Avis n° 143 (2020-2021) de M. Jean-Raymond HUGONET , fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, déposé le 19 novembre 2020
Disponible au format PDF (942 Koctets)
Synthèse du rapport (461 Koctets)
-
I. LES CRÉDITS CONSACRÉS À
L'AUDIOVISUEL DANS LE BUDGET DE L'ÉTAT
-
II. L'ANALYSE DES CRÉDITS PAR
OPÉRATEURS
-
A. FRANCE TÉLÉVISIONS : UNE
ANNÉE 2021 DIFFICILE MARQUÉE PAR UNE
« MARCHE » IMPORTANTE DE LA TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE
-
B. ARTE FRANCE : UNE PRIORITÉ AUX
PROGRAMMES CONTRARIÉE PAR LA BAISSE DE LA RÉSSOURCE
PUBLIQUE
-
C. RADIO FRANCE : UN NOUVEAU RETARD DU
CHANTIER QUI ACCROÎT LES INTERROGATIONS POUR 2022
-
D. L'INA : UN RAPPROCHEMENT TOUJOURS
NÉCESSAIRE AVEC LES AUTRES ACTEURS DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC
-
E. FRANCE MÉDIAS MONDE : UN
MÉDIA EXPOSÉ DANS UN MONDE DE CONFRONTATIONS
EXARCERBÉES
-
F. TV5 MONDE : LE LANCEMENT RÉUSSI DE
LA PLATEFORME TV5 MONDE PLUS
-
A. FRANCE TÉLÉVISIONS : UNE
ANNÉE 2021 DIFFICILE MARQUÉE PAR UNE
« MARCHE » IMPORTANTE DE LA TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE
N° 143 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020 |
AVIS PRÉSENTÉ
au nom de la commission de la culture, de
l'éducation
|
TOME IV Fascicule 1 MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES : Audiovisuel et avances à l'audiovisuel public |
Par M. Jean-Raymond HUGONET, Sénateur |
(1) Cette commission est composée de : M. Laurent Lafon, président ; M. Max Brisson, Mmes Laure Darcos, Catherine Dumas, M. Stéphane Piednoir, Mme Sylvie Robert, MM. David Assouline, Julien Bargeton, Pierre Ouzoulias, Bernard Fialaire, Jean-Pierre Decool, Mme Monique de Marco, vice-présidents ; Mme Céline Boulay-Espéronnier, M. Michel Savin, Mmes Marie-Pierre Monier, Sonia de La Provôté, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jérémy Bacchi, Mmes Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Toine Bourrat, Céline Brulin, Nathalie Delattre, M. Thomas Dossus, Mme Sabine Drexler, MM. Fabien Genet, Jacques Grosperrin, Abdallah Hassani, Jean Hingray, Jean-Raymond Hugonet, Mme Else Joseph, MM. Claude Kern, Michel Laugier, Mme Claudine Lepage, MM. Pierre-Antoine Levi, Jean-Jacques Lozach, Jacques-Bernard Magner, Jean Louis Masson, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Philippe Nachbar, Olivier Paccaud, François Patriat, Damien Regnard, Bruno Retailleau, Mme Elsa Schalck, M. Lucien Stanzione, Mmes Sabine Van Heghe, Anne Ventalon, M. Cédric Vial. |
Voir les numéros : Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500 Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021) |
AVANT-PROPOS
La crise sanitaire a plongé l'audiovisuel public dans une situation tout à fait inattendue. L'année 2020 devait, en effet, être celle de la « grande loi » audiovisuelle, attendue au moins depuis 2012.
Les médias - privés et publics - espéraient que cette loi serait l'occasion de revenir sur la dissymétrie des conditions de concurrence entre des chaînes historiques soumises à une réglementation très contraignante et les nouveaux acteurs largement dispensés de toute obligation. Or seule la transcription de la directive SMA a permis de faire des progrès dans ce domaine à travers la mise à contribution des plateformes, la règlementation des chaînes historiques n'a quant à elle pas été allégée.
