II. LE PATRIMOINE RELIGIEUX AU CoeUR DE L'ACTUALITÉ
A. RÉOUVERTURE DE NOTRE-DAME FIN 2024 : ET APRÈS ?
Alors que la deuxième phase du chantier de Notre-Dame de Paris devrait s'achever d'ici début décembre 2024 pour permettre, comme prévu, sa réouverture au public à cette date, se pose la question de la poursuite du chantier au-delà et des modalités de sa prise en charge.
Le ministère de la culture estime que la restauration de la cathédrale ne pourra pas s'arrêter à sa réouverture. Il fait valoir que le grand public ne comprendrait pas que les extérieurs de la cathédrale, dont la restauration était nécessaire avant l'incendie et dont l'état a été aggravé par le sinistre, soient laissés en l'état, alors même que les abords de la cathédrale doivent, en tout état de cause, faire l'objet de travaux conduits par la ville de Paris à compter de 2025. Il ajoute que la poursuite de la restauration permettrait de prolonger l'existence de l'établissement public mis en place à la suite de l'incendie, lui permettant d'assurer parallèlement le rodage des dispositifs de sécurité qu'il a mis en place.
phase 1 sécurisation 150M€ |
Prenant appui sur les recommandations formulées par la Cour des comptes dans son deuxième bilan du chantier de Notre-Dame, publié en octobre 2022, le ministère défend l'idée d'affecter le surplus de la souscription nationale, dont le montant pourrait s'établir à 144,5 millions d'euros, au financement d'une troisième phase de travaux qui concerneraient ses élévations (chevet, transept, sacristie, nef) et la restauration des arcs-boutants, et dont l'État compléterait la prise en charge une fois le solde épuisé. Le chiffrage de cette nouvelle phase est en cours. |
Si la rédaction de l'article 2 de la loi du 29 juillet 2019 ne s'oppose pas à l'affectation du surplus à la poursuite de la restauration de Notre-Dame, dans la mesure où il ne précise pas que l'objet de la souscription se limiterait aux seules restaurations consécutives à l'incendie, la commission estime qu'il serait nécessaire de s'assurer de l'accord préalable des grands mécènes et des fondations avant de s'engager dans cette voie.
La commission espère que les marges de manoeuvre financières dégagées, le cas échéant, par l'État seront consacrées au financement d'autres projets patrimoniaux.
B. UN EFFORT PARTICULIER EN DIRECTION DU PATRIMOINE RELIGIEUX DES PETITES VILLES ET DES ZONES RURALES
Suite au rapport d'information de Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon de juillet 2022 sur le patrimoine religieux en péril2(*), le Président de la République a annoncé, le 5 juin 2023 au Mont-Saint-Michel, une mobilisation de l'État en faveur du patrimoine religieux, dont il a précisé les contours le 15 septembre à l'occasion des Journées européennes du patrimoine.
Les trois principaux volets du plan d'actions du Gouvernement
? Un volet « protection » avec le lancement d'une campagne de protection au titre des monuments historiques d'édifices cultuels publics ou privés mettant l'accent sur ceux situés dans les petites communes (moins de 10 000 habitants) et construits aux XIXe et XXe siècles.
? Un volet financier, reposant, d'une part, sur une plus grande mobilisation par les préfets de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) en faveur de la rénovation du patrimoine religieux appartenant à des communes rurales3(*) et, d'autre part, sur la mise en place d'une collecte nationale de dons gérée par la Fondation du patrimoine pour une période de quatre ans reconductible, afin de financer les travaux de conservation d'édifices religieux, protégés ou non au titre des monuments historiques, et affectés ou non à un culte, situés dans des communes de moins de 10 000 habitants en métropole et de moins de 20 000 en Outre-mer.
La sélection des projets soutenus devrait tenir compte de leur intérêt patrimonial et culturel, de la maturité du projet de conservation ou de restauration ou du besoin d'ingénierie, de la capacité d'autofinancement des porteurs de projet, du degré de protection des sites et de subvention des opérations, de la recherche d'un équilibre géographique et d'une représentation de l'ensemble des cultes, du projet de valorisation ou de réutilisation s'il y a lieu (attention portée aux « usages compatibles »), et de l'impact de la restauration sur l'attractivité des territoires et le tourisme local.
? Un volet « ingénierie » avec, d'une part, la possibilité d'allouer jusqu'à 10 % du montant de la collecte aux études et à l'ingénierie de façon à mieux accompagner les élus dans leurs projets de restauration d'édifices religieux, et d'autre part, la mise à disposition des communes rurales par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) de chefs de projets dans le cadre du programme « Villages d'avenir ».
La commission salue ces différentes mesures qui devraient permettre aux maires d'être mieux accompagnés dans la charge de la restauration et de l'entretien de leur patrimoine religieux. L'amélioration du repérage des édifices et des objets mobiliers religieux, en partenariat avec les services régionaux de l'inventaire, et le lancement d'une nouvelle campagne de classement et d'inscription du patrimoine religieux ciblée autour des catégories les plus en danger, à l'instar de celui des XIXe et XXe siècles, constituaient des recommandations fortes de la mission d'information conduite par Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon. La commission insiste également sur la nécessité d'apporter une attention particulière à la question du patrimoine religieux juif dans le Grand-Est pour lequel la ministre de la culture a indiqué qu'une campagne thématique avait été lancée.
