- AVANT-PROPOS
- EXAMEN EN COMMISSION
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- ANNEXE
N° 133 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 novembre 2023 |
AVIS PRÉSENTÉ au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution, pour 2024, |
TOME II Fascicule 1 CULTURE Patrimoines |
Par Mme Sabine DREXLER, Sénateur |
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; MM. Jérémy Bacchi, Max Brisson, Yan Chantrel, Mme Laure Darcos, MM. Bernard Fialaire, Jacques Grosperrin, Martin Lévrier, Mmes Monique de Marco, Marie-Pierre Monier, M. Michel Savin, vice-présidents ; Mmes Colombe Brossel, Else Joseph, M. Pierre-Antoine Levi, Mme Anne Ventalon, secrétaires ; Mmes Catherine Belrhiti, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, MM. Yves Bouloux, Christian Bruyen, Mmes Samantha Cazebonne, Karine Daniel, Sabine Drexler, M. Aymeric Durox, Mmes Agnès Evren, Laurence Garnier, Annick Girardin, Béatrice Gosselin, MM. Jean Hingray, Patrick Kanner, Claude Kern, Mikaele Kulimoetoke, Mme Sonia de La Provôté, MM. Gérard Lahellec, Ahmed Laouedj, Michel Laugier, Jean-Jacques Lozach, Mmes Pauline Martin, Catherine Morin-Desailly, Mathilde Ollivier, MM. Pierre Ouzoulias, Jean-Gérard Paumier, Stéphane Piednoir, Bruno Retailleau, Mme Sylvie Robert, MM. David Ros, Pierre-Jean Verzelen, Cédric Vial, Adel Ziane. |
Voir les numéros : Assemblée nationale (16ème législ.) : 1680, 1715, 1719, 1723, 1745, 1778, 1781, 1805, 1808, 1820 et T.A. 178 Sénat : 127 et 128 à 134 (2023-2024) |
AVANT-PROPOS
La progression continue des crédits du programme 175 depuis plusieurs années, poursuivie en 2024 dans des proportions significatives (+ 8 % en crédits de paiement et + 33 % en autorisations d'engagement), témoigne de la place de choix occupée par le patrimoine au sein de la politique culturelle. Même si les deux tiers des revalorisations qui interviendront en 2024 visent à compenser l'inflation et la hausse du point d'indice, de nouveaux crédits sont également débloqués pour la réalisation de grands projets d'investissement, à l'instar de la restauration de l'abbaye de Clairvaux, de la rénovation du Centre Pompidou ou de l'extension du site des archives à Pierrefitte-sur-Seine.
Alors que l'année 2024 devrait être marquée par la réouverture au public de la cathédrale Notre-Dame de Paris, le patrimoine religieux des petites communes devrait bénéficier d'un plan d'actions, dans la droite ligne des recommandations formulées par la commission sur le patrimoine religieux en péril en juillet 2022.
Malgré la priorité accordée à l'enjeu de la rénovation énergétique des logements au sein de ce projet de loi de finances, la mise en place de politiques permettant de concilier cet impératif avec la préservation du patrimoine bâti tarde à se matérialiser. Afin de réduire les surcoûts que peuvent présenter des solutions adaptées, la rapporteure propose, avec le soutien de la commission, d'étendre le label de la Fondation du patrimoine aux travaux intérieurs conduits sur des immeubles patrimoniaux à des fins de rénovation énergétique.
La commission alerte sur les tensions et les grandes mutations que connait le secteur de l'archéologie préventive et appelle à la plus grande vigilance concernant l'avenir des services d'archéologie de collectivités territoriales.
I. UNE NOUVELLE HAUSSE DES CRÉDITS POUR LES PATRIMOINES QUI DEMEURENT UNE PRIORITÉ DE LA POLITIQUE CULTURELLE
De l'ensemble des crédits qui relèvent du ministère de la culture, le programme « Patrimoines » reste non seulement le plus richement doté, avec près de 1,2 milliard d'euros en crédits de paiement (CP) et de 1,5 milliard d'euros en autorisations d'engagement (AE), mais il est aussi celui qui connait la plus forte croissance (+ 8 % en CP, + 33 % en AE), même si les différentes actions en bénéficient inégalement.
|
Autorisations d'engagement |
Crédits de paiement |
||||
LFI2023 |
PLF2024 |
Évolution |
LFI2023 |
PLF2024 |
Évolution |
|
1 - Monuments historiques |
490,5 |
523,1 |
6,6 % |
466,6 |
507,7 |
8,8 % |
2 - Architecture et espaces protégés |
36,7 |
37,8 |
3,0 % |
36,7 |
37,8 |
3,0 % |
3 - Musées |
387,7 |
655,4 |
69,0 % |
394,4 |
431,1 |
9,3 % |
4 - Archives |
29,1 |
82,3 |
182,8 % |
34,7 |
36,5 |
5,2 % |
8 - Enrichissement des collections |
9,8 |
9,8 |
0,0 % |
9,8 |
9,8 |
0,0 % |
9 - Archéologie préventive |
157,9 |
167,9 |
6,3 % |
157,8 |
167,7 |
6,3 % |
D'après le ministère de la culture, trois priorités ont guidé la construction du budget des patrimoines en 2024 :
? intégrer les paramètres économiques de hausse des prix ;
? accompagner les dispositifs et les projets d'investissement patrimoniaux, à la fois dans les territoires et au titre des grands projets ;
? accompagner la transformation des établissements publics.
Cette revalorisation des crédits appelle plusieurs observations :
· Les deux tiers des crédits supplémentaires en CP sont destinés à atténuer l'impact de l'inflation (46 %) et à compenser l'augmentation du point d'indice (21 %).
Cet apport de nouveaux crédits se justifie au regard, d'une part, du fort impact de la hausse des coûts des matières premières et de l'énergie sur la conduite des chantiers de restauration, et, d'autre part, du nombre élevé d'opérateurs portés par le programme (18).
Le ministère de la culture indique que les contraintes budgétaires auxquelles il fait face ne lui permettent de compenser que de manière très partielle l'inflation et qu'il a fait le choix de privilégier les crédits d'investissement (travaux de restauration). Il reconnait que les budgets de fonctionnement des services à compétence nationale n'ont pas bénéficié de compensations suffisantes et que la situation financière fragile de certains musées à la suite de la crise sanitaire aurait justifié un soutien supplémentaire.
Ø Plus de 60 % des crédits supplémentaires en AE et 13 % en CP s'expliquent par le prochain lancement du chantier du Centre Pompidou.
L'opérateur bénéficie de l'ouverture de 225 millions d'euros en AE et de 7,4 millions d'euros en CP au titre de son chantier de rénovation. Il voit par ailleurs sa subvention revalorisée de 4 millions d'euros afin de faciliter son fonctionnement pendant sa fermeture, qui devrait intervenir après les Jeux olympiques en 2024, les travaux devant s'étaler entre 2026 et 2030.
À l'inverse, quatre établissements (le Louvre -3,7M€ ; le Centre des monuments nationaux -1,7M€ ; le château de Versailles -0,67M€ ; le musée du Quai Branly -0,4M€) voient leurs subventions pour charges de service public réduites, hors mesures correctrices de l'inflation, afin d'assurer la soutenabilité des mesures nouvelles inscrites en 2024. Cette évolution devrait s'accompagner d'une prochaine réforme des tarifs d'entrée. La commission sera vigilante à ses détails compte tenu de l'importance à préserver l'accès le plus large aux lieux de culture.
Par ailleurs, les crédits de l'action 8 relative aux acquisitions des collections publiques restent stables à près de 10 millions d'euros. Ce niveau est inchangé depuis 2017 malgré l'envolée des prix sur le marché de l'art. Depuis plusieurs années, le mécénat (dispositif « trésor national ») et les dons et legs en numéraire jouent un rôle croissant dans les modalités d'enrichissement des collections des musées nationaux.
Ø Le poids des grands projets dans les mesures nouvelles est élevé, avec plus de 80 % des crédits ouverts en AE et de 25 % des crédits programmés en CP.
Une attention particulière est accordée au financement de grands projets en régions (60 % des crédits en CP), avec la restauration de la cathédrale de Nantes, celle du grand cloître de l'ancienne abbaye de Clairvaux et celle du château de Gaillon. En revanche, 98 % des AE inscrites concernent des projets franciliens (Centre Pompidou, Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine, palais de la Cité, construction du musée-mémorial du terrorisme, Palais de la porte dorée, musée Guimet), ce qui signifie qu'il faut s'attendre dans les années à venir à ce que l'Île-de-France absorbe une part croissante des crédits.
Hors grands projets, l'effort en direction des monuments historiques n'appartenant pas à l'État (+ 2M€ au bénéfice du fonds incitatif et partenarial), est moindre que celui consenti en direction des monuments historiques de l'État (+ 17M€).
Les crédits destinés à l'entretien des monuments historiques n'appartenant pas à l'État sont même réduits d'un million d'euros (- 4 %), en contradiction avec la position constante exprimée par la commission de mieux orienter la politique vers la prévention. Si le niveau de la dotation inscrite en 2024 apparait conforme au montant des crédits effectivement consommés ces dernières années au titre de l'entretien des monuments historiques des collectivités territoriales et des personnes privées (19,5 millions d'euros en 2022 sur les 23,1 millions d'euros de crédits ouverts en loi de finances), on peut s'interroger sur les raisons qui expliquent cette sous-consommation.
Bien que les difficultés rencontrées par les services de l'État pour inciter les autres catégories de propriétaires à engager des travaux puissent en être à l'origine, le niveau des effectifs dans les services déconcentrés de l'État reste un sujet de préoccupation, dont la commission s'était fait l'écho dans son avis l'an passé1(*). Le ministère de la culture indique que les emplois dans les services déconcentrés sont sanctuarisés depuis plusieurs années et que de nombreux postes vacants devraient être pourvus d'ici la fin de l'année suite aux concours d'ingénieurs et de techniciens organisés cette année. La commission réitère son souhait qu'une vigilance particulière reste accordée à cet enjeu.
II. LE PATRIMOINE RELIGIEUX AU CoeUR DE L'ACTUALITÉ
A. RÉOUVERTURE DE NOTRE-DAME FIN 2024 : ET APRÈS ?
Alors que la deuxième phase du chantier de Notre-Dame de Paris devrait s'achever d'ici début décembre 2024 pour permettre, comme prévu, sa réouverture au public à cette date, se pose la question de la poursuite du chantier au-delà et des modalités de sa prise en charge.
Le ministère de la culture estime que la restauration de la cathédrale ne pourra pas s'arrêter à sa réouverture. Il fait valoir que le grand public ne comprendrait pas que les extérieurs de la cathédrale, dont la restauration était nécessaire avant l'incendie et dont l'état a été aggravé par le sinistre, soient laissés en l'état, alors même que les abords de la cathédrale doivent, en tout état de cause, faire l'objet de travaux conduits par la ville de Paris à compter de 2025. Il ajoute que la poursuite de la restauration permettrait de prolonger l'existence de l'établissement public mis en place à la suite de l'incendie, lui permettant d'assurer parallèlement le rodage des dispositifs de sécurité qu'il a mis en place.
phase 1 sécurisation 150M€ |
Prenant appui sur les recommandations formulées par la Cour des comptes dans son deuxième bilan du chantier de Notre-Dame, publié en octobre 2022, le ministère défend l'idée d'affecter le surplus de la souscription nationale, dont le montant pourrait s'établir à 144,5 millions d'euros, au financement d'une troisième phase de travaux qui concerneraient ses élévations (chevet, transept, sacristie, nef) et la restauration des arcs-boutants, et dont l'État compléterait la prise en charge une fois le solde épuisé. Le chiffrage de cette nouvelle phase est en cours. |
Si la rédaction de l'article 2 de la loi du 29 juillet 2019 ne s'oppose pas à l'affectation du surplus à la poursuite de la restauration de Notre-Dame, dans la mesure où il ne précise pas que l'objet de la souscription se limiterait aux seules restaurations consécutives à l'incendie, la commission estime qu'il serait nécessaire de s'assurer de l'accord préalable des grands mécènes et des fondations avant de s'engager dans cette voie.
La commission espère que les marges de manoeuvre financières dégagées, le cas échéant, par l'État seront consacrées au financement d'autres projets patrimoniaux.
B. UN EFFORT PARTICULIER EN DIRECTION DU PATRIMOINE RELIGIEUX DES PETITES VILLES ET DES ZONES RURALES
Suite au rapport d'information de Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon de juillet 2022 sur le patrimoine religieux en péril2(*), le Président de la République a annoncé, le 5 juin 2023 au Mont-Saint-Michel, une mobilisation de l'État en faveur du patrimoine religieux, dont il a précisé les contours le 15 septembre à l'occasion des Journées européennes du patrimoine.
Les trois principaux volets du plan d'actions du Gouvernement
? Un volet « protection » avec le lancement d'une campagne de protection au titre des monuments historiques d'édifices cultuels publics ou privés mettant l'accent sur ceux situés dans les petites communes (moins de 10 000 habitants) et construits aux XIXe et XXe siècles.
? Un volet financier, reposant, d'une part, sur une plus grande mobilisation par les préfets de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) et la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) en faveur de la rénovation du patrimoine religieux appartenant à des communes rurales3(*) et, d'autre part, sur la mise en place d'une collecte nationale de dons gérée par la Fondation du patrimoine pour une période de quatre ans reconductible, afin de financer les travaux de conservation d'édifices religieux, protégés ou non au titre des monuments historiques, et affectés ou non à un culte, situés dans des communes de moins de 10 000 habitants en métropole et de moins de 20 000 en Outre-mer.
La sélection des projets soutenus devrait tenir compte de leur intérêt patrimonial et culturel, de la maturité du projet de conservation ou de restauration ou du besoin d'ingénierie, de la capacité d'autofinancement des porteurs de projet, du degré de protection des sites et de subvention des opérations, de la recherche d'un équilibre géographique et d'une représentation de l'ensemble des cultes, du projet de valorisation ou de réutilisation s'il y a lieu (attention portée aux « usages compatibles »), et de l'impact de la restauration sur l'attractivité des territoires et le tourisme local.
? Un volet « ingénierie » avec, d'une part, la possibilité d'allouer jusqu'à 10 % du montant de la collecte aux études et à l'ingénierie de façon à mieux accompagner les élus dans leurs projets de restauration d'édifices religieux, et d'autre part, la mise à disposition des communes rurales par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) de chefs de projets dans le cadre du programme « Villages d'avenir ».
La commission salue ces différentes mesures qui devraient permettre aux maires d'être mieux accompagnés dans la charge de la restauration et de l'entretien de leur patrimoine religieux. L'amélioration du repérage des édifices et des objets mobiliers religieux, en partenariat avec les services régionaux de l'inventaire, et le lancement d'une nouvelle campagne de classement et d'inscription du patrimoine religieux ciblée autour des catégories les plus en danger, à l'instar de celui des XIXe et XXe siècles, constituaient des recommandations fortes de la mission d'information conduite par Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon. La commission insiste également sur la nécessité d'apporter une attention particulière à la question du patrimoine religieux juif dans le Grand-Est pour lequel la ministre de la culture a indiqué qu'une campagne thématique avait été lancée.
La mise en place d'une collecte nationale permet de compléter utilement le panel d'outils de financement déjà disponibles en l'orientant spécifiquement vers le patrimoine des plus petites collectivités, souvent plus menacé. L'appel public à la générosité constitue par ailleurs un moyen d'apporter une plus grande visibilité à la cause de la sauvegarde du patrimoine religieux. On peut espérer que le tour de table financier soit, de ce fait, plus facile à boucler pour les projets qui seront sélectionnés dans le cadre de la collecte.
Compte tenu des objectifs ambitieux assignés à la collecte (200 millions d'euros d'ici quatre ans4(*)), le relèvement à 75 % du taux de la réduction d'impôt accordée aux particuliers, dans la limite de 1 000 euros par an, prévu à l'article 3 quinvicies du présent projet de loi jusqu'à fin 2025, parait opportun afin de la rendre plus attractive et de lui permettre de jouer le rôle de solidarité territoriale escompté. Le risque pourrait être sinon que les donateurs privilégient les souscriptions consacrées à la restauration d'un édifice spécifique relevant de leur patrimoine de proximité plutôt que d'abonder un fonds au sein duquel ils ignorent la destination précise de leur don.
Au regard des crédits déjà disponibles en faveur du patrimoine protégé, il serait souhaitable que le produit de la collecte bénéficie en priorité à des édifices cultuels non protégés, généralement moins soutenus. Une telle priorité pourrait permettre d'interpréter la création de cette collecte nationale comme le signe d'un réengagement de l'État, via la réduction d'impôt accordée, dans la sauvegarde du patrimoine non protégé, plutôt que comme un moyen de partager davantage la charge de l'entretien et de la restauration du patrimoine protégé avec le grand public.
En l'absence actuelle de détails sur les règles d'éligibilité à la collecte qui seront définies, la commission souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur la nécessité de tenir compte du régime particulier en vigueur en Alsace-Moselle, où les édifices cultuels ne sont pas la propriété des communes mais de personnes publiques (notamment fabriques et consistoires).
La volonté de mettre en place un dispositif simple et lisible a dicté la décision du Gouvernement d'accorder à un seul acteur l'exclusivité de la collecte. Le maillage territorial de la Fondation du patrimoine, son expérience dans l'organisation de souscriptions en faveur du patrimoine bâti des collectivités territoriales et la notoriété qu'elle a acquise auprès du grand public autour du Loto du patrimoine ont conduit à la privilégier. Il serait néanmoins souhaitable, compte tenu de la grande expertise dont disposent plusieurs fondations et associations dans la sauvegarde du patrimoine religieux, à l'image de la Sauvegarde de l'art français, de l'Observatoire du patrimoine religieux ou des Vieilles maisons françaises, qu'elles puissent être associées à l'identification des projets et à la mise en oeuvre des opérations.
