B. LES DISTINCTIONS JURIDIQUES ENTRE AGENTS PUBLICS SELON LE SEXE SONT AUJOURD'HUI MARGINALES
1. Le recrutement des agents publics : les concours distincts sont réduits à la peau de chagrin
De nombreux recrutements distincts entre hommes et femmes ont été supprimés par voie réglementaire. Il en va ainsi des corps des commissaires de police, des commandants et officiers de paix, des inspecteurs, des enquêteurs, des gradés et gardiens de la paix de la police nationale 28 ( * ) , ou encore des services déconcentrés de l'administration pénitentiaire 29 ( * ) .
Dans l'armée, c'est aussi par voie réglementaire qu'est inversé le principe du recrutement des femmes dans la fonction publique militaire. Jusqu'en 1998, l'accès des femmes aux différents corps de l'armée devait en effet être autorisé par un texte ; depuis le décret n° 98-86 du 16 février 1998, l'ensemble des corps des trois armes de droit est ouvert aux femmes. Des arrêtés motivés peuvent toutefois limiter leur accès pour certains corps.
Dans l'arrêt Martel du 29 décembre 1993, le Conseil d'Etat a sanctionné l'illégalité d'une disposition réglementaire établissant une discrimination entre hommes et femmes, pour l'accès au corps des officiers de l'air, qui n'est pas justifiée par la nature des fonctions ou les conditions de leur exercice.
Dans l'arrêt du 11 mai 1998 Mlle Aldige, le Conseil d'Etat a estimé que ni la nature des fonctions de commissaire de l'armée de terre ni les conditions particulières dans lesquelles ces fonctions sont exercées, ne justifiaient de limiter l'accès des femmes à 20% du recrutement annuel du corps.
En l'état actuel du droit, certaines spécialités militaires demeurent fermées aux femmes (soldats affectés dans les sous-marins, corps des fusiliers-marins).
Les dérogations à la mixité des concours ne concernent que le corps d'attachés d'éducation des maisons d'éducation de la Légion d'honneur et celui des gradés et surveillants des maisons pénitentiaires.
2. Les pensions : persistance de discriminations liées au sexe
Outre le domaine des recrutements, les pensions de retraite des fonctionnaires ne sont pas servies également selon que l'agent est un homme ou une femme.
Sans faire mention de toutes les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite qui diffèrent selon qu'elles s'appliquent aux hommes ou aux femmes, il peut être significatif d'en sélectionner une à titre d'illustration. Ainsi, l'article L. 38 du code des pensions permet à la veuve de bénéficier immédiatement d'une pension de réversion qui représente 50 % de la pension dont aurait bénéficié son mari. A l'inverse, l'article L. 50 n'autorise le veuf à percevoir une pension de réversion qu'à l'âge de 60 ans, et celle-ci est plafonnée à 37,5 % d'un traitement fixé 30 ( * ) .
Malgré les discriminations ainsi posées par la loi, le juge administratif a développé une interprétation plus conforme à l'égalité de traitement entre agents publics.
Dans trois décisions récentes, le Conseil d'Etat a été amené à s'interroger sur la comptabilité des dispositions du code des pensions civiles et militaires avec le droit communautaire, au regard du principe d'égalité des sexes.
• En mai 1999 31 ( * ) , le Conseil d'Etat a jugé que les pensions de réversion mentionnées à l'article L. 57 32 ( * ) devaient s'appliquer non pas en faveur des seules femmes, comme le veut le texte législatif, mais en faveur des conjoints, hommes ou femmes.
Comme l'indique le commissaire du Gouvernement : " l'effort consistant à lire " son conjoint " là où le législateur a écrit " sa femme " n'est pas négligeable ". En l'espèce, le Conseil d'Etat a estimé que le maintien de la référence à l'épouse, alors que tout commandait d'y substituer une référence au conjoint, ne résultait pas d'une volonté délibérée du législateur.
• En février 2000 33 ( * ) , le Conseil d'Etat a été d'avis que l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires 34 ( * ) n'était pas inconciliable avec les règles qui, dans le code des pensions civiles et militaires de retraite, sont plus favorables aux femmes qu'aux hommes, dès lors que ce code est distinct du statut général des fonctionnaires par son objet et son champ d'application.
Le Conseil d'Etat en a déduit que l'entrée en vigueur de la loi du 13 juillet 1983 n'avait eu ni pour objet ni pour effet d'abroger implicitement, pour les fonctionnaires civils de l'Etat, les dispositions du code des pensions civiles et militaires de retraite en tant qu'elles refusent aux hommes la possibilité de faire valoir immédiatement leurs droits à la retraite dans les mêmes conditions que les femmes 35 ( * ) .
• En juillet 1999 36 ( * ) , le Conseil d'Etat a saisi la Cour de Justice des Communautés européennes afin qu'elle se prononce sur la question de la nature des pensions de retraite servies aux fonctionnaires. Cette question préjudicielle est ainsi l'occasion de vérifier la conformité du droit positif français aux dispositions de droit communautaire sur l'égalité entre les sexes.
Le maintien de dispositions discriminatoires (souvent à l'encontre des hommes) dans le code des pensions civiles et militaires de retraite est donc fortement remis en question ces dernières années.
* 28 Décret n° 92-200 du 3 mars 1992 supprimant les corps des fonctionnaires des services actifs de la police nationale de la liste des corps pour lesquels un recrutement distinct peut être prévu pour les hommes et pour les femmes.
* 29 Décret n° 95-456 du 26 avril 1995.
* 30 37,5 % du traitement afférent à l'indice brut 580, soit 5.107 francs par mois. Voir Journal Officiel Questions, Assemblée nationale, 31 janvier 2000, page 720
* 31 Conseil d'Etat, 17 mai 1999, Le Briquir
* 32 L'article L. 57 définit les conditions dans lesquelles la pension de réversion peut faire l'objet d'une liquidation provisoire lorsque le fonctionnaire a disparu de son domicile sans que son décès soit établi.
* 33 Avis du Conseil d'Etat, 4 février 2000, M. Mouflin - Avis rendu par le Conseil d'Etat sur des questions de droit posées par un tribunal administratif ou une cour administrative d'appel, Journal officiel, 25 février 2000, page 2958
* 34 " Aucune distinction ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses, de leur sexe... "
* 35 3° du I de l'article L.24
* 36 Décision du 28 juillet 1999, M. Griesmar