EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mardi 18 mai 2021 sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission des affaires sociales a examiné le rapport pour avis de M. Jean Sol sur la proposition de loi tendant à revoir les conditions d'application de l'article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits, et sur la proposition de loi relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous examinons le rapport pour avis de Jean Sol sur deux propositions de loi relatives à l'irresponsabilité pénale et aux conditions de l'expertise en matière pénale.

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - Au mois de mars, notre commission a adopté, conjointement avec la commission des lois, un rapport sur l'expertise psychiatrique et psychologique. Ce rapport et les vingt préconisations formulées avec Jean-Yves Roux étaient le fruit de plus d'un an de travail sur la mission peu connue des experts psychiatres ou psychologues, entre justice et santé.

J'avais alors insisté sur les conditions de réalisation des expertises et les modalités d'exercice des experts, en soulignant un manque criant de moyens.

La proposition de loi relative aux causes de l'irresponsabilité pénale et aux conditions de réalisation de l'expertise en matière pénale, reprend les recommandations d'ordre législatif de ce rapport.

Elle sera discutée mardi 25 mai prochain en séance publique, conjointement avec la proposition de loi tendant à revoir les conditions d'application de l'article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits, déposée en 2020, par notre collègue Nathalie Goulet, également rapporteur pour la commission des lois.

Ces deux propositions de loi ont également été pensées en réaction à certaines affaires tragiques, et je pense ici à l'assassinat de Sarah Halimi et à l'émotion que cet acte antisémite a suscitée dans tout notre pays. La décision de la Cour de cassation sur ce drame a nourri les auditions que nous avons menées avec ma collègue.

La proposition de loi dont je suis l'auteur comporte neuf articles relatifs à l'expertise pénale. Cinq concernent l'expertise présentencielle et visent à concentrer l'expertise sur les seules causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de la responsabilité pénale (article 2) ; prévoir un délai maximal de deux mois après l'incarcération pour la réalisation de la première expertise, mesure qui était demandée par de nombreuses personnes que nous avons auditionnées (article 3) ; préciser l'exclusion de l'expertise psychiatrique de l'examen clinique de garde à vue (article 4) ; mettre le dossier médical à disposition de l'expert (article 5) ; mieux encadrer la possibilité pour les parties de solliciter une contre-expertise (article 6).

En matière post-sentencielle, trois articles prévoient la communication systématique par le juge d'application des peines des résultats des expertises aux experts chargés de l'examen des détenus et aux conseillers des services pénitentiaires d'insertion et de probation (article 7) ; une meilleure répartition des missions entre l'équipe chargée de l'évaluation pluridisciplinaire de dangerosité et l'expert post-sentenciel (article 8) ; la possibilité pour l'expert psychiatre post-sentenciel d'assurer les fonctions de médecin coordonnateur du détenu lors de sa sortie d'incarcération (article 9).

Le dernier article, article 10, prévoit lui une déclaration d'intérêts obligatoire pour les experts.

Sur ces articles, je vous propose trois amendements, élaborés en lien avec la commission des lois. Le premier, à l'article 4, préserve l'obligation légale d'expertise psychiatrique dans le cas des infractions sexuelles. Le second vise à prévoir à l'article 5 une transmission obligatoire du dossier médical sans passer par le juge. Le dernier, à l'article 10, renforce les obligations déontologiques en inscrivant un devoir de réserve sur les affaires en cours.

Enfin, l'article unique de la proposition de loi de Mme Goulet et l'article 1 er de la proposition de loi dont je suis l'auteur visaient à modifier l'article 122-1 du code pénal, selon des modalités différentes.

L'article 122-1 du code pénal pose le principe d'irresponsabilité pénale en cas d'abolition du discernement au moment des faits en raison d'un trouble psychique ou neuropsychique. Il prévoit en outre le cas d'une altération du discernement.

Mme Goulet souhaitait lever l'application des dispositions de cet article en cas de faute de l'auteur. Je souhaitais, pour ma part, inscrire que l'abolition du discernement ne pouvait être issue que d'un état pathologique ou d'une exposition contrainte aux effets d'une substance psychoactive. J'insiste sur le mot « contrainte ».

La commission des lois jugera de la formule la plus opportune à retenir ou de la pertinence d'une autre solution juridique. Je considère que ce débat doit avoir lieu.

Cependant, je tiens également, en tant que rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires sociales, à souligner deux principes fondamentaux en matière de justice, concernant l'état de la personne jugée. Car c'est bien de l'état de la personne, mental en l'occurrence, dont nous parlons.

Le principe d'irresponsabilité pénale doit être regardé comme un principe fondamental de notre droit pénal et s'inscrit dans la tradition humaniste de notre pays et le principe selon lequel « on ne juge pas les fous ».

Enfin, je rappelle que le droit à un procès équitable est un droit garanti par la Convention européenne des droits de l'homme et que nous devons toujours avoir à l'esprit que ne doivent être amenées à comparaître et à être jugées que des personnes en capacité de l'être au regard de leur état médical.

Voici, en quelques mots, l'éclairage que je souhaitais apporter devant notre commission. Je vous propose en conséquence d'adopter les trois amendements présentés aux articles 4, 5 et 10.

Mme Brigitte Micouleau . - Le 14 avril 1998 à Montrabé, en Haute-Garonne, un homme est entré dans un salon de coiffure et a assassiné la coiffeuse et son apprentie. Cet individu a été déclaré pénalement irresponsable. Depuis, le père de la victime, M. Christian Stawoski, se bat pour modifier l'article 122-1. L'avez-vous auditionné ? Pensez-vous que cet article sera modifié ?

M. Martin Lévrier . - Vous avez dit que vous souhaitiez, pour votre part, « inscrire que l'abolition du discernement ne pouvait être issue que d'un état pathologique ou d'une exposition contrainte aux effets d'une substance psychoactive », et, également, qu'il ne fallait pas juger les fous. Faut-il comprendre que l'abus de substances psychoactives ne rend pas fou ?

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - Nous avons bien auditionné M. Christian Stawoski. La question de savoir s'il faut ou non modifier l'article 122.1 est, en effet, au coeur du débat. Les magistrats que nous avons auditionnés ne sont pas favorables à une évolution de sa rédaction. La commission des lois se prononcera.

M. Alain Milon . - Les juges ont-ils la possibilité de juger l'acte sans juger l'acteur, ou bien se prononcent-ils d'abord sur la responsabilité de l'acteur ? Dans ce cas, si l'acteur est déclaré irresponsable, l'acte est-il jugé ?

Mme Laurence Rossignol . - Le Gouvernement déposera sans doute un projet de loi sur ce sujet, mais il ne semble pas encore prêt. Il est choquant qu'un acte antisémite avéré, comme l'assassinat de Sarah Halimi, puisse se conclure par le constat d'une irresponsabilité pénale de son auteur. Un consommateur de substances psychoactives ne pourrait dès lors plus être déclaré responsable au titre de l'article 122-1 du code pénal.

Toutefois, en santé publique, on considère que les alcooliques et les toxicomanes sont avant tout des malades. Si je comprends bien votre réflexion, un consommateur régulier de substances psychoactives qui développerait, de ce fait, une psychose cannabique serait responsable de la survenue de cette psychose, car il aurait consommé délibérément ces substances. Comment concilier cette position avec les préoccupations de santé publique ? Quid des personnes qui ont développé une addiction aux opioïdes ? Les toxicomanes sont-ils responsables de ce qu'ils consomment ?

Je crois enfin que nous devrions nous interroger sur les conditions de sortie de l'internement psychiatrique des personnes qui ont été déclarées pénalement irresponsables. Il y a là un angle mort. Dispose-t-on de statistiques sur le temps qu'elles passent en hôpital psychiatrique ? Comment leur sortie s'effectue-t-elle ? Selon quelles modalités ?

