EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 17 novembre 2021, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 105 - Action de la France en Europe et dans le monde - de la mission « Action extérieure de l'Etat » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2022.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis. - Je souhaite tout d'abord adresser un hommage sincère aux personnels, titulaires, contractuels et agents de droit local, qui se dévouent depuis le début de la pandémie, sans retour vers leurs familles et leurs proches, pour porter au plus haut notre diplomatie et leur assurer notre reconnaissance. La pandémie et l'effondrement de l'Afghanistan ont montré à quel point leur engagement était essentiel, et a pointé les limites des politiques de restriction imposées depuis des années.
La stabilisation des effectifs du ministère se poursuivra en 2022 grâce à l'arrêt du programme « Action publique 2022 » visant la mutualisation et la réduction des fonctionnaires en poste à l'étranger, quel que soit leur ministère de rattachement. 12 millions d'euros sont prévus par le PLF pour faire face aux risques de change et d'inflation et 30 millions d'euros pour la revalorisation des métiers et carrières diplomatiques. Dans cette perspective, la création du corps des administrateurs de l'Etat ne doit pas fragiliser la capacité d'impact et de rayonnement de la diplomatie française. Et il faut trouver les conditions de modernisation de la fonction publique compatibles avec l'impératif d'une fonction publique diplomatique professionnelle et spécialisée. Trois conditions sont nécessaires :
- préserver la spécificité des concours d'Orient comme voie d'accès direct au Quai,
- améliorer les perspectives d'accès des secrétaires des affaires étrangères à l'encadrement supérieur du ministère
- et garantir la réalité du droit d'option qui sera proposé aux personnels.
J'en viens à la politique immobilière du ministère. Nous avons été entendus sur trois points cruciaux :
- la vente de biens pour entretenir le parc immobilier n'est plus considérée comme normale ;
- l'entretien du patrimoine immobilier fait désormais l'objet d'ouverture de crédits budgétaires, et bénéficie même cette année d'un apport non remboursable du compte d'affectation spéciale de 36 millions d'euros ;
- enfin et vous étiez un ardent partisan de cette évolution Monsieur le Président lorsque vous étiez rapporteur du programme 105, le ministère s'est doté de deux schémas pluriannuels de stratégie immobilière (SPSI), l'un pour l'administration centrale et les biens métropolitains, et l'autre pour le parc immobilier situé à l'étranger.
Là encore je me félicite que nos recommandations aient été suivies. Pour que ces évolutions puissent porter leurs fruits il faut :
- que le niveau des crédits de paiement inscrits annuellement soit de l'ordre de 80 millions d'euros ce qui correspond au besoin,
- que les autorisations d'engagement soient portées à un niveau encore supérieur. La programmation pluriannuelle de travaux rend nécessaire l'ouverture des autorisations d'engagement au bon niveau, en fonction des capacités de traitement des dossiers par les services et en fonction des SPSI dont le ministère s'est doté.
Nous sommes allés en mars faire un contrôle sur pièce et sur place des travaux menés dans le cadre du projet Quai d'Orsay XXI avec mon co-rapporteur André Gattolin. Nous en avons conclu que la fonction immobilière du ministère s'était professionnalisée, et qu'il convenait de lui donner les moyens de mener à bien ses missions.
Mes chers collègues, je vous propose d'adopter les crédits du programme 105.
M. André Gattolin, rapporteur pour avis. - Je m'attacherai essentiellement à la question des contributions internationales de la France aux grandes organisations mondiales, onusiennes et européennes notamment, parce qu'elles constituent une part très significative du programme 105. La quote-part de la France au budget de ces organisations a tendance structurellement à diminuer, en raison de nos résultats économiques au long cours et de la montée en puissance des pays émergents, passant pour le budget de l'ONU de 6,03% sur la période 2004 2006 à 4,43 % sur 2019-2021.
C'est un mouvement mécanique puisque le calcul de ces contributions obligatoires s'appuie sur le RNB par habitants, ce qui ne conduit pas à l'augmentation de notre quote-part. Pour rester dans le classement des 10 premiers contributeurs à l'ONU, il faudrait à l'avenir fournir un effort de plusieurs centaines de millions d'euros. Nous sommes au 9ème rang des contributeurs des agences onusiennes, avec une participation annuelle dix fois inférieure à la contribution américaine, 1er contributeur mondial avec 10,5 milliards d'euros par an. Arrivent ensuite l'Allemagne, au deuxième rang, avec une contribution près de 4 fois supérieure à la nôtre, puis, le Royaume Uni, le Japon, la Suède, la Norvège, le Canada, et les Pays-Bas. Notre classement en tant que contributeur devrait diminuer avec la progression de la Chine notamment. Cette évolution mécanique de nos contributions obligatoires a un impact négatif sur la capacité de la France à peser à l'avenir sur les orientations des organisations internationales. Un décalage important s'est créé au fil du temps et est perçu par nos partenaires comme par nos concurrents entre l'activisme diplomatique français et notre contribution réelle. Notre pays s'est retrouvé dans la gestion de certaines crises humanitaires 10 fois moins disant que nos partenaires européens. Notre capacité d'entrainement vis-à-vis de nos partenaires européens pourrait s'en ressentir cruellement, alors que nos OPEX requièrent leur participation et celle des organisations internationales, pour que l'action militaire aboutisse à des solutions politiques durables. Ça a toujours été un paradoxe de la France, qui consacre beaucoup d'argent aux opérations militaires. La gestion a posteriori des crises revient à nos partenaires moins engagés militairement.
Face à cette situation, en 2021, 20,2 M€ de contributions volontaires ont été inscrits sur le programme 105, parmi lesquels 17,2 M€ de mesures nouvelles, auxquelles s'ajouteront 9,6 millions de mesures nouvelles en 2022 pour porter ces contributions volontaires du programme 105 à 29,8 M€. C'est important et il faut le souligner, le détail de la répartition de ces contributions volontaires est donné dans l'essentiel que vous avez eu. Je souligne simplement que 20,3 millions d'euros sont dédiés au renforcement de la sécurité internationale et 2,3 millions d'euros au programme des jeunes experts associés.
Ces choix traduisent bien notre vision en faveur d'une approche coopérative et multilatérale, à un moment où le mouvement d'affaiblissement et de contestation du système multilatéral est en voie d'accélération, malgré le réengagement de l'administration Biden, et alors que la France est attendue sur ce sujet. Il me paraît donc souhaitable que cet effort soit renforcé grâce à deux recommandations.
Il s'agit tout d'abord de l'inscription de cet effort de nos contributions volontaires dans la durée. Lorsque des effets de change permettent de retrouver une marge de manoeuvre, elle ne doit pas intégralement captée par Bercy et bénéficier à la quote-part française. Que les gains ainsi réalisés permettent d'accroître l'influence française serait une mesure de bonne gestion.
La deuxième recommandation concerne la coordination des efforts des pays de l'Union européenne. Notre effort doit être conjoint entre pays européens, voire avec les États-Unis lorsqu'il s'agit d'objectifs partagés. La Chine est à la tête de 4 organisations onusiennes, ce qui est inhabituel dans l'histoire de l'ONU et pose question.
Nous devons pérenniser notre effort et renforcer nos coopérations. Notre effort ciblé sur quelques priorités à forts effets de levier pourrait être décuplé grâce à la coordination européenne. La France et l'Allemagne coordonnent d'ailleurs leurs interventions en faveur des jeunes experts associés des Nations unies. Cette coopération est d'autant plus importante que la Chine investit 20 fois plus dans ce domaine. Si les Européens ne regroupent pas leurs efforts, leur poids au sein des organisations internationales risque un déclin extrêmement rapide.
Enfin, comme mon collègue, je recommande un avis favorable de la commission sur les crédits que nous examinons ce matin.
Mme Michelle Gréaume. - Il est difficile de se satisfaire de la fin de la déflation des effectifs, alors que le Quai a fait face à la diminution de près de la moitié de ses agents en moins de 50 ans. La réforme du corps diplomatique qui conduit à la fusion dans le corps des administrateurs de l'État pose de réelles questions et l'on peut se demander à quoi ressemblera la prochaine génération des fonctionnaires du corps diplomatique. J'espère que la création de l'école diplomatique et consulaire soit à la hauteur des enjeux soulevés. Je vous rappelle que notre corps diplomatique est à la peine, certains postes ne sont pas pourvus, c'est le cas notamment à Glasgow. Le groupe communiste votera donc contre l'adoption de la mission « Action extérieure de l'État » et contre l'avis sur le programme 105.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Je remercie nos rapporteurs pour leurs analyses et les propositions formulées. Je rejoins toutefois ma collègue. Je trouve assez paradoxal d'envisager de se réjouir d'une stabilisation des moyens alors qu'une augmentation apparaît évidemment nécessaire. Nous voyons aujourd'hui que les équipes consulaires et diplomatiques sont en souffrance. On connaît nombre de burn-out de gens qui ont essayé de faire au mieux et qui ont cumulé des retards phénoménaux avec la fermeture des consulats pendant la pandémie et l'inadaptation des outils au télétravail. Nous devons avoir sur ces sujets une réflexion et devrions être plus revendicatifs pour soutenir ce réseau diplomatique qui fait des miracles. Nous observons des équipes qui sont a minima et qui continuent à fonctionner et à donner une belle image de notre pays. Il me semble que nous devons les aider en dénonçant le manque de moyens, ce que nous avons déjà fait. Cependant dénoncer en votant le budget année après année n'est peut-être pas la meilleure façon de procéder.
Je voulais également signaler que je suis en désaccord avec le terme de rapatriement, utilisé pour les 370 000 Français qui sont rentrés en France lors de l'épidémie. Cela n'a pas été un rapatriement. Un rapatriement c'est lorsque l'on met les gens dans un avion et qu'on les ramène en France. Les Français qui se trouvaient à l'étranger ont tous acheter leur billet pour rentrer en France, parfois ils ont dû l'acheter plusieurs fois parce que les vols été annulés. Ils ont vu leur retour facilité par le réseau diplomatique mais il n'y a pas eu de rapatriement en tant que tel. Nous en avions discuté avec le ministre qui avait utilisé ce terme au départ, ce qui avait créé un mouvement de foule vers les consulats qui n'étaient pas en mesure de le gérer, faute d'avoir des avions à disposition.