Du côté de l'audiovisuel public, la dispersion des moyens à travers plusieurs sociétés a été pointée depuis plusieurs années comme un facteur d'inefficacité pour créer une offre véritablement accessible sur tous les supports et notamment sur le numérique. L'absence de pilotage stratégique commun constitue, par ailleurs, une des raisons des difficultés anciennes rencontrées pour développer des coopérations entre ces différents acteurs publics dont témoignent le lancement laborieux des matinales communes à France 3 et France Bleu et l'audience toujours limitée de la chaîne France Info.
Une nouvelle gouvernance devait donc être établie afin de permettre un véritable pilotage stratégique de l'audiovisuel public. Cette nouvelle gouvernance devait s'accompagner d'une réforme de la contribution à l'audiovisuel public (CAP). On peut rappeler à cet égard que l'ancien ministre de la culture Franck Riester avait assuré il y a deux ans que cette réforme de la CAP interviendrait dans le PLF 2021 « au plus tard » .
Tout cet édifice a été mis à bas à l'occasion de la crise sanitaire. Le projet de loi audiovisuel a été remisé tandis que la réforme de la CAP a été peu ou prou renvoyée à 2023 puisque, selon la ministre de la culture : « il n'y a pas d'urgence » . La CAP, qui est devenue aujourd'hui une taxe injuste à laquelle échappent de nombreux concitoyens qui ne sont pas les moins friands de programmes de l'audiovisuel public, sera donc reconduite en 2021 avec un tarif inchangé de 138 € en métropole et 88 € dans les Outre-mer.
L'ambition de la majorité au cours de ce quinquennat pour l'audiovisuel public aura donc été limitée à une trajectoire budgétaire déclinante visant à réduire de 190 M€ les moyens de l'audiovisuel public sur la période 2018-2022. En 2021, la diminution de la ressource représentera 70 M€ (soit une baisse de - 1,85 % des crédits), le total des crédits de la mission s'établissant à 3,72 milliards d'euros (dont 3,23 Mds € de CAP et 488 M€ de prise en charge par l'État des dégrèvements).
Cette priorité donnée à la réduction des moyens budgétaires connaît aujourd'hui deux aménagements importants avec d'une part, une enveloppe de 70 M€ prévue par le plan de relance au bénéfice des entreprises de l'audiovisuel public et, d'autre part, la mise en chantier de cinq contrats d'objectifs et de moyens (COM) pour la période 2020-2022 qui devrait aboutir dans les semaines à venir.
La situation de chacun des opérateurs diffère en fonction de leurs propres contraintes, et notamment leur dépendance à leurs ressources propres. On peut néanmoins considérer qu'aucune des entreprises de l'audiovisuel public ne devrait se retrouver dans une situation périlleuse sur le plan financier, notamment du fait du plan de relance. Une vigilance devra cependant être exercée au regard des risques psycho-sociaux compte tenu de la très forte sollicitation des personnels depuis le déclenchement de la crise sanitaire.
Évolution des recettes publiques totales de l'audiovisuel public
Source : réponse au questionnaire budgétaire
I. LES CRÉDITS CONSACRÉS À L'AUDIOVISUEL DANS LE BUDGET DE L'ÉTAT
A. UN MAINTIEN DE LA TRAJECTOIRE BUDGETAIRE 2018-2022 ASSORTI D'UNE DOTATION EXCEPTIONNELLE POUR RÉPONDRE À LA CRISE SANITAIRE
1. Une trajectoire budgétaire maintenue pour économiser 190 M€ sur la période 2018-2022
Après avoir augmenté de plus de 100 M€ sur la période 2015-2017 puis baissé de 36,9 M€ en 2018, 35,9 M€ en 2019 et 69,3 M€ en 2020, une nouvelle baisse est prévue en 2021 à hauteur de 68,6 M€ HT (- 1,8 %). Sur la période 2015-2021, la baisse de la ressource publique s'établit à -109,2 M€ HT (- 2,9 %) ; elle s'établit à - 173,8 M€ HT depuis 2018. Une nouvelle baisse d'environ 15 M€ devrait intervenir dans le PLF 2022.
