EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 15 novembre 2023, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 152 - Gendarmerie nationale - de la mission « Sécurités » du projet de loi de finances pour 2024.
M. Cédric Perrin, président. - La parole est à Philippe Paul et Jérôme Darras, co-rapporteurs pour avis du programme 152.
M. Philippe Paul, rapporteur pour avis. - Je commencerai par l'essentiel : le budget de la gendarmerie poursuit sa hausse, de 9,9 milliards d'euros à 10,3 milliards. L'extinction des crédits du plan de relance n'a donc pas remis en cause la trajectoire de progression régulière fixée par la Lopmi. Il faut bien évidemment s'en féliciter.
Ainsi, les effectifs continueront à augmenter, à un rythme encore plus soutenu : + 1 045 ETP, et une création nette de 848 ETP, contre + 950 l'année dernière. Cette progression alimentera notamment le déploiement des 239 nouvelles brigades dont la répartition a été dévoilée le 2 octobre dernier, mais aussi la montée en puissance de l'Agence du numérique des forces de sécurité intérieure, opérationnelle depuis le 1er septembre. Nous avions eu l'occasion de nous féliciter l'année dernière de cette nouvelle agence qui sera le bras armé de nos forces dans le monde numérique, notamment avec le projet de réseau radio du futur (RRF).
Autre satisfaction, les crédits de la réserve opérationnelle qui poursuivent leur progression, en passant de 84 millions d'euros à 114 millions. À la fin octobre, 35 000 réservistes avaient été employés depuis le début d'année 2023. Nous sommes bien dans les temps de passage de l'objectif de 50 000 à l'horizon 2027 fixé par la Lopmi. Le nombre de jours moyen d'activité est lui aussi satisfaisant, puisqu'il se situe au-dessus du seuil des 20 jours considéré comme nécessaire pour maintenir la motivation des réservistes.
C'est un point important dans la perspective des Jeux olympiques, pour lesquels la gendarmerie sera particulièrement sollicitée - mon co-rapporteur Jérôme Darras reviendra sur ce point. Tout aussi importante, la mise en place des sept nouveaux escadrons de gendarmerie mobile qui participeront à la sécurisation de l'événement.
Alors faut-il approuver sans réserve ce budget en progression, qui semble bien s'inscrire dans la trajectoire de la Lopmi ? Non, pour une raison simple et déjà identifiée l'année dernière par vos rapporteurs : avec + 292 millions d'euros, soit 6,3 %, l'essentiel de la progression est en réalité aspiré par le titre 2, c'est-à-dire les dépenses de personnel.
C'est le résultat des diverses mesures interministérielles dites « Guérini » prises pour valoriser l'engagement des agents de la fonction publique : revalorisation du point d'indice de 1,5 %, hausse de cinq points d'indice à chaque échelon, prime de pouvoir d'achat défiscalisée, relèvement des « bas de grille » notamment. Cela fait un surcoût de 120 millions d'euros auquel s'ajoute l'effet sur 2024 des mesures interministérielles déjà prises l'an dernier : 290 millions au total, auxquels s'ajoutent les effets de l'inflation pour arriver à près de 400 millions d'euros !
Et pour financer toutes ces mesures, on est contraint de piocher ailleurs, c'est-à-dire dans le « hors titre 2 » : les dépenses de fonctionnement et d'investissement, principalement. Mon collègue Jérôme Darras abordera ce point plus en détail. Je me concentrerai pour ma part sur l'investissement immobilier, qui est le vrai point noir de ce budget.
L'immobilier est un enjeu crucial pour la gendarmerie puisque les gendarmes, dans leur grande majorité, vivent en caserne avec leur famille. C'est également un poste de coût très important dans un budget où les dépenses de personnel représentent déjà plus de 80 % du total des crédits.
Les services de l'État ont eux-mêmes quantifié le besoin d'investissement annuel à 300 millions d'euros : 200 millions pour les constructions neuves et 100 millions pour l'entretien lourd. Cela permet de maintenir en bon état le parc domanial, sachant que les logements sont vieillissants : plus de 50 ans en moyenne.
Vos rapporteurs s'étaient déjà inquiétés, l'an dernier, de constater que le compte n'y était pas, avec 126 millions d'euros en crédits de paiement. Or cette année, nous sommes à 108,8 millions d'euros ! Cela ne suffit qu'à financer le reste à payer des marchés de partenariat (c'est-à-dire les PPP) lancés en 2023, les travaux imprévisibles et urgents et le lancement d'études pour de nouveaux marchés de partenariat qui ne sont pas pour tout de suite. Autrement dit, c'est une quasi-année blanche !
À cela s'ajoute le sujet du logement des nouvelles brigades, fixes et mobiles, par les collectivités d'accueil. Il faudra faciliter le lancement de programmes de construction par des instruments financiers nouveaux, or il ne semble pas que les choses aient beaucoup avancé depuis l'an dernier. Les remontées du terrain se multiplient sur les difficultés des communes à boucler les financements, notamment en raison des obstacles réglementaires liés à la garantie d'emprunt.
Au total, l'immobilier se trouve donc de plus en plus maltraité. Plus généralement, on risque, en logeant et en équipant mal les gendarmes, d'annuler les effets attendus des revalorisations indemnitaires et des recrutements. La Cour des comptes l'a bien souligné en juillet dernier dans une note thématique : « Cette incohérence, écrit-elle, entre l'augmentation des effectifs et l'insuffisance de financement des coûts qui y sont associés traduit les limites de la programmation budgétaire et les effets d'une accumulation de mesures dont les conséquences à long terme ne sont pas suffisamment prises en compte. » On ne peut pas mieux dire ! Nous souscrivons pleinement à ce constat.