Mon dernier point concerne la réforme en cours du réseau diplomatique. Il faut que nous fassions très attention. Nous avons un réseau diplomatique qui a fait ses preuves depuis très longtemps. Il ne faut pas casser ce qui marche. Je comprends la tentation qui consiste à montrer qu'une grande réforme est en cours, mais il convient d'être très attentif à la façon dont ceci va être mené. Être en poste à l'étranger, ce n'est pas être en poste en préfecture et en changer tous les trois ans. Quand on passe d'un poste comme Bagdad au Luxembourg, ce n'est pas du tout le même travail pour le diplomate qui est en charge du fonctionnement du poste. Je crois qu'il y a une spécificité diplomatique et j'encourage notre commission à être très vigilante à ce qui est fait dans la réforme en cours. Nous devrions la suivre de façon très précise. Nous avions un outil qui s'appelait l'administration numérique pour les étrangers en France (ANEF) qui a été supprimé, il a fallu trois ans pour trouver un nouvel outil qui n'est pas du tout satisfaisant. On a cassé un outil pour ensuite seulement se demander ce qu'on allait faire. Ne laissons pas casser l'outil diplomatique sans réfléchir d'abord à ce qui va en être fait, il est trop précieux et trop important pour nous.
M. Jean-Pierre Grand, rapporteur pour avis. - Je suis tout à fait d'accord, cette réforme du corps diplomatique nous préoccupe et c'est pour cela que nous avons énuméré trois conditions pour que la réforme soit encadrée. Nous savons qu'il nous faut être pugnaces, nous l'avons été sur d'autres sujets et nous avons été entendus. Notre commission, sous la direction de notre Président, l'est et elle obtient des résultats.
M. André Gattolin, rapporteur pour avis. - Après la diminution de 3 000 emplois depuis 2007, les effectifs sont stabilisés et 43 ETP seront créés en 2022, dont 40 apprentis. À cela s'ajoute les 30 millions prévus pour la valorisation des métiers et des carrières diplomatiques. Lorsque j'ai assisté à l'examen des crédits de la mission « Action extérieure de l'État » par la commission des finances, la tonalité était très différente, ce à quoi je ne m'attendais pas vu les efforts incroyables qui ont été faits et qui perdurent puisque 80 % des personnels en poste à l'étranger sont encore sur des horaires atypiques. Il y a eu un effort absolument incroyable des personnels et je trouve regrettable que nos collègues aient une vision aussi strictement comptable de quelque chose qui est essentiel par rapport à notre souveraineté et notre place au sein du concert international.
M. Christian Cambon, président. - Je voudrais abonder dans le sens de ce qui a été dit sur deux sujets. Je partage le sentiment exprimé sur la façon dont la commission des finances examine nos crédits, tant dans le domaine de la défense que dans celui des affaires étrangères. Il faut que notre commission garde sa totale indépendance dans son appréciation. Nous sommes libres d'exprimer notre vote. Nous faisons un travail différent du leur, et chaque commission doit pouvoir exercer ses compétences comme elle l'entend.
Je donne écho aux inquiétudes évoquées sur la réforme des grands corps de l'État. Les remarques faites pour le corps diplomatiques touchent aussi, à mon avis, le corps des préfets. Comme d'habitude, selon la formule hélas usée « quand ça marche, on pourrait faire en sorte que cela ne marche plus ». C'est un réflexe typiquement français. Je me fais l'écho de l'émotion qui agite le corps diplomatique, que ce soit d'anciens diplomates plus libres de parole, ou des diplomates en poste, qui espèrent que le Sénat prendra position sur ces sujets. Il y a une spécificité dans les métiers diplomatiques, des compétences indiscutables, une organisation du temps de travail, un dévouement personnel, l'acceptation de l'expatriation. Je cherche encore vainement la justification d'une telle réforme. C'est un sujet sur lequel nous devons approfondir notre réflexion.
M. Jean-Marc Todeschini. - Sur ce sujet, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères n'a pas pesé, c'est la ministre de la transformation et de la fonction publique qui a remporté les arbitrages. C'est vraiment un sujet qu'il faut regarder de près, nous serons très attentifs aux nominations après cette réforme. Cela va être une catastrophe pour la diplomatie française et un renforcement du fait du prince. Les hauts fonctionnaires sont là pour servir l'Etat et le gouvernement quel qu'il soit.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Pour illustrer ces propos, en 2017, le gouvernement avait suggéré la nomination de 21 consuls généraux. Les syndicats du Quai d'Orsay s'y étaient opposés très justement. Cela avait été d'autant plus mal reçu qu'un consul général est un chef d'équipe qui doit avoir de l'expérience. Cette mesure était tout à fait inhabituelle.