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - Monsieur Lévrier, ma proposition, à l'article 1 er , visait à distinguer l'exposition volontaire de l'exposition contrainte aux substances psychoactives et de l'état pathologique. Il s'agit ainsi de modifier l'article 122-1 du code pénal, mais les magistrats semblent considérer que la modification de sa rédaction ne changerait guère les choses. Je n'en suis pas totalement convaincu.

Monsieur Milon, la réforme de 2008 a ouvert une nouvelle possibilité dans le cadre de la déclaration d'irresponsabilité : dans certains cas, la chambre de l'instruction statue au cours d'une audience publique et contradictoire. La justice peut reconnaître qu'il existe des charges suffisantes d'avoir commis les faits reprochés à l'encontre de la personne reconnue pénalement irresponsable. Il s'agit d'une reconnaissance des faits commis en l'absence d'une condamnation pénale. Des mesures de sûreté peuvent aussi être décidées.

Nous avons demandé au garde des sceaux des statistiques sur les internements psychiatriques, mais nous ne les avons pas encore reçues.

Je partage votre analyse sur les conduites addictives et la difficulté d'apprécier si les personnes sont, ou non, dans un état pathologique. Avec Mme Goulet, nous avons abordé, dans nos auditions, la question des circonstances aggravantes, avec l'idée de les préciser et de les intégrer dans le texte.

Mme Laurence Rossignol . - Mme Goulet prépare des amendements. Il est difficile d'identifier les causes des maladies mentales. Un malade qui cesse de prendre son traitement psychiatrique verra-t-il sa responsabilité engagée ?

Mme Catherine Deroche , présidente . - Ces questions sont fort complexes. Il n'est pas toujours aisé de faire la distinction entre ce qui relève d'addictions, de pathologies, etc . Nous ne devons pas légiférer en nous fondant uniquement sur l'affaire Halimi si l'on veut que notre travail soit durable.

Mme Goulet proposera un amendement en commission des lois pour rédiger ainsi l'article unique de la proposition de loi tendant à revoir les conditions d'application de l'article 122-1 du code pénal sur la responsabilité pénale des auteurs de crimes et délits : « Lorsque le juge d'instruction, au moment du règlement de son information, estime que l'abolition temporaire du discernement de la personne mise en examen résulte, au moins partiellement, de son fait fautif, il renvoie devant la juridiction de jugement compétente qui statuera sur l'application de l'article 122-1 du code pénal et éventuellement sur la culpabilité. » C'est un compromis entre ce que souhaitaient les magistrats et l'idée des auteurs de la proposition de loi. Le garde des sceaux avait annoncé une loi, mais on ne sait pas où il en est.

Mme Catherine Procaccia . - Merci à notre rapporteur pour sa clarté, la psychiatrie est un sujet complexe. Vous avez fait part des réserves des juges face à toute modification. En tant que parlementaire, j'ai le sentiment que les juges sont toujours réticents à ce que l'on empiète sur leur pouvoir. Mais si la loi est mal interprétée, c'est qu'elle est mal faite ! Dans l'affaire Halimi, la Cour de cassation a opéré un revirement de jurisprudence spectaculaire. Je comprends que les juges souhaitent conserver leur liberté, mais cela ne doit pas empêcher le législateur d'intervenir !

M. Alain Duffourg . - L'article 122-1 du code pénal est ancien, et il est bon de le maintenir. En revanche, le renvoi devant une juridiction de jugement lorsque le juge d'instruction estime que l'abolition temporaire du discernement de la personne résulte, au moins partiellement, de son fait fautif me semble une bonne mesure. Nous ne devons pas nous focaliser sur l'affaire Halimi. Les juges de la Cour de cassation ont jugé le droit, pas les faits. Évitons donc les amalgames, même si la presse s'est saisie de l'affaire.

