C. LA « RH DE PROXIMITÉ », UNE RÉPONSE AUX DIFFICULTÉS DE MOBILITÉ GÉOGRAPHIQUE ?
Selon le rapport de la médiatrice de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur publié en 2021 84 ( * ) , les problèmes de mobilité et d'affectation sont le deuxième motif de réclamation après les questions financières . Dans son rapport de 2022, elle faisait observer que « Les modalités d'affectation et de mutation peuvent constituer un frein au recrutement de personnels dont le système éducatif a besoin, comme elles peuvent empêcher une mobilité fonctionnelle ou géographique choisie ».
En 2019, une pétition relayée sur la plateforme mesopinions.com 85 ( * ) plaidait pour la mobilité géographique des enseignants en France : « Nous adorons notre métier ! Nous l'avons choisi ! Mais s'il devient une prison, ce n'est pas juste ! ». L'attention du rapporteur a été attirée par un collectif de professeurs des écoles, mis en place en 2022 dans les Pyrénées-Atlantiques pour défendre le droit à la mutation géographique des enseignants du 1 er degré dans ce département : « Qui aujourd'hui, avec un bac + 5, irait s'emprisonner dans un métier sans possibilité de mutation pendant ses 43 prochaines années ? L'Éducation nationale construit des murs entre ses territoires » , estiment ses adhérents 86 ( * ) .
Le mouvement de 2022
En 2022, 6 783 titulaires (premier et second degrés confondus) ont obtenu une mutation interacadémique, soit un taux de mutation de 43%.
Sur 26 275 demandes présentées, 10 631 (40 %) venaient de néotitulaires.
- Dans le premier degré , selon la DGRH, 51 % des demandes de sorties (8 845 sur 17 462) concernaient en 2022 des enseignants des académies franciliennes, où les demandes d'entrée sont moins nombreuses que les demandes de sortie 87 ( * ) . Inversement, 10 départements situés en Bretagne et sur la façade atlantique 88 ( * ) ont concentré en 2022 31 % des demandes d'affectation. Sur les 17 462 demandes de sortie formulées en 2022, 3 570 seulement ont été satisfaites : le taux de mutation se situe à 20 %. En 2022, la difficulté de pourvoir tous les emplois s'est traduite par une instruction restrictive des demandes d' exeat : dans l'Essonne, 22 exeat ont été accordés pour 94 demandes (dans le Val d'Oise, 10 exeat pour 157 demandes ; 208 refus d' exeat dans les Hauts-de-Seine) 89 ( * ) .
- Dans le second degré , le taux de mutation est plus élevé (40 %) que dans le premier degré. Il tient compte à la fois des souhaits des candidats et des besoins constatés dans leur discipline.
Le mouvement annuel des personnels doit donc concilier la nécessité de pourvoir les postes , y compris dans les académies moins attractives comme celles d'Amiens ou d'Île-de-France, et les souhaits des personnes . Paradoxalement, même dans les académies les plus demandées, des postes restent vacants après le mouvement annuel, rendant nécessaire le recours aux contractuels ci-dessus évoqué.
Le barème qui commande les mutations géographiques obéit à divers critères combinant la situation personnelle de l'enseignant et son parcours professionnel (ancienneté ; rapprochement des conjoints ou des partenaires de pacs ; handicap ; enfants à charge 90 ( * ) ; années d'exercice dans un quartier sensible, qui donnent lieu à des bonifications 91 ( * ) ; rapprochement avec le détenteur de l'autorité parentale conjointe d'un enfant...). La médiatrice de l'éducation nationale a par ailleurs noté que le barème ne prenait pas en compte les parents âgés et dépendants.
Les difficultés d'affectation géographique sont particulièrement sensibles pour les enseignants qui, titularisés après plusieurs années d'exercice en tant que contractuels , sont affectés en qualité de néotitulaires dans une académie éloignée de celle où ils ont précédemment exercé et où leur famille est installée, ou pour les personnels en reconversion qui passent un concours à un âge où un déménagement est une source de complexité considérable. De tels cas sont abondamment commentés par la médiatrice de l'éducation nationale qui a fait observer, dans son rapport de 2021 : « l'attractivité des métiers de l'éducation est mise en question dès lors que des lauréats aux concours sont affectés pour leur premier poste, et parfois pour plusieurs années, trop loin de leur famille ou de leurs centres d'intérêts matériels et moraux ; ils vivent très mal cette séparation, surtout lorsqu'il s'agit d'une reconversion après avoir exercé un autre métier, et présentent parfois leur démission ; ces situations sont vécues comme un manque de considération à l'égard des problématiques des intéressés ».
Certains contractuels renonceraient ainsi à passer un concours pour avoir la certitude de rester dans l'académie où se situent leur vie familiale et leurs centres d'intérêt .
Par ailleurs, la réunion des conjoints ou partenaires de pacs semble quelque peu théorique : des enseignants sont contraints de recourir à la disponibilité pour suivre leur conjoint muté loin de leur académie d'affectation , malgré les conséquences de cette situation sur leurs revenus et droits à pension.
Enseignants en disponibilité pour suivi de conjoint
Selon la DGRH, on compte 4 328 enseignants en disponibilité pour suivi de conjoint dans le premier degré (au 1 er juin 2022) ; parmi ceux qui ont participé au mouvement interdépartemental de 2022, 76 % n'ont pas obtenu satisfaction, ce qui s'explique pour moitié par le fait que leurs demandes concernaient les 10 départements les plus convoités.
Dans le second degré, l'effectif des professeurs en disponibilité pour suivi de conjoint ou de partenaire de pacs est évalué à 4 450 . Dans l'académie de Versailles, sur les 1 835 enseignants du second degré en disponibilité, 38,7 % ont fait ce choix pour suivre leur conjoint .
La situation des enseignants contraints à la disponibilité faute d'obtenir leur exeat est d'autant moins compréhensible pour les intéressés que leur territoire de résidence peut être confronté à des vacances de poste, même s'il s'agit d'une académie très demandée. Or leur statut ne leur permet pas de combler cette vacance, même en tant que contractuels, car ces personnels demeurent liés, tant qu'ils n'ont pas obtenu leur exeat (ce qui peut prendre plusieurs années), à l'académie qu'ils ont dû quitter pour suivre leur conjoint.
La disponibilité peut constituer dans certains cas une forme de « décrochage enseignant » très préoccupante , car elle conduit parfois les intéressés à démissionner. Cette situation est de surcroît en contradiction avec la nécessité affichée par le ministère de fidéliser les contractuels et, de manière générale, avec les objectifs actuels de gestion des ressources humaines dans la fonction publique : favoriser la mobilité, enrichir les parcours, limiter les risques psycho-sociaux , etc.
Dans leur rapport d'information Métier d'enseignant : un cadre rénové pour renouer avec l'attractivité , nos collègues Max Brisson et Françoise Laborde préconisaient à juste titre d'aborder la mobilité des enseignants dans une logique de « démarche contractuelle » fondée des engagements réciproques, dans un esprit de « contrat de mission » qui pourrait s'appliquer à divers stades de la carrière. Ainsi, en contrepartie d'une affectation pendant une durée déterminée dans un établissement fléché par le rectorat, l'institution s'engagerait à permettre à l'enseignant d'accéder à certains postes ou attribuerait des bonifications en matière indemnitaire ou d'avancement 92 ( * ) . Cette culture de la contractualisation est une piste prometteuse, dont le ministère gagnerait à s'inspirer .
Il est donc indispensable de travailler dans le sens d'une plus grande souplesse en matière de mutation géographique. Améliorer l'attractivité des carrières de l'enseignement exige des progrès sensibles en la matière, car il semble difficile de convaincre les jeunes de faire le choix d'un métier cumulant les inconvénients d'une rémunération relativement faible, de perspectives de carrière limitées et aléatoires, d'un temps de travail important et d'un risque d'enfermement territorial qui compromet la conciliation vie professionnelle/vie privée .
Certes, des efforts récents ont été mis en oeuvre pour mieux accompagner la mobilité des enseignants.