Alors que la trajectoire budgétaire prévoyait initialement une baisse de 80 M€ en 2021, celle-ci a été ramenée à 70 M€ pour tenir compte du maintien de France 4 jusqu'au mois d'août 2021. La baisse de la ressource représente - 60,8 M€ pour France Télévisions, - 8,2 M€ pour Radio France, - 2 M€ pour ARTE France, - 0,5 M€ pour France Médias Monde. Les moyens de TV5 Monde restent stables tandis que l'INA connaît une hausse de + 1,5 M€.
La baisse de la ressource publique s'est révélée être un puissant levier pour obliger les entreprises de l'audiovisuel public à engager une profonde transformation dans leur organisation . Elle constitue donc une décision légitime de l'actionnaire afin de répondre notamment aux préconisations de la Cour des comptes qui a régulièrement mis en évidence le poids trop important de la masse salariale par rapport aux programmes, compte tenu notamment des nouvelles méthodes de production permises par le numérique et des mutualisations envisageables.
2. Une dotation exceptionnelle de 70 M€ pour répondre au besoin créé par le confinement du printemps
Un soutien financier exceptionnel de 70 M€ a par ailleurs été prévu dans le cadre du plan de relance afin d'aider les entreprises de l'audiovisuel public. Cette mesure sera financée par des crédits budgétaires. Lors de l'audition de la DGMIC, il n'était pas encore décidé si ces crédits seraient prélevés sur le programme 363 du plan de relance ou s'ils transiteraient par la mission « Médias, livre et industries culturelles ».
La répartition de cette enveloppe devrait être la suivante :
- 45 M€ pour France Télévisions ;
- 15 M€ pour Radio France (et 5 M€ en 2022) ;
- 2 M€ pour ARTE France ;
- 2 M€ pour l'INA ;
- 0,5 M€ pour France Médias Monde ;
- 0,5 M€ pour TV5 Monde.
Cette enveloppe ne devrait pas suffire à compenser les charges occasionnées par le confinement du printemps et la chute de l'activité économique afférente, ce qui nécessitera un effort d'économies de la part des entreprises concernées . Par ailleurs, cette enveloppe a été calculée en juillet 2020 sans tenir compte de la perspective de « deuxième vague » à l'automne ; or les conséquences de cette dernière sur l'activité publicitaire et certains tournages sont déjà bien réelles. Cette contribution exceptionnelle constitue néanmoins une initiative nécessaire qui devrait permettre aux entreprises de l'audiovisuel public de préserver leurs équilibres financiers fondamentaux, les déficits prévus par certaines entreprises en 2020 ne s'expliquant pas principalement par la crise sanitaire.
B. UNE RÉFORME DE L'AUDIOVISUEL ABANDONNÉE EN PLEINE OFFENSIVE DES « GAFAN »
1. Un renoncement préjudiciable à l'avenir du secteur des médias français
L'abandon de la réforme de l'audiovisuel public dans ses deux dimensions indissociables, l'une financière pour garantir son indépendance à long terme, et l'autre organisationnelle afin d'assurer son autonomie stratégique, constitue une mauvaise nouvelle pour le secteur des médias. Elle constitue, par ailleurs, une déception pour tous ceux qui avaient soutenu le processus de réforme initié dès 2015 par les commissions de la culture et des finances du Sénat avec le rapport 1 ( * ) de nos collègues Jean-Pierre Leleux et André Gattolin.
Il convient de souligner que ce renoncement constitue d'abord un choix du Gouvernement et non une conséquence de la crise sanitaire. Non seulement ces deux réformes auraient pu être engagées plus tôt dans le quinquennat, mais il restait encore suffisamment de temps pour les mettre en oeuvre d'ici 2022. La crise sanitaire aura ainsi constitué un prétexte pour revenir sur une réforme qui avait été portée par le précédent ministre de la culture avec détermination. Le risque est grand aujourd'hui que le secteur audiovisuel doive attendre le prochain quinquennat pour connaître une réforme d'ampleur alors même que les grandes plateformes américaines ne cessent de développer et consolider leurs positions dans le paysage audiovisuel français et européen.