La mise en place d'une collecte nationale permet de compléter utilement le panel d'outils de financement déjà disponibles en l'orientant spécifiquement vers le patrimoine des plus petites collectivités, souvent plus menacé. L'appel public à la générosité constitue par ailleurs un moyen d'apporter une plus grande visibilité à la cause de la sauvegarde du patrimoine religieux. On peut espérer que le tour de table financier soit, de ce fait, plus facile à boucler pour les projets qui seront sélectionnés dans le cadre de la collecte.
Compte tenu des objectifs ambitieux assignés à la collecte (200 millions d'euros d'ici quatre ans4(*)), le relèvement à 75 % du taux de la réduction d'impôt accordée aux particuliers, dans la limite de 1 000 euros par an, prévu à l'article 3 quinvicies du présent projet de loi jusqu'à fin 2025, parait opportun afin de la rendre plus attractive et de lui permettre de jouer le rôle de solidarité territoriale escompté. Le risque pourrait être sinon que les donateurs privilégient les souscriptions consacrées à la restauration d'un édifice spécifique relevant de leur patrimoine de proximité plutôt que d'abonder un fonds au sein duquel ils ignorent la destination précise de leur don.
Au regard des crédits déjà disponibles en faveur du patrimoine protégé, il serait souhaitable que le produit de la collecte bénéficie en priorité à des édifices cultuels non protégés, généralement moins soutenus. Une telle priorité pourrait permettre d'interpréter la création de cette collecte nationale comme le signe d'un réengagement de l'État, via la réduction d'impôt accordée, dans la sauvegarde du patrimoine non protégé, plutôt que comme un moyen de partager davantage la charge de l'entretien et de la restauration du patrimoine protégé avec le grand public.
En l'absence actuelle de détails sur les règles d'éligibilité à la collecte qui seront définies, la commission souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur la nécessité de tenir compte du régime particulier en vigueur en Alsace-Moselle, où les édifices cultuels ne sont pas la propriété des communes mais de personnes publiques (notamment fabriques et consistoires).
La volonté de mettre en place un dispositif simple et lisible a dicté la décision du Gouvernement d'accorder à un seul acteur l'exclusivité de la collecte. Le maillage territorial de la Fondation du patrimoine, son expérience dans l'organisation de souscriptions en faveur du patrimoine bâti des collectivités territoriales et la notoriété qu'elle a acquise auprès du grand public autour du Loto du patrimoine ont conduit à la privilégier. Il serait néanmoins souhaitable, compte tenu de la grande expertise dont disposent plusieurs fondations et associations dans la sauvegarde du patrimoine religieux, à l'image de la Sauvegarde de l'art français, de l'Observatoire du patrimoine religieux ou des Vieilles maisons françaises, qu'elles puissent être associées à l'identification des projets et à la mise en oeuvre des opérations.
La mission d'information sur le patrimoine religieux en péril avait identifié le déficit d'ingénierie des communes comme un frein à la sauvegarde du patrimoine religieux au moins aussi important que la problématique du financement. Si la création de la collecte permettra de débloquer des moyens spécifiques à cet enjeu et que certaines communes rurales pourront bénéficier d'un accompagnement en ingénierie grâce au lancement du programme « Villages d'avenir », il reste que le problème d'ingénierie se pose de manière plus globale et nécessite de trouver des réponses pérennes et accessibles à toutes les communes, y compris celles qui ne seront sélectionnées, ni dans le cadre de la collecte, ni dans le cadre du programme de l'ANCT.
La commission demeure convaincue que les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) pourraient jouer un rôle central pour résorber ces difficultés, compte tenu de la mission de conseil et d'accompagnement qui leur est assignée auprès des élus dans l'objectif de garantir la qualité architecturale, urbaine et paysagère. Malgré l'obligation prévue par l'article 6 de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture, plusieurs départements ne disposent toujours pas d'une telle structure.
Leur financement est par ailleurs aléatoire selon les départements, alors que la loi autorise le prélèvement d'une part départementale de la taxe d'aménagement pour assurer leur financement. Face à l'impossibilité, du fait de l'article 40 de la Constitution, de déposer un amendement fixant un taux plancher à cette part départementale dans les départements dotés d'un CAUE, la commission ne peut qu'exhorter les départements à veiller au bon financement de ces organismes, à l'heure où l'Assemblée des départements de France réfléchit, à juste titre, à l'idée de redonner aux départements un rôle pivot dans la politique de préservation et de valorisation du patrimoine de proximité.
* 2 Rapport d'information n° 765 (2021-2022) du 6 juillet 2022 de M. Pierre Ouzoulias et Mme Anne Ventalon, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sur le patrimoine religieux en péril.
* 3 D'après les chiffres communiqués par le ministère de la culture, environ 50 millions d'euros seraient alloués aujourd'hui chaque année au patrimoine religieux par le biais des crédits de ces deux dotations.
* 4 750 000 euros auraient été collectés entre le 15 septembre et le 30 octobre 2023.