EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 15 novembre 2023, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen du rapport de M. Pascal Allizard et Mme Gisèle Jourda, sur les crédits « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».
M. Cédric Perrin, président. - Nous commençons par l'examen du rapport pour avis de Pascal Allizard et Gisèle Jourda sur le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense » du projet de loi de finances pour 2024.
Mme Gisèle Jourda, rapporteure pour avis. - Je vais commencer en vous donnant lecture de l'intervention de mon collègue co-rapporteur Pascal Allizard qui est actuellement à Erevan pour participer aux travaux de l'assemblée parlementaire de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE)
La loi de programmation militaire (LPM) pour les années 2024 à 2030 que nous avons votée cet été consacre l'innovation en tant qu'axe prioritaire d'effort pour les sept années à venir.
Le projet de loi de finances (PLF) pour 2024, première année de sa mise en mise, devrait permettre de consolider les acquis de la programmation précédente dans ce domaine.
Ce projet de budget contient indéniablement des motifs de satisfaction.
En premier lieu, pour la troisième année consécutive, les crédits consacrés aux études amont dépasseront le milliard d'euros. 1,017 milliard d'euros sont ainsi inscrits au titre de ces études qui, je le rappelle, jouent un rôle clé dans la détermination des capacités futures de nos armées et donc du maintien de leur supériorité opérationnelle. Ces crédits permettront de lancer ou de poursuivre des études dans les 10 domaines prioritaires identifiés dans la LPM parmi lesquels les armes à énergie dirigée, l'hypervélocité, l'intelligence artificielle, les nouvelles technologies de l'énergie ou encore le quantique.
En deuxième lieu, une enveloppe de 190 millions d'euros en autorisations d'engagement est prévue au titre du financement de démonstrateurs, en particulier de projets d'envergure. Il s'agit d'une avancée notable, qui était appelée de ses voeux par la commission.
Les armées que nous avons interrogées nous ont indiqué que les priorités tant en matière d'études amont que de démonstrateurs, les deux étant évidemment liés, répondaient à leurs besoins ainsi qu'aux défis posés par les grandes ruptures technologiques à venir.
En troisième lieu, les crédits consacrés à l'analyse stratégique et à la diplomatie de défense seront également en progression. Cette évolution était évidemment plus que nécessaire au regard de la dégradation du contexte stratégique.
Nous donnons donc acte au Gouvernement de sa volonté de poursuivre l'effort engagé depuis 2019 dans ces différents domaines.
Plusieurs points de vigilance doivent cependant être relevés.
Tout d'abord, il est prévu une diminution des crédits consacrés aux études amont hors dissuasion de l'ordre de 15 millions d'euros. Cette baisse est certes justifiée par le ministère par la variation de la répartition des crédits d'une année sur l'autre ou encore la prise en compte des niveaux d'exécution du dispositif RAPID et du Fonds innovation défense, les entreprises privilégiant, semble-t-il, les appels à projets aux subventions. Nous serons cependant attentifs à l'évolution de cet indicateur, tant le soutien à nos entreprises de défense, notamment les plus petites d'entre elles, est clé, j'y reviendrai.
Le deuxième point de vigilance concerne l'enveloppe consacrée aux démonstrateurs. Certains de nos interlocuteurs se sont en effet interrogés sur ce niveau de crédits au regard du coût, parfois très élevé, de plusieurs de ces projets. Nous devrons donc être attentifs à ce que l'ensemble des 15 démonstrateurs d'envergure prévus dans le cadre de la programmation soient bien réalisés ou, s'ils ne le sont pas, que leur abandon soit justifié par une évolution documentée des besoins.
Le troisième point de vigilance est lié aux deux premiers. La LPM programme un niveau de besoin en matière d'études amont hors dissuasion s'élevant à 7,5 milliards d'euros d'ici 2030. Avec 795 millions d'euros inscrits dans le présent PLF, l'effort dans ce domaine devra donc être significativement accentué dans les années à venir. La chronique d'évolution des crédits d'études retenue dans le cadre de la LPM prévoit une inflexion à partir de 2026. Nous serons par conséquent vigilants à ce que cela soit bien le cas, tant les besoins sont importants.
Enfin, le dernier point de vigilance concerne l'accès au financement des entreprises du secteur de la défense, sujet sur lequel la commission a été précurseur. Nous constatons que si le diagnostic est désormais globalement partagé et que des initiatives publiques et privées ont été engagées pour lever un certain nombre de freins, des difficultés persistent. L'article 49 quindecies du présent PLF, qui reprend un amendement de nos collègues députés Thomas Gassilloud, Jean-Louis Thiériot et Christophe Plassard, réintroduit le dispositif que nous avions voté dans la LPM de fléchage d'une partie de l'encours du livret A vers les entreprises de la base industrielle et technologique de défense, dispositif qui avait été, de manière surprenante, censuré par le Conseil constitutionnel. Il s'agit d'une avancée notable que nous soutenons.
J'en viens maintenant aux principaux constats et recommandations concernant les moyens de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la Direction du renseignement et de la sécurité de défense (DRSD) dont les crédits de fonctionnement, d'investissement et d'intervention relèvent du programme 144.
Je précise à ce stade que les crédits de personnel de ces deux directions entrent dans le champ de compétence du programme 212, mais nous pourrons évoquer et donc porter un regard croisé sur certains constats relatif à l'évolution des effectifs et leur composition particulière en termes de répartition entre emplois militaires et emplois civils contractuels. Les sujets de recrutement, d'attractivité et de fidélisation nécessitent évidemment des réponses coordonnées.