2. La préparation de nouveaux contrats d'objectifs et de moyens (COM) comme palliatif à une réforme d'envergure
Le ministère de la culture a mis en chantier cinq mini-contrats d'objectifs et de moyens (« mini-COM ») pour la période 2020-2022 comprenant chacun cinq objectifs communs et cinq objectifs propres. Ces nouveaux COM seront synchronisés ce qui constituait une préconisation ancienne de notre commission. Comme le prévoit l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communiquer, les commissions compétentes auront six semaines à compter de la transmission des COM pour éventuellement formuler un avis.
Si on ne peut que saluer cette volonté de mieux coordonner les priorités des entreprises de l'audiovisuel public, il convient cependant de souligner que les résultats à en attendre ne sauraient être comparés à la création d'une véritable gouvernance commune qui seule permettrait de piloter au jour le jour des projets communs et des mutualisations . Par ailleurs, on ne peut que s'étonner que les syndicats n'aient pas été associés à ces travaux ; compte tenu de l'évolution du climat social dans le contexte de la crise sanitaire, il aurait pu être utile d'associer davantage les personnels à l'avenir de leurs entreprises.
C. UN MODÈLE ÉCONOMIQUE DES MÉDIAS PUBLICS À REPENSER
1. Une réforme de la CAP toujours indispensable
Le Gouvernement a prévu pour la deuxième année consécutive de renoncer au principe de l'indexation de la CAP (article 27 du PLF) afin de maintenir son tarif à 138 € en métropole et 88 € en Outre-mer. Alors que les usages évoluent depuis plusieurs années au bénéfice d'un recours croissant aux tablettes et autres téléphones connectés, la crise sanitaire a redynamisé le marché des téléviseurs qui sert de référence pour le paiement de la CAP. Le produit des encaissements ne baissera que de 15,8 M€ en 2021 pour s'établir à 3,231 Mds€ contre 3,246 Mds€ en 2020. Le montant des dégrèvements devrait quant à lui baisser plus significativement à 487,9 M€ contre 542,1 M€ en 2020.
Même si le produit de la CAP se maintient, il n'en demeure pas moins que le caractère injuste de cette taxe demeure, de nombreuses personnes consommant des programmes de Radio France ou des programmes de France Télévisions et Arte sur Internet sans s'acquitter de la CAP . Par ailleurs, la suppression programmée de la taxe d'habitation en 2023 rend nécessaire une réforme. On ne peut que réaffirmer la position constante de la commission depuis 2015 en faveur d'une « réforme à l'allemande » qui aurait pour effet de mettre l'ensemble des foyers à contribution et pas seulement ceux qui possèdent un poste de télévision.
2. Une réflexion sur la place des ressources propres des médias publics rendue nécessaire par la crise sanitaire
La crise sanitaire a particulièrement frappé les entreprises de l'audiovisuel public qui dépendent largement de leurs ressources propres. France Télévisions devrait ainsi constater en 2020 une baisse de ses recettes de publicité et de parrainage de - 44,1 M€ par rapport à sa prévision budgétaire. Radio France a dû arrêter son activité de concerts et de location de salles tandis que son activité de création de podcasts pour des tiers a également connu une baisse. Alors que les ressources propres constituent 30 % des moyens de l'INA, celui-ci a dû constater un manque à gagner de 8 M€ dans son budget rectificatif de juillet dernier. Cette baisse des ressources propres pourrait s'accentuer encore avec le deuxième confinement engagé cet automne .
Cette exposition aux aléas pose la question de la place que doivent occuper les ressources propres dans le modèle économique des entreprises de l'audiovisuel public . Comme l'a remarqué le représentant de l'UNSA à Radio France, le projet de l'entreprise repose largement sur le développement des ressources propres pour faire face au désengagement de l'État, ce qui a pris la forme, par exemple, d'un élargissement du champ des annonceurs sur les trois antennes publiques qui font de la publicité. Il en est de même pour France Télévisions avec l'élargissement du recours au parrainage en particulier en début de soirée. Outre que ces nouvelles ressources ne font pas partie de l'ADN du service public et accentuent la confusion avec les médias privés, la crise sanitaire a révélé qu'elles constituaient un facteur de fragilité important qui pouvait compliquer l'exercice de leur mission de service public puisque les nouveaux projets sont très dépendants de cette ressource pour leur mise en oeuvre.
La circonstance particulière de la crise sanitaire constitue donc un puissant motif pour demander à nouveau une clarification du modèle économique des entreprises de l'audiovisuel public . L'utilité du service public en période de crise justifie pleinement que son financement ne dépende pas de manière excessive de ressources propres aléatoires, ce qui justifie d'autant plus une réforme de la CAP pour s'assurer qu'elle demeure la ressource prédominante de ces entreprises. A terme, la suppression de la publicité sur les antennes publiques pour la réserver aux chaînes privées conserve toute sa pertinence.
Évolution des dotations des opérateurs de l'audiovisuel public
Source : réponse au questionnaire budgétaire
Répartition des crédits du plan de relance pour les opérateurs
(Action 5 du programme 363)
Source : réponse au questionnaire budgétaire
II. L'ANALYSE DES CRÉDITS PAR OPÉRATEURS
A. FRANCE TÉLÉVISIONS : UNE ANNÉE 2021 DIFFICILE MARQUÉE PAR UNE « MARCHE » IMPORTANTE DE LA TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE
1. Une baisse des ressources publiques rendue plus délicate par la crise sanitaire
France Télévisions apparaît particulièrement fragilisée par la situation actuelle. La trajectoire budgétaire a prévu de réduire ses moyens de 160 M€ sur la période 2018-2022, ce qui représente, selon la direction de l'entreprise, un effort de 400 M€ si l'on tient compte des investissements dans le numérique évalués à 100 M€, de l'augmentation des salaires et des indexations contractuelles.
Dans ce contexte, la présidente de France Télévisions n'a pas caché que l'année 2021 serait « très compliquée » . L'entreprise devrait terminer 2020 en déficit à hauteur de 22,2 M€ sous réserve d'un impact négatif supplémentaire du reconfinement. On peut rappeler que la prévision de baisse des recettes publicitaires qui était de - 55,1 M€ en juillet a été ramenée à - 44,1 M€ dans la dernière reprévision d'octobre grâce à la reprise du marché publicitaire à l'occasion du déconfinement. France Télévisions a également bénéficié en 2020 de reports de charges du fait du retard dans le lancement de Salto et du report des Jeux olympiques de Tokyo qui ont permis de réduire les coûts.
A contrario le coût des JO de Tokyo pèsera sur les comptes de 2021 alors que l'entreprise devra également commencer à amortir le coût des JO de Paris 2024 et assumer le coût du maintien de France 4 jusqu'en août 2021 (20 M€). La direction de l'entreprise considère que les 45 M€ du plan de relance ne permettront pas de compenser intégralement les charges nouvelles et les moindres recettes occasionnées par la crise sanitaire qu'elle évalue à 65 M€.
Dans le même temps, France Télévisions devra absorber une baisse de 60 M€ de sa dotation publique - soit 2,421 Mds€ - au titre de la trajectoire budgétaire 2018-2022. Or l'arrêt de France Ô ne devrait permettre en 2021 d'économiser que 4 à 5 M€. Et l'arrêt programmé de France 4 ne produira des économies qu'en 2022. Le groupe de télévision publique mise donc sur le succès de son plan de départs pour faire baisser la masse salariale de manière significative d'ici 2023. Dans l'immédiat, une baisse du coût des antennes de 51,4 M€ par rapport aux prévisions budgétaires a été décidée pour limiter le déficit en 2020.
2. Une transformation de l'entreprise contrariée par la crise sanitaire
L'effort de transformation est contrarié par la crise sanitaire qui complique la mise en oeuvre des formations et des mesures d'accompagnement prévues dans le cadre du plan de départs. Ce retard a eu pour conséquence de diviser par deux le coût de la transformation en 2020 et donc de dégager une économie de 1 M€.
À ce jour, l'entreprise indique que 238 salariés se sont manifestés pour un départ en 2020. Les effectifs devraient s'établir à 9 039 ETP en 2020 pour atteindre 9 000 ETP en 2021, 8 735 ETP en 2022 et 8 570 ETP en 2023.