Malgré ces réserves très importantes, je vous recommanderai de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de ce programme : nos gendarmes méritent ces revalorisations, qui récompensent un engagement sans faille dans des conditions de plus en plus difficiles.
M. Jérôme Darras, rapporteur pour avis. - Je partage entièrement l'analyse de mon co-rapporteur sur ce budget de la gendarmerie. C'est en effet un budget en augmentation notable (près de 500 millions d'euros) qui respecte l'engagement de la loi de programmation, mais de quoi parle-t-on ? De mesures principalement interministérielles, certes bienvenues, mais en quelque sorte extérieures à la construction de ce budget. Au total, en tenant compte de l'inflation, comme Philippe Paul l'a rappelé, cela représente 400 millions d'euros. La progression notable des effectifs est bien financée, mais elle se paie sur d'autres postes budgétaires, que ce soit en investissement, avec une baisse de 30,76 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, ou en fonctionnement.
Mon co-rapporteur a souligné l'insuffisance de l'investissement immobilier. J'aborderai de mon côté les véhicules. Le renouvellement de la flotte de véhicules légers est en panne cette année, avec 500 véhicules alors que 3 700 seraient nécessaires tous les ans pour rajeunir le parc. Après les années favorables de 2020 à 2022, nous sommes clairement revenus à une tendance baissière qui ne laisse pas d'inquiéter et qui ne pourra durer.
Une bonne nouvelle cependant : l'arrivée des 58 derniers blindés Centaure sur les 90 commandés à la société Soframe fin 2021. Ils remplaceront progressivement les vieux véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG), mis en service en 1974. Très polyvalent, le Centaure pourra être déployé, grâce à ses lance-grenades télé-opérés et à ses capacités de dégagement, dans des situations urbaines, mais aussi en zone rurale, voire montagneuse, avec ses quatre roues motrices.
Les dépenses de fonctionnement sont elles aussi en souffrance, avec une quasi-stabilité qui, compte tenu de l'inflation, constitue une baisse en valeur. Le fonctionnement courant lié à l'agent, qui recouvre les moyens quotidiens dont disposent les gendarmes pour exercer leurs missions, est ainsi en baisse de 19,4 %. Presque tous les postes sont affectés : la formation - en baisse de 35 %, ce qui n'est pas un bon signal alors que la gendarmerie a l'ambition de recruter massivement et que ses missions évoluent - mais aussi l'alimentation ou les déplacements.
Les dépenses de fonctionnement liées aux moyens mobiles sont particulièrement affectées : la dotation pour le carburant est en baisse, celle de l'entretien et de la réparation de véhicules est reconduite à l'identique alors que les effectifs s'accroissent, en contradiction avec la doctrine de « l'aller-vers ».
Même chose pour l'équipement - les munitions et l'habillement notamment.
Il était sans doute difficile de faire autrement, dans un contexte budgétaire très contraint par les dépenses de personnel ; mais avec ces coups de rabot, nous sommes loin de la logique vertueuse de programmation pluriannuelle que la LOPMI devait introduire. La Cour des comptes l'a d'ailleurs relevé dans la note thématique mentionnée par mon co-rapporteur. Tout se passe comme si l'intendance ne parvenait pas à suivre l'augmentation des effectifs qui, elle seule, s'inscrit dans la trajectoire pluriannuelle.
Je terminerai mon propos en évoquant la réserve opérationnelle qui, comme l'a dit Philippe Paul, monte en puissance de manière satisfaisante. Je suis particulièrement sensible à cette question en tant qu'élu du Pas-de-Calais, où les réservistes sont très nombreux à épauler les gendarmes dans leurs missions de surveillance des côtes afin d'empêcher les traversées clandestines vers l'Angleterre.
L'appui de la réserve sera indispensable au cours de l'année 2024, où 12 000 à 14 000 gendarmes devraient être mobilisés sur une courte période à l'occasion des Jeux olympiques. Cela imposera une sollicitation supplémentaire au coeur de l'été, alors que la période est déjà très chargée dans les zones touristiques.
La mobilisation des renforts venus des régions ne devrait pas poser de problème d'organisation, encore faudra-t-il s'assurer que les brigades ainsi dégarnies sont en mesure d'assurer leurs missions du quotidien, et que les familles des gendarmes mobilisés seront correctement accompagnées.
Mais dans quelles conditions les réservistes seront-ils mobilisés pour les Jeux olympiques ? La perspective risque d'être pour eux peu motivante, au vu des difficultés de logement et de déplacement qui caractérisent la région parisienne, et qui seront amplifiées lors de l'événement. À cet égard, l'audition du directeur général de la gendarmerie nationale par notre commission le 8 novembre n'a pas permis de lever toutes les incertitudes.
La question dépasse les échéances de court terme. Entre les événements exceptionnels comme les Jeux olympiques, les catastrophes naturelles qui se multiplient, des formes de contestation de plus en plus difficiles à maîtriser, les gendarmes ont le sentiment de ne plus pouvoir assumer leurs missions du quotidien. Les représentants du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie nationale (CFMG) nous ont alertés sur ce point, qui doit faire l'objet d'une attention et d'une réflexion profondes. À l'heure où tous les corps militaires sont confrontés à des difficultés croissantes de recrutement et de fidélisation, il est indispensable de s'assurer que les jeunes gendarmes comprennent le sens de leur mission et ne doutent pas de disposer des moyens de la remplir pleinement.
Je vous proposerai, comme mon co-rapporteur, de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de ce programme. Ne pas voter des crédits en augmentation marquerait un manque de soutien à notre gendarmerie ; mais la soutenir, c'est aussi lui donner à l'avenir les moyens d'exercer ses missions au quotidien. Je vous appelle dès à présent à la vigilance pour le prochain budget.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités ».