Avis n° 169 (2021-2022) de M. Alain MARC , fait au nom de la commission des lois, déposé le 18 novembre 2021

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N° 169

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2021

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2022 ,

TOME VI

ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Par M. Alain MARC,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet, président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Agnès Canayer, secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 4482 , 4502 , 4524 , 4525, 4526 , 4527 , 4597 , 4598 , 4601 , 4614 et T.A. 687

Sénat : 162 et 163 à 169 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Après avoir entendu Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice 1 ( * ) , le mardi 9 novembre 2021, la commission des lois, réunie le mercredi 17 novembre 2020 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), a donné, sur le rapport d' Alain Marc (Les Indépendants - Aveyron), un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice », inscrits au projet de loi de finances pour 2022 .

Pour la deuxième année consécutive, les crédits de paiement progressent au rythme élevé de 9 %, hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) Pensions (qui retrace les crédits consacrés au financement des pensions versées par l'État). En incluant les dépenses relatives aux pensions, les crédits s'établissent à 4,584 milliards d'euros , en hausse de 316,4 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2021. Les autorisations d'engagement s'établissent à 6,5 milliards d'euros, en progression de 4,4 %.

Cette dynamique des dépenses s'explique, en grande partie par la poursuite du programme « 15 000 », qui vise à augmenter de 15 000 places la capacité du parc pénitentiaire. Ce programme entraîne d'importantes dépenses immobilières et rend indispensables des recrutements pour assurer le fonctionnement des futurs établissements. Elle résulte aussi d'investissements destinés à améliorer la sécurité dans les établissements pénitentiaires et d'améliorations de la situation indemnitaire des personnels.

Ces moyens importants sont justifiés au regard des besoins de l'administration pénitentiaire et des retards accumulés. Ils posent cependant la question de l'évaluation de l'action de l'administration pénitentiaire , qui demeure insuffisamment développée : rares sont les études qui permettent d'apprécier les effets d'une peine de prison, d'une peine de détention à domicile sous surveillance électronique, d'une peine de travail d'intérêt général (TIG), notamment, sur le taux de récidive et les chances de réinsertion du condamné. Les indicateurs figurant dans le projet annuel de performance (PAP) fournissent plus une mesure de l'activité des services qu'une estimation de l'effet des peines prononcées sur le parcours des personnes placées sous main de justice. L'administration pénitentiaire, et le ministère de la justice de manière plus générale, gagneraient à investir plus fortement le champ de l'évaluation.

Le Parlement doit également assurer pleinement sa mission de contrôle. À cet égard, le rapporteur pour avis regrette que, pour la deuxième année consécutive, aucune réponse à son questionnaire budgétaire ne lui soit parvenue le 10 octobre 2021, date limite fixée par la loi organique sur les lois de finances, ce qui l'a privé d'informations utiles à son travail d'analyse.

I. LE PROGRAMME DE CONSTRUCTION ACCUSE UN RETARD EN DÉPIT DE LA FORTE PROGRESSION DES CRÉDITS

Comme en 2021, les dépenses d'investissement pour l'immobilier pénitentiaire devraient fortement progresser l'an prochain, passant de 555,8 millions d'euros de crédits de paiement à 636,3 millions d'euros, soit un montant en hausse de 14,5 % par rapport à la loi de finances pour 2021 . Pourtant, la livraison de 7 000 places de prisons d'ici à la fin de l'année 2022, première tranche du programme « 15 000 », ne pourra être assurée en raison des retards accumulés.

A. UN REPORT À 2023 DE L'ACHÈVEMENT DES 7 000 PREMIÈRES PLACES

L'an dernier, le rapporteur s'était interrogé sur la capacité de l'État à mener à bien la première tranche de 7 000 places dans le délai prévu. L'administration pénitentiaire reconnaît désormais que le calendrier ne sera pas tenu et que la première tranche ne sera pas achevée avant 2023.

Différents facteurs peuvent expliquer ce glissement du calendrier : la difficulté de trouver des terrains, notamment dans les zones denses d'Ile-de-France ; la crise sanitaire, qui a interrompu provisoirement certains chantiers puis a ralenti les travaux en raison de l'application des protocoles sanitaires ; des goulets d'étranglement en région parisienne, les entreprises du BTP étant très sollicitées par les projets du Grand Paris et par la préparation des Jeux Olympiques de 2024 ; des contraintes environnementales de plus en plus fortes.

Un autre facteur limitant réside dans le dimensionnement de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (APIJ), qui est le principal opérateur de maîtrise d'ouvrage du ministère de la justice, en charge de la construction des établissements pénitentiaires et des palais de justice. Ses moyens ont été significativement renforcés, puisque l'agence comptait environ 90 collaborateurs il y a une dizaine d'années alors qu'elle en emploie aujourd'hui 140. Quelques recrutements supplémentaires paraissent cependant nécessaires, afin de se rapprocher des 150 ETP, si l'on veut que l'APIJ soit en mesure de piloter les nombreux projets en cours et à venir.

En ce qui concerne l'état d'avancement de la première tranche de 7 000 places, l'administration pénitentiaire indique que 2 049 places supplémentaires auront été livrées à la fin de l'année 2021. Dans la mesure où l'ouverture de nouveaux établissements s'accompagne de la fermeture d'établissements vétustes, plus de 4 000 places ont dû être construites pour atteindre cet objectif.

En novembre 2021, les 520 places du centre pénitentiaire de Lutterbach ont été mises en service, ce qui a permis de fermer en parallèle les maisons d'arrêt de Colmar et de Mulhouse, construites au XIX e siècle, qui comptaient 397 places.

Sont en cours les chantiers des centres pénitentiaires de Caen-Ifs, Troyes-Lavau, Bordeaux-Gradignan et Koné, en Nouvelle-Calédonie, la maison d'arrêt de Basse-Terre et les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS) de Caen, Le Mans-Coulaines, Avignon, Valence, Osny et Meaux. Ils aboutiront à l'ouverture de 2 541 places nettes. Les autres chantiers nécessaires à l'achèvement des 7 000 places débuteront au premier semestre 2022. Ils concerneront les centres pénitentiaires de Baie-Mahaut et Baumettes-3 et les SAS de Ducos, d'Orléans, de Noisy-le-Grand, Colmar et Toulon, pour un total de 2 500 places supplémentaires.

B. LE LANCEMENT DES OPÉRATIONS POUR LA DEUXIÈME TRANCHE DE 8 000 PLACES

Pour la deuxième tranche, cinq appels d'offres ont été lancés en 2020, quatre en 2021 et les six derniers le seront en 2022 : la totalité du programme « 15 000 » aura ainsi été passée en commande à la fin de l'année prochaine.

Le projet de loi de finances prévoit d'allouer 45,9 millions à la réalisation des opérations se rattachant à cette deuxième tranche, essentiellement pour les cinq projets les plus avancés (Saint-Laurent-du-Maroni, Avignon-Entraigues, Toulouse-Muret, Tremblay-en-France et Perpignan-Rivesaltes). Les études se poursuivent pour les établissements relevant des deuxième et troisième vagues. L'administration pénitentiaire est encore en discussion pour déterminer la localisation de certains sites, 10,8 millions d'euros étant prévus pour financer l'acquisition des terrains.

Interrogés pour savoir si l'échéance de 2027 pourrait être tenue, les représentants de l'APIJ ont admis qu'il s'agissait d'un « calendrier ambitieux », soumis aux aléas inhérents à tout programme de cette ampleur.

C. L'ENTRETIEN ET LA SÉCURISATION DU PARC PÉNITENTIAIRE

Les investissements consacrés à l'extension du parc pénitentiaire ne doivent pas se faire au détriment de l'entretien du parc existant : un manque d'entretien entraîne une dégradation rapide des bâtiments et impose ensuite des dépenses plus importantes de réhabilitation. Sur ce point, le rapporteur pour avis constate avec satisfaction que les crédits progressent en 2022 (115,4 millions d'euros, après 110 millions d'euros en 2020 et 2021). Des redéploiements internes sont susceptibles d'abonder cette enveloppe en cours d'année, comme ce fut le cas au cours des exercices antérieurs (la dépense totale s'est ainsi élevée à 130 millions en 2020 et devrait atteindre 138 millions en 2021).

La sécurité demeure un autre enjeu majeur, le personnel pénitentiaire étant trop souvent victime d'actes de violences inacceptables. Les moyens alloués à la sécurisation des établissements s'inscrivent en forte hausse (+ 113 %), pour atteindre 135,6 millions d'euros. Ils permettront d'améliorer les systèmes de détection des produits illicites ou dangereux, la lutte contre les drones et le brouillage des téléphones mobiles. L'administration pénitentiaire prévoit également de déployer un nouveau terminal mobile qui permettra aux surveillants de communiquer, d'accéder à leurs applications métier et de déclencher une alarme.

II. DES DÉPENSES DE PERSONNEL QUI CONTINUENT DE PROGRESSER

Les crédits consacrés en 2022 aux dépenses de personnel s'élèvent à 2,8 milliards d'euros. Ils augmentent de 2,6 % par rapport à 2021, en raison de mesures de revalorisation indemnitaire et de nouvelles créations d'emplois.

A. DES MESURES DE REVALORISATION SALARIALE

Le projet de budget prévoit de consacrer 22,4 millions au financement de diverses mesures tendant à améliorer la rémunération des personnels pénitentiaires.

Parmi les plus significatives, on relève la fusion des grilles de surveillants et de brigadiers (pour un coût de 4,2 millions d'euros), la revalorisation de la prime de sujétions spéciales pour le corps de d'encadrement et d'application et le corps de commandement (3,4 millions), la revalorisation du montant minimal de l'indemnité pour charges pénitentiaires (4,5 millions) et la revalorisation de l'indemnité de nuit (2,6 millions). Les plus faibles rémunérations bénéficient en outre du relèvement de l'indice minimum de traitement des agents des trois fonctions publiques, qui tient compte de la hausse du Smic.

L'administration pénitentiaire souligne que 120 millions d'euros auront été consacrés au total, au cours du quinquennat, à cette politique d'amélioration catégorielle, ce qui n'est pas négligeable. Il n'en reste pas moins que les rémunérations demeurent plus faibles dans l'administration pénitentiaire que dans d'autres secteurs de la fonction publique. Les organisations professionnelles entendues par la rapporteur ont ainsi regretté qu'un surveillant soit moins rémunéré qu'un policier ou qu'un gendarme et qu'un directeur des services pénitentiaires soit moins rémunéré qu'un commissaire de police. Ces écarts nuisent à l'attractivité des emplois et rendent plus difficile la fidélisation des personnels, alors même que l'administration pénitentiaire doit continuer à recruter.

B. UN RYTHME DE CRÉATION D'EMPLOIS QUI RESTE SOUTENU

Le plafond d'emplois du programme s'établit à 44 083 ETPT , soit une hausse de 1,7 %. Ce relèvement doit permettre la création de 599 emplois , ce qui marque certes une décélération par rapport aux exercices antérieurs (1 092 postes créés en 2021, 1 000 en 2020, 959 en 2019) mais demeure un renfort significatif.

Les créations d'emplois visent à renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP) et à accompagner l'ouverture des nouveaux établissements .

Répartition des créations d'emplois prévues pour 2022

Renforcement des services pénitentiaires d'insertion et de probation

+ 250

Ouverture de nouveaux établissements pénitentiaires

+ 419

Suppressions de postes liées au plan de transformation numérique

- 70

Total

+ 599

Le fait qu'une part importante des créations d'emplois soit affectée aux nouveaux établissements explique que les personnels de surveillance déjà en poste ne perçoivent pas nécessairement d'améliorations de leurs conditions de travail. Comme les organisations syndicales l'ont indiqué au rapporteur, il arrive régulièrement qu'un surveillant soit seul pour gérer une coursive où cent à cent-vingt personnes sont détenues. Pour leur part, les organisations représentatives des personnels d'insertion et de probation ont souligné qu'en dépit des embauches auxquelles il a été procédé, il n'est pas rare qu'un conseiller suive 90 personnes placées sous main de justice, loin du ratio de 60 personnes par conseiller qui fait figure de référence en matière de bonnes pratiques professionnelles.

En tenant compte des recrutements nécessaires pour compenser les départs (retraites, démissions, détachements et disponibilités), l'administration pénitentiaire prévoit d'embaucher 2 952 personnes en 2022. Pour attirer des candidats, des campagnes de communication sont organisées dans les médias avant chaque concours de surveillants et, pour la première fois en janvier 2021, avant le lancement du concours de recrutement des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP).

Les usagers du métro parisien ont pu prendre
connaissance de l'organisation du concours
de surveillants grâce à une campagne d'affichage

III. DES CONDITIONS DE DÉTENTION QUI RISQUENT DE SE DÉGRADER AVEC LE RETOUR DE LA SURPOPULATION CARCÉRALE

Après avoir fortement baissé au premier semestre de l'année 2020 sous l'effet de la crise sanitaire, la population carcérale augmente depuis dix-huit mois, sans avoir retrouvé toutefois son niveau d'avant crise. Cette évolution rend indispensable la poursuite du programme de construction pénitentiaire, ce qui n'est pas incompatible avec un accent mis sur les alternatives à l'incarcération, telles que les travaux d'intérêt général et la surveillance électronique.

A. UNE POPULATION CARCÉRALE EN NETTE AUGMENTATION

Au cours du premier semestre 2020, l'arrêt de l'activité des tribunaux et la libération anticipée de détenus en fin de peine ont entraîné une baisse historique du nombre de personnes incarcérées, passé de 70 651 le 1 er janvier 2020 à 58 695 le 1 er juillet de la même année. Depuis que les audiences ont repris, le nombre de détenus a fortement augmenté pour atteindre 69 173 le 1 er octobre 2021, soit une hausse de près de 18 % en quinze mois. Il n'a pas retrouvé son niveau du début de l'année 2020 mais s'en rapproche.

Après avoir touché un point bas à 97 % le 1 er juillet 2020, le taux d'occupation carcérale s'établit à 114,6 % au début du mois d'octobre 2021 et à près de 135 % dans les maisons d'arrêt. Sur la même période, le nombre de matelas au sol a plus que triplé, passant de 431 à 1 408, tandis que le taux d'encellulement individuel baissait de onze points (54,2 % contre 43,1 %).

Évolution de la population détenue

Source : statistiques mensuelles de l'administration pénitentiaire

La Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, a attiré l'attention du rapporteur sur les conditions de détention particulièrement dégradées dans certains établissements, notamment le centre pénitentiaire de Toulouse-Seysses. Lors de la visite effectuée dans cet établissement au mois de juillet dernier, le taux d'occupation atteignait 186 % dans le quartier maison d'arrêt des hommes et 145 % dans le quartier des femmes ; près de deux cents détenus dormaient sur un matelas au sol. La suroccupation des cellules entraîne des atteintes à l'hygiène et à l'intimité et rend difficile l'accès aux activités proposées en détention, l'offre de services n'étant pas dimensionnée pour répondre aux besoins d'un si grand nombre de détenus, ce qui nuit à la qualité des parcours de réinsertion.

L'administration pénitentiaire indique n'avoir enregistré qu'une cinquantaine de recours sur le fondement de la loi du 8 avril 2021 tendant à garantir le droit au respect de la dignité en détention, principalement dans les établissements de Fresnes et de Nanterre et dans les établissements ultra-marins. La direction de l'administration pénitentiaire explique ce nombre limité de recours par l'attachement des détenus à leur quartier, qui les dissuaderait de s'engager dans une procédure pouvant aboutir à leur transfèreme nt dans un autre établissement.

B. DES MESURES EN FAVEUR DU TRAVAIL ET DE LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ EN DÉTENTION

La dotation allouée à la réinsertion des personnes placées sous main de justice atteint 108,5 millions d'euros, en progression de 16 % par rapport à la loi de finances pour 2021. Cette évolution s'explique notamment par la décision de revaloriser l'aide aux détenus indigents, dont le montant était resté inchangé depuis 2013, en la portant de 20 à 30 euros mensuels, et par le relèvement du seuil de revenu y ouvrant droit, porté de 50 à 60 euros par mois. Ces mesures devraient occasionner une dépense supplémentaire de l'ordre de 4,2 millions d'euros.

Une enveloppe de plus de 54 millions d'euros est prévue pour développer le travail en détention et mettre en oeuvre le nouveau statut du détenu travailleur, tel qu'il découle du projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire qui devrait être promulgué très prochainement. Les détenus travailleurs signeront désormais un contrat d'emploi pénitentiaire et leur couverture sociale sera améliorée. Une dotation de 47,3 millions d'euros est allouée aux actions de préparation à la sortie et de réinsertion, à la formation professionnelle et à l'enseignement, qui supposent un travail partenarial étroit avec les collectivités territoriales, l'éducation nationale et les acteurs du service public de l'emploi.

C. DES ALTERNATIVES À L'INCARCÉRATION À NE PAS NÉGLIGER

Le projet de budget prévoit enfin de financer des dispositifs d'aménagement de peine et des alternatives à l'incarcération, notamment le placement à l'extérieur (8,3 millions d'euros, en hausse de 4 %) et la surveillance électronique (26,8 millions d'euros, sans changement par rapport à 2021).

Le déploiement du bracelet anti-rapprochement, généralisé en 2021 à l'ensemble du territoire, paraît produire des résultats inégaux selon les juridictions. Interrogé à ce sujet, le garde des sceaux a indiqué que son utilisation s'était accélérée après le drame de Mérignac, le 4 mai dernier, au cours duquel une mère de famille a été brulée vive en pleine rue par son conjoint. Certaines organisations syndicales entendues par le rapporteur ont également fait état de dysfonctionnements concernant le centre de surveillance chargé de gérer les alertes. Il convient donc de rester vigilant concernant ce dispositif qui n'a pas encore donné sa pleine mesure. Les fonds qui y sont affectés sont inchangés par rapport à 2021 (4,7 millions d'euros, complétés par 2,7 millions issus du fonds de transformation de l'action publique).

Le rapporteur est attaché au développement du travail d'intérêt général (TIG), qui augmente les chances de réinsertion de la personne condamnée. Après un effondrement en 2020 du fait de la pandémie (baisse de 25 % du nombre de personnes prises en charge), une augmentation de 5 % est envisagée en 2021 comme en 2022. La loi du 8 avril 2021 améliorant l'efficacité de la justice de proximité et de la réponse pénale devrait favoriser ce rebond grâce à une simplification des procédures.

*

* *

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » inscrits au projet de loi de finances pour 2022.

Ces crédits seront examinés en séance publique le 26 novembre 2021.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021

M. Alain Marc , rapporteur pour avis sur les crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice » . - Il me revient, comme l'an passé, de vous présenter les crédits du programme consacré à l'administration pénitentiaire. En 2022, ces crédits atteindront presque 4,6 milliards d'euros, ce qui correspond à plus de 40 % des crédits de la mission « Justice ».

Pour la deuxième année consécutive, ces crédits s'inscrivent en forte hausse, progressant de 9 % par rapport à la loi de finances pour 2021, hors crédits affectés au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions ». Cette dynamique des dépenses s'explique en grande partie par la poursuite du programme de construction de 15 000 places de prison, qui occasionne des dépenses immobilières et rend indispensables des recrutements pour assurer le fonctionnement des futurs établissements.

En introduction de mon propos, il me semble utile de faire un point sur ce programme de construction qui devait aboutir, je vous le rappelle, à la livraison de 7 000 nouvelles places d'ici à la fin de l'année 2022 et à la livraison de 8 000 autres places à l'horizon de 2027. Je signale que les investissements immobiliers absorberont l'an prochain 636 millions d'euros de crédits, soit un montant en hausse de 14,5 % par rapport à 2021.

Même si le ministre a essayé de nous convaincre, la semaine dernière, photos à l'appui, que les chantiers avançaient à un bon rythme, la réalité est que le calendrier ne sera pas tenu.

À ce jour, 2 000 places environ ont effectivement été livrées. Elles concernent des projets - ceux de la Santé et de Baumettes II notamment - lancés avant 2017, ce qui n'est guère surprenant. En effet, l'administration pénitentiaire considère qu'un délai de sept années s'écoule entre le moment où la décision est prise de construire une prison et le moment où l'établissement ouvre ses portes.

Les chantiers aujourd'hui en cours portent sur un total d'environ 2 500 places, et c'est seulement au cours du premier semestre de 2022 que seront lancés les travaux nécessaires à la réalisation des 2 500 places manquantes pour arriver au total de 7 000. Il est exclu que ces places soient livrées en totalité à la fin de l'année prochaine, l'administration pénitentiaire envisageant plutôt un achèvement des travaux à la fin de l'année 2023, ce qui est sans doute encore une évaluation optimiste.

Concernant les 8 000 places suivantes, un peu moins de 46 millions d'euros leur sont consacrés dans le budget. Ces crédits sont orientés vers les cinq projets les plus avancés. Je rappelle que cinq appels d'offres ont été lancés en 2020, quatre en 2021, et que les six derniers seront lancés en 2022, l'objectif étant que l'ensemble du programme de 15 000 places ait été au moins passé en commande à la fin de l'année prochaine.

Le programme de construction a naturellement des conséquences sur les recrutements. L'an prochain, le budget permettra de financer la création de 599 emplois supplémentaires ; sur ce total, 419 emplois serviront à constituer les équipes nécessaires à l'ouverture des futurs établissements, le solde venant renforcer les services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP).

Même si le programme de construction pèse lourd dans le projet de budget, il n'explique pas à lui seul la hausse des dépenses. Les crédits prévus dans le projet de loi de finances doivent permettre aussi de financer l'entretien et la sécurisation du parc pénitentiaire, ainsi que des mesures de revalorisation salariale.

L'entretien du parc pénitentiaire ne doit pas être négligé, sans quoi la dégradation du bâti risque d'entraîner, à plus long terme, d'importantes dépenses de réhabilitation. Il est satisfaisant de constater que les crédits consacrés à ce poste de dépense progressent de 5 millions d'euros par rapport à la loi de finances pour 2021, étant précisé que les redéploiements internes sont susceptibles d'abonder cette enveloppe en cours d'année, comme ce fut le cas au cours des exercices antérieurs.

La sécurité dans les établissements constitue un autre motif de préoccupation. À cet égard, le budget marque un effort très significatif, puisque les crédits augmentent de 113 %, pour dépasser les 135 millions d'euros. Cette enveloppe permettra d'améliorer les systèmes de détection des produits illicites ou dangereux, la lutte contre les drones et le brouillage des téléphones mobiles. L'administration pénitentiaire prévoit également de déployer un nouveau terminal mobile qui permettra aux surveillants de communiquer, d'accéder plus facilement à leurs applications métier et de déclencher une alarme. Les membres des équipes de sécurité pénitentiaire vont recevoir des pistolets à impulsion électrique, plus communément dénommés « tasers ».

Le budget prévoit également de consacrer 22,4 millions d'euros au financement de diverses mesures tendant à améliorer la rémunération des personnels pénitentiaires. Parmi les plus significatives, on relève la fusion des grilles de surveillants et de brigadiers, ainsi que la revalorisation de la prime de sujétion spéciale et de l'indemnité pour charges pénitentiaires. Les plus faibles rémunérations bénéficient, en outre, du relèvement de l'indice minimum de traitement des agents des trois fonctions publiques.

L'administration pénitentiaire souligne que 120 millions d'euros auront été consacrés au total, au cours du quinquennat, à cette politique d'amélioration catégorielle, ce qui n'est pas négligeable. Il n'en reste pas moins que les rémunérations demeurent moins élevées dans l'administration pénitentiaire que dans d'autres secteurs de la fonction publique. Ces écarts nuisent à l'attractivité des emplois, alors que l'administration pénitentiaire doit continuer à recruter. Elle organise régulièrement des campagnes d'information dans les médias, sur les réseaux sociaux ou par voie d'affichage pour attirer des candidats aux concours qu'elle organise.

Je souhaite également évoquer les conditions de détention qui dépendent, en grande partie, de l'évolution de la population carcérale. Après la forte baisse observée en 2020, la population carcérale est repartie à la hausse ; le 1 er octobre dernier, le nombre de détenus s'élevait à 69 173, en augmentation de 18 % par rapport au point bas atteint à la fin du premier confinement ; le nombre de détenus n'a pas encore retrouvé son niveau d'avant la crise, proche de 71 000, mais il s'en rapproche.

Au début du mois d'octobre, le taux d'occupation était revenu à près de 115 % en moyenne, et il s'élevait à 135 % dans les maisons d'arrêt, qui sont traditionnellement les établissements les plus sollicités. On comptait plus de 1 400 matelas au sol, et le taux d'encellulement individuel était retombé à 43 %.

Cette évolution doit retenir toute notre attention. On ne peut exclure que le nombre de détenus se stabilise dans les prochains mois autour de 70 000. En revanche, si la hausse se poursuivait, elle pourrait entraîner une dégradation rapide des conditions de détention. Jusqu'à présent, le nombre de recours pour conditions indignes est resté limité ; l'administration pénitentiaire en a recensé une cinquantaine, principalement à Fresnes, Nanterre et dans les établissements ultra-marins ; mais cette situation pourrait ne pas durer.

Cette évolution conduit à s'interroger sur les effets de la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, qui avait pour ambition de réduire le nombre de courtes peines de prison, en privilégiant les alternatives à l'incarcération. L'encombrement des maisons d'arrêt montre que les tribunaux continuent de prononcer un nombre élevé de courtes peines. Les efforts du Gouvernement pour développer le travail d'intérêt général et les dispositifs de surveillance électronique n'ont pas encore d'effets tangibles sur le niveau de la population carcérale. Ces peines alternatives peuvent pourtant être adaptées pour sanctionner des infractions de faible gravité, en offrant de meilleures perspectives de réinsertion.

Enfin, le projet de loi de finances prévoit d'allouer une enveloppe de 54 millions d'euros au développement du travail en détention et à l'amélioration du statut du détenu travailleur, dans le prolongement de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire dont nos collègues Agnès Canayer et Philippe Bonnecarrère étaient les rapporteurs. Une mesure est également prévue en faveur des détenus indigents ; l'aide qui leur versée, dont le montant n'avait pas été revalorisé depuis 2013, sera portée de 20 à 30 euros par mois.

En conclusion, je vous propose d'émettre, comme l'an dernier, un avis favorable à l'adoption des crédits de l'administration pénitentiaire, compte tenu de l'effort important réalisé sur les recrutements, l'immobilier et la sécurisation des établissements.

Toutefois, en parallèle de cet effort financier, je crois indispensable que le ministère de la justice développe sa fonction d'évaluation des politiques publiques ; cela est également valable pour d'autres ministères. On manque d'études rigoureuses permettant d'apprécier les effets de telle ou telle peine sur la récidive et sur les chances de réinsertion. Les indicateurs de performance, annexés à la loi de finances, sont plus des indicateurs d'activité qu'une véritable mesure des résultats de l'action publique. Or, plus la nation consacre de moyens à ses prisons, plus elle est en droit d'exiger qu'il soit fait un bon usage de ces crédits, ce que seule une évaluation objective et indépendante peut garantir à nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Sueur . - Les questions sont toujours les mêmes. Comment se fait-il que les alternatives à la détention, depuis le temps que nous en parlons, ne progressent pas davantage, voire régressent ? Tous les gardes des sceaux ne cessent de vanter ces alternatives : le bracelet électronique, les travaux d'intérêt général, la suppression des courtes peines - notamment pour les jeunes qui se retrouvent, pour une courte période, dans le milieu carcéral et y acquièrent un vocabulaire, des relations, un savoir-faire, qui ne les aident pas à se réinsérer.

En 2020, 7 000 ou 8 000 détenus en fin de peine ont été libérés ; cela n'a pas causé la révolution dans notre pays, ni une augmentation de la délinquance. L'important n'est pas d'atteindre un nombre toujours plus élevé de détenus ; il en faudrait moins et que l'on s'occupe davantage d'eux pour préparer la sortie. À cet égard, je salue la mesure relative au développement du travail en prison, ainsi que l'augmentation, certes mesurée, des fonds pour les détenus indigents - en passant à 30 euros par mois, cela ne va pas mettre en péril le budget de l'État.

M. Alain Marc , rapporteur pour avis . - C'est encore au conditionnel...

M. Jean-Pierre Sueur . - Oui, si cela est voté... On entend des annonces tonitruantes sur l'augmentation du nombre de places ; je ne suis pas séduit par cela. On voit d'ailleurs que ce qui était prévu en six ans va finalement se réaliser en quinze. Au-delà de la construction de nouvelles prisons, la priorité doit concerner l'entretien et la rénovation de celles qui existent. Par ailleurs, ce n'est pas la peine d'en construire de nouvelles si l'on croit dans le développement des peines alternatives.

M. Alain Marc , rapporteur pour avis . - Je partage beaucoup de choses avec Jean-Pierre Sueur. Quand je disais que l'on n'avait pas encore atteint le nombre de 70 000 détenus, je ne m'en réjouissais pas.

M. Jean-Pierre Sueur . - J'ai évoqué cela pour que vous puissiez le préciser.

M. Alain Marc , rapporteur pour avis . - En annonçant que l'on va construire de nouvelles prisons, on présuppose que cela va diminuer la délinquance. Or, comme vous l'avez dit fort justement, il arrive que des jeunes détenus sombrent davantage encore dans la délinquance et récidivent, alors qu'ils auraient pu envisager un autre avenir, par le biais de peines alternatives.

Faute d'une évaluation rigoureuse des mesures, nous sommes incapables de mener une politique pénitentiaire à long terme. Les 15 000 places sont décidées, mais elles ne seront probablement pas livrées en totalité avant sept ou huit ans. Il nous faudra progresser sur ces peines alternatives qui seraient certainement plus utiles aux primodélinquants.

M. Jean-Pierre Sueur . - On recense 419 postes pour les nouveaux établissements pénitentiaires et 250 postes pour les SPIP ; nous pourrions faire d'autres choix.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».

COMPTE RENDU DE L'AUDITION
DE M. ÉRIC DUPOND-MORETTI, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

M. François-Noël Buffet , président . - Monsieur le garde des sceaux, nous vous accueillons dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi de finances (PLF) pour 2022, et plus spécifiquement sur la mission « Justice », dont vous avez la responsabilité.

Le fonctionnement de la justice est, vous le savez, au centre des préoccupations de la commission des lois, et nos rapporteurs pour avis ont à coeur d'examiner les propositions que vous faites pour l'exercice budgétaire 2022. Agnès Canayer et Dominique Vérien sont rapporteurs pour avis des programmes « justice judiciaire » et « accès au droit » sur la mission « justice » ; Maryse Carrère, dont je vous prie d'excuser l'absence, est rapporteure pour avis du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » et Alain Marc rapporteur pour avis du programme « Administration pénitentiaire ». Antoine Lefèvre participe également à cette audition en tant que rapporteur spécial de la commission des finances.

Avant de vous laisser la parole pour présenter votre budget, permettez-moi de vous faire observer la réponse tardive de la Chancellerie aux questionnaires budgétaires que nous vous avons transmis en application de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), Antoine Lefèvre y reviendra sans doute. Il serait souhaitable à l'avenir que la date limite prévue par la LOLF soit respectée pour le bon examen des crédits.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice. - Vous avez raison, monsieur le président, et je ne peux que vous présenter mes excuses pour ce retard totalement indépendant de ma volonté.

M. François-Noël Buffet , président . - Je vous en remercie, monsieur le garde des sceaux.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux. - Avec 0,5 milliard d'euros de crédits au-delà de la trajectoire prévue par la loi de programmation et de réforme pour la justice (LPJ), le budget que j'ai l'honneur et la fierté de vous présenter a non seulement le mérite de respecter la programmation votée par le Parlement en 2019, mais également d'aller au-delà pour rapprocher - enfin ! - la France des standards européens. C'était devenu un impératif au regard notamment des constats que j'ai pu dresser après trente-cinq années passées, comme avocat, à sillonner la France dans ses tribunaux et ses prisons ; c'était l'un de mes objectifs en devenant garde des sceaux et ce sera demain une réalité grâce à vous si vous acceptez bien sûr de voter ce budget.

L'amélioration de la situation de la justice de notre pays nécessite une sorte d'union sacrée dans laquelle nous devrions tous nous retrouver. C'est pourquoi je remercie particulièrement la commission des finances du Sénat, en particulier son rapporteur spécial, Antoine Lefèvre, d'avoir adopté mercredi dernier les crédits de la mission « Justice » pour 2022.

L'ancien avocat que je suis, qui a vu des années durant l'institution judiciaire sombrer dans la « clochardisation », pour reprendre les mots de l'un de mes prédécesseurs, Jean-Jacques Urvoas, sait combien le projet de budget que nous portons est une réponse forte aux attentes de la communauté judiciaire et de nos concitoyens.

Après une augmentation de 8 % en 2021, le ministère bénéficiera de nouveau d'une hausse de 8 % en 2022 - c'est un doublé historique -, soit 660 millions d'euros supplémentaires qui viendront renforcer le service public de la justice, ce qui correspond au total à 1,3 milliard d'euros de crédits en deux ans. Sur le quinquennat, l'effort représente une hausse de plus de 30 %.

À cet effort en crédits s'ajoute un renfort en emplois, avec le recrutement inégalé de 3 450 personnels en douze mois. Au total, ce sont 7 400 emplois qui auront été créés en cinq ans, portant le nombre total de personnels du ministère à plus de 90 000. Entre 2017 et 2022, plus de 650 magistrats ont été recrutés, faisant passer le taux de vacance de 6 % à moins de 1 %, c'est-à-dire un taux résiduel. Dans la même période, on dénombre 850 greffiers supplémentaires, 4 500 emplois en plus pour l'administration pénitentiaire, et 340 emplois pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

Notre réponse est claire et la volonté du Gouvernement est sans faille : nous avons tout fait pour donner à la justice les moyens non seulement de sortir du dénuement, mais encore d'envisager résolument la justice du XXI e siècle.

En 2022, nous conforterons et nous amplifierons les projets lancés en 2021, au premier rang desquels la justice de proximité, celle qui permet d'être plus proche des territoires qui vous sont si chers, et au plus proche, bien sûr, des citoyens, grâce notamment aux « point-justice », aux audiences foraines, par exemple, à Villeneuve-sur-Lot, Gien ou Louviers. Ce dispositif est rendu possible par l'engagement des délégués du procureur, dont nous avons doublé les moyens alloués aux vacations, et grâce aux 2 100 emplois publics créés pour que la justice soit plus humaine, plus rapide, plus tangible. Concrètement, ce sont 600 juristes assistants et assistants spécialisés supplémentaires qui viennent former une véritable équipe autour du magistrat. De plus, 1 200 renforts viennent déjà soulager les greffiers, qui sont, j'y insiste, un rouage absolument essentiel de la chaîne judiciaire. En outre, plusieurs centaines de magistrats honoraires et de magistrats à titre temporaire peuvent désormais faire jusqu'à 300 vacations par an - leur concours est essentiel.

La justice de proximité se verra dotée de 50 millions d'euros de plus qu'en 2021, soit un total de 252 millions d'euros en 2022. Nous lui donnons ainsi la possibilité de rendre une justice plus proche, plus réactive grâce à des moyens de fonctionnement renforcés. Les frais de justice sont ainsi en hausse de 32 % en deux ans, pour un total de 158 millions d'euros supplémentaires, dont je veux souligner les points suivants.

Nous avons revalorisé les délégués du procureur : l'effort de 28 millions d'euros consenti en 2021 sera reconduit en 2022. Nous avons également revalorisé tout récemment la tarification des expertises psychiatriques et psychologiques, avec, au surplus, la prise en charge des cotisations sociales, soit un effort budgétaire total de 20 millions d'euros. Nous renforçons les structures médico-judiciaires, en y consacrant 20 millions d'euros. À cet égard, je remercie le Premier ministre de les avoir mises à l'honneur à Lorient le 28 octobre dernier. Nous allons procéder très prochainement à la revalorisation des enquêtes sociales rapides, avec près de 10 millions d'euros d'investissement pour une justice plus rapide et de meilleure qualité.

L'accès au droit et l'aide juridictionnelle sont, par définition, si j'ose dire, indissociables de la justice de proximité. En deux ans, ce sont 150 millions d'euros de crédits supplémentaires qui auront été déployés en la matière, dont 95 millions d'euros pour la seule année 2022 et une augmentation de 15 % pour la seule aide juridictionnelle. Nous avions pris l'engagement de procéder à une hausse progressive de l'aide juridictionnelle ; nous tenons parole avec cette deuxième marche de revalorisation de 2 euros de l'unité de valeur. Bien sûr, l'aide aux victimes n'est pas oubliée, avec 8 millions d'euros de crédits supplémentaires, soit une hausse de 25 % en un an. Nous donnons ainsi les moyens de déployer autant de téléphones grave danger (TGD) que de besoin.

L'accès au droit passe aussi par près de 2 000 « points-justice » répartis sur tout le territoire, avec 10 000 réponses pénales hors les murs chaque mois, et le recours à la médiation se développe. C'est là une justice humaine, une vision de la justice qui m'est chère, et ce projet de budget permet de poursuivre cet effort.

L'année 2022 ne doit être ni une année d'attente ni une année de vaines promesses. Elle doit au contraire être une année de nouvelles impulsions et de nouvelles ambitions concrètes et tangibles.

Nouvelles impulsions avec l'accélération de la mise en oeuvre du programme de construction de 15 000 places de prison, ce qui portera à 75 000 le nombre total de places disponibles en 2027. La mise en chantier des 7 000 premières places est lancée. En 2022, elles seront livrées ; d'ailleurs, certaines d'entre elles le sont d'ores et déjà ; je pense en particulier au centre pénitentiaire de Lutterbach, qui va connaître dans les jours qui viennent un transfèrement important de quelque 350 détenus, ainsi, évidemment, que des personnels pénitentiaires. Quatorze opérations sont en chantier dans toute la France, à Caen, au Mans, à Avignon, à Draguignan ou encore à Troyes, par exemple. Je tiens naturellement à votre disposition la preuve tangible - des photos - de l'existence de ces chantiers, qui sont en cours de finalisation.