Pour en revenir aux crédits proprement dit, je dois ici commencer par remarquer que cette première année d'application de la LPM 2024-2030 ne reflétera pas l'effort très important annoncé pour les besoins programmés du renseignement. Je rappelle que la LPM que nous avons adoptée prévoit plus de 5 milliards d'euros pour la période 2024-2030, contre 3,5 milliards d'euros pendant la précédente LPM.
Or, avec 476 millions d'euros de crédits de paiement programmés pour 2024 les crédits de fonctionnement, d'investissement et d'intervention, resteront au même niveau que ceux de l'année 2023. Pour autant, la DGSE comme la DRSD que nous avons auditionnées nous ont dressé le tableau d'une activité opérationnelle en progression, qu'il s'agisse soit de la réforme de leur organisation pour la DGSE, dans un contexte de bouleversement des zones géographiques prioritaires en Afrique et en Europe orientale, ou de projets structurants sur la durée de la LPM. En voici quelques exemples.
S'agissant de la DGSE, la priorité est donnée au déménagement vers le Fort Neuf de Vincennes pour lequel la notification du marché va intervenir avant la fin de l'année 2023, pour un démarrage du chantier en 2025 et une livraison en 2030. L'enjeu ne se limite pas à une opération immobilière car il doit permettre de regrouper et d'optimiser en un lieu unique et plus fonctionnel l'ensemble des moyens humains et technique de cette direction. Ce projet porte notamment une grande ambition sur l'attractivité et la fidélisation des personnels. À ce stade, le coût de l'opération est estimé à 1,34 milliard d'euros dont un dépassement de 184 millions d'euros d'ores et déjà imputé à l'inflation.
S'agissant de la DRSD, certaines problématiques communes de conditions de travail devrait se résorber dans la livraison en 2024 d'un nouveau bâtiment au siège historique du Fort de Vanves et, surtout, sur le plan technologique, d'une nouvelle base de souveraineté, dénommée SIRCID, ainsi qu'un programme d'automatisation du traitement des demandes d'enquêtes administratives dont le nombre, 390 000 en 2023, devrait atteindre 480 000 dès la fin 2024.
Ces quelques exemples permettent d'illustrer le fait que l'activité de ces services ne va pas se stabiliser en 2024. Simplement, la temporalité de ces projets, qui s'inscrit sur toute la durée de la LPM, fait que ce sont d'abord les crédits en autorisations d'engagement (AE) qui vont augmenter dès 2024 de plus 15,6 % avec 540 millions d'euros contre 467 millions d'euros en 2023.
C'est par ailleurs davantage en termes d'effectifs que l'effort de la LPM doit être porté dès 2024. Ainsi, en intégrant les crédits de titre 2 (dont je rappelle qu'ils relèvent du programme 212), le total des crédits de paiements s'établit pour la DGSE et la DRSD à 988 millions d'euros contre 934 millions d'euros en 2023, soit une progression de 5,8 %. Celle-ci est retracée par une augmentation tangible des plafonds d'emplois à hauteur de 7 652 équivalents temps plein travaillé (ETPT) répartis ainsi qu'il suit : 5 987 ETPT pour la DGSE (+ 264 par rapport à 2023) et 1665 ETPT pour la DRSD (+ 55 par rapport à 2023).
Mais là encore, il s'agit d'une prévision qui sera ne sera atteinte qu'au prix d'une évolution des conditions de recrutement, notamment dans le domaine de spécialité cyber, et dans le ratio d'emplois militaires et civils. Ainsi, ce ratio qui était traditionnellement de 30 % de militaires et de 70 % de civils à la DGSE tend progressivement vers du 20 % de militaires et 80 % de civils du fait de la raréfaction du vivier notamment des sous-officiers dans lequel puise le service.
Par ailleurs, le constat de la pénurie de techniciens et d'ingénieurs cyber touche toutes les composantes des armées au même titre que le marché de l'emploi civil. C'est un sujet qui est traité au cas par cas en termes d'attractivité des rémunérations, au risque de créer une concurrence entre les différentes directions. C'est une problématique d'évaporation des compétences mais aussi de préservation de la confidentialité des travaux.
À cet égard, je ne peux que réitérer la recommandation que mon prédécesseur, Yannick Vaugrenard, avais déjà formulée en faveur d'une coordination entre services sur une grille et une politique de rémunération des services de renseignement du premier cercle sous l'égide du coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme (CNRLT).
Sous bénéfice de ces observations propres au programme 144, avec mon collègue Pascal Allizard, j'aurai donc à me prononcer favorablement sur les crédits de la mission « Défense », sous réserve des observations de nos collègues rapporteurs des autres programmes.
M. Cédric Perrin, président. - Lors du vote de la LPM au mois de juillet dernier, nous avons insisté sur la nécessité de flécher une partie des crédits d'études amont vers les PME et les ETI, partant du constat qu'il y avait un problème de financement vers ces entreprises. Il est en effet difficile d'identifier les flux qui concernent ces entreprises et ceux qui bénéficient aux sept grands industriels. Sans pouvoir mentionner un montant, notre objectif était de tendre vers 10 % des crédits d'études amont. La Direction générale de l'armement ou l'Agence de l'innovation de défense estiment ne pas disposer à l'heure actuelle des outils pour quantifier ces flux, mais je crois nécessaire de rappeler dans ce rapport notre vigilance quant au fléchage d'une partie des crédits vers les 4 000 PME et ETI du secteur de la défense. Par ailleurs, nous devons rappeler dans ce rapport notre vigilance concernant les sources de financement des organisations non-gouvernementales qui font pression sur les conseils d'administration de certaines banques, notamment françaises. J'ai encore eu l'exemple cette semaine d'une entreprise fabriquant des munitions et qui ne parvient pas à obtenir des financements pour développer son activité.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».