La mission d'information sur le patrimoine religieux en péril avait identifié le déficit d'ingénierie des communes comme un frein à la sauvegarde du patrimoine religieux au moins aussi important que la problématique du financement. Si la création de la collecte permettra de débloquer des moyens spécifiques à cet enjeu et que certaines communes rurales pourront bénéficier d'un accompagnement en ingénierie grâce au lancement du programme « Villages d'avenir », il reste que le problème d'ingénierie se pose de manière plus globale et nécessite de trouver des réponses pérennes et accessibles à toutes les communes, y compris celles qui ne seront sélectionnées, ni dans le cadre de la collecte, ni dans le cadre du programme de l'ANCT.
La commission demeure convaincue que les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) pourraient jouer un rôle central pour résorber ces difficultés, compte tenu de la mission de conseil et d'accompagnement qui leur est assignée auprès des élus dans l'objectif de garantir la qualité architecturale, urbaine et paysagère. Malgré l'obligation prévue par l'article 6 de la loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture, plusieurs départements ne disposent toujours pas d'une telle structure.
Leur financement est par ailleurs aléatoire selon les départements, alors que la loi autorise le prélèvement d'une part départementale de la taxe d'aménagement pour assurer leur financement. Face à l'impossibilité, du fait de l'article 40 de la Constitution, de déposer un amendement fixant un taux plancher à cette part départementale dans les départements dotés d'un CAUE, la commission ne peut qu'exhorter les départements à veiller au bon financement de ces organismes, à l'heure où l'Assemblée des départements de France réfléchit, à juste titre, à l'idée de redonner aux départements un rôle pivot dans la politique de préservation et de valorisation du patrimoine de proximité.
III. PATRIMOINE ET RÉNOVATION ÉNERGÉTIQUE : UNE LENTE PRISE DE CONSCIENCE
A. DES AVANCÉES TEMPÉRÉES PAR LE REFUS DE RÉVISER LES MODALITÉS DE CALCUL DU DIAGNOSTIC DE PERFORMANCE ÉNERGÉTIQUE
Depuis l'alerte lancée par la commission il y a un an dans son rapport pour avis sur les crédits des patrimoines pour 2023 et le rapport d'information sur le patrimoine et la transition écologique5(*) publié en juin dernier, des progrès ont été enregistrés dans un certain nombre de directions :
Ø les échanges entre le ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires et le ministère de la culture se sont intensifiés et le ministère de la culture parait désormais correctement associé aux réflexions sur le volet affectant le patrimoine bâti ;
Ø un vrai travail a été engagé afin de garantir la formation des acteurs de la transition écologique aux spécificités du bâti ancien : publication en juillet d'un arrêté définissant les critères de certification des diagnostiqueurs ; définition en cours du contenu de la formation des diagnostiqueurs ; publication à venir de règles relatives à la formation des auditeurs énergétiques ; révision en cours des guides relatifs aux diagnostics de performance énergétiques (DPE), aux audits et aux prescriptions de travaux afin d'y intégrer des éléments tenant compte des caractéristiques du bâti ancien ; développement d'une offre de formations spécifiques dans les catalogues de l'École de Chaillot, de l'Institut national du patrimoine et de la direction générale des patrimoines ;
Ø la création d'un portail internet conjoint aux deux ministères a été décidée afin de mettre à disposition des porteurs de projets, des élus et des professionnels du patrimoine, de l'architecture et du bâtiment l'ensemble des ressources déjà disponibles en matière d'adaptation du bâti ancien aux enjeux de la transition écologique et de bonnes pratiques de rénovation énergétique dans un contexte patrimonial.
En revanche, deux enjeux paraissent encore en suspens :
Ø la révision du DPE
Elle est refusée par le ministère de la transition écologique qui estime que ses modalités de calcul retranscrivent de façon satisfaisante les caractéristiques thermiques d'un bâtiment depuis sa révision en 2021. Il s'agit d'une réelle déception pour la commission, qui considère que cet instrument reste perfectible pour rendre compte des performances du bâti ancien. L'une des explications avancées pour justifier les mauvaises performances du bâti ancien en comparaison des autres types de bâti serait que le diagnostiqueur associe le plus souvent des « valeurs par défaut », évidemment grevées des performances les plus mauvaises, aux matériaux utilisés dans le bâti antérieur à 1948, faute de pouvoir les identifier dans le corpus de matériaux préenregistrés dans la feuille de calcul.
Le référencement exhaustif des matériaux anciens dans cette feuille de calcul constitue un enjeu fondamental. Toutefois, celui-ci devrait être réalisé dans le cadre d'un DPE spécifique qui ne concernerait que les bâtiments à intérêt patrimonial préalablement identifiés dans le cadre d'un inventaire intégré dans les documents d'urbanisme, permettant ainsi de reconnaitre les qualités bio-climatiques intrinsèques de ce type de bâti.
Un certain nombre de partenaires comme le Centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien (CREBA), l'Agence de la transition écologique (ADEME) ou des associations de protection du patrimoine pourraient apporter leur expertise pour réaliser ce travail d'élaboration d'un DPE patrimonial, charge aux ministères de leur fixer un seuil admissible en termes de performance énergétique.
Les logements, notamment en centre-bourgs, resteraient ainsi occupés et entretenus.
Ø le meilleur accompagnement des collectivités territoriales dans l'identification du bâti à préserver
Si les outils permettant d'identifier finement le patrimoine à préserver existent (protection au titre de « site patrimonial remarquable », possibilité d'identifier dans leur plan local d'urbanisme des éléments de patrimoine à protéger et conserver), les élus ont encore du mal à s'en emparer faute d'ingénierie suffisante.
La réponse de l'État à ces problèmes d'ingénierie reste encore modeste :
- sur le plan financier : d'une part, la revalorisation d'un million d'euros des crédits destinés aux études et travaux en espaces protégés, inscrits sur l'action 2 « Architecture et espaces protégés », reste très en deçà des besoins en termes de création de nouveaux sites patrimoniaux remarquables, d'actualisation des anciens plans de gestion et d'élaboration de périmètres délimités des abords. Ce montant correspond, d'après Sites et Cités remarquables, au coût de financement de deux études préalables à la mise en place d'un plan de sauvegarde et de mise en valeur. D'autre part, le ministère de la culture indique que les crédits du programme n'ont pas vocation à financer l'élaboration d'un PLU patrimonial ;
- sur le plan technique : compte tenu des tensions sur les effectifs, les services patrimoniaux de l'État (directions régionales des affaires culturelles et unités départementales du patrimoine et de l'architecture) manquent de temps pour accompagner les collectivités sur des questions qui concernent le patrimoine non protégé. Comme les services régionaux de l'inventaire, ils peuvent fournir des fiches d'inventaire sur lesquelles pourront s'appuyer les communes pour mieux identifier les éléments de patrimoine à préserver. Sur cette question de transition écologique du bâti ancien, les CAUE, le CREBA, les associations comme Maisons paysannes, les réseaux d'échanges à l'instar des Sites et cités remarquables ou des Villes et pays d'art et d'histoire, doivent être promus pour contribuer à sensibiliser les élus et à diffuser les bonnes pratiques de rénovation respectueuse du patrimoine bâti.
B. UN ENJEU FINANCIER SPÉCIFIQUE ENCORE PEU PRIS EN COMPTE
Malgré la priorité accordée à la rénovation énergétique dans le projet de loi de finances pour 2024 (+ 1,6 milliard d'euros d'engagement), aucune aide spécifique au bâti ancien n'est mise en place dans le but de s'assurer que les travaux de rénovation énergétique réalisés seront adaptés à cette typologie. Le ministère de la transition écologique considère que l'obligation d'accompagnement associée à l'aide MaPrimeRénov' à compter du 1er janvier 2024 est une garantie suffisante à la réalisation de travaux de rénovation respectueux des caractéristiques de chaque bâti.
Les deux ministères se seraient néanmoins engagés à travailler ensemble pour faire évoluer la liste des travaux de rénovation énergétique éligibles aux aides, primes et dispositifs fiscaux afin que soient mieux pris en compte les travaux respectueux du bâti ancien. Ces travaux, qui ont vocation à être menés en partenariat avec l'ADEME et le Centre scientifique et technique du bâtiment, n'ont pas encore été lancés. Il s'agit d'un enjeu fondamental et urgent afin d'éviter que le patrimoine ne se dégrade.
La commission de la culture avait identifié plusieurs leviers fiscaux susceptibles d'être adaptés dans le but de faciliter une rénovation énergétique du bâti ancien plus respectueuse de ses caractéristiques patrimoniales, en permettant une meilleure prise en charge des surcoûts : les dispositifs « Malraux » et « Denormandie dans l'ancien », d'une part, et le label de la Fondation du patrimoine, d'autre part.
Ø Une adaptation des dispositifs « Malraux » et « Denormandie » suspendue aux résultats de l'évaluation interministérielle en cours
Compte tenu de l'évaluation actuellement menée par l'inspection générale des finances et l'inspection générale des affaires culturelles sur ces deux dispositifs fiscaux, il apparait préférable d'en attendre les conclusions avant de déterminer les évolutions les plus appropriées de ces deux dispositifs.
Ø Une première réponse possible via le label de la Fondation du patrimoine
La Fondation du patrimoine peut délivrer depuis plusieurs années un label aux propriétaires d'immeubles qui ouvre droit à des avantages fiscaux en cas de travaux de restauration6(*). Ce label joue donc un rôle incitatif majeur dans la sauvegarde du patrimoine non protégé au titre des monuments historiques. Mais l'avantage fiscal reste limité aux travaux extérieurs. Il ne peut donc pas être mobilisé pour des travaux de rénovation énergétique qui porteraient sur les parties intérieures de l'immeuble dans le but d'en préserver l'aspect extérieur.
Le rapporteur, avec le soutien de la commission, a souhaité déposer un amendement au présent projet de loi de finances dans le but d'étendre l'avantage fiscal du label aux travaux intérieurs réalisés à des fins de rénovation énergétique. Cet outil lui apparait d'autant plus pertinent pour favoriser des rénovations qui soient de qualité sans être exagérément dispendieuses que la loi impose à la Fondation du patrimoine de financer a minima 2 % du montant des travaux pour que l'avantage fiscal puisse s'appliquer : cette disposition l'incite à la plus grande vigilance dans l'attribution de son label.
Le rapporteur saisit cette occasion pour alerter sur les problèmes soulevés par la nouvelle rédaction de l'article 41 I bis de l'annexe III du code général des impôts, modifiée par le décret n° 2023-103 du 16 février dernier, qui impose désormais que l'ensemble des subventions accordées aux travaux portant sur des immeubles labellisés, quelle qu'en soit la personne à l'origine (État, collectivités territoriales, associations, fondations...), soit versé par la Fondation du patrimoine pour que le propriétaire soit autorisé à déduire 100 % de ses charges lorsque le montant des subventions dépasse 20 % du coût du projet. Il en découle une perte de visibilité du soutien des collectivités territoriales, qui pourrait les conduire à réduire le niveau de leur accompagnement, au détriment de la préservation du patrimoine. Le rapporteur demande la modification de ces dispositions réglementaires à brève échéance.
IV. ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE : UN AVENIR À SURVEILLER
A. UNE CROISSANCE DES CRÉDITS DE L'ARCHÉOLOGIE PRÉVENTIVE DANS UN CONTEXTE DE FORTES TENSIONS
La croissance des crédits destinés à l'archéologie préventive (+ 10 millions d'euros, soit 6 %) apparait justifiée au regard de la hausse des coûts d'intervention subie par les opérateurs pour la réalisation des diagnostics ces dernières années - qui pourrait atteindre jusqu'à 30 % selon l'Association nationale pour l'archéologie de collectivité territoriale (ANACT). Depuis 2018, les crédits de l'action 9 ont été revalorisés de 21 %.
Plusieurs facteurs sont à l'origine de cette flambée des coûts :
ü le contexte global inflationniste (hausse des coûts de l'énergie, renchérissement du coût d'achat et de location du matériel) ;
ü les revalorisations salariales et indiciaires (point d'indice, prime de précarité) intervenues depuis 2021 ;
ü les changements notables mis en place dans la politique d'aménagement du territoire : le déploiement des schémas de cohérence territoriale (SCOT), des grandes opérations d'urbanisme (GOU) et des opérations de revitalisation du territoire (ORT), ainsi que la mise en place du zéro artificialisation nette (ZAN) se traduisent par une réorientation des opérations d'aménagement des zones rurales en direction des zones urbaines (comblement des dents creuses) et périurbaines (friches industrielles). Cette nouvelle dynamique en matière d'aménagement se traduit par une réduction de la taille des projets, ainsi qu'un accroissement du coût et de la complexité technique des opérations de diagnostic (enjeu de la dépollution préalable des sols, par exemple), dont le niveau devrait encore s'amplifier dans les années à venir.
Le ralentissement de l'activité du secteur de la construction crée aussi un climat de forte incertitude. Il pourrait peser sur le fonctionnement de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (INRAP) et des services d'archéologie de collectivités territoriales s'il devait se poursuivre en 2024, dans la mesure où les recettes qu'ils touchent dans le champ concurrentiel (fouilles) permettent de compenser le faible niveau de leurs dotations au titre de leur activité dans le champ non concurrentiel (diagnostics).
B. UNE VIGILANCE NÉCESSAIRE CONCERNANT LES SERVICES D'ARCHÉOLOGIE DE COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
L'essentiel de ces nouveaux crédits (+ 8,9M€) se porte sur l'INRAP. Les crédits inscrits pour compenser les opérations de diagnostics réalisés par les collectivités territoriales restent stables, à 14,2 millions d'euros.
Si la dotation destinée aux collectivités territoriales avait été fortement revalorisée en 2023 (+ 20 %) suite à l'adoption de nouvelles modalités de calcul7(*) de leurs indemnités, cet effort budgétaire n'a résorbé qu'en partie l'accroissement des coûts subis par les collectivités territoriales et n'a pas permis de corriger l'écart de niveau d'indemnisation entre elles et l'INRAP, de près de 50 % inférieur à l'hectare sondé d'après l'ANACT.
La situation de ces acteurs n'est pas totalement comparable, dans la mesure où les 62 services de collectivités habilités peuvent choisir les opérations qu'ils réalisent, tandis que l'INRAP a l'obligation d'intervenir en dernier ressort en sa qualité d'opérateur national, ce qui suppose qu'il soit présent sur tout le territoire et qu'il dispose des compétences scientifiques lui permettant d'intervenir en tous milieux (terrestre, subaquatique, sous-marin). Le code du patrimoine n'impose par ailleurs pas à l'État de compensation intégrale des frais engagés par les collectivités pour la réalisation des diagnostics : son article L. 524-11 prévoit seulement la possibilité d'une subvention de l'État.
Source : Commission de la culture (chiffres du ministère de la culture)
Compte tenu des risques que pourrait présenter à terme cette sous-compensation pour l'avenir de certains services de collectivités, il parait essentiel qu'un travail approfondi soit engagé par le ministère de la culture autour de cette question. Le maintien de ces services est un enjeu important :
· pour les collectivités territoriales, pour lesquelles ils constituent un moyen de mieux maîtriser les délais des opérations d'aménagement et d'encourager le dialogue entre les archéologues et les aménageurs ;
· pour l'État, puisque les services de collectivités territoriales se chargent aujourd'hui de traiter environ 25 % des surfaces soumises à diagnostic.
Les collectivités évaluent l'effort budgétaire pour résorber l'écart avec l'INRAP à 10 millions d'euros. Elles font observer que ce surcoût pourrait facilement être supporté par l'État, sans porter atteinte aux subventions de l'INRAP, s'il utilisait une partie des excédents qu'il perçoit sur le produit de la redevance d'archéologie préventive8(*) (RAP). |
Source : Commission de la culture (chiffres de l'ANACT)
Il ne serait d'aucune utilité de relever le montant de la subvention destinée aux collectivités territoriales par amendement dans le cadre du présent projet de loi de finances, puisque la dotation inscrite n'est pas automatiquement reversée aux collectivités : le montant de la subvention dépend chaque année de la surface couverte par les diagnostics effectivement réalisés et de leur complexité. L'enjeu est donc l'ouverture de discussions pour permettre une révision des modalités de calcul de la subvention prévue par arrêté garantissant une meilleure compensation des dépenses des collectivités territoriales au titre de la mission de service public qu'elles rendent.
La commission note avec satisfaction que la ministre de la culture s'est montrée ouverte, lors de son audition du 24 octobre dernier, à la possibilité d'une concertation avec les collectivités territoriales à ce sujet. Le ministère de la culture a précisé qu'une telle démarche devrait reposer sur une évaluation préalable des dépenses réellement engagées par les collectivités dans cette mission de diagnostics en comparaison des subventions qu'elles ont perçues ces dernières années.
La commission considère que des réflexions pourraient par ailleurs être menées, entre les services de collectivités territoriales d'une part, et entre ceux-ci et l'INRAP d'autre part, pour faciliter à l'avenir davantage les mutualisations et les regroupements.
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La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis, lors de sa réunion plénière du 8 novembre 2023, un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoines » du projet de loi de finances pour 2024.
EXAMEN EN COMMISSION
MERCREDI 8 NOVEMBRE 2023
M. Laurent Lafon, président. - Nous poursuivons nos travaux par l'examen de l'avis préparé par Sabine Drexler sur les crédits consacrés aux « Patrimoines ».
Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits des patrimoines. - L'ampleur de la progression des crédits du programme 175 en 2024 (+ 8 % en crédits de paiement, + 33 % en autorisations d'engagement) démontre à quel point le patrimoine reste un axe fort de la politique culturelle, même si certaines dimensions sont plus négligées que d'autres : je pense en particulier aux crédits d'acquisition et aux crédits consacrés à l'architecture et aux espaces protégés.
Les deux tiers des revalorisations de crédits sont évidemment liés à l'augmentation du point d'indice et à l'inflation. Au demeurant, la compensation de l'inflation n'est que partielle : ce sont surtout les crédits d'investissement qui ont été privilégiés afin de garantir que les chantiers engagés soient menés à leur terme. Les budgets de fonctionnement des établissements n'ont pas progressé de manière proportionnelle à l'inflation.
Le poids des grands projets dans les mesures nouvelles est élevé. Plusieurs concernent des chantiers en régions, que ce soit la cathédrale de Nantes, l'abbaye de Clairvaux ou le château de Gaillon. Mais, l'augmentation très significative des autorisations d'engagement s'explique principalement par le lancement à venir du chantier de rénovation du Centre Pompidou, ainsi que par le projet d'extension du bâtiment des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine. Quoi qu'indispensables, il faut avoir conscience que ces deux chantiers franciliens pèseront fortement sur les budgets dans les années à venir.
L'effort en direction des monuments historiques n'appartenant pas à l'État est modeste. Les crédits de restauration restent inchangés, à l'exception du Fonds incitatif et partenarial dont les crédits augmentent de 2 millions d'euros. Les crédits d'entretien sont réduits d'un million d'euros afin de s'ajuster à la consommation réelle de cette ligne budgétaire ces dernières années. S'il est vrai que les services de l'État ont parfois du mal à inciter les autres catégories de propriétaires à engager des travaux d'entretien, on peut se demander si le niveau des effectifs dans les services déconcentrés de l'État ne pèse pas aussi sur l'exécution de ces crédits. Le ministère de la culture m'a indiqué que de nombreux postes vacants seraient pourvus d'ici la fin de l'année grâce aux concours d'ingénieurs et de techniciens qui viennent d'être organisés. Mais cela reste un enjeu à surveiller de près.
Vous avez noté que les questions liées au patrimoine religieux se retrouvent particulièrement au centre de l'actualité.
L'année 2024 devrait être marquée par l'achèvement de la deuxième phase du chantier de Notre-Dame pour rendre possible sa réouverture au public, comme prévu, en décembre. Il faudra décider quoi faire du surplus de dons, évalué à 144,5 millions d'euros. La deuxième phase du chantier n'a pratiquement pas concerné les extérieurs, en mauvais état - et ce, encore plus depuis l'incendie.
Le ministère de la culture défend l'idée d'affecter le surplus au financement d'une troisième phase de travaux qui pourraient débuter sans attendre, comme l'avait également suggéré la Cour des comptes dans son deuxième rapport de contrôle du chantier l'an passé. Cette solution permettrait de prolonger l'existence de l'établissement public, qui assurerait ainsi le rodage des dispositifs de sécurité qu'il a mis en place.
D'autres jugent, au contraire, qu'il est temps que l'État reprenne la main sur le financement de l'entretien et de la restauration de la cathédrale. Quoi qu'il en soit, l'accord des grands mécènes et des fondations parait être un préalable indispensable au lancement d'une troisième phase de travaux sur la cathédrale. Si le surplus de dons devait être affecté à son financement, il me semblerait légitime que nous plaidions pour que les marges de manoeuvre financières que l'État en récupérera soient consacrées au financement d'autres chantiers de restauration.
L'autre sujet en matière de patrimoine religieux, ce sont évidemment les annonces faites par le Président de la République autour d'un plan d'actions en faveur du patrimoine cultuel des petites villes et des zones rurales. Il comprend trois volets :
- premièrement, le lancement d'une campagne de protection au titre des monuments historiques ciblant prioritairement les édifices des petites communes construits aux XIXe et XXe siècles ;
- deuxièmement, la mise en place d'une collecte nationale de dons gérée par la Fondation du patrimoine afin d'aider à financer les travaux de conservation d'édifices religieux situés dans les petites communes. Pour la rendre attractive, le taux de la réduction d'impôt accordée aux particuliers est relevé de 66 % à 75 % dans la limite de 1 000 euros par an ;
- troisièmement, un accompagnement des communes sur le plan de l'ingénierie, avec d'une part, la possibilité d'allouer jusqu'à 10 % du montant de la collecte aux études et à l'ingénierie et, d'autre part, la mise à disposition par l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) de chefs de projets dans le cadre du programme « Villages d'avenir ».
Il nous faut évidemment saluer ces différentes mesures, qui s'inscrivent dans la droite ligne des recommandations formulées par nos collègues Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon dans leur rapport d'information sur le patrimoine religieux en péril en juillet 2022. J'ai néanmoins plusieurs remarques concernant la collecte nationale.
D'abord, je juge souhaitable que le produit de la collecte bénéficie en priorité à des édifices non protégés, puisque les édifices classés ou inscrits bénéficient déjà de mesures de soutien spécifiques.
Ensuite, il faudra veiller à tenir compte du régime particulier en vigueur en Alsace-Moselle lorsque seront définies les règles d'éligibilité à la collecte.
Enfin, si l'on peut comprendre que le Gouvernement, dans un souci de simplicité et de lisibilité, ait choisi de confier cette collecte à un opérateur unique - en l'espèce, la Fondation du patrimoine -, je considérerais opportun que plusieurs associations et fondations qui bénéficient d'une grande expertise en matière de patrimoine religieux, comme la Sauvegarde de l'art français ou l'Observatoire du patrimoine religieux soient associées à l'identification des projets et à la mise en oeuvre des opérations.
S'agissant du volet « ingénierie », ces mesures apparaissent comme un premier pas dans la bonne direction. Pour autant, le problème d'ingénierie se pose de manière plus globale et nécessite de trouver des réponses pérennes et accessibles à toutes les communes. Comme l'avait suggéré Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon, les conseils d'architecture, d'urbanisme et de l'environnement (CAUE) pourraient jouer un rôle central pour résorber ces difficultés. Il est regrettable que plusieurs départements ne se soient toujours pas dotés d'une telle structure, malgré l'obligation légale qui s'applique. Le financement de ces structures reste pas ailleurs complexe dans un certain nombre de départements, bien que la loi autorise le prélèvement d'une part départementale de la taxe d'aménagement à cet effet. Il est important que les départements se saisissent pleinement de cette possibilité.
J'en viens maintenant à un autre sujet qui me tient à coeur : les enjeux liés à la rénovation énergétique des logements qui sont, vous le savez, l'une des priorités budgétaires du Gouvernement dans le cadre de ce projet de loi de finances.
Depuis l'alerte que nous avions lancée il y a un an, quelques progrès ont été enregistrés. Les échanges entre le ministère de la transition écologique et le ministère de la culture se sont intensifiés et ce dernier parait désormais correctement associé aux réflexions sur le volet affectant le patrimoine bâti. Un travail a été engagé afin de garantir la formation des acteurs de la transition écologique aux spécificités du bâti ancien, qu'il s'agisse des diagnostiqueurs, des auditeurs énergétiques, des accompagnateurs Rénov' ou des architectes. Des guides et un portail internet devraient bientôt voir le jour pour mieux sensibiliser les porteurs de projet, les élus, et les professionnels du bâtiment à la bonne adaptation de la transition écologique au bâti ancien, via la diffusion de bonnes pratiques.
En revanche, d'autres enjeux sont encore en suspens, et non des moindres, puisque le ministère de la transition écologique refuse catégoriquement une révision du diagnostic de performance énergétique (DPE). Il estime que ses modalités de calcul retranscrivent de façon objective et satisfaisante les caractéristiques thermiques d'un bâtiment. C'est une vraie déception. L'explication pour justifier les mauvaises performances du bâti ancien dans le cadre du DPE, c'est que le diagnostiqueur associe le plus souvent des « valeurs par défaut », évidemment grevées des performances les plus mauvaises, aux matériaux utilisés dans le bâti antérieur à 1948. Pourquoi ? Parce que les propriétaires ne coopéreraient pas lors de la venue du diagnostiqueur, mais aussi parce que le corpus de matériaux préenregistrés dans la feuille de calcul intègre peu de matériaux anciens. Le référencement exhaustif de ces matériaux dans la feuille de calcul constitue donc un enjeu dont nous devons demander au ministère de la transition écologique de se saisir dans les plus brefs délais.
Je reste néanmoins convaincue que nous devons réclamer la mise en place d'un DPE spécifique qui ne concernerait que les bâtiments à intérêt patrimonial préalablement identifiés dans le cadre d'un inventaire intégré dans les documents d'urbanisme. C'est le meilleur moyen d'assurer la prise en compte des qualités bioclimatiques intrinsèques de ce type de bâti. C'est aussi le meilleur moyen de garantir que les logements, notamment en centre-bourgs, restent occupés et entretenus.
C'est la raison pour laquelle nous devons aussi obtenir que les collectivités territoriales soient mieux accompagnées pour procéder à l'identification du bâti à préserver. La revalorisation d'un million d'euros des crédits destinés aux études et travaux en espaces protégés, inscrits sur l'action 2 « Architecture et espaces protégés », reste très en deçà des besoins. Par ailleurs, le ministère de la culture m'a indiqué qu'il ne disposait d'aucun crédit pour financer l'élaboration d'un plan local d'urbanisme (PLU) patrimonial. Sur le plan technique, les tensions sur les effectifs au sein des services patrimoniaux de l'État sont aussi une vraie source de difficultés, car les collectivités sont livrées à elles-mêmes pour ce qui concerne le patrimoine non protégé.
Quant aux aides financières ciblées sur la problématique de la rénovation thermique du bâti ancien, rien n'a encore été mis en place. Les deux ministères devraient travailler ensemble pour faire évoluer la liste des travaux de rénovation énergétique éligibles aux aides, primes et dispositifs fiscaux afin que soient mieux pris en compte les travaux respectueux du bâti ancien, mais ces travaux n'ont pas encore été lancés.
C'est l'une des raisons pour lesquelles je vous proposerai de co-signer l'amendement que je déposerai à la première partie du projet de loi de finances en mon nom propre, puisque notre commission n'est pas saisie pour avis de cette partie du texte. Il vise à étendre le bénéfice de l'avantage fiscal associé au label attribué par la Fondation du patrimoine aux travaux réalisés à des fins de rénovation énergétique, y compris sur les parties intérieures des immeubles labellisés. Grâce aux avantages fiscaux qu'il procure, ce label joue en effet un rôle important pour la sauvegarde du patrimoine non protégé, mais il ne peut pas aujourd'hui être utilisé pour répondre à l'enjeu de rénovation énergétique du petit patrimoine, car ses avantages ne s'appliquent qu'aux travaux extérieurs. C'est pourquoi il me parait primordial de pouvoir en élargir les modalités de fonctionnement, même si je suis consciente que cela ne règlera qu'une partie des difficultés qui se posent en matière de rénovation énergétique du bâti ancien et qu'il convient de continuer à lutter pour que la question soit aussi traitée de manière plus globale.
J'en viens maintenant au dernier sujet de préoccupation à propos duquel je souhaitais vous alerter, qui concerne l'archéologie préventive. Les opérateurs ont vu leurs coûts pour la réalisation des diagnostics exploser ces dernières années, du fait de l'inflation et des revalorisations salariales et indiciaires, mais aussi des mutations profondes dans la politique d'aménagement du territoire qui se traduisent par une réorientation des opérations d'aménagement des zones rurales et périurbaines vers les zones urbaines et les friches industrielles. Cette nouvelle dynamique se traduit par une réduction de la taille des projets, ainsi qu'un accroissement du coût et de la complexité technique des opérations de diagnostic, dont le niveau devrait encore s'amplifier dans les années à venir.
Malgré ce contexte qui frappe autant l'INRAP que les services d'archéologie de collectivités territoriales, seuls les crédits de l'INRAP sont revalorisés en 2024. Il est vrai que le barème de compensation des diagnostics réalisés par les collectivités territoriales habilitées avait été revu à la hausse fin 2022, mais cet effort budgétaire n'a résorbé qu'en partie l'accroissement des coûts subis par les collectivités et n'a pas permis de corriger l'écart de niveau d'indemnisation entre elles et l'INRAP, qui serait de près de 50 % inférieur à l'hectare sondé.
Compte tenu des menaces que fait peser cette sous-compensation sur l'avenir de certains services de collectivités, il est urgent que le ministère de la culture s'empare de cette question. Ce n'est pas qu'un enjeu pour les collectivités : c'en est un aussi pour l'État qui, sinon, devra reprendre en main l'intégralité de la mission de diagnostic avec l'INRAP.
Les collectivités évaluent l'effort budgétaire pour résorber l'écart avec l'INRAP à 10 millions d'euros. Il parait d'autant plus facile à financer sans porter atteinte aux crédits de l'INRAP que l'État dégage chaque année un excédent, de l'ordre de 30 millions d'euros, entre ce qu'il perçoit au titre de la taxe sur l'archéologie préventive et les crédits qu'il octroie aux opérations d'archéologie préventive.
Je vous aurais volontiers proposé un amendement de crédit. Mais, d'une part, cela aurait supposé de ponctionner les crédits d'un autre programme de la mission Culture d'un montant équivalent. Et d'autre part, cela n'aurait pas vraiment réglé les difficultés, puisque la dotation inscrite en loi de finances n'est pas versée de façon automatique aux collectivités. En effet, le montant de la subvention allouée à chaque collectivité habilitée est fonction, chaque année, de la surface couverte par les diagnostics qu'elle a réalisés et de leur complexité, conformément au barème établi en 2022. L'enjeu est donc une révision rapide de ce barème, afin de garantir une meilleure compensation des dépenses des collectivités territoriales au titre de la mission de service public qu'elles rendent. Je vous propose d'insister auprès de la ministre au nom de notre commission en ce sens.
Sous ces réserves, je vous propose néanmoins de donner un avis favorable aux crédits du programme « Patrimoines ».
Mme Marie-Pierre Monier. - Je félicite Sabine Drexler pour la pertinence de ses analyses. Si l'on peut se féliciter de la hausse des moyens alloués aux patrimoines, cette hausse doit être relativisée, comme vous l'avez dit, par le fait que la croissance des autorisations d'engagement est principalement liée au financement des travaux d'extension des Archives nationales à Pierrefitte-sur-Seine et au chantier de rénovation du Centre Pompidou. À cela s'ajoute le fait que les crédits du programme ne sont plus complétés par les crédits du plan de relance et que le secteur est particulièrement affecté par la hausse des coûts de l'énergie.
Je me réjouis de la hausse d'un million d'euros des crédits de l'action 2, tant les personnes que nous avons auditionnées ont exprimé le vif intérêt des collectivités territoriales pour l'outil des sites patrimoniaux remarquables, jugé très pertinent. Ceci dit, le manque criant des personnels des unités départementales de l'architecture et du patrimoine reste un problème pour répondre à l'ensemble des demandes des territoires en matière de patrimoine. Lors de son audition devant notre commission, la ministre a salué le travail réalisé par ces services et annoncé l'organisation de nombreux concours dans les années à venir. J'espère que ces efforts seront poursuivis.
L'archéologie préventive est dans une situation alarmante. J'ai été marquée par l'audition de l'association nationale pour l'archéologie de collectivité territoriale, qui nous a fait part de l'inadéquation des subventions allouées aux collectivités territoriales face à la hausse de leurs coûts d'intervention, de l'ordre de 30 %. Si les services de collectivité traitent en moyenne 25 % des surfaces soumises à diagnostics, ils ne perçoivent que 16 % des crédits destinés à financer cette mission de service public. Cette situation interroge. L'excédent réalisé par l'État sur la taxe d'archéologie préventive lui offre des marges de manoeuvre budgétaires qui lui permettraient de mieux accompagner les collectivités sans porter atteinte aux crédits de l'INRAP.
La conciliation des enjeux de rénovation énergétique et de préservation du patrimoine doit encore être améliorée. Certes, on peut noter quelques progrès dans la réflexion. Mais l'inadaptation du DPE nous conduit aujourd'hui à une impasse. Nous ne pouvons pas lâcher sur cet enjeu, alors que l'urgence s'accroit chaque jour un peu plus compte tenu de l'entrée en vigueur progressive des dispositions de la loi « Climat et résilience ». Toutes les portes et les fenêtres anciennes sont menacées de disparaitre. C'est pourquoi je suis favorable, comme vous, à la mise en place d'un DPE spécifique au bâti ancien.
Le groupe socialiste votera en faveur des crédits de ce programme malgré ces points d'alerte.
Mme Anne Ventalon. - Je remercie Sabine Drexler pour son rapport très complet. Nous nous réjouissons de la hausse des crédits du programme, malgré la part qui doit en être retranchée liée à l'inflation. Le patrimoine mérite une attention particulière, dans la mesure où il se restaure, mais ne se remplace pas. La hausse des crédits démontre qu'il y a eu une prise de conscience de la part de l'État autour de cet enjeu. L'émotion suscitée par l'incendie de Notre-Dame y a sans doute contribué.
Mais il faut aussi soutenir les édifices qui ne bénéficient pas d'une renommée internationale ou nationale. À l'heure où se tiennent les États généraux du patrimoine religieux, je me réjouis de la mise en place par le Gouvernement d'un plan d'actions consacré au patrimoine religieux, tant les petites communes ont besoin d'un accompagnement financier. Mais, l'une des principales conclusions du rapport que Pierre Ouzoulias et moi avons rédigé sur le patrimoine religieux en péril est que l'ingénierie constitue la clé de voûte du processus de rénovation. Il faut que les CAUE soient dotés de davantage de moyens pour mieux accompagner les communes autour de cet enjeu. Si je ne souhaite pas pointer du doigt la responsabilité des départements dans le sous-financement de ces structures, au regard des contraintes budgétaires auxquelles ils font eux-mêmes face, il reste des solutions à trouver pour améliorer leurs financements, car ils ont un rôle éminent à jouer sur toutes les questions relatives à la sauvegarde et à la restauration du patrimoine non protégé.
En ce qui concerne l'adaptation du patrimoine aux enjeux de la transition écologique, il est urgent que le ministère de la transition écologique prenne enfin cet enjeu à bras le corps afin que les propriétaires de logements anciens participent à l'effort de rénovation. Il doit cesser d'opposer rénovation thermique et habitat typique et mener un travail rigoureux de recensement des matériaux pour qu'il n'y ait plus de diagnostics fondés sur des valeurs par défaut. Parfois, une rénovation inadaptée est aussi nuisible à notre patrimoine que sa dégradation. L'absence de dispositif financier adéquat est problématique. C'est pourquoi l'amendement proposé par Sabine Drexler relatif au label de la Fondation apparait opportun.
Malgré ces quelques réserves, les sénateurs du groupe Les Républicains voteront les crédits du programme « Patrimoines ».
M. Pierre Ouzoulias. - J'apprécie le travail réalisé par Sabine Drexler qui met l'accent sur les questions auxquelles les élus locaux sont confrontés au quotidien dans le domaine du patrimoine.
Je suis ravi de constater que le retentissement de notre rapport sur le patrimoine religieux a incité le Président de la République à s'emparer de cet enjeu et à redéfinir la politique de l'État. La réponse est-elle pour autant adaptée ? Je ne crois pas, pour ma part, qu'on trouve des solutions pérennes par le biais d'une souscription.
Nous avions fait le constat, dans notre rapport - et manifestement, nous n'avons pas été entendus - que nous sommes face à une décentralisation de facto d'une partie de la protection du patrimoine. Comme Sabine Drexler, je suis convaincu que les CAUE seraient une structure appropriée pour fournir aux communes de petite taille l'ingénierie culturelle qui leur fait défaut. Je rappelle que le financement de ces structures est assuré par une fraction de la part départementale de la taxe d'aménagement. Si la loi fixe un taux plafond de 2,5 % à cette part départementale, dans les faits, cette part départementale s'établit, en moyenne, à 1,8 %. Il y a donc des marges budgétaires considérables que les départements peuvent mobiliser. Avec Anne Ventalon et Sabine Drexler, nous avons évoqué l'idée de déposer un amendement collectif au projet de loi de finances pour 2024 afin de rappeler l'importance des CAUE et la nécessité pour les départements de bien les doter, tant ils permettent d'apporter une aide de terrain utile aux communes. Je doute que l'État cherche jamais à reconquérir le terrain qu'il a cédé sur ces questions ces dernières années.
L'adoption du zéro artificialisation nette (ZAN) a des conséquences directes sur le fonctionnement de l'archéologie préventive. Les opérations d'archéologie se situent désormais de plus en plus régulièrement en ville, ce qui ne requiert ni les mêmes compétences ni les mêmes moyens. Il est clair que le système de financement de l'archéologie préventive doit être révisé pour l'adapter à la nouvelle donne en matière d'aménagement.
Mme Sonia de La Provôté. - Le budget des patrimoines pour 2024 connait certes une croissance de ses crédits dont nous devons nous féliciter, mais j'ai le sentiment qu'il contribue encore à amplifier les défauts que nous avons toujours relevés.
J'estime qu'il y a un vrai sujet en matière de pilotage. On a du mal à comprendre quelles sont les priorités de la politique de l'État en matière de patrimoine. Cette politique déserte de plus en plus le champ du régalien. Alors que le patrimoine religieux est un élément important du patrimoine de la France, l'enjeu du financement de sa restauration et de son entretien est reporté sur les Françaises et les Français et la gestion de ces nouveaux moyens financiers à la Fondation du patrimoine. Même pour la part publique du financement, on mobilise la DSIL et la DETR, c'est-à-dire des outils qui ne relèvent pas de la responsabilité du ministère de la culture.
Malgré nos demandes répétées en ce qui concerne les crédits d'entretien, ceux-ci sont en baisse. La conservation préventive est pourtant un enjeu pour garantir un meilleur usage des crédits. Je constate aussi que la dimension paysagère du patrimoine est négligée au profit du patrimoine bâti.
Pour finir, je m'inquiète toujours de la disproportion des crédits entre l'Ile-de-France et les autres régions. La part des crédits du fonds incitatif et partenarial reste extrêmement modeste, sans compter que nous manquons de transparence sur l'utilisation des crédits de ce fonds.
Mme Laure Darcos. - Je m'interrogeais sur l'existence éventuelle de crédits permettant à l'État de soutenir des bonnes pratiques participant à la préservation et à la valorisation de notre patrimoine. À l'initiative de la Conférence des Églises de France, il est désormais organisé chaque année une « Nuit des églises », ponctuée d'animations permettant de faire découvrir ce patrimoine de proximité. Dans quelle mesure le ministère de la culture soutient-il les communes qui participent à ce type d'évènements ? Des crédits accompagnent-ils les initiatives des collectivités visant à faire découvrir à nos plus jeunes le patrimoine et ses métiers ? Dans mon département, plusieurs communes organisent des visites de chantiers de restauration qui permettent aux élèves de découvrir le travail des Compagnons du devoir. Ces initiatives sont à encourager.
M. Adel Ziane. - Même si l'on peut se féliciter des revalorisations de crédits et des efforts réalisés sur les investissements, ces éléments ne doivent pas masquer un certain nombre de difficultés à venir. La ministre avait qualifié ce budget de « budget de transformation ». Est-il effectivement de nature à projeter les établissements vers l'avenir ? Les nouveaux crédits se portent prioritairement sur des grands projets.
Dans ce contexte, il ne faut pas s'attendre à une augmentation des budgets de fonctionnement - stables, voire en baisse, compte tenu de l'atténuation progressive des effets du plan de relance et de l'impact de l'inflation et des surcoûts énergétiques. L'enjeu des ressources propres des établissements va de nouveau se poser et je crains qu'une augmentation des tarifs d'entrée ne se profile, même si la ministre n'a pas répondu à cette question lors de son audition. Si tel était le cas, il y aurait évidemment un impact sur l'accessibilité de ces établissements.
S'agissant des musées en régions, il est heureux que leurs budgets soient préservés, mais compte tenu de l'inflation, cette stabilité des crédits pose la question du soutien de l'État au renforcement de l'attractivité des territoires.
Le rapporteur a rappelé que les budgets d'acquisition demeurent inchangés. La ministre a indiqué lors de son audition que cette décision avait relevé d'un arbitrage, compte tenu des dispositifs en place facilitant le recours au mécénat pour les acquisitions. Je constate néanmoins qu'il n'est pas toujours très facile pour les musées de mobiliser du mécénat en ce sens, sauf quelques rares très grands mécènes qui sont sollicités de toute part. Je peux comprendre qu'on ne veuille pas encourager la spéculation sur le marché de l'art en revalorisant les budgets d'acquisition, mais je m'interroge quand même sur la stratégie de notre pays en matière d'enrichissement des collections publiques.
Je suis moi aussi favorable à la mise en place d'un DPE spécifique pour le bâti ancien. Pour avoir été élu en charge de l'urbanisme et de l'aménagement du territoire, je peux témoigner du dénuement des collectivités en l'absence d'accompagnement spécifique pour réaliser des PLU patrimoniaux. Cet enjeu de l'ingénierie est primordial pour garantir une meilleure préservation de la cohérence urbaine et paysagère, d'autant que le ZAN va avoir un impact de plus en plus fort sur ces questions dans les années à venir.
Pour finir, je souhaitais évoquer la question du fonctionnement de Villers-Cotterêts. Le chantier de restauration a nécessité des sommes importantes, le projet de cité internationale de la langue française est intéressant, mais je regrette que nous n'ayons pas davantage d'informations sur la programmation à venir, les perspectives de fréquentation et les modalités de financement du fonctionnement de l'établissement.
Mme Annick Billon. - Je m'inquiète des difficultés de fonctionnement que pourraient éprouver les établissements compte tenu de la compensation insuffisante de l'inflation. Quelles sont les catégories de personnel ou les domaines qui devraient être les plus impactés ?
Je ne suis pas favorable à ce que le surplus de la collecte organisée pour Notre-Dame soit affecté à d'autres projets, car j'y verrai un risque de porter atteinte au succès d'autres souscriptions à venir dans le domaine du patrimoine religieux.
À l'heure où est évoquée l'idée d'un rétablissement de la réserve parlementaire, ne pensez-vous pas que cette dotation serait de nature à accompagner la restauration du patrimoine cultuel, compte tenu des besoins financiers que vous avez évoqués ?
Vous avez mentionné une multiplicité de dispositifs d'accompagnement. Plutôt que d'en créer de nouveaux, il me semblerait plus judicieux de les regrouper pour gagner en lisibilité et en efficacité.
En ce qui concerne la rénovation énergétique, ne serait-il pas pertinent d'utiliser davantage certains dispositifs existants, qui ont fait la preuve de leur efficacité pour rénover les centres-villes et les centres-bourgs ? Je pense par exemple au dispositif « Malraux ». Croyez-vous qu'il pourrait être utile de le faire évoluer ?
M. Jean-Gérard Paumier. - Je partage les propos de notre rapporteur au sujet de l'importance et des difficultés des services d'archéologie de collectivité territoriale. Je constate que de très nombreuses collectivités ont des problèmes face au coût de ces opérations et aux délais d'intervention de l'INRAP, ce qui freine leurs projets d'aménagement.
Concernant le surplus de la collecte de Notre-Dame, ne serait-il pas au contraire pertinent de déconcentrer les crédits dans tous les territoires, plutôt qu'ils ne profitent qu'à quelques grands projets structurants ?
Mme Monique de Marco. - Je constate que si certaines causes avancent, comme celle du petit patrimoine religieux, d'autres stagnent : c'est le cas du DPE spécifique pour le bâti ancien. Ce sujet est pourtant un enjeu d'actualité très important.
Comme Adel Ziane, je m'interroge sur les crédits destinés au fonctionnement du château de Villers-Cotterêts en 2024 et les perspectives à venir.
S'agissant de l'affectation du surplus de Notre-Dame, nous avions évoqué ce sujet avec le Président de la Fondation du patrimoine lors de son audition l'an passé. Il nous avait suggéré plusieurs pistes, qui requièrent, dans tous les cas, d'obtenir en amont l'accord des donateurs. S'agissant du chantier, savez-vous ce qu'il en est de la reconstruction de la flèche en plomb, parce que j'ai cru comprendre que cette question n'était peut-être pas toujours totalement tranchée, compte tenu de sa nocivité et de son coût ?
Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits des patrimoines. - Je suis touchée par le soutien que vous exprimez à l'égard de mon travail. Vous avez été nombreux à appuyer l'idée du DPE patrimonial. Il est clair que la réponse donnée aujourd'hui par le ministère de la transition écologique face à cet enjeu n'est pas satisfaisante. Il est essentiel de mieux reconnaitre les matériaux de construction du bâti antérieur à 1948 et les qualités intrinsèques de ce bâti. Nous ne devons surtout rien lâcher à ce sujet.
Beaucoup d'entre vous ont souligné l'importance de mieux identifier ce qui constitue notre patrimoine et déploré l'insuffisance des personnels susceptibles d'accompagner les collectivités en matière d'ingénierie. Face au désengagement de l'État, les collectivités doivent trouver les moyens de prendre soin de ce patrimoine. D'où l'idée de donner davantage de moyens aux CAUE, qui ont une mission d'accompagnement et de conseil des collectivités. J'espère que vous serez nombreux à co-signer l'amendement que Pierre Ouzoulias, Anne Ventalon et moi-même vous adresserons sur ce sujet, de même que l'amendement que je vais vous envoyer concernant l'extension du label de la Fondation du patrimoine aux travaux intérieurs de rénovation énergétique.
Laure Darcos a évoqué l'enjeu de la transmission des métiers du patrimoine. C'est une question cruciale face à l'enjeu de rénovation énergétique, car si nous voulons procéder à des rénovations de qualité, respectueuses de ce bâti, il nous faut des artisans qualifiés.
Concernant le surplus de Notre-Dame, l'accord des donateurs est un préalable indispensable. J'y souscris comme vous et c'est ce que j'indique dans mon rapport. À l'époque où la réserve parlementaire existait, elle était très souvent mobilisée pour la restauration d'édifices cultuels. Toutefois, on ne règlera pas la question du financement de la restauration du petit patrimoine religieux avec cette seule dotation, mais si elle constituerait certainement un coup de pouce appréciable.
S'agissant du manque de lisibilité des différents dispositifs d'aide, c'est effectivement une difficulté. C'est ce qui fait l'intérêt de structures comme les maisons de l'habitat, afin d'aider tout le monde à s'y retrouver.
M. Laurent Lafon, président. - Je vais mettre aux voix l'avis de notre rapporteure qui nous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoines » au sein de la mission Culture du projet de loi de finances pour 2024.
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Mercredi 18 octobre 2023
- Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) : MM. Dominique GARCIA, président, et Eddie AIT, délégué aux relations institutionnelles et au mécénat.
- Table ronde des Associations du patrimoine G8 :
MM. Gilles ALGLAVE, président de Maisons paysannes de France, Lionel BONNEVAL, directeur de la Fondation de la sauvegarde de l'art français, Julien LACAZE, président de Sites et Monuments, Olivier LENOIR, délégué général de Rempart, Xavier MARIN, président de Vieilles maisons françaises, et Mme Alexandra PROUST, juriste à la Demeure Historique.
- Ministère de la transition écologique - Direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature : MM. Antoine CARON, sous-directeur du développement durable et de la qualité de la construction (DHUP/QC), et Yannick PACHE, chef du bureau QC4, en charge du suivi des critères techniques des aides à la rénovation, et du suivi des actions relatives à la rénovation du bâti ancien au sein de la sous-direction.
Lundi 23 octobre 2023
- Fondation du patrimoine : MM. Guillaume POITRINAL, président, et Alexandre GIUGLARIS, directeur général.
- Association nationale pour l'archéologie des collectivités territoriales (Anact) : M. Vincent HINCKER, membre du conseil d'administration.
Mardi 24 octobre 2023
Assemblée des départements de France (ADF) : M. Morgan TOUBOUL, conseiller départemental en charge du Patrimoine remarquable du Val d'Oise, Mme Magalie BOUCHET, directrice de la culture du val d'Oise, et Mme Marylène JOUVIEN, chargée des relations avec le Parlement.
Mercredi 25 octobre 2023
Direction générale des patrimoines et de d'architecture : MM. Jean-François HEBERT, directeur général, Ludovic ABIVEN, sous-directeur des affaires financières et géénrales, et Arnaud CINIO-MINSSIEUX, chef du bureau de la programmation budgétaire et de la performance.
Lundi 30 octobre 2023
Sites et Cités remarquables de France : Mme Marylise ORTIZ, directrice, et M. Jacky CRUCHON, consultant urbanisme et patrimoine, expert auprès de Sites & Cités remarquables.
ANNEXE
Audition de Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture
MARDI 24 OCTOBRE 2023
___________
M. Max Brisson, président. - Mes chers collègues, je vous prie tout d'abord de bien vouloir excuser notre président Laurent Lafon, retenu à l'extérieur du Sénat.
Nous avons le plaisir d'accueillir aujourd'hui Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture, pour la traditionnelle audition budgétaire d'automne.
Nous nous réjouissons de vous retrouver, madame la ministre, pour évoquer ce « budget de transformation et d'inspiration » - ainsi que vous l'avez présenté devant la presse - et débattre avec vous de l'actualité culturelle.
Nous aimons profiter de ce rendez-vous pour vous rappeler que vous nous trouverez toujours à vos côtés, dans ces temps troublés, pour faire progresser les sujets nous tenant à coeur. Vous pouvez aussi compter sur nous pour vous alerter sur certaines problématiques, par le biais, en particulier, de nos nombreux travaux de contrôle.
Revenons-en aux multiples défis qu'il vous appartient de relever dans les mois à venir.
Dans le domaine de la culture, nous nous félicitons que vous ayez choisi de faire du soutien aux artistes et à l'emploi un axe fort de votre politique pour 2024, dans un contexte marqué par les difficultés de recrutement observées dans l'ensemble du secteur culturel depuis la pandémie.
En matière de patrimoine, nous nous réjouissons que vous fassiez de la transition écologique une priorité absolue.
En juin dernier, nous avons adopté le rapport de Sabine Drexler préconisant plusieurs mesures permettant de concilier les impératifs de rénovation énergétique et ceux de protection du patrimoine. Comment avez-vous reçu ce rapport ? Dans quelle mesure vous êtes-vous emparée de certaines de ses recommandations ?
S'agissant du patrimoine religieux, nous nous réjouissons évidemment des annonces du Président de la République : elles se situent dans le droit fil des conclusions du rapport établi par nos collègues Pierre Ouzoulias et Anne Ventalon ! Mais, vous vous en doutez, nous aimerions en savoir plus sur la manière dont les choses vont s'organiser, que ce soit pour la campagne de protection qui devrait être lancée ou pour une meilleure compréhension des mécanismes de fonctionnement de la collecte nationale et la pérennité de cette opération.
En matière de musées, après une année marquée par l'adoption du cadre législatif pour la restitution des biens spoliés et l'examen de la proposition de loi pour la restitution des restes humains dont nous sommes à l'initiative, derrière Catherine Morin-Desailly, nous constatons que vous prêtez une attention particulière aux questions de provenance. Néanmoins, comment expliquer la stagnation, cette année encore, des crédits destinés à l'enrichissement de nos collections ?