L'accompagnement des enseignants dans le cadre du mouvement
- un « comparateur de mobilité » en ligne permet aux enseignants, depuis 2020, d'évaluer leurs chances, compte tenu de leur parcours et de leur situation au regard du barème, d'obtenir leur mutation vers le territoire souhaité et d'identifier les affectations auxquelles ils peuvent prétendre ;
- des vidéos mises en ligne par la DGRH sur le site du ministère sont destinées à accompagner les enseignants titulaires lors de leur participation au mouvement, et à informer les candidats inscrits aux concours du second degré ;
- la plateforme Colibris a été dotée d'un outil permettant, en cas de refus de mobilité, de suivre les recours hiérarchiques éventuellement formés par les intéressés ;
- les lauréats des concours de 2022 ont pu sur cette plateforme formuler leurs voeux d'affectation en stage pendant 10 jours ;
- une plateforme téléphonique est destinée à apporter aux titulaires des conseils en matière de mutation et d'aider les stagiaires dans leurs démarches d'affectation.
En outre, dans le cadre de l'évolution vers une « GRH de proximité », une cellule mobilité devrait être mise en place dans chaque académie afin de contribuer à la diversification des profils recrutés et des parcours et de promouvoir un accompagnement personnalisé des personnels dans leurs démarches.
Cette dynamique est indispensable à l'amélioration de l'attractivité du métier d'enseignant .
Il semble toutefois peu probable que les efforts accomplis à ce jour soient à la hauteur des difficultés auxquelles se heurtent de nombreux enseignants en matière de mobilité géographique .
Le rapporteur pour avis sera donc attentif à l'évolution d'une « gestion des ressources humaines » vers une « gestion humaine des ressources » qui constitue actuellement une véritable exigence pour les enseignants .
* 84 Favoriser le bien-être pour la réussite de chacun , rapport de la médiatrice de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur, 2021.
* 85 https://www.mesopinions.com/petition/enfants/mobilite-geographique-enseignants-france/69 568
* 86 Cité par Lucie Hennequin, « Pour la rentrée, ces profs en disponibilité aimeraient enseigner », Huffington post, 31 août 2022 .
* 87 Selon la DGRH, des lauréats du CRPE dans des académies comme Créteil, où le nombre de postes ouverts maximise les chances de réussite, solliciteraient dès leur titularisation une affectation dans une académie plus attractive en vertu d'une « stratégie de contournement » qui contribue à la faiblesse du taux de mutation dans le premier degré (environ 20%) Il faut toutefois prendre en considération le fait que l'affectation des lauréats du CRPE entre les différents départements de leur académie, comme cela a été indiqué précédemment, dépend du classement au concours, ce qui peut expliquer des demandes de mutation précoces, y compris au sein de l'académie où ils ont passé le concours, de la part de professeurs d'école affectés à des départements peu attractifs en raison de leur rang d'admission.
* 88 Morbihan, Loire atlantique, Charente maritime, Finistère, Pyrénées atlantiques, Gironde, Ille-et-Vilaine, Landes, Côtes d'Armor, auxquels s'ajoute l'Hérault.
* 89 On note aussi une appréciation parfois plus stricte des demandes de disponibilité ou de temps partiel présentées par certains enseignants du premier degré, plus particulièrement dans les territoires en tension. Dans l'académie de Versailles, le nombre de professeurs d'école en disponibilité ou exerçant à temps partiel est plus élevé dans les Yvelines, l'Essonne et les Hauts-de-Seine que dans le Val d'Oise, où la difficulté de pourvoir les emplois entraîne une approche plus restrictive des demandes de temps partiel et de disponibilité.
* 90 Le rapport de la médiatrice de 2020 commente le cas d'une enseignante néotitulaire affectée loin du domicile familial après sa réussite au Capes, le barème ne prenant en considération que les enfants à charge, alors que la prise en compte de son enfant décédé lui aurait permis d'obtenir une affectation davantage compatible avec sa situation familiale.
* 91 Dans le premier degré, 90 points pour cinq années d'exercice dans une école de REP+, 45 points en REP.
* 92 Métier d'enseignant : un cadre rénové pour renouer avec l'attractivité , rapport d'information fait au nom de la commission de la culture par Max Brisson et Françoise Laborde (n° 690, 2017-2018), op. cit.