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - Il faut rappeler la chronologie : notre mission d'information sur l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale a commencé ses travaux il y a plus d'un an. Arrivés à son terme, nous avons déposé cette proposition de loi, car la question de l'abolition et de l'altération du discernement nous semblait centrale. Il faut aussi se mettre à la place des victimes.

Nous voulons aussi revoir les conditions matérielles dans lesquelles les experts psychiatres travaillent : faible rémunération, effectifs peu nombreux - à peine 350 inscrits auprès de la cour d'appel -, et ils ont du mal à réaliser toutes les expertises demandées, d'autant plus que les juges demandent souvent plusieurs expertises. Notre travail n'avait initialement aucun lien avec l'affaire Halimi, mais la parution de notre rapport a été concomitante avec l'arrêt de la Cour de cassation.

M. Bernard Jomier . - Je ne suis pas convaincu de la nécessité de changer la loi. Le dernier cas qui a posé un problème remonte à l'époque où M. Sarkozy était encore Président de la République. Une loi qui n'occasionne des situations insatisfaisantes que tous les dix ans n'est pas une si mauvaise loi que cela ! Ne ravivons pas non plus un conflit entre le pouvoir législatif et « l'autorité » - et non le pouvoir ! - judiciaire. Cette question a été réglée dans la Constitution de 1958. Le sujet de l'irresponsabilité pénale est complexe. Les facteurs qui entrent en jeu sont nombreux et la loi ne peut tout prévoir. Même si l'affaire Halimi est atroce, ne dévaluons pas la loi pour en faire un outil de communication à la suite de faits divers.

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - On compte 20 000 affaires classées sans suite, avec des personnes plus ou moins suivies sur le plan médical. Il y a là un vrai enjeu et nous devons trouver des solutions.

M. Bernard Jomier . - Voilà une vraie question !

Mme Catherine Deroche , présidente . - En effet !

Examen des articles

Article 4

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - La nécessité de concentrer l'objet de l'expertise psychiatrique lors de la garde à vue compte tenu de l'état de la personne et des circonstances d'un tel examen était l'une des recommandations portées dans le rapport d'information sur l'expertise psychiatrique et psychologique en matière pénale, que j'ai rédigé avec Jean-Yves Roux au nom des commissions des affaires sociales et des lois.

Une exception semble devoir être faite pour les infractions sexuelles, l'examen psychiatrique étant obligatoirement prévu aux termes de l'article 706-47-1 du code de procédure pénale, celle-ci pouvant être diligentée dès le stade de l'enquête. L'amendement COM-2 vise à intégrer ce cas.

L'amendement COM-2 est adopté.

Article 5

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - Souhaitant accroître l'information disponible à l'expert mandaté en vue d'évaluer l'état d'une personne, cet article prévoyait d'intégrer le dossier médical aux scellés. La transmission par l'intermédiaire du juge d'instruction des dossiers médicaux est source de complexité et fait l'objet d'un encadrement réglementaire destiné à réserver les droits des médecins et des établissements ayant pris en charge un malade et susceptibles d'être mis en cause. L'amendement COM-3 remplace le dispositif par un mécanisme de transmission des documents de médecin à médecin, sans passage par le juge, lequel pourra toujours recourir à la saisie des documents nécessaires à l'instruction selon les formes prévues par le code de procédure pénale. Cela correspond à une demande des médecins et des experts psychiatres, pour qui récupérer les dossiers médicaux s'apparente souvent à un parcours du combattant.

L'amendement COM-3 est adopté

Article 10

M. Jean Sol , rapporteur pour avis . - L'amendement COM-4 vise à compléter les obligations déontologiques des experts par un devoir de réserve en prévoyant explicitement qu'aucun expert ne peut s'exprimer sur une affaire en cours. Il s'agit d'éviter les commentaires stériles de toutes natures dans les médias, avant que la justice ne se soit prononcée.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Cela pourrait valoir pour d'autres professions !

L'amendement COM-4 est adopté

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