J'en viens maintenant aux industries culturelles, fortement marquées par la pandémie.
Le cinéma, tout d'abord, que l'on donnait pour mort, a retrouvé des couleurs, comme l'avait d'ailleurs prédit l'année dernière notre rapporteur Jérémy Bacchi. Avec Sonia de La Provôté et Céline Boulay-Espéronnier, il a conduit une ambitieuse mission d'information sur le secteur. Leurs conclusions ont été adoptées à l'unanimité en mai dernier et nos collègues ont souhaité poursuivre ce travail en déposant, le 27 septembre dernier, une proposition de loi que nous entendons bien inscrire à l'ordre du jour des travaux du Sénat.
Si le cinéma a repris des couleurs, tel n'est pas, hélas, le cas de la presse, avec un modèle économique fragile et des incertitudes sur sa place dans un monde où les fausses informations circulent plus vite que les vraies nouvelles et où l'opinion surpasse la raison.
Le Gouvernement a lancé début octobre les États généraux de l'information, lointains héritiers des États généraux de la presse écrite de 2008, dont nous suivrons les développements avec attention. En l'absence de Michel Laugier, notre collègue Pierre-Antoine Levi vous interrogera sur les problématiques du secteur.
Enfin, les industries culturelles, vaste ensemble où sont regroupés à la fois la Bibliothèque nationale de France (BNF), le jeu vidéo, la musique et l'édition, bénéficient d'un effort important de la part des pouvoirs publics, avec des crédits en hausse de 7,6 % en 2024.
Reste cependant à traiter la question du financement du Centre national de la musique (CNM). En dépit des avancées et des espoirs suscités par les propos du Président de la République le 21 juin dernier, le montant du budget du centre pour 2024 demeure en suspens. On peut déplorer que cette question, identifiée depuis plusieurs années, ne soit toujours pas réglée. En l'absence de notre rapporteur Mikaele Kulimoetoke, c'est notre collègue Martin Lévrier qui vous interrogera sur le sujet.
J'en viens enfin à l'audiovisuel public, dont le budget représente 4 milliards d'euros. Je n'évoquerai pas ici la question de la gouvernance, sujet qui, vous le savez, nous tient particulièrement à coeur. Je m'en tiendrai à celles du mode de financement et de la redéfinition des missions et moyens. Sur tous ces sujets, les solutions provisoires semblent prolongées... Nous avons un peu l'impression de faire du surplace !
Le financement par une fraction de la TVA est reconduit par l'article 31 du projet de loi de finances (PLF). Le Gouvernement a-t-il arrêté un mode de financement pérenne pour la suite ? Une révision de la loi organique relative aux lois de finances est-elle envisagée ? Ces questions vous seront certainement posées par notre rapporteur Cédric Vial.
Nous sommes par ailleurs dans l'attente des nouveaux contrats d'objectifs et de moyens (COM) pour faire suite aux avenants. Le projet de loi de finances comporte, en la matière, une nouveauté : il prévoit de possibles remboursements, dans l'hypothèse où les sociétés ne rempliraient pas leurs objectifs. Une enveloppe additionnelle de 200 millions d'euros sur trois ans est ainsi conditionnée à la mise en oeuvre des projets de modernisation et de transformation des sociétés. Ce choix inédit interpelle, et vous aurez sans doute à coeur de nous préciser l'objectif de cette disposition.
Madame la ministre, je vous laisse maintenant la parole. Chacun de nos rapporteurs vous interrogera ensuite sur les sujets relevant de sa compétence, puis chaque commissaire pourra bien évidemment vous poser ses questions à l'occasion de cette audition, diffusée en direct sur le site internet du Sénat.
Mme Rima Abdul Malak, ministre de la culture. - Merci pour cette introduction tonique, monsieur le président ; la joie dans votre voix fait du bien dans la période actuelle.
Permettez-moi tout d'abord de féliciter les sénateurs et sénatrices élus ou réélus. Nous avons très bien travaillé ensemble au cours des derniers mois, je me réjouis de retrouver votre commission et je ne doute pas que nous maintiendrons, dans les mois à venir, la même fluidité dans nos échanges.
Je vous avais présenté pour 2023 un budget en forte hausse : + 7 %. Le budget pour 2024 est tout aussi ambitieux : avec une nouvelle hausse de 6 %, les crédits budgétaires atteignent environ 4,4 milliards d'euros. S'ajoutent à ce montant une somme avoisinant 4 milliards d'euros pour l'audiovisuel public, 804 millions d'euros de taxes et ressources affectées pour le financement du cinéma, de la musique et du théâtre privé, environ 25 millions d'euros du loto du patrimoine, pérennisé pour cinq années supplémentaires, et 1,7 milliard d'euros de mesures fiscales pour la culture, soit un total de 11 milliards d'euros.
Au titre des crédits budgétaires dédiés à la culture au sein des autres ministères, on pourrait ajouter encore 5,3 milliards d'euros, pour atteindre 16 milliards d'euros... et c'est sans compter les crédits du plan d'investissement France 2030.
Notre politique se déploie, et je tiens à saluer leur engagement, grâce au travail de plus de 29 000 agents en administration centrale, en administration déconcentrée, dans les services à compétence nationale et chez nos opérateurs. Le ministère forme 37 000 étudiants dans près de 100 établissements d'enseignement supérieur culturel.
J'ai effectivement qualifié ce budget de « budget de transformation et d'inspiration », car, au-delà de la lutte contre l'inflation, l'objectif est d'accompagner des mutations en profondeur des secteurs de la culture, notamment travailler à la transition écologique, accélérer le chantier « Mieux produire, mieux diffuser », embrasser les nouvelles technologies, renouveler les publics, anticiper la relève des métiers et redynamiser les territoires. En outre, l'année 2024, année olympique, est exceptionnelle à plus d'un titre. Elle verra en particulier l'aboutissement de plusieurs projets importants, tels ceux de la Cité internationale de la langue française, du Grand Palais, qui rouvrira après un immense chantier, et de la cathédrale Notre-Dame de Paris. Ces grands projets ne doivent pas éclipser tout le travail de dentelle que nous réalisons au quotidien au coeur des territoires pour tisser des liens nouveaux entre artistes et habitants.
Le premier domaine que j'aborderai est celui de l'audiovisuel public, pour lequel je m'étais engagée à donner une visibilité à cinq ans, et non trois.
Comme vous l'avez souligné, monsieur le président, la nouveauté tient dans le fait que nous cumulons une dotation de base pour les entreprises et une enveloppe complémentaire dédiée aux projets de transformation et aux coopérations renforcées, autour de quelques priorités : l'information, la proximité, la place de la culture et de la création, la jeunesse, l'éducation aux médias et un renforcement du déploiement de la stratégie numérique.
Le budget tient donc compte, non seulement de l'inflation et des effets fiscaux dus au changement du mode de financement, mais aussi de nouvelles mesures représentant près de 70 millions d'euros dès l'exercice 2024. Ces enveloppes sont par ailleurs définies sur trois années, avec ce système de conditionnement à la réalisation effective des coopérations et la mise en oeuvre des priorités définies. Cela nous permet de fixer un cap ambitieux de transformation de l'audiovisuel public à l'échéance de 2028.
Je voudrais également insister sur l'enjeu de la transition écologique, ayant mis l'accent, pour le budget 2024, sur les travaux et le soutien à l'innovation en la matière. Dans le cadre du plan d'investissement France 2030, nous déploierons 25 millions d'euros au titre du programme Alternatives vertes. Par ailleurs, nous avons obtenu 40 millions d'euros sur le fonds vert interministériel pour des travaux d'amélioration de la performance énergétique de certains bâtiments appartenant à l'État ou aux collectivités territoriales.
En dehors de l'audiovisuel, ce budget compte 241 millions d'euros de crédits en plus, destinés au renforcement des moyens des structures de la création et à l'accompagnement de leur mutation, au soutien des artistes, à la relève des métiers, aux écoles d'enseignement supérieur, au patrimoine, à la lecture et à l'accès à la culture. Nous renforçons également le soutien au pluralisme de la presse et des radios. Enfin, le ministère se voit accorder des budgets supplémentaires pour ses moyens immobiliers et informatiques.
Par ailleurs, nous avons obtenu 125 nouveaux équivalents temps plein (ETP) pour accompagner un projet comme celui de Villers-Cotterêts, mais aussi nos écoles, le Centre national de la musique ou encore la sécurisation de la chaîne d'acquisition et de recherche de provenance de nos musées, etc. Nous disposons donc de moyens humains renforcés.
S'agissant des écoles de l'enseignement supérieur, elles bénéficieront cette année d'investissements structurants. Nous poursuivrons les travaux de rénovation, par exemple à l'école nationale supérieure d'architecture de Montpellier, mais aurons aussi des moyens supplémentaires à consacrer aux dotations d'investissement courant. Nous apporterons un soutien très renforcé aux écoles nationales supérieures d'architecture, dont les moyens seront rehaussés de 4,8 millions d'euros. Enfin, après un effort supérieur à 2 millions d'euros en 2023, nous allons accroître notre soutien aux écoles supérieures d'art territoriales en matière d'investissement, avec une hausse de 3 millions d'euros.
Je tiens en outre à insister sur l'attention que nous portons à la question du patrimoine, avec, encore une fois, une intensification du programme d'investissements. Ainsi, la progression sera de 55 millions d'euros pour les crédits destinés aux restaurations de sites patrimoniaux majeurs sur le territoire, avec la poursuite de la reconversion de l'abbaye-prison de Clairvaux, le projet du château de Gaillon, le plan concernant les cathédrales, etc. Nous renforçons aussi les moyens consacrés aux restaurations de patrimoine local, via, notamment, le Fonds incitatif et partenarial pour le patrimoine, qui, pour près de 80 % des chantiers soutenus, intervient dans des communes de moins de 2 000 habitants.
Le Président de la République a par ailleurs annoncé de nouveaux efforts en faveur du patrimoine religieux des communes de moins de 10 000 habitants - 20 000 habitants en outre-mer. Une collecte va être lancée avec la Fondation du patrimoine, pour laquelle une déduction fiscale équivalente à celle qui a prévalu pour la cathédrale Notre-Dame de Paris sera accordée. Nous engageons également une campagne de protection en vue, notamment, d'un éventuel classement de certains édifices cultuels des XIXe et XXe siècles.
Bien que ne pouvant détailler l'ensemble de mes priorités, je ne peux pas terminer mon propos sans évoquer la lecture - une de mes obsessions. Nous continuons à renforcer notre stratégie en matière de lecture dans les territoires, avec une hausse des crédits de près de 5 millions d'euros en 2024. Il s'agit d'amplifier l'ensemble de nos actions - dispositif Premières pages, le Quart d'heure de lecture, action du Centre national du livre, Goncourt des détenus, etc. - afin que l'on puisse lire partout où c'est possible. Par ailleurs, nous continuons de soutenir nos grands opérateurs dans le domaine de la lecture, à savoir les bibliothèques nationales, la Bibliothèque publique d'information (BPI) et la BNF, d'autant que les récentes violences urbaines ont ciblé une cinquantaine de bibliothèques. Il s'agira donc, pour nous, d'accompagner les reconstructions, mais aussi de travailler à l'extension des horaires d'ouverture ou l'animation de ces lieux.
La culture est traversée de secousses. Elle connaît la crise de l'énergie, le dérèglement climatique, les désordres géopolitiques, les menaces sur la liberté de création, le désengagement de certaines collectivités, les violences urbaines, les bouleversements induits par l'intelligence artificielle et, bien sûr, les risques terroristes qui nous mobilisent tous aujourd'hui. Mais, j'en reste persuadée, c'est elle qui nous rassemble, qui nous offre des émotions uniques et des imaginaires communs, qui nous aide à élargir la vie et à affirmer, encore et encore, notre attachement aux valeurs de la République.
Je termine, comme à mon habitude, avec un poème. Il s'agit, ici, d'un texte écrit par Abdellatif Laâbi, poète marocain, après les attentats de 2015.
« J'atteste qu'il n'y a d'Être humain
« que Celui dont le coeur tremble d'amour
« pour tous ses frères en humanité
« Celui qui désire ardemment
« plus pour eux que pour lui-même
« liberté, paix, dignité
« Celui qui considère que la vie
« est encore plus sacrée
« que ses croyances et ses divinités
« J'atteste qu'il n'y a d'être humain
« que Celui qui combat sans relâche
« la Haine en lui et autour de lui
« Celui qui, dès qu'il ouvre les yeux le matin,
« se pose la question : que vais-je faire aujourd'hui
« pour ne pas perdre ma qualité et ma fierté
« d'être homme ? »
Sans culture, pas d'humanité, pas de civilisation !
Mme Sabine Drexler, rapporteur pour avis des crédits des patrimoines. - Merci pour votre présentation très complète et ce très beau poème.
Je souhaite vous interroger sur les suites données au rapport d'information sur le patrimoine et la transition écologique que j'ai remis en juin dernier. Je me félicite que certaines de mes propositions, notamment concernant la formation des diagnostiqueurs aux spécificités du bâti ancien, aient été reprises. Mais je suis très déçue par le fait que rien n'a été fait, pour l'instant, pour permettre l'adaptation du diagnostic de performance énergétique (DPE), pourtant très attendue par les associations de préservation du patrimoine.
Mon rapport aborde également la question du soutien financier et fiscal. Il faudrait pouvoir réorienter ou conditionner les aides pour mieux accompagner les rénovations respectueuses du bâti ancien, lesquelles font souvent appel à des savoir-faire et techniques particulières plus coûteuses.
Seriez-vous par ailleurs favorable, comme je l'ai proposé, à une réforme des dispositifs Denormandie et Malraux, mais aussi à l'extension du label de la Fondation du patrimoine aux travaux de rénovation énergétique à l'intérieur des bâtis dans le cas où des travaux extérieurs porteraient atteinte aux caractéristiques architecturales ou patrimoniales ?
Que comptez-vous faire pour mieux accompagner les collectivités territoriales dans l'identification de leur bâti ancien ? Les crédits inscrits pour la réalisation d'études ne devraient-ils pas être abondés en ce sens ?
Enfin, la revalorisation accordée à l'archéologie préventive dans le projet de loi de finances de l'an dernier était bienvenue. Mais le compte n'y est toujours pas ! La compensation des frais engagés par les services d'archéologie préventive des collectivités territoriales n'est pas assurée malgré la revalorisation de la valeur par mètre carré intervenue en 2022, alors même que le produit de la taxe d'archéologie préventive, perçue depuis 2016 au profit du budget général de l'État, est en forte croissance et permet à l'État de réaliser un excédent. Que comptez-vous faire pour rééquilibrer ces financements ?
Mme Karine Daniel, rapporteure pour avis des crédits relatifs à la création, à la transmission des savoirs et à la démocratisation de la culture. - Nous ne pouvons que nous inquiéter de la situation financière critique de nombreuses écoles d'art territoriales, en dépit d'une nouvelle hausse budgétaire dans ce domaine. Le rapport de Pierre Oudart a été officiellement remis voilà quinze jours. À quoi l'État est-il prêt à s'engager pour l'avenir de ces écoles ?
Par ailleurs, la présence des services publics culturels dans les territoires les plus sensibles m'apparaît comme un enjeu primordial. Au-delà des appels à projets que vous avez lancés dans le cadre de l'Été culturel, que compte faire l'État pour développer ces services publics et accompagner les projets des acteurs associatifs et culturels oeuvrant en ce sens ? Quels projets, par exemple, sont soutenus par le Fonds d'innovation territoriale récemment créé ? Comment celui-ci s'articule-t-il avec les politiques territoriales déjà engagées ?
Sur cette même thématique, nos collègues de la commission des finances ont relevé une utilisation moins intensive du pass Culture par les jeunes ruraux, en particulier les jeunes âgés de 15 à 17 ans du fait de problèmes spécifiques de mobilité. Quelles consignes ont été données face à ce constat ?
Enfin, je souligne l'amélioration que constitue le volet collectif du pass Culture. Il faudra néanmoins veiller à la question de l'égalité d'accès entre les différents établissements et à l'articulation faite avec ce qui existait précédemment dans le champ de l'éducation artistique et culturelle. Cette nouvelle offre doit être lisible, à la fois pour les acteurs culturels, le corps enseignant et les collectivités territoriales. Quelles garanties peuvent être apportées dans ce domaine ?
M. Cédric Vial, rapporteur pour avis des crédits de l'audiovisuel public. - Je vous remercie également, madame la ministre, pour le choix du poème, qui résonne avec les discussions que nous aurons, notamment demain en commission, sur l'écriture dite inclusive...
J'ai trois questions à vous soumettre concernant le financement de l'audiovisuel public.
Premièrement, alors qu'il a fallu procéder par avenant l'an dernier, nous attendons les nouveaux contrats d'objectifs et de moyens. Dans le cadre du projet de loi de finances, vous vous projetez sur les cinq prochaines années, mais nous n'avons toujours rien vu de ces contrats. Nous allons donc adopter des moyens sans objectifs ni convention. Pouvez-vous nous donner plus d'éléments sur le sujet ?
Deuxièmement, où en êtes-vous dans la réflexion sur le financement de l'audiovisuel public, suite à la suppression de la redevance ? La compensation provisoire par le biais d'une fraction de la TVA ne peut être pérennisée sans passer par le législateur. Quand pensez-vous pouvoir présenter une solution devant le Parlement ?
Troisièmement, vous attendiez des économies du rapprochement entre France Bleu et France 3. Qu'en est-il ? Enfin, vous souhaitez renforcer la chaîne de télévision France Info. Comment envisagez-vous le développement concomitant des deux chaînes d'information France info et France 24 dans un environnement très concurrentiel ?
M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits du cinéma. - À mon tour, madame la ministre, de vous remercier pour votre présentation liminaire et le poème, fort à propos, que vous nous avez lu.
Avec Sonia de La Provôté et Céline Boulay-Espéronnier, nous avons rendu public un rapport d'information sur le cinéma au printemps dernier, suivi par le dépôt d'une proposition de loi appelant à l'instauration d'une nouvelle obligation pour les distributeurs en matière d'engagements de diffusion. Quel devrait être le champ de cette obligation ? Êtes-vous prête à faire évoluer la classification Art et Essai ?
À l'initiative de notre collègue Catherine Conconne, le Sénat a adopté une proposition de loi visant à assurer la pérennité des établissements cinématographiques et l'accès au cinéma dans les outre-mer. Ce texte n'est toujours pas inscrit à l'ordre du jour des travaux de l'Assemblée nationale. Pouvez-vous nous donner des éléments de calendrier ?
Enfin, pouvez-vous faire un point sur les négociations autour de la chronologie des médias ?
M. Pierre-Antoine Levi. - Je m'exprime ici au nom de Michel Laugier, notre rapporteur, que je vous prie de bien vouloir excuser. Le soutien à une presse garante de la qualité du débat démocratique constitue un axe fort des travaux de notre commission. Mais les sujets d'inquiétude sont nombreux dans un monde où l'opinion surpasse la raison. Il est donc primordial que notre assemblée se tienne aux côtés d'une presse dont le modèle économique est aujourd'hui bien fragile.
Les aides à la presse sont régulièrement critiquées pour leur opacité et leur complexité. Elles sont concentrées sur la presse papier. Comptez-vous lancer un chantier de réforme ?
Qu'attendez-vous des États généraux de l'information, lancés au début du mois d'octobre ? Quels problèmes avez-vous déjà identifiés ?
En théorie, l'année 2024 sera la dernière année du soutien exceptionnel apporté par l'État à France Messagerie, soutien ponctionné, rappelons-le, sur les crédits destinés à la modernisation de la presse. Comment voyez-vous l'année 2025 ? Ne serait-il pas temps de « renverser la table » pour parvenir à une solution à une seule messagerie, ou bien spécialisant France Messagerie à la seule presse quotidienne régionale ?
M. Martin Lévrier. - Je m'exprime ici au nom de Mikaele Kulimoetoke, notre rapporteur, que je vous prie de bien vouloir excuser. Merci, madame la ministre, pour vos propos liminaires et pour le poème que vous avez choisi.
À la suite du rapport de Julien Bargeton relatif à la stratégie de financement de la filière musicale en France, l'idée d'une taxe sur le streaming pour le financement du CNM s'est imposée dans le débat public. Où en sont vos réflexions sur ce sujet ? Un arbitrage a-t-il été rendu sur cette question ?
Les relations entre les auteurs et les éditeurs sont marquées depuis plusieurs années par une grande méfiance. Les négociations ne semblent pas aboutir. Où en êtes-vous ? Des dispositions de nature législative pourraient-elles s'avérer nécessaires ?
Pourriez-vous faire un point sur les résultats concrets du « plan Bibliothèques », les moyens mis en oeuvre et les perspectives pour les années à venir ?
Pourriez-vous dresser un bilan des mesures spécifiques mises en oeuvre pour soutenir les artistes et les professionnels de la culture pendant la crise sanitaire ?
Les musées et les institutions culturelles ont été confrontés à des défis importants en matière de conservation et de numérisation du patrimoine culturel. Quels investissements ont-ils été réalisés dans ces domaines et quels sont les projets en cours pour préserver et promouvoir notre patrimoine culturel ?
Enfin, comment le ministère encourage-t-il la création artistique innovante et comment favorise-t-il l'émergence de nouveaux talents, en particulier dans le contexte de la révolution numérique ?
Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Madame Drexler, nous rejoignons la grande majorité des constats et des propositions de votre rapport sur le patrimoine et la transition écologique. Ces deux ambitions, transition énergétique et conservation du patrimoine bâti, peuvent être conciliées. Nous avons les ressources, les atouts, et les métiers pour le faire. Ce travail nécessite une grande concertation au niveau local, à l'image de celle qui avait été menée pour le développement de l'énergie photovoltaïque, en lien avec le ministère de la transition écologique, et qui avait abouti à la rédaction d'une circulaire commune et à la définition d'un cadre précis. Le même type de travail a été engagé pour l'élaboration d'un guide à destination des diagnostiqueurs. Une actualisation des textes réglementaires - référentiel de compétences, cycle de formation, etc. - est également en cours. Nous y travaillons avec le ministère de la transition écologique.
Nous soutenons votre initiative pour élargir l'attribution du label de la Fondation du patrimoine aux travaux intérieurs, ce qui ouvrirait la voie à des déductions fiscales ou au versement de subventions pour des travaux de rénovation thermique du bâti ancien. Les évolutions fiscales que vous mentionnez sont également importantes. La liste des travaux éligibles aux aides à la rénovation énergétique pourrait en outre évoluer, pour prendre en compte les travaux respectueux du patrimoine. Nous explorons cette piste, en lien avec Bercy. Soyez assurés de notre détermination sur ces questions, y compris au niveau européen.
Un effort particulier avait bien été fait l'an dernier en direction de l'archéologie préventive. Une soixantaine de collectivités sont habilitées par le ministère de la culture et le ministère de l'enseignement supérieur pour réaliser des diagnostics archéologiques. Pour le budget 2024, nous avons accordé la priorité au financement urgent de revalorisations salariales au sein de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap). Nous restons néanmoins ouverts sur cette question. Nous devons parvenir à objectiver davantage les besoins pour mieux les défendre dans les prochaines discussions budgétaires. Si vous pouvez nous y aider, ce sera très utile.
Une mission de l'inspection générale des affaires culturelles (Igac) et de l'inspection générale des finances (IGF) est en cours concernant les dispositifs Malraux et Denormandie, dont la conclusion est attendue pour la fin de l'année.
Les écoles territoriales d'art constituent un chantier prioritaire. Toutefois, n'oublions pas que ces écoles ont été créées par les collectivités et ont fonctionné longtemps en régie municipale avant de devenir des établissements publics de coopération culturelle (EPCC) en 2011 ou 2012. Nous nous efforçons d'accompagner celles d'entre elles qui sont le plus en difficulté. Nous discutons des principales conclusions du rapport Oudart avec les directeurs et présidents de ces établissements. Nous continuerons à nous montrer attentifs, au cas par cas. Aucune mesure générale n'est prévue, chaque école ayant son histoire particulière, ses spécificités, et sa relation avec les collectivités. L'effort supplémentaire que nous avions engagé en 2023 a été maintenu pour 2024. Des aides à l'investissement peuvent aussi intervenir, afin de réduire les coûts de fonctionnement. Nous restons donc mobilisés sur le sujet.
Le bilan du fonds d'innovation territoriale, lancé en 2023, sera établi en début d'année prochaine. Pour qu'un projet soit financé, il doit être porté par au moins une collectivité locale. Les projets soutenus sont choisis avec les élus locaux, et non sur la seule décision des directions régionales des affaires culturelles (Drac). La priorité est accordée aux zones rurales isolées et aux quartiers prioritaires de la politique de la ville, et les projets soutenus doivent être innovants, l'idée étant de toucher des publics que l'on ne parvient pas à atteindre d'habitude.
La question de l'utilisation du pass Culture en zone rurale est effectivement importante. Plusieurs expérimentations sont en cours, notamment dans la région Grand Est, pour améliorer les parcours des jeunes, particulièrement sur le plan des transports. Des consignes ont été données à la société pass Culture pour travailler davantage en ce sens.
L'objectif de la part collective du pass Culture, de 25 euros par élève et par an, est d'amplifier l'éducation artistique au collège et au lycée. Si, en raison de son déploiement, des collectivités décident de retirer des budgets prévus initialement dans ce domaine, ou si cela vient pénaliser des actions existantes, il y a lieu de s'inquiéter. Je veux bien que vous nous communiquiez des exemples, pour que nous puissions y travailler au cas par cas.
Les problèmes techniques qui ont pu se présenter pour l'articulation entre l'application dédiée à la généralisation de l'éducation artistique et culturelle (Adage) du ministère de l'éducation nationale, et le pass Culture, sont désormais résolus. Un regard de l'éducation nationale reste toutefois nécessaire sur les projets proposés, et les artistes amenés à intervenir en milieu scolaire. Cependant, si des compagnies habituées à intervenir dans certains établissements s'en trouvent subitement rejetées, cela pose problème. J'étudierai ce point plus précisément.
À la faveur du prolongement d'un an des contrats d'objectifs et de moyens de l'audiovisuel public, nous avons pu redéfinir les objectifs, les principales missions de service public et les priorités de ce dernier. Parmi celles-ci, nous avons identifié celles qui nécessitaient une plus grande coopération entre les entreprises de l'audiovisuel public, à commencer par la fiabilité de l'information et l'investissement dans la lutte contre les fausses informations. En matière de stratégie digitale, nous avons constaté qu'il existait dans d'autres pays européens plusieurs plateformes numériques pour l'audio et la vidéo, ce qui n'empêche pas l'interopérabilité. Plusieurs sujets ont donc été étudiés.
Nous proposons une trajectoire pour cinq ans. Il revient évidemment au Parlement d'adopter le budget et de valider ces conventions. Ces discussions auront lieu. Le calendrier des contrats d'objectifs et de moyens sera précisé prochainement.
Je suis favorable par ailleurs à la pérennisation, au-delà des années 2024 et 2025, du fléchage d'une fraction de la TVA vers l'audiovisuel public, ce qui impliquera une modification ciblée de la loi organique relative aux lois de finances (Lolf). Il n'y a pas encore d'arbitrage interministériel sur le sujet. Les discussions se poursuivent.
Concernant la réforme de la gouvernance, il m'était apparu qu'il était possible de parvenir plus rapidement aux objectifs souhaités, sans passer par la création d'une holding. Grâce au fléchage d'une enveloppe complémentaire dédiée aux chantiers prioritaires, aux transformations et aux coopérations, nous disposons de trois ans, à partir de 2024, pour accélérer les réformes. J'espère que cette nouvelle méthode portera ses fruits.
Les coopérations entre France 3 et France Bleu ne généreront pas d'économies dans l'immédiat. Leur but premier est de regrouper les forces du réseau de proximité de l'audiovisuel public pour porter un programme ambitieux autour de la vie locale, pour faire vivre une information locale forte et diversifiée et pour renforcer la connaissance de la vie culturelle et des services locaux. Différents rapprochements sont nécessaires pour parvenir à ce résultat, sur lesquels les présidentes de Radio France et de France Télévisions ont eu l'occasion de s'exprimer. Nous leur faisons confiance pour avancer sur cette question, des budgets complémentaires étant réservés à ce chantier.
La question des coopérations entre France Info et France 24 est plus complexe, car ces deux chaînes ne s'adressent pas aux mêmes publics. Des complémentarités existent néanmoins, et des coopérations ont déjà lieu ; nous verrons sur quels segments il sera possible de les renforcer. Pour l'instant, notre objectif est de consolider l'information en général, et France Info en particulier, et d'oeuvrer au rapprochement entre France 3 et France Bleu.
Le rapport de Bruno Lasserre sur le cinéma ouvre des perspectives utiles pour clarifier les engagements de programmation ainsi que le classement Art et Essai , ou encore assouplir les politiques tarifaires. Toutes ces dispositions nécessitent une transposition législative. La proposition de loi mentionnée par M. Bacchi est donc bienvenue, et nous la soutiendrons.
La chronologie des médias reste un sujet de débat complexe. Des avancées ont eu lieu sur la question de l'étanchéité des fenêtres. Les discussions se poursuivent.
Les États généraux de l'information viennent de s'ouvrir, sous l'égide d'un comité de pilotage indépendant, que vous pourrez rencontrer autant que vous le souhaiterez. Plusieurs groupes de travail ont été formés, autour de sujets très vastes. J'attends de cet événement qu'il suscite, au-delà des experts, une mobilisation des citoyens et des jeunes pour créer un débat autour du droit à l'information et de la fiabilité de l'information. Il ne sera donc pas seulement question du modèle économique et de l'avenir de la presse. En effet, l'accès à l'information, dans notre société, passe aussi par le numérique ou par des relais de décryptage comme HugoDécrypte. Nous devons prendre en compte toutes ces modalités. Nous avons aussi tout un chantier d'éducation aux médias à renforcer pour lutter contre la désinformation. J'attends également des propositions à ce sujet. Certaines pourront mener à des évolutions législatives, concernant la lutte contre les ingérences étrangères, par exemple, ou les aides à la presse.
Je m'étais engagée à ouvrir ce dernier chantier. L'enjeu est de garantir le pluralisme de la presse. On ne peut néanmoins être ignorer la presse en ligne. Cela fera partie des travaux à mener.
L'aide de 9 millions d'euros versée à France Messagerie est en réalité une aide destinée aux éditeurs de la presse quotidienne nationale d'information politique et générale (IPG) visant à alléger le coût des barèmes tarifés par la messagerie des quotidiens. Elle fait partie de l'aide à la distribution globale de 27 millions d'euros qui leur est versée. Sans cette aide, les éditeurs feraient face à des barèmes dont ils ne pourraient s'acquitter, sauf en augmentant fortement le prix de leurs titres. Ponctionnée à l'origine sur le fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP), cette aide a été reconduite par les lois de finances successives. Pour autant, il n'en a pas résulté un manque de financement de la modernisation, grâce à l'intervention des crédits du plan de relance entre 2020 et 2022.
Une mission a été confiée à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et à l'Inspection générale des finances (IGF) pour réfléchir, au-delà de la situation économique de France Messagerie, à l'avenir de la distribution de la presse au numéro en France : financement, aide à la distribution, péréquation, gouvernance, etc. Ce chantier est considérable. Nous attendons leurs recommandations avant de nous prononcer.
J'en viens au CNM. La concertation que j'ai lancée avec tous les segments de la filière, à la demande du Président de la République à la suite de ses annonces fortes du 21 juin, a pris trois mois. À l'issue de ces échanges, trois hypothèses se sont dégagées. La première consisterait à instaurer une contribution obligatoire des plateformes de streaming, gratuites comme payantes, établie sur la base d'un taux modulé et de seuils variables - de 0,5 % à 1,75 % - selon leurs chiffres d'affaires réalisés en France. Cette contribution obligatoire permettrait de générer, la première année, entre 18 et 20 millions d'euros pour financer le Centre national de la musique, et une somme plus importante les années suivantes. Dans la deuxième hypothèse, nous étendrions la taxe sur la diffusion en vidéo physique et en ligne de contenus audiovisuels (TSV) pour en faire bénéficier le CNM. Cependant, cela reviendrait à taxer la publicité, alors que certaines plateformes comme Amazon et Apple ne fonctionnent pas avec un modèle publicitaire. À ce stade, cette proposition a peu convaincu nos interlocuteurs. Enfin, la troisième hypothèse serait celle d'une contribution volontaire des plateformes. Certaines ont d'ailleurs proposé d'elles-mêmes d'abonder le budget du CNM, soit oralement, soit par écrit. Nous nous donnons du temps pour poursuivre cette négociation. Nous pourrons également étudier les amendements qui seront présentés au cours de l'examen du PLF pour voir si la solution de la contribution obligatoire n'est pas la meilleure.
Le bilan de l'extension des horaires des bibliothèques est encourageant. Ce changement doit néanmoins être conforté, a fortiori au vu des difficultés que rencontrent certaines collectivités. Cette extension s'élève à 8 h 30 en moyenne, dans plus de 500 collectivités. Toutefois, le risque de recul est réel, du fait de l'importance des factures dont les petites communes ont à s'acquitter. La vigilance est de mise sur ce point. À titre d'exemple, la médiathèque de Rillieux-la-Pape est passée de 25 heures à 38 heures d'ouverture. Une telle extension est déterminante, notamment pour toucher les jeunes, d'autant que les bibliothèques sont de véritables lieux de vie, qui comportent des espaces de jeux vidéo, de musique, et proposent de nombreuses activités et animations. Notre rôle est de les soutenir.
L'encouragement de la création artistique passe par notre soutien aux écoles et à l'enseignement supérieur, et à la nouvelle génération d'artistes, d'architectes et de musiciens qui dessineront le monde de demain. Par ailleurs, le programme Mondes nouveaux, d'une manière inédite, s'est appuyé sur les désirs des artistes et leurs propositions de projets pour mettre des moyens, des équipes de production, des opérateurs comme le Centre des monuments nationaux (CMN) ou des partenaires comme le Conservatoire du littoral à leur service. Au total, 260 projets ont été soutenus dans toute la France, impliquant souvent des artistes peu connus, et dans tous les champs artistiques, non les seuls arts plastiques : compositeurs, danseurs, écrivains, vidéastes, etc. Le programme Mondes nouveaux continuera en 2024.
Le plan Mieux produire, mieux diffuser est en outre essentiel. Seule ne compte pas la création, il faut aussi oeuvrer pour sa diffusion vers le public. Un budget « levier » de 9 millions d'euros est donc prévu dans le budget 2024, pour favoriser les coopérations et les coproductions ainsi que l'organisation de tournées raisonnées.
M. Yan Chantrel. - Quand l'extension du pass Culture aux jeunes Français établis hors de France, décidée en conseil des ministres en février dernier, sera-t-elle effective ? Cette extension concernera-t-elle réellement tous ces jeunes ? Flécher le pass Culture à cette occasion vers notre réseau - Instituts français, Alliances françaises, théâtres, librairies, etc. - pourrait être un moyen de le faire vivre et rayonner.
La décision du Gouvernement de suspendre la délivrance des visas pour la France aux ressortissants nigériens, maliens et burkinabés a de profondes répercussions sur nos relations avec ces pays. Des artistes ne sont plus en mesure d'exercer leurs métiers. Des échanges culturels sont suspendus. Ce genre de mesure ne favorise pas non plus le rayonnement de la francophonie, alors que nous accueillerons le sommet de la francophonie en octobre prochain. Par de telles décisions, vous renforcez les putschistes, car vous privez des personnes qui participent au rayonnement culturel de notre pays de la possibilité de s'y rendre. Ce problème n'est pas réglé, les témoignages sont nombreux. La meilleure chose à faire serait de revenir sur cette décision.
Mme Catherine Morin-Desailly. - Le rôle de notre audiovisuel extérieur est essentiel, dans un monde où les crises et les conflits se multiplient. Que prévoyez-vous dans le cadre du PLF pour France Médias Monde ?
Qu'est devenue la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques (Toce), taxe affectée censée compenser la suppression de la publicité après 20 heures et qui est finalement tombée dans l'escarcelle de Bercy ?
Le secteur du spectacle vivant a beaucoup souffert de la crise énergétique. Les aides exceptionnelles débloquées l'année dernière ont d'ailleurs été appréciées. Le plan « Mieux produire, mieux diffuser » tend cependant à revenir à un volume financier dédié à la production similaire à celui de 2019, à volume d'emplois équivalent. Cet objectif nous semble inatteignable compte tenu de l'augmentation constante des charges salariales, du taux de l'inflation et de la crise énergétique. Par ailleurs, comment renforcer la place de la musique dans les établissements publics du spectacle vivant ?
Je vous remercie, madame la ministre, de ne pas avoir suivi la proposition de M. Bargeton de taxer ces structures, financées à 80 % par les collectivités territoriales, pour financer le CNM.
Il existe enfin des inégalités entre les écoles territoriales d'art, comme entre les écoles d'architecture. Les collectivités territoriales voyant leurs ressources fiscales se réduire, ne pourrait-on réfléchir à une dotation globale de fonctionnement spécifique pour les collectivités qui portent un établissement de ce type ?
M. Max Brisson, président. - Je m'associe à cette dernière question.
Mme Sylvie Robert. - Entre une contribution obligatoire des plateformes de streaming au financement du CNM et une contribution volontaire, il y a une décision politique importante à prendre. La première hypothèse représenterait 20 millions d'euros, contre 5 millions d'euros pour la seconde, soit un manque à gagner de 15 millions d'euros. Or les recettes du CNM diminueront en 2024 du fait de l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024, qui entraînera l'arrêt de certains grands concerts, au Stade de France par exemple. Les pertes potentielles sont estimées à 8 millions d'euros. Il y a là une bataille à mener, c'est une question de justice fiscale. J'espère que, face à la puissance des plateformes, le Gouvernement choisira la contribution obligatoire.
Les États généraux de l'information ont été percutés par une double actualité : ce qui est arrivé à la journaliste d'investigation Ariane Lavrilleux, et la position prise par la France dans le cadre du règlement européen sur la liberté des médias. Le Gouvernement a poussé pour introduire une exception sur l'interdiction de l'utilisation de logiciels espions à l'encontre de journalistes, au nom de la sauvegarde de la sécurité nationale. Il y a là un besoin de cohérence. On ne peut tenir un discours protecteur des médias à l'échelle nationale, dans le cadre des États généraux de l'information, et oeuvrer en sens inverse au niveau européen. Madame la ministre, le Gouvernement entend-il revenir sur sa position d'ici l'adoption finale du texte pour protéger le secret des sources ?
Mme Monique de Marco. - Dans le prolongement de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), vous avez présenté cette année un budget comportant une fraction de TVA destinée à garantir son financement, fraction qui est certes en augmentation. Je vous rappelle néanmoins la décision rendue par le Conseil constitutionnel à ce sujet, à la suite de la loi de finances rectificative de 2022. En outre, deux députés membres de la majorité ont mis en avant le risque de non-conformité avec le traité franco-allemand qui a permis la création d'Arte. Plus globalement, quel est le cap fixé pour le financement de l'audiovisuel public après 2024 ? Vous pourrez consulter la proposition de loi organique que j'ai déposée avec plusieurs de mes collègues pour garantir l'indépendance de l'audiovisuel public français, et nous pourrons en débattre.
Par ailleurs, vous avez annoncé la tenue d'une Olympiade culturelle dotée d'un budget de 4 millions d'euros en 2024, avec pour objectif de poursuivre le dialogue entre le sport et la culture engagé depuis 2022. Or nous vous alertons, depuis janvier 2023, quant aux impacts des jeux Olympiques (JO) sur l'ensemble du tissu culturel français, notamment sur le spectacle vivant, qui dépend fortement de la vie festivalière. Certains projets culturels semblent menacés en 2024, par la mobilisation des forces de l'ordre comme des moyens humains et matériels de l'événementiel. Quels moyens avez-vous budgétisés pour compenser ces pertes ?
Mme Agnès Evren. - Je souhaite revenir sur le financement du CNM dans la mesure où une série d'amendements ont été déposés en vue d'instaurer une taxe sur le streaming. Une telle taxe alourdirait d'abord la fiscalité pesant sur des services qui font d'ores et déjà l'objet d'un taux de TVA de 20 %. Elle pénaliserait, ensuite, les leaders de l'abonnement, c'est-à-dire des acteurs européens dont les marges sont inexistantes. Enfin, son instauration reviendrait à passer sous silence les répercussions sur les acteurs les plus fragiles, sur les ayants droit et sur les consommateurs.
Vous avez confirmé explorer la piste d'une contribution volontaire des plateformes et des ayants droit. Cette solution présenterait le double avantage d'être opérationnelle dès 2024 et de maîtriser la répercussion des efforts consentis sur chaque maillon de la chaîne de valeur. Quel calendrier envisagez-vous afin de parvenir à un accord sur cette contribution volontaire ?
Mme Sonia de La Provôté. - J'appuie les propositions de mes collègues concernant la nécessité d'un schéma de financement complet et pérenne du CNM.
Je suis d'ailleurs plutôt favorable à une taxe proposée par des amendements déposés à l'Assemblée nationale, mais qui n'ont pas été retenus à la suite du recours à l'article 49-3 de la Constitution. Le combat continue, et menons-le ensemble ! Le CNM a fait preuve de son utilité, il s'avère être un outil essentiel pour la filière. La question de son financement, et donc de cette taxe, reste donc d'actualité.
Je souhaite évoquer la crise sans précédent que subissent les scènes de musiques actuelles (Smac) en raison de l'inflation ainsi que de la hausse des cachets des artistes et des coûts de production. Ainsi un grand nombre de ces salles se trouvent-elles dans une situation déficitaire : certains syndicats indiquent que 20 % à 30 % de leurs adhérents sont dans ce cas. Un effort a certes été fourni en leur faveur, mais ces salles doivent arbitrer entre de grosses productions et leur rôle essentiel en matière de soutien à la création.
Envisagez-vous apporter une aide à destination des Smac ? Dans ces moments difficiles, il est nécessaire de conforter leur mission de soutien aux productions fragiles et aux artistes émergents.
Concernant le pass Culture, nous avons déjà interrogé le ministre de l'éducation nationale, qui s'est réjoui de mener avec vous ce chantier. Si le montant alloué au pass est en hausse, la feuille de route de cet outil - au service d'une politique culturelle - manque de lisibilité, notamment sur l'éducation artistique et culturelle (EAC).
L'éditorialisation est certes intéressante, mais la médiation l'est encore davantage. D'une part, on ne comprend pas comment les jeunes utilisent le pass Culture hors milieu scolaire, et, d'autre part, cet outil ne crée pas de diversité dans l'offre culturelle, alors qu'il aurait pu l'accompagner.
Par ailleurs, quid du renforcement des unités départementales de l'architecture et du patrimoine (Udap) ? Celles-ci sont indispensables pour l'accompagnement des petites communes, en complémentarité avec l'accompagnement du petit patrimoine.
Enfin, votre position a-t-elle évolué quant à l'assistance à maîtrise d'ouvrage auprès des architectes des Bâtiments de France, un besoin exprimé par les collectivités et par les maires ?
Mme Marie-Pierre Monier. - Je salue l'augmentation des crédits alloués aux études et travaux des sites patrimoniaux remarquables (SPR), qui traduit un soutien à ce dispositif créé en 2016 et qui bénéficie à quelque 900 communes. Toutefois, ces dernières ont besoin d'être accompagnées par les personnels des Udap, en nombre insuffisant. Pourtant, l'importance des SPR est reconnue dans le cadre des politiques de revitalisation des centres historiques et de réhabilitation des logements, y compris dans les programmes Action coeur de ville et Petites villes de demain. Il faudrait donc renforcer les effectifs des Udap, les besoins étant estimés entre 100 et 150 agents supplémentaires.
Le DPE n'est toujours pas adapté au bâti ancien. Les associations de sauvegarde du patrimoine que nous avons auditionnées ont indiqué que les fenêtres du XVIIIe siècle ont disparu, que les portes de la même époque sont en voie d'extinction et que les boiseries et lambris sont également menacés. Le Gouvernement doit revoir sa copie sur ce point.
Le fonds incitatif et partenarial connaît lui une hausse. Vous avez dit qu'il bénéficie à de nombreuses communes de moins de 2 000 habitants propriétaires de monuments historiques et dont les ressources sont faibles, mais il s'avère qu'il peut aussi bénéficier à des propriétaires privés de monuments historiques situés dans ces communes. Le soutien qui leur est apporté représenterait ainsi 18 % de la dotation du fonds.
Je ne remets aucunement en cause les besoins de soutien de ces propriétaires privés, mais je m'interroge sur les modalités et critères d'éligibilité à ce fonds, car la taille et les ressources de la commune d'implantation ne semblent pas être un critère pertinent pour évaluer les moyens financiers dont dispose un propriétaire privé. Par ailleurs, vos services ont-ils établi un bilan complet du FIP depuis sa création ?
Enfin, le plan en faveur des petites églises en péril, même s'il ne relève pas directement du budget du ministère de la culture pour 2024, devra être financé pour compenser les crédits d'impôt prévus à hauteur de 75 % pour les donateurs. Pouvez-vous préciser les modalités de ce financement et leurs impacts éventuels sur certaines lignes budgétaires du patrimoine ?
Mme Anne Ventalon. - Je souhaite revenir sur les annonces du Président de la République en faveur du patrimoine religieux et salue à cet égard le lancement de la collecte nationale via la Fondation du patrimoine, ainsi que la défiscalisation qui en découle.
Je m'interroge sur les mesures interministérielles annoncées dans ce domaine. Plus particulièrement, comment la valorisation des initiatives d'usages compatibles avec l'activité cultuelle au sein de ces lieux de culte se traduira-t-elle ?
M. Adel Ziane. - Je commencerai par un satisfecit concernant la hausse importante du budget alloué aux musées. Cependant, vous l'avez évoqué vous-même, il s'agit d'un budget de transformation, dont une part importante est liée à la rénovation du Centre Georges-Pompidou. La crise sanitaire et économique ainsi que la baisse de fréquentation liée au covid-19 ont malmené le modèle économique des musées. Le ministère de la culture avait alors été au rendez-vous avec le plan de relance, mais la question de son soutien se pose à nouveau alors que l'inflation sévit et que la fréquentation n'a pas retrouvé son niveau de 2019, malgré des chiffres encourageants en 2022. La billetterie étant essentielle pour les musées, cette question est déterminante dans le cadre du travail de prospective lié au budget de transformation : quelles sont les projections du ministère sur ces budgets de fonctionnement, une fois cette part allouée au centre Pompidou soustraite ?
Une autre question a trait aux établissements régionaux, alors que les dépenses d'intervention se stabilisent. Il me semble fondamental de garantir un accompagnement des musées par le ministère dans le cadre des contrats de plan État-Région (CPER), dans un contexte de diminution des capacités budgétaires des villes, des intercommunalités, des départements et des régions, comme le montre le rapport de la Cour des comptes publié ce jour. Quel soutien à ces territoires, désireux de développer leurs musées, mais confrontés à de sérieuses difficultés financières pouvez-vous proposez ?
En outre, je veux souligner la faiblesse du budget alloué à l'acquisition et à l'enrichissement des collections, qui restera en deçà du seuil de 10 millions d'euros. Compte tenu de l'état du marché de l'art et du montant faramineux des oeuvres anciennes, je souhaite savoir comment le ministère se positionne par rapport à cet enjeu.
Concernant la Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts qui s'apprête à ouvrir ses portes, quel est le budget de fonctionnement attendu, ainsi que la programmation ? Il faudra faire vivre dignement ce site, dont le coût s'élève à 200 millions d'euros.
M. Jacques Grosperrin. - Nous pouvons tout d'abord nous réjouir de l'augmentation du budget du ministère de la culture à hauteur de 6 %, qui lui permet de retrouver une ambition à la hauteur de la place occupée par la culture dans la société française.
Quelque 15 000 communes, dont 55 % comptent moins de 2 000 habitants, comptent un monument historique sur leur sol. Les SPR revêtent une importance sociale, économique et culturelle dont chacun est conscient, aussi la revalorisation de 20 millions d'euros du FIP constitue-t-elle un signal fort.
Toutefois, à l'instar des édifices religieux, de nombreux édifices appartiennent aux collectivités, qui font peser de nombreux frais sur les mairies.
Vous avez évoqué un budget de transformation et d'inspiration : quelles conséquences en tirez-vous quant à la méthode à employer afin que les différents acteurs - ministères, autorités déconcentrées, élus locaux - travaillent de concert pour la maîtrise d'ouvrage, tant sur le plan financier que sur celui de la rénovation du patrimoine bâti, sachant que l'enveloppe risque d'être insuffisante ?
Mme Mathilde Ollivier. - Pour ce qui est du financement du CNM, l'option la plus ambitieuse, celle de la mise en place de la taxe sur le streaming, aurait dû être portée par les groupes de la majorité à l'Assemblée nationale, mais elle n'a finalement pas été retenue par le Gouvernement dans le PLF après l'utilisation de l'article 49-3 de la Constitution.
Pouvez-vous nous expliquer les raisons qui ont conduit à écarter cette solution alors que vous avez reconnu que l'option relative aux plateformes vidéo n'est pas véritablement satisfaisante, que l'importance du soutien au CMN n'est plus à démontrer et que l'option de la contribution volontaire sera largement insuffisante ?
Je souscris par ailleurs à l'interrogation de M. Chantrel quant à l'élargissement du pass Culture aux jeunes Français de l'étranger : où en est-il ?
Je partage enfin les inquiétudes exprimées par Mme de Marco au sujet des festivals et concerts dans la perspective des jeux Olympiques. D'habitude hébergés dans les stades et ayant d'importants besoins en termes de sécurité, ces événements sont exposés à des risques de baisse de revenus et à des difficultés d'organisation. Quel soutien prévoyez-vous pour ceux-ci ?
Mme Colombe Brossel. - Le budget alloué à l'EAC enregistre une hausse de 1,5 %, nettement en deçà de l'inflation. Il paraît malaisé d'atteindre les objectifs fixés avec un budget qui sera de fait en régression, alors que nous sommes persuadés que l'EAC constitue l'un des leviers pour créer du commun dans les périodes troublées que nous vivons. Il est impératif d'y consacrer le budget nécessaire.
Pour ce qui concerne le pass Culture, je rappelle d'abord qu'il ne s'agit pas d'une politique publique, mais au mieux d'un outil qui doit se déployer en cohérence avec les autres politiques mises en place.
Quels enseignements tirez-vous du rapport à charge, dirais-je, publié par la Cour des comptes à propos de la mise en oeuvre du pass Culture ? Nous voyons s'exprimer une volonté de renforcer les activités collectives, notamment pour les élèves de cinquième et de sixième, mais, là aussi, cet élargissement pose question compte tenu de la faible progression du budget correspondant.
Enfin, la mise en place de l'application Adage crée une dynamique délétère qui prive des compagnies de théâtre et de spectacle vivant d'interventions qu'elles effectuaient auparavant auprès des élèves, ce qui fragilise le tissu culturel. Ce constat est d'ailleurs partagé par l'ensemble des sénateurs.
M. Jean-Gérard Paumier. - Je tiens à vous alerter, madame la ministre, sur la situation de nombreuses églises qui ne sont ni inscrites ni classées, notamment en milieu rural, et qui nécessitent des travaux urgents et/ou de sécurité. Très attachées à ce patrimoine, les communes éprouvent des difficultés à financer leur entretien. Les Drac, qui peinent déjà à tenir leurs engagements financiers pour les églises classées ou inscrites, ne peuvent pas intervenir. Aussi, je sollicite une intervention de votre part auprès des préfets et des départements. L'échelon départemental semble en effet être le niveau adéquat pour prendre en charge ces travaux. Lorsque j'étais président du département d'Indre-et-Loire, qui possède un patrimoine important, nous avions ainsi, en lien avec le préfet, alloué 200 000 euros à ces travaux urgents, financés à 30 % au travers de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) et à 30 % par le département.
La DETR avait produit un effet de levier intéressant en permettant à de petites communes de financer ces travaux urgents, indispensables pour prévenir une dégradation des édifices et des coûts qui s'alourdissent par la suite si la rénovation n'est pas réalisée à temps.
M. Aymeric Durox. - Alors que notre pays s'apprête à accueillir les jeux Olympiques et Paralympiques, je m'interroge sur l'héritage lié à cet événement. Depuis 2006, il existe un réseau des musées olympiques qui fédère 32 établissements à travers le monde et dont la France ne fait pas partie. Elle compte pourtant des musées dédiés au sport, dont le musée national du sport à Nice et des musées des fédérations, celui du basket par exemple. S'y ajoutent des espaces mémoriaux olympiques installés dans les villes hautes olympiques, à Albertville et Grenoble.