3. Des interrogations persistantes sur la stratégie éditoriale
L'entreprise met en avant ses bonnes audiences (30 % de part d'audience) notamment pour l'information avec les journaux télévisés ainsi que la diversification de son offre avec les plateformes Lumni et Okoo destinées à la jeunesse.
Pour autant, la suppression de France 4 apparaît contradictoire avec la volonté de renforcer la diffusion et l'appropriation des valeurs républicaines. Les syndicats de France Télévisions ont estimé lors de leur audition que la prolongation d'un an constituait une manoeuvre « dilatoire » , que le linéaire et le numérique pouvaient tout à fait coexister d'autant plus que la population n'était pas mûre pour un basculement total.
Par ailleurs, des faiblesses demeurent avec une difficulté persistante à retirer des revenus à l'exportation des créations financées par le groupe, les performances très modestes de la chaîne France Info, le déploiement toujours laborieux des matinales communes à France 3 et France Bleu et l'échec du développement d'une plateforme SVoD propre au groupe public qui a dû se résoudre à créer une offre commune Salto avec TF1 et M6 au risque d'accroître encore le manque de différenciation entre audiovisuel public et privé.
La rentrée de septembre aura néanmoins été l'occasion pour le groupe public de surprendre favorablement avec des créations originales à l'image de la mini-série Laëtitia ou de la collection consacrée au général de Gaulle.
B. ARTE FRANCE : UNE PRIORITÉ AUX PROGRAMMES CONTRARIÉE PAR LA BAISSE DE LA RÉSSOURCE PUBLIQUE
1. Des efforts de gestion nécessaires pour maintenir l'équilibre du financement de la chaîne franco-allemande
Arte France a été peu impactée par la crise sanitaire du fait du poids limité des ressources propres dans son modèle économique. Sa dotation s'élèvera en 2021 à 273,3 M€ HT, en baisse de 2 M€. Cette diminution des moyens ne sera pas sans conséquence sur l'investissement dans les programmes inédits (le volume des inédits devrait revenir à 965 heures en 2020 contre 993 heures en 2019) à un moment où la chaîne franco-allemande souhaite poursuivre son développement européen et le déploiement de sa plateforme numérique.
Arte France devra poursuivre son programme d'économies afin de dégager des marges de manoeuvre qui lui permettront de préserver la parité dans le financement du GEIE. La dotation de 2 M€ du plan de relance devrait permettre en particulier de compenser les surcoûts occasionnés par la crise sanitaire sur les coûts de production.
2. Une offre toujours plus accessible sans céder sur la qualité
Le nouveau président d'Arte France, Bruno Patino, entend poursuivre la politique éditoriale de la chaîne qui lui a permis de porter son audience à 2,8 % en France sur la TNT et de développer une proposition éditoriale autonome sur la plateforme numérique (67 % de contenus de la plateforme ne sont pas issus de la chaîne linéaire). Arte France vise à « poursuivre l'accroissement de son niveau d'accessibilité sans baisser son niveau d'exigence » comme l'indique son président.
3. Une chaîne franco-allemande de plus en plus européenne et innovante
Chaîne du récit et de l'imaginaire, Arte France souhaite développer la « co-création » européenne ce qui passe par une évolution de la réglementation des droits de la production au niveau européen. D'ores et déjà, la chaîne franco-allemande se distingue par le fait qu'elle possède les droits européens pour une diffusion en ligne sur 80 à 85 % de ses programmes ce qui doit lui permettre de lancer une offre délinéarisée dans au moins trois nouveaux pays européens dans les cinq années à venir.
Par ailleurs, une offre documentaire sur les grands enjeux européens doit être lancée à la fin du mois de novembre grâce à un financement européen.
C. RADIO FRANCE : UN NOUVEAU RETARD DU CHANTIER QUI ACCROÎT LES INTERROGATIONS POUR 2022
1. Une situation financière stabilisée en 2021
Radio France a également été affaiblie par la crise sanitaire au travers de ses recettes publicitaires mais aussi du fait de l'arrêt de ses activités de spectacles et concerts. L'aide du plan de relance qui représentera 15 M€ en 2021 et 5 M€ en 2022 doit permettre de faire face à ces aléas pour autant que le second confinement n'aggrave pas la situation sur le plan des ressources propres.
