur la dimension collective de la réhabilitation psychosociale. Elle m'a convaincue de leur intérêt pour nos armées et nos blessés.
Le SNU témoignait à l'origine d'une belle volonté. Il faut cependant s'avouer que le dispositif ne fonctionne pas convenablement, alors qu'il représente un coût non négligeable. On n'a pas su attirer vers le SNU le public qu'il pouvait intéresser.
Quant à la JDC, elle ne présente non plus guère d'utilité si on l'envisage uniquement sous l'angle du repérage, en substitution de ce qui existait dans le cadre du service militaire, des jeunes qui, malheureusement, ne savent ni lire, ni écrire, ni compter. Reconnaissons cependant que nos armées manquent de jeunes qui s'engagent en leur sein, d'où l'idée de « remilitariser » la JDC. De ce point de vue, une unique journée paraît insuffisante et, à titre personnel, je serais favorable à en étendre le dispositif à cinq jours. Une telle durée permettrait de mieux exposer la diversité des métiers susceptibles d'attirer nos jeunes vers nos armées, ce qui était un avantage du service militaire. Évidemment, une telle modification engendrerait un coût.
Mme Émilienne Poumirol. - Le service militaire a précisément été supprimé en raison du coût qu'il représentait.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure pour avis. - Les locaux militaires qui subsistent ne suffiraient du reste peut-être plus, et la question de la disponibilité de l'encadrement militaire se pose. Sans doute le SNU n'a-t-il pas, pour sa part, été supprimé afin de se laisser le temps d'une nécessaire réflexion.
Mme Nadia Sollogoub. - Aussi curieux que cela paraisse, nous disposons dans la Nièvre d'une préparation militaire Marine (PMM). Il faut reconnaître qu'elle fonctionne très bien. Ces PMM risquent-elles d'être affectées par d'éventuelles réformes des dispositifs existants ?
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure pour avis. - Je n'ai pas connaissance d'une quelconque remise en cause.
M. Xavier Iacovelli. - Elles continuent d'exister et nombre de jeunes s'y inscrivent en effet.
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure pour avis. - L'interrogation concerne le SNU. De son côté, le service militaire volontaire (SMV) fonctionne très bien ; il mériterait d'ailleurs peut-être que nous y consacrions davantage de moyens. Il y a cinq ans, il permettait à 78 % des jeunes d'obtenir un contrat ; la proportion atteint désormais 86 %.
Mme Silvana Silvani. - Merci d'avoir évoqué le SNU, même s'il n'est pas financé par les crédits de la présente mission. Rien n'empêche de supprimer ce dispositif qui ne donne pas satisfaction. L'octroi d'un montant supplémentaire à la JDC en vue de sa « remilitarisation » m'inquiète et suscite ma réticence ; je le mets en rapport avec l'augmentation, qui intervient par ailleurs dans le PLF, des crédits de la mission « Défense ».
Mme Jocelyne Guidez, rapporteure pour avis. - Je ne dis pas qu'il ne faut pas supprimer le SNU, au contraire. Je souligne que l'on ne saurait le faire du jour au lendemain, sans y substituer un autre dispositif.
La JDC, notamment si elle devait s'étendre à plusieurs jours, peut permettre de concilier deux objectifs : d'une part, sensibiliser les jeunes aux enjeux de la défense nationale - n'oublions pas que la guerre pourrait revenir à nos portes - et, d'autre part, les ouvrir à des métiers auxquels ils ne penseraient pas spontanément. Il n'est certes pas question que tous intègrent nos armées !
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».