Le deuxième volet, de 8 000 places, est résolument engagé : 16 opérations pénitentiaires sont désormais identifiées sur des sites précis, les concertations locales et les études préalables sont lancées. Je tiens là encore à votre disposition les adresses de ces centres. Qu'il me soit permis ici de saluer l'esprit républicain des maires qui accueillent et soutiennent ces projets - je pense notamment aux élus de Caen ou d'Angers - et de remercier toutes les sénatrices et tous les sénateurs qui accompagnent dans leur territoire l'installation de ces projets essentiels pour l'avenir de notre pays.

En 2022, ce sont ainsi plus de 400 millions d'euros qui seront budgétés pour la réalisation du programme « 15 000 », et 636 millions d'euros seront dévolus à l'immobilier pénitentiaire, soit une hausse de 62 % en deux ans.

Nouvelles ambitions ensuite, avec un grand plan d'investissement pénitentiaire pour la sécurisation des établissements, la numérisation de leur fonctionnement et les conditions de détention. Concrètement, cela représente 45 millions d'euros supplémentaires pour la sécurisation dite « 360° » des établissements, 35 millions pour simplifier le suivi de la détention, favoriser la réinsertion des détenus et développer le travail en détention. Nous financerons ainsi le statut du détenu travailleur, pour attirer de nouveau les entreprises dans les prisons. Nous consacrerons également 20 millions d'euros au déploiement du système d'alerte géolocalisé.

Nouvelles impulsions encore pour la transformation numérique du ministère, avec 205 millions d'investissements informatiques, soit une hausse de 69 millions d'euros en deux ans pour faire aboutir des projets comme la procédure pénale numérique (PPN), un chantier absolument majeur pour faire entrer la justice dans le XXI e siècle. Les services de la PPN seront disponibles dans toutes les juridictions de France d'ici à décembre 2023, et 52 d'entre eux le seront dès le début de l'année prochaine. D'autres projets essentiels concernent la télé-audience, qui se verra doter de 8 millions d'euros d'investissements, ou la plateforme TIG 360°.

Le projet de budget pour 2022 n'oublie pas la protection judiciaire de la jeunesse qui bénéficie, en deux ans, de 95 millions d'euros de crédits supplémentaires, des crédits essentiels pour accompagner la mise en oeuvre du code de la justice pénale des mineurs, comme nous nous y étions engagés lors de nos débats.

J'ai coutume de le dire, la justice, c'est avant tout des femmes et des hommes engagés au service de nos concitoyens. C'est pourquoi le projet de budget pour 2022 n'oublie pas non plus les agents du ministère. Ainsi, 65 millions d'euros de crédits sont fléchés pour reconnaître leur mobilisation et améliorer leur protection sociale.

Telles sont les grandes lignes et les grandes priorités de la mission « Justice ». Je répondrai naturellement avec plaisir et de manière la plus complète possible à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.

Mme Agnès Canayer , rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Justice » consacrés à la justice judiciaire et à l'accès au droit . - Nous nous félicitons cette année encore de l'augmentation du budget de la justice, que vous qualifiez d'« historique » avec un effort en crédits et un renfort en emplois. J'aimerais avoir quelques précisions toutefois sur les effectifs et l'emploi dans les juridictions.

Le recrutement massif de contractuels au cours de ces deux dernières années a vocation à alléger la charge de travail des juridictions, réduire les stocks et délais de jugement pour redonner confiance dans la justice. Seul un Français sur deux a aujourd'hui confiance en l'institution judiciaire.

D'après les chiffres dont nous disposons, le taux de contractuels s'élève désormais à 10 % des effectifs totaux, magistrats et fonctionnaires confondus. Nous nous interrogeons sur leur devenir. Allez-vous pérenniser ces contractuels au terme de leur contrat ? Si oui à quelles conditions ?

Le taux de vacance des postes de greffiers est aujourd'hui proche des 6 %. Pensez-vous qu'une nouvelle loi de programmation sera nécessaire pour permettre le comblement de ces vacances ?

Le taux de vacance de postes de magistrats est, quant à lui, résiduel. Nous constatons toutefois qu'il n'existe toujours pas de référentiel d'évaluation de la charge de travail des magistrats. Quelles sont vos pistes de réflexion en la matière ?

Concernant l'organisation judiciaire, menez-vous une réflexion sur le rôle de chaque membre de l'équipe autour du magistrat ?

Enfin, pouvez-vous nous donner des éléments d'information sur les états généraux de la justice et les conséquences qu'ils pourraient avoir sur le projet de budget pour 2022 ?

Mme Dominique Vérien , rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Justice » consacrés à la justice judiciaire et à l'accès au droit . - Je m'associe aux remarques préliminaires de ma collègue. Je vous parlerai cette année non pas de Cassiopée, mais du projet Portalis, qui a fait l'objet d'un audit de la direction interministérielle du numérique en 2020. Pouvez-vous nous indiquer, dans les grandes lignes, les conclusions de cet audit et quelles conséquences vous en avez tirées pour la conduite du projet à l'avenir quant à la gouvernance, au calendrier et aux objectifs ?

Le justiciable a-t-il aujourd'hui accès à son dossier via Portalis dans toutes les juridictions ?

D'après nos informations, la partie « applicatif métier » du projet serait déployée en 2022, d'abord pour les conseils de prud'hommes, puis pour le contentieux des affaires familiales. Pouvez-vous nous présenter en quelques mots l'objet de cet applicatif, ainsi que les évolutions concrètes pour les greffiers et les magistrats ? Pouvez-vous aussi nous expliquer la priorité donnée aux conseils de prud'hommes ?

Sur les frais de justice, vous nous avez expliqué que les augmentations sont liées à des réformes structurelles. Pour autant, vous fixez un objectif de dépense moyenne, pour 2023, de 330 euros par affaire, contre 461 euros en 2021 et 374 euros en 2019. Cette estimation est-elle réaliste ?

À cet égard, pouvez-vous nous indiquer quand la plateforme nationale des interceptions judiciaires (PNIJ) sera considérée comme ayant atteint sa pleine montée en charge, et nous donner le montant moyen annuel des économies réalisées grâce à sa création ?

Enfin, quid de l'organisation des « points-justice », en lien avec les tribunaux judiciaires ?

M. Alain Marc , rapporteur pour avis sur les crédits de la mission « Justice » consacrés à l'administration pénitentiaire . - Je m'associe aux propos de mes collègues et je salue l'augmentation des crédits alloués au ministère de la justice.

Au-delà des 15 000 places de prison qui seront livrées ou envisagées - on sait les difficultés rencontrées pour les créer -, l'objectif est-il de favoriser une réponse pénale plus sévère avec des peines d'emprisonnement plus nombreuses, d'améliorer les conditions de détention ou de poursuivre simultanément ces deux objectifs ?

Par ailleurs, savez-vous combien de détenus ont déposé un recours pour conditions indignes de détention sur le fondement de la loi du 8 avril 2021, qui résulte d'une proposition de loi du président François-Noël Buffet ?

Enfin, j'évoquerai un sujet qui me tient particulièrement à coeur : je m'étonne du manque d'évaluation de l'impact de l'activité de l'administration pénitentiaire sur le risque de récidive par exemple et sur les chances de réinsertion - cette question a souvent été pointée comme une lacune. Comment peut-on piloter un ministère sans avoir un outil évaluatif au sein du ministère ou à l'extérieur ? Un travail de recherche en sociologie par exemple serait de nature à éclairer la politique à mener dans les années à venir. Je sais que vous avez dû faire face à l'urgence de recruter, mais, dans toute politique - nous sommes les uns et les autres soucieux de l'argent public -, il importe de disposer d'une évaluation assez fine des dispositifs mis en place.

M. Antoine Lefèvre , rapporteur spécial de la mission « Justice » . - La commission des finances a examiné la semaine dernière les crédits de la mission « Justice » proposés pour 2022. Avant toute chose, je tiens à vous faire part des difficultés que j'ai rencontrées pour obtenir les réponses au questionnaire budgétaire envoyé en juillet dernier, pour lequel la LOLF fixe le 10 octobre comme date limite pour transmettre les réponses. Or, je n'ai reçu l'essentiel de celles-ci qu'une semaine avant l'examen du budget par la commission des finances, ce qui nous a fait perdre un temps précieux pour la préparation de nos auditions. Je le souligne toutefois, lorsque j'ai eu l'occasion d'interpeller directement votre cabinet, il a alors répondu rapidement.

Cela étant dit, j'ai eu l'occasion de rappeler en commission que le projet de budget permettait de « sanctuariser » les moyens du ministère de la justice, en reconduisant une nouvelle hausse de 8 %, hors contribution au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions », après une année 2021 marquée par une augmentation de même ampleur. Cette consolidation des moyens de la justice me semble pleinement justifiée pour améliorer le service public rendu à nos concitoyens dans un contexte marqué par une forte défiance des Français envers l'institution.

Néanmoins, la commission des finances a émis plusieurs critiques sur les lacunes de la gestion du ministère de la justice, relayant ainsi les constats encore récemment formulés par la Cour des comptes. Si le budget de la justice est en constante augmentation depuis plusieurs exercices, les délais de traitement des affaires stagnent, voire s'allongent. J'ai toutefois rappelé en commission que la justice avait longtemps été considérée comme le parent pauvre des budgets régaliens, et qu'un rattrapage était nécessaire.

La commission des finances a également exprimé de fortes attentes sur la mise en oeuvre du plan de transformation numérique. L'exigence ne semble pas démesurée : il s'agit ici de donner des outils de base à l'ensemble des acteurs de la justice pour exercer leurs missions. Nous ne pourrons parler d'une justice du XXI e siècle qu'à compter du moment où le ministère disposera d'outils informatiques et d'applications au bénéfice de tous les usagers, et lui permettant de combler son retard en la matière.

J'ai aussi proposé à la commission des finances l'adoption d'un amendement visant à augmenter les crédits à hauteur de 5 millions d'euros pour renforcer les moyens humains des juridictions, en particulier des services de greffes, dans lesquels la situation est préoccupante en dépit des recrutements déjà amorcés. J'ai proposé que cette majoration de crédits soit gagée sur les dépenses d'investissement de l'administration pénitentiaire, qui s'élèvent à 630 millions d'euros pour 2022. Un fléchage de 5 millions d'euros semble ainsi tout à fait « amortissable ». La commission des finances a adopté cet amendement et propose l'adoption des crédits de la mission. Monsieur le garde des sceaux, vous nous ferez certainement part de l'appréciation que vous portez sur cet amendement.

Par ailleurs, quels éléments pouvez-vous avancer pour répondre au constat critique dressé par la Cour des comptes sur la capacité de votre ministère à bien utiliser ses crédits ? Selon vous, quels sont les leviers à actionner pour diffuser plus largement une culture de l'évaluation de la dépense en son sein ?

M. François-Noël Buffet , président . - Je vous poserai deux questions sur la protection judiciaire de la jeunesse, en l'absence de Maryse Carrère, rapporteur pour avis. Le budget 2022 prévoit la baisse d'un tiers des mesures de réparation pénale mises en oeuvre par le secteur public. À quoi cette baisse correspond-elle, alors que le développement de la réparation est un axe fort d'une réponse pénale plus rapide ?

Par ailleurs, si 4,2 millions d'euros sont prévus en 2022 pour ouvrir cinq centres éducatifs fermés publics, qu'en est-il des quinze centres du secteur associatif habilité qui devaient être ouverts ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux . - Madame Agnès Canayer, comment en sommes-nous venus à la justice civile de proximité, que vous appeliez déjà de vos voeux l'an dernier ? Nous avons d'abord mis en place son volet pénal, car la petite délinquance n'était pas traitée comme il le fallait faute de moyens, notamment humains. Par voie de circulaire, j'ai répertorié 350 infractions dites de basse intensité, qui nuisent fortement à la vie des gens au quotidien, dont les décharges sauvages, les tags et les rodéos urbains.

Nous avions besoin de personnels pour réparer cette justice, mais nous ne pouvions attendre, car la formation des magistrats dure 31 mois et celle des greffiers 18 mois. Nous avons donc recruté des juristes assistants et des renforts de greffe, personnels qualifiés qui se sont parfaitement adaptées. Le constat est clair : aujourd'hui, les magistrats se félicitent de leur arrivée. Les greffiers avaient fait part d'une réticence initiale face à ce qu'ils percevaient comme une obligation de former leurs nouveaux collègues. C'est cependant chose faite, et nul ne conteste à quel point leur apport a été indispensable.

Au cours d'un déplacement dans le cadre des états généraux de la justice, l'une de ces personnes s'est exprimée pour demander une meilleure représentation, soit une forme de syndicalisation des personnels contractuels. J'y ai donné mon accord. Au vu de l'importance prise par ce nouveau personnel, il serait déraisonnable de ne pas vouloir le garder. Les parquetiers, grâce à eux, ont pu davantage développer les relations avec les élus.

Une fois ces mesures mises en place, nous avons dû accélérer le mouvement dans le domaine de la justice civile. Si le garde des sceaux a un peu d'autorité sur le parquet, il n'en a aucune sur le siège, mais ce dernier a voulu sa part de « sucres rapides ». Nous avons ainsi décidé d'envoyer 1 000 renforts dans les juridictions. Les contrats d'engagements sont tenus et les premiers résultats sont déjà perceptibles, même s'il faudra attendre plus longtemps pour tirer des conclusions définitives. Ainsi, à Nanterre, le nombre de créneaux d'audience pour les affaires familiales aura augmenté de 30 % d'ici à la fin de l'année. À Lyon, ce sont 800 dossiers de plus qui seront traités en 2021, soit au moins 1 600 justiciables qui verront un aboutissement de la procédure engagée.

Sur le caractère pérenne des nouvelles embauches, les contractuels ont été en grande majorité recrutés pour trois ans, un contrat renouvelable une fois. Ils ont vocation à rester et auront l'occasion de passer les diplômes nécessaires. Le taux de vacance des greffiers a chuté à 6 %, contre 17 % précédemment. Or, sans leur rôle d'authentification et d'identification, la justice n'est pas rendue correctement. Un groupe de travail thématique leur est consacré au sein des états généraux de la justice : leur carrière doit être plus attractive et leur rôle redéfini. Ces douze derniers mois, 1 200 emplois publics ont été créés entre l'arrivée de lauréats de l'École nationale des greffes et les recrutements immédiats.

Je le redis, mon objectif est de pérenniser ces recrutements, qui sont une réussite. Si j'ai pu entendre quelques réactions négatives au début face à ce que certains qualifiaient de « rustines », cette appréciation désobligeante a depuis disparu compte tenu de leur aide qui s'est avérée indispensable. Enfin, le taux de vacance des magistrats est désormais minime.

Une nouvelle question se pose désormais. Quand je suis arrivé à la Chancellerie, je n'entendais parler que du manque de moyens. C'est différent aujourd'hui : on évoque désormais l'équipe autour du magistrat, idée selon laquelle ce dernier constitue sa propre équipe et travaille directement avec des contractuels, des assistants et des fonctionnaires titulaires, dont les greffiers.

Les Pays-Bas ont constitué une réserve d'avocats. Ainsi, 40 d'entre eux, sur les 1 500 exerçant à La Haye, acceptent d'exercer, une fois par mois, le rôle de magistrat. Les magistrats français avec qui je m'y suis rendu y ont vu beaucoup d'intérêt. De même, une réserve de greffiers permet à certains d'entre eux, une fois par mois, de compléter les juridictions. Bien sûr, le juge conserve tout son pouvoir juridictionnel.

Je reviens brièvement sur le statut des greffiers : nous réfléchissons à la création d'un corps de fonctionnaires de catégorie A d'assistants juridictionnels, regroupant les juristes assistants et les greffiers qui le souhaitent.

Avec les états généraux de la justice, nous voulons restaurer cette dernière. Ce sont les deux plus hauts magistrats du pays qui ont demandé leur tenue au Président de la République, et ils sont une opportunité et une chance pour notre institution.

Après avoir réparé la justice grâce au budget, grâce à ceux qui, au Parlement, l'ont voté, nous envisageons désormais de la moderniser. À cet effet, nous avons voulu créer un comité transpartisan, comprenant les présidents des commissions des lois du Sénat et de l'Assemblée nationale, les deux plus hauts magistrats du pays et des personnalités indépendantes, sous la présidence de Jean-Marc Sauvé - je n'y interviens pas. Dans ce cadre, sont développés des ateliers thématiques sur la procédure pénale et civile, la justice économique et sociale ainsi que sur les questions statutaires et de fonctionnement interne des juridictions. Ce dernier atelier fait écho aux préconisations de la Cour des comptes et est d'ailleurs coprésidé par l'un de ses membres.

Je me déplace ensuite pour rencontrer les citoyens, par exemple à Rodez, ou encore à Saint-Quentin-Fallavier. Nous sommes au contact des élus, des professionnels, notamment de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), de la direction de l'administration pénitentiaire (DAP), des avocats, des huissiers et des greffiers, mais aussi de simples citoyens intéressés par la justice. C'est une occasion de recueillir leur parole. Celle-ci trouve aussi à s'exprimer via la plateforme parlonsjustice.fr , dont le prestataire nous indique qu'elle est d'ores et déjà un succès. Tout cela sera synthétisé par le comité présidé par Jean-Marc Sauvé puis transmis à la fin du mois de février à la Chancellerie, sous forme de propositions. Certaines d'entre elles seront mises en oeuvre par voie réglementaire. D'autres ne pourront l'être avant la fin de la mandature, mais serviront au prochain Président de la République, quel qu'il soit. Le peuple, au nom duquel la justice est rendue, a ainsi son mot à dire.

J'espère, au cours de mes déplacements, vous voir participer aux états généraux. Je ne suis pas un conférencier, je cherche des idées pour les mettre en oeuvre, même si le calendrier électoral ne me permettra pas d'intervenir sur le plan législatif.

Madame Dominique Vérien, les frais de justice financent les dépenses de procédure et d'investigation. Ainsi, 648 millions d'euros y sont consacrés dans le cadre du PLF pour 2022, soit une hausse de 158 millions, qui correspond à 32 % en deux ans. Notre objectif est triple : mettre fin à la sous-budgétisation, améliorer l'attractivité des métiers de la justice et rationaliser le recours aux frais de justice.

Vous avez par ailleurs mentionné la PNIJ. Celle-ci a déjà permis, hors coûts d'investissement, de réaliser 20 millions d'euros d'économies liées aux frais d'interception. Nous espérons encore gagner 20 millions d'euros supplémentaires grâce à l'internalisation des fonctionnalités de géolocalisation.

Ensuite, les « points-justice » sont des lieux d'accès gratuit au droit situés au coeur des territoires. On y juge certaines infractions et les délégués du procureur s'y déplacent. On en dénombre 2 000 sur le territoire qui bénéficient depuis le 1 er septembre 2021 du numéro unique 3039 pour améliorer leur accessibilité. Ils peuvent être implantés dans les centres communaux d'action sociale (CCAS), dans les maisons France Services ou encore dans les établissements pénitentiaires. Ils peuvent être ouverts à tous comme réservés à certains publics, par exemple les personnes hospitalisées ou les détenus. Des avocats, des huissiers de justice et des étudiants, dont certains sont issus de l'École nationale de la magistrature, y interviennent.