La dotation de Radio France connaîtra l'année prochaine une baisse limitée de - 1,36 % à 579,3 M€ HT (dont 10 M€ de subvention d'investissement) ce qui correspond à un effort de 8 M€ à fournir par l'entreprise. Si la trajectoire est toujours considérée comme difficile à suivre, la présidente de Radio France a estimé avoir été « parfaitement entendue » concernant les conséquences de la crise sanitaire sur l'entreprise en 2021.
2. Des incertitudes plus nombreuses à l'horizon 2022
Si la situation de l'entreprise apparaît plutôt maîtrisée pour 2021, la direction de l'entreprise ne cache pas que l'avenir est plus incertain. La crise sanitaire a occasionné au chantier de la Maison de la Radio un nouveau retard de six mois qui générera des coûts en termes de loyers (5 M€) pour les bâtiments qui accueillent actuellement des salariés déplacés. Les emménagements au sein de la Maison de la Radio pourraient commencer au début de 2023 au lieu de la mi-2022 comme prévu avant la crise sanitaire.
La mise en oeuvre du plan de départs volontaires qui doit concerner 340 salariés pourrait également connaître des difficultés puisque la crise sanitaire complique les procédures d'accompagnement ainsi que l'organisation des formations nécessaires pour réorganiser les équipes et accueillir les nouvelles recrues. Or ce plan est crucial pour agir sur la masse salariale et donc sur les équilibres financiers de moyen terme de l'entreprise.
3. Des succès d'audience qui n'effacent pas un malaise social croissant
Les derniers chiffres d'audience 2 ( * ) confirment le succès des programmes de la radio publique avec un million de nouveaux auditeurs en un an. Radio France obtient un résultat historique avec 29,3 % de part d'audience.
Alors que les personnels seraient en droit de se congratuler, c'est plutôt un sentiment d'épuisement pour ne pas dire de désarroi qui domine. Les syndicats continuent à dénoncer l'augmentation de la charge de travail suite à la politique de non-remplacement des départs ainsi que le développement de la précarité. Ils regrettent le report des négociations pour accompagner la transformation de l'entreprise en rappelant que les suppressions d'emplois devaient avoir pour contrepartie un réexamen des situations de travail.
Enfin, les syndicats de Radio France déplorent « une mainmise de France Télévisions sur la politique éditoriale de France Bleu » . La persistance de ces conflits de frontière entre sociétés de l'audiovisuel public constitue assurément une des conséquences les plus dommageables de l'abandon du projet de « maison commune » que portait le projet de réforme de la gouvernance.
D. L'INA : UN RAPPROCHEMENT TOUJOURS NÉCESSAIRE AVEC LES AUTRES ACTEURS DE L'AUDIOVISUEL PUBLIC
1. Un déficit conjoncturel en 2020 à résorber en 2021
L'Institut national de l'audiovisuel (INA), du fait de son importante activité commerciale (formation professionnelle, vente de contenus), devrait connaître suite à la crise sanitaire un résultat négatif en 2020 à hauteur de - 5 M€. L'objectif est de revenir à l'équilibre dès 2021 à travers un nouvel effort sur les charges qui s'appuiera en particulier sur le départ de 40 salariés à la retraite.
L'établissement public devrait pouvoir reconstituer en 2021 sa trésorerie grâce à la dotation de 2 M€ prévue par le plan de relance. La dotation publique devrait, pour sa part, atteindre 87,9 M€ HT grâce à une hausse de + 1,5 M€ destinée à compenser l'effort demandé à l'INA l'année dernière au bénéfice d'Arte France dans le cadre de la négociation budgétaire quadriennale d' Arte Deutschland .
2. Des coopérations à construire en dehors du projet de holding public
Le report de la réforme de la gouvernance de l'audiovisuel public aura pour conséquence de mettre un terme au projet de transformation de l'établissement public en société. L'INA souhaite néanmoins poursuivre son rapprochement avec France Télévisions et Radio France en matière de formations à travers la création d'une filiale commune.