Paris, qui aura accueilli trois fois les JO d'été avec les éditions de 1900, 1924 et bientôt 2024, et vu naître une grande partie du système sportif international, reste dépourvue d'un lieu de valorisation de cet héritage unique.
En 2021, Stéphane Fiévet, alors président de la commission « Histoire » du comité d'organisation des JO de Paris 2024, avait initié un projet de musée olympique dans la gare de Saint-Denis Pleyel, mais l'État comme les collectivités n'ont pas soutenu l'initiative. Le projet n'a pas survécu à la démission de Stéphane Fiévet.
Madame la ministre, la France doit, dans la perspective de sa candidature aux JO d'hiver de 2030, combler son retard et créer un musée olympique qui serait tout à la fois un outil de culture, un lieu de mémoire et une attraction touristique. Un tel espace muséal honorerait la France, berceau de la rénovation de l'olympisme, et repositionnerait notre pays au sein du réseau de la culture olympique.
Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Dans le cadre de l'Olympiade culturelle, nous engagerons 4 millions d'euros en 2024 - qui viennent s'ajouter aux 3 millions d'euros déjà alloués en 2023 - pour monter des projets culturels et sportifs sur l'ensemble du territoire. Cette mobilisation inédite des forces vives de la culture et du sport permettra de constituer un héritage important, qui s'appuie déjà sur des spectacles organisés dans des piscines et des gymnases à l'occasion des Journées du patrimoine.
Ces collaborations se poursuivront sur la durée, l'Olympiade culturelle ne se déroulant pas sur quelques mois, mais sur deux ans et demi. La France dispose déjà d'un tissu culturel extrêmement riche et d'un très beau musée à Nice, je ne suis donc pas persuadée qu'il faille créer d'autres établissements.
En revanche, je suis favorable à un resserrement des liens entre la culture et le sport : l'Olympiade culturelle a permis cette collaboration et l'appuiera encore plus dans les prochains mois. Je pense que cette collaboration de long terme entre les deux champs de la culture et du sport, qui partagent de nombreuses valeurs et ambitions, sera un héritage puissant.
Concernant le pass Culture, le rapport de la Cour des comptes n'est pas tant à charge : il revient certes sur les balbutiements de l'outil lors de son lancement par Mme Nyssen, mais souligne sa pertinence en tant que moyen d'accès à la culture, en levant notamment les barrières pour les jeunes. Ces dernières ne sont pas uniquement financières puisqu'il peut s'agir de la connaissance de la librairie du coin ou de l'envie de s'y rendre, sans oublier les dispositifs déployés en termes de médiation, de parcours et de découverte des métiers. Le pass Culture n'est pas à mes yeux un simple outil de consommation de livres ou de places, mais un vecteur d'engagement des jeunes, afin qu'ils deviennent acteurs de notre vie culturelle, en étant, par exemple, reporters dans des festivals.
J'ajoute que 700 actions ont été mises en oeuvre dans le cadre du plan en faveur des métiers d'art, afin que les jeunes les découvrent. Le pass Culture évolue, en se nourrissant des propositions des jeunes eux-mêmes. Nous avons créé un réseau d'ambassadeurs fort de 400 jeunes sur l'ensemble du territoire : ces derniers relaient les actions menées dans le cadre du pass culture, inspirent l'équipe dédiée et contribuent à développer ce dispositif.
Je connais l'engagement de Mme Brossel sur l'enjeu de permettre à chaque jeune d'avoir accès à une expérience d'EAC au cours de sa scolarité. D'ailleurs, malgré les ralentissements entraînés par la crise sanitaire, l'objectif « 100 % EAC à l'école » a été atteint à hauteur de 80 %.
Je précise, en outre, que l'effort de l'État ne se résume pas aux budgets du ministère de la culture dédiés à l'EAC et au pass Culture. Il faut en effet y ajouter les 50 millions d'euros consacrés au pass Culture par le ministère de l'éducation, mais aussi le budget des opérateurs et des structures labellisées par le ministère de la culture, qui mènent des actions tournées vers l'EAC.
Par exemple, le dispositif Démos créé par la Philharmonie de Paris figure au budget de cet établissement et n'apparaît pas dans le budget EAC du ministère. Il en va de même pour l'opération annuelle « C'est mon patrimoine ! », qui permet d'emmener des jeunes notamment issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) à la découverte du patrimoine, ou encore du Musée Mobile (Mumo) du Centre Pompidou, qui fait escale en priorité dans les QPV et les petits villages.
Pour ce qui concerne l'élargissement du pass Culture aux Français de l'étranger, nous travaillons d'arrache-pied à tenir cet engagement, en lien avec le ministère des affaires étrangères. Il est toutefois complexe de mettre en oeuvre cette application dans plusieurs dizaines de pays. Nous nous appuierons sur notre réseau culturel en mobilisant les Instituts français et les Alliances, ainsi que les consulats qui connaissent nos compatriotes vivant dans une situation sociale difficile. Nous tâcherons de mettre au point des propositions impliquant ce réseau, tout comme les librairies francophones, qui jouent un rôle essentiel à l'étranger et que nous soutenons d'ailleurs via le CNL. Nous envisageons dans un premier temps de débloquer le pass Culture dans l'Hexagone lorsque les Français de l'étranger s'y rendent. Plusieurs hypothèses sont envisagées : il pourrait s'agir d'un bon à retirer dans un Institut français ou un consulat, nous continuons à consulter l'ensemble des acteurs afin d'identifier la meilleure solution.
S'agissant des visas, je m'inscris en faux contre l'affirmation selon laquelle nous aurions suspendu les coopérations. Nous avons été confrontés en août dernier à une situation d'incapacité à travailler avec les pays africains en proie à des troubles, pour des raisons matérielles, mais aussi en raison d'attaques qui ont ciblé les équipes françaises, entraînant une restriction, voire une fermeture de nos services délivrant des visas.
Si vous connaissez des artistes qui seraient encore bloqués en raison d'un problème de visa, n'hésitez pas à m'en faire part directement afin que nous en discutions. Nous avons pu, avec le Quai d'Orsay, trouver des solutions, en délivrant, par exemple, des visas à des basketteuses maliennes qui devaient participer à l'Olympiade culturelle.
Les projets de coopération sont rendus difficiles dans un pays tel que le Niger, dans lequel notre ambassade a fermé. La coopération doit fonctionner dans les deux sens : il est évidemment hors de question de dire que les artistes nigériens ne sont plus les bienvenus en France, terre d'accueil, d'échange et d'ouverture ; mais les artistes français devraient pouvoir se rendre au Niger si une véritable coopération, qui se construit à deux, était de mise. Or, à ce stade, ce n'est pas envisageable au vu des dangers que pourraient encourir des associations culturelles et des artistes qui se rendraient dans des pays dans lesquels la France est directement menacée. L'Institut français de Ouagadougou a été incendié, souvenons-nous-en ! La situation géopolitique est désormais très difficile au Burkina Faso et au Mali, pays avec lesquels nous avons - plus encore qu'avec le Niger - toujours mené des actions de coopération.
Je citerai un dernier exemple pour démontrer que nous continuons à délivrer des visas : nous avons organisé, du 6 au 8 octobre, un grand forum des industries culturelles et créatives africaines à la Gaîté lyrique, au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et au Centre Pompidou, auquel près de 300 artistes venus d'une trentaine de pays ont participé. Cet événement a été l'occasion de porter l'ambition de cette coopération renforcée avec l'Afrique, au coeur de notre politique depuis le discours prononcé par le Président de la République à Ouagadougou. Une ambition que l'on retrouvera d'ailleurs à la Cité internationale de la langue française, qui accueillera en résidence des artistes venant de l'ensemble du monde francophone.
Je le répète, je vous assure qu'il n'existe aucune instruction de suspension ou de refus de visas, mais nous rencontrons simplement des difficultés logistiques face à une situation sécuritaire particulièrement dégradée dans ces pays.
Dans ce contexte, l'audiovisuel extérieur revêt, Madame Morin-Desailly, une importance absolue. Dans certains pays africains, la milice Wagner et la Russie organisent, financent et mènent une véritable guerre informationnelle. C'est pourquoi nous proposons une hausse de 40 millions d'euros sur cinq ans des crédits alloués à France Médias Monde. Nous devons mieux nous armer face aux campagnes de désinformation et porter la voix de la France, tout en respectant bien sûr l'indépendance des journalistes. Nous continuerons également d'innover en matière numérique, de décliner la stratégie régionalisée et de promouvoir la francophonie dans un monde multilingue.
Je veux vous rassurer sur un point : si la Toce a bien été réinjectée dans le budget général de l'État, l'audiovisuel extérieur bénéficie toujours d'un canal de financement, grâce à la fraction de TVA et au compte de concours financier pour l'audiovisuel public. En tout état de cause, son budget n'est pas en baisse.
En ce qui concerne le spectacle vivant, les structures les plus fragilisées pourront bénéficier de nouvelles aides anti-inflation, 75 millions d'euros étant consacrés, au sein du budget général du ministère de la culture, à la lutte contre l'inflation.
Au-delà, nous souhaitons amorcer une transformation structurelle grâce au plan « Mieux produire et mieux diffuser ». Notre but est, non pas de soutenir moins d'artistes, mais de réduire le rythme des créations. Il s'agit de mieux produire, avec des coproducteurs engagés, et de favoriser des diffusions plus longues. En d'autres termes, nous voulons étaler le même nombre de productions dans la durée, afin de toucher un public plus large et de rationaliser les tournées d'un point de vue écologique.
Nous sommes bien conscients des inégalités qui frappent les écoles d'art et d'architecture. Nous devons concentrer nos efforts sur les écoles les plus fragiles, sans pour autant abandonner les plus dynamiques. Nous avons prévu un phasage en trois ans pour résoudre ces difficultés.
Le calendrier du ministère sera naturellement marqué par celui du Sénat. Pour ma part, j'ai noté la date du 15 novembre ; nous verrons alors si la contribution volontaire atteint des niveaux satisfaisants par rapport à l'objectif qui a été fixé. Le débat reste ouvert à ce stade.
Sylvie Robert a raison : l'année 2024 sera particulière, en raison notamment de la mise à disposition de salles pour les jeux Olympiques. Cela réduira mécaniquement le produit de la taxe billetterie.
En matière de patrimoine, les préfets ont, à l'évidence, un rôle à jouer. J'ai pu le constater dans la Somme, où des crédits de la dotation d'équipement des territoires ruraux et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) ont été mobilisés à hauteur de 4 millions d'euros en une année seulement pour soutenir près de 100 opérations de restauration d'églises. Avec Gérald Darmanin, nous avons décidé de mobiliser les préfets sur ces crédits, qui peuvent être fléchés également vers des restaurations d'églises non protégées. Naturellement, les églises inscrites ou classées pourront bénéficier des subventions du ministère. Par ailleurs, la collecte nationale de la Fondation du patrimoine est lancée et je vous rappelle que le Loto du patrimoine permet également de soutenir la restauration d'édifices cultuels non protégés.
Je voudrais vous remercier de votre plaidoyer en faveur des Udap, dont le rôle est en effet essentiel. Afin de pourvoir en urgence les postes vacants, nous avons programmé de nouveaux concours. Il est aussi possible, pour épauler nos architectes des Bâtiments de France, de recourir à des architectes contractuels. Parallèlement, nous travaillons au renforcement de l'expertise technique des Udap, au redéploiement d'emplois administratifs vers des emplois scientifiques et techniques ou encore à l'amélioration de la dématérialisation des procédures.
Vous m'avez interrogé sur le FIP. Les propriétaires privés peuvent en bénéficier, mais par propriétaire privé, il ne faut pas entendre nécessairement châtelain richissime ! Le château de Vaux-le-Vicomte, par exemple, a pu bénéficier du FIP. Les critères de sélection sont notamment l'apport du conseil régional - à hauteur de 15 % minimum -, l'intérêt patrimonial du chantier ou encore l'ouverture au public. Il s'agit de s'assurer que le site est bien porteur d'un projet d'attractivité et de développement du territoire.
J'en viens au très beau sujet des usages compatibles. Restaurer les églises au coeur du village ne vise pas seulement à faire tenir les pierres debout, il s'agit aussi de les faire vivre. L'activité cultuelle peut donc être complétée par une activité mixte, lorsque ces activités sont compatibles et qu'elles recueillent l'accord du diocèse. Dans le cadre de sa collecte, la Fondation du patrimoine sera particulièrement attentive à ce critère de sélection. Elle a d'ailleurs lancé un prix, le prix Sésame, qui récompense les initiatives d'usage mixte. Bibliothèque, épicerie solidaire, activités de découverte de métiers d'arts ou encore restauration de vitraux sont autant d'usages nouveaux qui peuvent rendre ces lieux de culte de nouveau attractifs et revitaliser les édifices comme les territoires.
Je précise que 10 % des sommes issues de la collecte seront fléchées vers l'ingénierie, notamment en faveur des plus petites communes, qui connaissent souvent des difficultés pour assurer la maîtrise d'ouvrage.
La Cité internationale de la langue française de Villers-Cotterêts a été citée. Je vous invite à la visiter dès son ouverture, prévue le 30 octobre. Vous pourrez y apprécier la qualité de la restauration effectuée, en quatre ans, par le Centre des monuments nationaux. Ce chantier colossal - alors conseillère culture à l'Élysée, j'ai pu voir les lieux, à la fin de 2019, dans un état de délabrement total consécutif à des dizaines d'années d'abandon - a pu être accéléré grâce aux crédits du plan de relance. Nous avons même pu prendre en charge le clos et le couvert d'une partie du château que nous n'avions pas l'intention de restaurer initialement. Cela facilitera l'arrivée de partenaires privés, et notamment l'ouverture d'un hôtel et d'un restaurant à proximité du château.
Le système de péréquation entre les monuments, propre au CMN, permettra de sécuriser financièrement le développement de la Cité internationale de la langue française. Le projet a également bénéficié de l'aide d'autres partenaires, parmi lesquels l'Organisation de la francophonie ou le Québec, dont je salue l'engagement à hauteur de 2 millions d'euros. D'une manière générale, les équipes de Villers-Cotterêts pourront s'appuyer sur les fonctions support et sur la magnifique expertise des agents du CMN.
Enfin, Mme Sylvie Robert a soulevé les questions de la liberté de la presse et de la sécurité des sources. En la matière, nous devons concilier deux exigences constitutionnelles : la préservation de la sécurité nationale d'une part - certains dossiers sont classés secret-défense - et la liberté de la presse, garantie par la loi de 1881, d'autre part.
À cet égard, nous restons particulièrement vigilants. En tant que ministre de la culture, je ne peux que saluer l'engagement des journalistes, parfois au péril de leur vie, pour nous apporter les informations les plus fiables et les plus objectives possible. Les États généraux de l'information permettront de débattre de ces sujets.
M. Adel Ziane. - Qu'en est-il des crédits d'acquisition ?
Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Je vous confirme qu'ils sont stables. Heureusement, nous bénéficions de l'aide de mécènes généreux. Favoriser le mécénat - au travers du dispositif « Trésor national » par exemple - est une autre manière, pour l'État, d'apporter son soutien. Nous avons pu ainsi empêcher le départ à l'étranger du magnifique Caillebotte, La Partie de bateau, actuellement exposé en itinérance au Musée des Beaux-Arts de Lyon.
Les crédits d'acquisition sont un enjeu important, mais nous avons dû faire des arbitrages et avons privilégié notamment les revalorisations salariales, la lutte contre l'inflation ou encore les travaux pour améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments.
Mme Monique de Marco. - Je voudrais revenir sur le traité franco-allemand et sur la situation d'Arte.
Mme Rima Abdul Malak, ministre. - Vous trouverez à la fin du dossier de presse du ministère le détail, année par année, de la trajectoire financière de l'audiovisuel public, y compris de la chaîne Arte.
J'étais à Hambourg récemment et, avec mon homologue allemande, nous avons réaffirmé nos engagements en faveur d'Arte et de la plateforme européenne multilingue que cette chaîne entend développer.
M. Max Brisson, président. - Je vous remercie, madame la ministre, de vos réponses.
* 1 Avis n° 120 (2022-2023) de Mme Sabine Drexler sur les crédits du programme « Patrimoines » - PLF 2023.
* 2 Rapport d'information n° 765 (2021-2022) du 6 juillet 2022 de M. Pierre Ouzoulias et Mme Anne Ventalon, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sur le patrimoine religieux en péril.
* 3 D'après les chiffres communiqués par le ministère de la culture, environ 50 millions d'euros seraient alloués aujourd'hui chaque année au patrimoine religieux par le biais des crédits de ces deux dotations.
* 4 750 000 euros auraient été collectés entre le 15 septembre et le 30 octobre 2023.
* 5 Rapport d'information n° 794 (2022-2023) de Mme Sabine Drexler sur le patrimoine et la transition écologique.
* 6 Le label permet au propriétaire de déduire de ses revenus imposables 50 % du montant des travaux, hors part subventionnée, sous réserve que la Fondation les ait co-financés à hauteur de 2 %. La déduction est portée à 100 % si les travaux ont obtenu des subventions atteignant au moins 20 % de leur montant de la part de collectivités publiques, d'organismes publics ou privés ou de la Fondation du patrimoine.
* 7 Arrêté du 6 décembre 2022 portant revalorisation de la valeur par mètre carré et modifiant les critères de majoration en fonction du niveau de complexité des opérations de diagnostic d'archéologie préventive.
* 8 Depuis 2016, la redevance d'archéologie préventive n'est plus une taxe affectée : elle est reversée au budget général de l'État et le montant des subventions à l'INRAP et aux collectivités est décorrélé de son rendement.