Sur le numérique, l'un de vos sujets de prédilection, j'avais déjà dit à Philippe Bonnecarrère que nous n'avions retenu, par souci d'efficacité, que certains projets sur la quarantaine initialement envisagés. Vous avez mentionné l'audit de la direction interministérielle du numérique : celle-ci a conclu au besoin d'une gouvernance resserrée autour d'un directeur de programme issu du terrain épaulé par un directeur technique provenant des services numériques. L'équipe de projet doit être limitée à 30 équivalents temps plein (ETP), il ne faut développer qu'un seul contentieux à la fois, et la gestion du projet doit s'axer sur des délais centrés sur des fonctionnalités métier livrées chaque trimestre, impliquant les juridictions. Je me tiens à votre disposition pour tout renseignement supplémentaire.

Nous progressons : le projet Portalis, sur son volet de numérisation des procédures prud'homales, est expérimenté à Bordeaux, Dijon et Nantes. Portalis CPH sera ainsi généralisé début 2022, et nous souhaitons que le contentieux du juge aux affaires familiales (JAF) soit mis à la disposition des tribunaux judiciaires d'ici à la fin de l'année 2022.

Monsieur Alain Marc, je n'ai pas encore de remontées consolidées sur le nombre de recours de détenus estimant subir des conditions de détention indignes, mais je vous les transmettrai dès que possible. Les parquets ne sont pas nécessairement saisis et il est difficile de répertorier ces procédures.

Vous m'avez interrogé sur le statut du détenu travailleur. Le projet de loi pour la confiance dans l'institution judiciaire réforme le fonctionnement du travail pénitentiaire, avec un rapprochement vers le droit commun. Le travail participe du renforcement des droits et de la dignité des personnes détenues.

Le projet de révision de la circulaire du 17 mai 2013 relative à la lutte contre la pauvreté en détention a pour objet d'améliorer la situation des personnes détenues et ex-détenues, et le PLF pour 2022 prévoit une enveloppe de 14,2 millions d'euros pour l'amélioration du statut du détenu travailleur et des conditions de détention.

Sur le suivi de la récidive, en 2020, 11,5 % des personnes condamnées pour un crime étaient en état de récidive légale. Pour les personnes condamnées pour un délit, 14,6 % étaient en état de récidive légale, et 27,1 % en réitération, soit un total de 41,7 %. Le taux de récidive est plus élevé pour les infractions liées aux atteintes aux biens, aux violences volontaires et en matière de stupéfiants. On observe une surreprésentation parmi les personnes condamnées à de la prison ferme : 47 % sont récidivistes et 37 % réitérantes. Il faudra du temps pour évaluer l'effet de nouvelles mesures, comme le module confiance et les structures d'accompagnement vers la sortie (SAS), qui s'ouvrent de plus en plus.

Un de mes combats est de faire revenir le travail en prison : il est passé de 50 %, il y a quelques années, à 29 %, et le taux est en train de remonter, même si la covid ne lui permet pas encore de reprendre toute sa place. J'ai des contacts directs avec des patrons de grandes, petites et moyennes entreprises. Nous avons mis en place un référent auprès des directions interrégionales des services pénitentiaires (DISP), pour que les dirigeants d'entreprise aient un interlocuteur, ainsi que la plateforme travail-prison.fr . Le travail en prison est triplement gagnant : pour le patron, qui y trouve des salaires peu élevés, pour le détenu, qui évite l'oisiveté et peut bénéficier d'une formation professionnelle, et pour la société, de par la diminution de la récidive.

Monsieur Antoine Lefèvre, je suis sensible à l'attention que vous portez aux crédits relatifs aux greffiers. Cependant, votre amendement laisse croire que rien n'a été fait en cinq ans. Je vous rappelle que nous avons réduit le taux de vacance des greffiers à 6 %, que 850 emplois ont été créés en cinq ans et que 1 200 renforts de greffe sont arrivés sur douze mois pour répondre aux besoins immédiats. Votre amendement est certes séduisant, mais trop ambigu pour recueillir le soutien du Gouvernement. En effet, il n'indique ni le niveau de recrutement souhaité ni l'impact attendu en termes d'emplois publics. Or, ce n'est pas moi qui vous l'apprendrai, on ne peut pas raisonner qu'en termes de crédits lorsqu'on parle de dépenses de personnels.

L'évolution des délais de jugement, le « stock » d'affaires en cours
- une expression que je n'aime pas, mais qui est d'usage... - constituent un marqueur du fonctionnement des juridictions, nous y sommes bien sûr très attentifs. Ces indicateurs illustrent aussi le poids de chaque contentieux dans l'ensemble et permettent une analyse exhaustive des affaires.

Quant aux délais en matière civile, je ne dispose pas encore des chiffres mesurant l'effet des personnels nouveaux que nous avons recrutés, mais je peux d'ores et déjà vous dire que nous avons des résultats encourageants. Les contrats d'engagement seront tenus, c'est un contrat moral avec les magistrats qui siègent au civil.

S'agissant de l'exécution du budget, je peux vous assurer que nous faisons un bon usage des crédits, et nous dépenserons quasiment l'intégralité de ceux que vous voterez - il est normal que nous dépensions un peu moins, car vous nous accordez un plafond, et non un plancher de dépenses. En 2021, nous atteignons un niveau d'exécution inégalé, à savoir 68 % en septembre, soit quatre points de plus que l'an passé : c'est la preuve d'une consommation de crédits dynamique et d'une activité intense des services de la Chancellerie, que je remercie chaleureusement.

L'ouverture de centres éducatifs fermés (CEF) progresse. Dans le secteur public, un centre, lancé en 2019 à Bergerac, devrait ouvrir l'an prochain ; deux autres l'ont été cette année à Lure et à Rochefort, pour une ouverture prévue en 2023 ou 2024 ; et nous prévoyons de lancer encore deux projets de CEF en 2022. Dans le secteur associatif, quatre CEF ont été lancés en 2019, le premier ouvrira à Épernay à la fin de l'année, un deuxième à Saint-Nazaire l'an prochain, et cinq autres devraient être livrés en 2023-2024. Deux autres projets seront probablement lancés en 2022, deux autres encore sont en suspens du fait d'oppositions locales - je lance un appel ici pour que les élus qui nous entendent se portent candidats, qu'ils surmontent les fantasmes qui présentent les CEF comme des lieux dangereux alors que ceux-ci sont les meilleures garanties contre la récidive des mineurs.

Enfin, les crédits dédiés à la réparation pénale n'ont pas diminué puisqu'ils s'établissent à 18 millions d'euros, soit 10 millions de plus que l'exécution attendue pour 2021.

M. Philippe Bas . - En regardant les budgets exécutés depuis 2017, nous avons observé que, entre 2018 et 2020, 378 millions d'euros votés n'ont pas été dépensés par le ministère, hors charges de gestion ; en 2021, le collectif budgétaire prévoit d'annuler 135 millions d'euros de crédits de paiement, auquel il faut ajouter les crédits non consommés qui devraient encore atteindre cette année 1 %, soit 100 millions d'euros. Vous le savez bien, pour mesurer précisément l'augmentation de votre budget, il ne faut pas se contenter d'additionner les crédits votés, mais ceux qui sont effectivement dépensés. Si nous nous réjouissons de voir les crédits augmenter, auriez-vous la loyauté de raisonner avec des chiffres exacts, pour nous dire quelle a été la hausse effective des crédits ?

J'évoquerai les places de prison ensuite. Les travaux réalisés à la Santé, aux Baumettes, à Aix, ont été lancés avant 2017, avec 2 049 places livrées à ce jour ; 654 places sont en cours de création et des marchés ont été notifiés pour 3 450 autres places, dont aucune ne sera livrée avant la fin du quinquennat. Au total, nous constatons que, pendant ce quinquennat, environ 2 800 nouvelles places de prison auront été livrées. Comment parvenez-vous à en compter 7 000, ce qui n'est du reste que la moitié de l'engagement pris par le Président de la République en 2017 ?

Mme Marie Mercier . - Un article récent paru dans Le Monde fait état d'un faible recours, dans le cadre des violences intrafamiliales, au bracelet anti-rapprochement, créé par la loi du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille. Il semble qu'un seul bracelet ait été utilisé à Paris, et un seul en Seine-Saint-Denis : qu'en est-il ? Comment l'expliquez-vous et pensez-vous y rémédier ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Je rejoins Philippe Bas : la réalité, ce sont les crédits effectivement dépensés, surtout quand la hausse continue deux années de suite et, par ailleurs, il faut dire que la justice française est l'une des plus mal dotées en Europe. Aussi, l'importance de la hausse « faciale » de ce budget peut obscurcir le débat sur les mesures elles-mêmes, sur le détail. L'analyse peut porter sur l'affectation des crédits, et nous parlerons du pilotage général de la justice - et l'on ne peut guère vous reprocher d'équiper les magistrats en moyens informatiques -, des nouvelles places de prison - je rejoins ici encore Philippe Bas -, ou encore de la justice judiciaire, pour laquelle on peut regretter que la hausse soit moindre que l'an passé. Quelle est la perspective pour la suite : au-delà des augmentations du jour, quelle est votre trajectoire budgétaire pour les prochaines années ? En d'autres termes, êtes-vous totalement satisfait de votre budget ?

M. Thani Mohamed Soilihi . - Je me réjouis de voir le budget de la justice augmenter dans ces proportions pour la deuxième année consécutive. La justice de proximité et l'accès au droit occupent une place importante ; les crédits de l'accès au droit progressent de 30 %. Quel bilan faites-vous des « point-justice », déployés depuis le début de l'année sur l'ensemble du territoire ? Comment leur déploiement va-t-il se poursuivre l'an prochain, en particulier dans les territoires ultramarins ? Vous avez cité des audiences foraines, avez-vous d'autres éléments sur l'accès au droit ?

Les députés ont institué une réserve de la protection judiciaire de la jeunesse, c'est une bonne nouvelle. La réserve a fait ses preuves dans d'autres domaines et elle confortera l'action de la PJJ : quels seront son montant et ses modalités de fonctionnement ?

Enfin, ce budget poursuit l'effort en matière de prévention de la récidive, en confortant en particulier les peines alternatives à l'incarcération. Dans le rapport d'information intitulé Insécurité à Mayotte : conjurer le sentiment d'abandon des Mahorais , que nous venons de publier et dont je vous recommande la lecture, nous avons mis au jour des possibilités nouvelles dans l'aménagement des peines à Mayotte, pour les mineurs comme pour les majeurs. La Chancellerie étudie-t-elle des pistes en ce sens ? Je vous signale au passage que nous sommes candidats à l'installation d'un CEF, structure particulièrement adaptée à notre territoire, où les jeunes de 17 ans et moins forment 60 % de la population et où la délinquance juvénile augmente de façon inquiétante...

M. Jean-Yves Roux . - Dans le rapport d'information intitulé Expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale : mieux organiser pour mieux juger qui avait été lancé à l'initiative de Nathalie Delattre et que nous avons publié en mars dernier avec mon collègue Jean Sol, nous proposons plusieurs pistes pour réformer l'expertise judiciaire, en particulier leur rémunération, laquelle ne prend pas du tout en compte le temps passé par les experts : ce budget en tient-il compte, et comment ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux . - Le questeur Bas m'a déjà posé la question sur les chiffres...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Il est obstiné...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux . - Moi aussi, et je lui ai déjà répondu, nous avons eu un échange respectueux, mais âpre. Je commencerai donc par rappeler que des annulations de crédits de plus de 100 millions d'euros ont été la norme sur la dernière décennie, et que nous ne faisons en réalité qu'annuler la réserve de précaution de 2021 - aussi je peux rassurer le questeur Bas : cette année, 8,1 milliards d'euros seront bel et bien dépensés.

Sur les établissements pénitentiaires, ensuite, puisque vous ne croyez pas aux documents dont j'ai parlé, je me ferai un plaisir de vous les communiquer.

M. Philippe Bas . - J'attendais plutôt des chiffres !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux . - Certes, mais les photos ont l'avantage de montrer les chantiers, chaque photo correspond à un chantier - vous pensez bien qu'elles ne sont pas truquées... J'ai déjà donné les chiffres, mais je peux vous les répéter : plus de 2 000 places sont déjà sorties de terre, dont celles du centre pénitentiaire de Lutterbach-Mulhouse, par exemple, qui permettent le transfèrement de 350 détenus, lesquels étaient jusqu'alors dans deux établissements vétustes. S'y ajoutent les 4 000 places réparties sur seize chantiers. Vous n'en tenez pas compte parce que cela vous arrange, mais vous verrez l'avancement des travaux, les bâtiments sortent de terre, les premiers coups de pelleteuse ont déjà été donnés et 1 000 places seront disponibles d'ici à la fin de l'année...

M. Philippe Bas . - Cela ressemble surtout à la fable de La Fontaine, La laitière et son pot au lait...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux . - Je préfère cela à ce que j'ai entendu hier de certains prétendants à la présidence de la République, qui proposent de construire des préfabriqués où seraient enfermés des détenus avec des bracelets électroniques, sans savoir quel personnel pénitentiaire viendra les surveiller... Puisque vous montrez votre scepticisme sur les chantiers en cours, je vous invite à m'accompagner lors de ma prochaine visite, parce que je n'hésite pas à chausser des bottes, et vous verrez ce qu'il en est. Nous avons quelque 8 000 places pour lesquelles les terrains ont été choisis ; d'autres établissements supplémentaires sont prévus, comme à Magnanville à l'horizon de 2025. Nous sommes donc en réalité au-delà de 15 000 places.

Je ne doute pas non plus, monsieur Bas, que vous n'ignorez pas que la covid-19 a retardé les choses - tous ceux qui font construire en ce moment le savent.

Pour résumer, et me répéter : oui, les 7 000 places verront le jour en 2022, et les 8 000 places supplémentaires d'ici à 2027. J'espère vous avoir convaincus, je vous répèterai ces chiffres chaque fois que vous me poserez cette question, et je sais que plus on avancera dans le temps, mieux vous verrez que je dis vrai.

Pour les bracelets anti-rapprochement, je rappelle que le garde des sceaux n'a pas à ordonner au juge d'utiliser tel ou tel outil de sanction pénale. Nous avons mis des bracelets anti-rapprochement à disposition de toutes les juridictions, le stock est reconstitué dès qu'il en manque. À Paris et dans les grandes villes, des difficultés pratiques dues aux fréquences utilisées en compliquent l'utilisation, ce n'est guère satisfaisant, mais on ne peut pas faire comme si la technique n'était pas là. Quoi qu'il en soit, ces bracelets n'ont pas vocation à rester dans les tiroirs, je l'ai répété, en particulier après l'affaire de Mérignac. Je constate que l'usage des bracelets anti-rapprochement s'est accéléré après la circulaire que j'ai prise en ce sens. En Espagne, où cet outil est utilisé depuis plus longtemps que chez nous, une période de latence avait été observée après le lancement du dispositif, il n'est pas interdit de penser qu'il en soit de même en France.

Suis-je satisfait de ce budget ? Avant de le présenter au Parlement, je l'ai exposé aux magistrats, dans le cadre des dialogues institutionnels, et des remerciements ont été très clairement exprimés. Les chefs de cour et de juridiction m'ont indiqué avoir utilisé les crédits nouveaux cette année, ils ont joué le jeu de l'embauche. Quant à l'expertise syndicale, le discours que j'ai entendu a été d'une autre tonalité : je ne proposerais que « des cacahuètes », après « les rustines » de l'an passé. Je préfère retenir les propos des magistrats, des conférences nationales ou du terrain ; je préfère voir que 30 % d'affaires en plus ont été jugées cette année grâce aux moyens supplémentaires - c'est mieux pour les justiciables. Alors, suis-je satisfait ? Vous me reprocheriez d'être satisfait de moi-même si je vous répondais par l'affirmative, mais j'avoue que je ne peux pas répondre par la négative...

Les « points-justice » dans les territoires ultramarins sont un sujet très important, parce que ces outils servent nos compatriotes les plus modestes et que nous voulons renforcer notre maillage territorial. Nous créons un conseil d'accès au droit en Nouvelle-Calédonie, un « point-justice » à Marie-Galante, un autre en Guyane, où nous doublons également les moyens alloués aux pirogues du droit - c'est dire si nous allons aux confins de la République pour y prôner l'accès au droit.

Mayotte est effectivement marquée par une délinquance très importante, notre réponse pénale y est forte, avec un quantum des peines qui augmente, alors que la maison d'arrêt de Majicavo, ouverte en 2015, connait déjà un taux d'occupation de 166 %. Je me rendrai en décembre à Mayotte, je veux discuter avec les interlocuteurs qui font la justice sur le territoire. Pour endiguer la surpopulation carcérale, il faut renforcer les transferts vers le centre de détention de La Réunion, et conduire une politique plus active de libération sous contrainte et d'aménagement de peine, avec la surveillance électronique, le placement extérieur, et le développement des travaux d'intérêt général (TIG), qui sont utiles à condition que les juges connaissent les travaux qu'ils peuvent faire faire.

Je me félicite que les députés aient, le 25 octobre dernier, adopté le principe d'une réserve de la PJJ. Cette réserve permettra de faire appel à des retraités de la fonction publique, à des citoyens volontaires ; les indemnités journalières seront prises sur le programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse ». Les réservistes assureront des missions de soutien dans le cadre d'actions éducatives auprès des mineurs concernés, ainsi que des actions de mentorat et de tutorat.

Enfin, je salue votre travail sur l'expertise psychiatrique, je peux dire très clairement qu'il m'a inspiré et qu'il a fait l'objet d'un traitement prioritaire dans ce budget, avec des revalorisations conséquentes des expertises - j'en ai fait l'annonce le 13 septembre dernier à Montpellier.

M. François-Noël Buffet , président . - Merci pour ces précisions, monsieur le garde des sceaux.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de la justice, direction de l'administration pénitentiaire

M. Laurent Ridel , directeur

M. Pierre Azzopardi , chef du service administration

Agence publique pour l'immobilier de la justice

MM. Sébastien Faure et Louis-Marie Gard , directeurs opérationnels

Contrôleur général des lieux de privation de liberté

Mme Dominique Simonnot , contrôleure générale

M. André Ferragne , secrétaire général

Organisations syndicales des personnels de direction

Mme Flavie Rault , secrétaire générale, et M. Jean-François Fogliarino , membre du conseil national, du Syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP-CFDT)

M. Sébastien Nicolas , secrétaire général, et Mme Lorraine Vin , directrice des services pénitentiaires au centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan, du Syndicat national pénitentiaire - Force ouvrière (SNP - FO) Direction

Organisations syndicales des personnels de surveillance et des personnels d'insertion et de probation

MM. Jean-François Forget , secrétaire général, et Pascal Urima , secrétaire général de la Région Pacifique, de l'UFAP-UNSa Justice

Mme Marion Bonneaud , M. Benjamin Bons et Mme Dorothée Dorleacq , secrétaires nationaux de la CGT Insertion-probation

M. Samuel Gauthier , secrétaire général de la CGT Pénitentiaire

MM. Yoan Karar , secrétaire général adjoint, et Jérôme Nobecourt , délégué régional de la direction interrégionale de Paris, du Syndicat national pénitentiaires FO Personnels de surveillance (SNP-FO-PS)

M. Joseph Paoli , adjoint au secrétaire national du Syndicat pénitentiaire des serveillants (SPS)


* 1 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20211108/lois.html#toc4

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