3. Le lancement réussi de « Madelen » la nouvelle plateforme SVoD
L'actualité de l'INA reste marquée par le lancement réussi de sa nouvelle offre SVOD « MADELEN » au printemps dernier qui a déjà conquis 60 000 abonnés. L'établissement public démontre ainsi que même avec des moyens limités, il est possible pour un média public de se doter de sa propre plateforme SVoD avec des fonctionnalités au niveau des attentes des utilisateurs.
E. FRANCE MÉDIAS MONDE : UN MÉDIA EXPOSÉ DANS UN MONDE DE CONFRONTATIONS EXARCERBÉES
1. Des arbitrages douloureux entre nouveaux projets et préservation des zones de diffusion
La crise sanitaire a été pour France Médias Monde synonyme de surcoûts et de pertes de recettes pour 4,4 M€ mais également d'économies à hauteur de 8,8 M€ du fait de l'annulation ou du report de nombreux événements (Euro 2020, Sommet de la francophonie). Compte tenu des pertes enregistrées en 2019, l'entreprise doit encore faire face à un besoin de financement de 3,6 M€ qui nécessitera la poursuite de la réduction des réseaux de diffusion, des mutualisations d'activité notamment entre MCD et RFI et France 24, une contribution de l'AFD pour accompagner le développement des langues africaines ainsi qu'un surcroît de recettes publicitaires. Le surcoût occasionné par la crise sanitaire est estimé à 2,8 M€ en 2021.
France Médias Monde recevra en 2021 une dotation de 254,7 M€ HT, en baisse de 0,5 M€ par rapport à 2020 conformément à la trajectoire budgétaire 2018-2022. Une dotation exceptionnelle de 0,5 M€ est également prévue par le plan de relance.
2. Un effort de transformation porté sur des mutualisations ciblées
Afin de contenir la masse salariale qui représente 55 % des dépenses de l'entreprise, la direction de l'entreprise a mis en oeuvre un plan de départs volontaires qui concernera 30 salariés dans les rédactions arabophone (20 personnes), anglophone (7 personnes) et lusophone (3 personnes). Les postes ainsi libérés seront supprimés.
Le coût net de ce plan de départs sera de 6 M€ pour l'entreprise sachant que l'État prendra à sa charge un tiers de la dépense. Les indemnités ont été calculées pour être incitatives afin de tenir compte du fait que les journalistes concernés qui n'ont pas le nombre de trimestres requis pour valider leur départ en retraite avaient une employabilité faible du fait de la spécificité de leurs compétences.
3. Une action renforcée sur les réseaux numériques
France Médias Monde travaille avec la Deutsche Welle afin de répondre à un appel à projets de la Commission européenne destiné à développer un programme de lutte contre les infox en six langues pour un coût estimé à 2,5 M€.
Des médias dans la tourmente de la crise sur la laïcité ?
Les deux pôles de notre audiovisuel extérieur, France Médias Monde et TV5 Monde, subissent de plein fouet la crise que connaissent les relations entre la France et le « monde musulman » suite aux polémiques qui entourent la liberté d'expression et la publicité donnée aux caricatures de Charlie Hebdo. Les insultes et les menaces sont devenues récurrentes sur les pages des réseaux sociaux de ces sociétés et des craintes existent pour la sécurité des personnels sur le terrain. Les directions des entreprises concernées estiment légitimement que les conditions d'exercice de leur mission ne seront plus pleinement réunies dans de nombreux pays tant que cette crise perdurera.
F. TV5 MONDE : LE LANCEMENT RÉUSSI DE LA PLATEFORME TV5 MONDE PLUS
1. Une baisse de la ressource davantage ressentie que la crise sanitaire
Selon son directeur général, TV5 Monde a été davantage impactée en 2020 par la baisse de la ressource publique que par les conséquences de la crise sanitaire compte tenu du faible niveau des ressources propres (la baisse des recettes de publicité devrait représenter entre 1 et 1,5 M€). Les surcoûts liés aux protocoles sanitaires ont par ailleurs pu être au moins pour partie pris en charge par les 0,5 M€ du plan de relance. Des inquiétudes subsistent sur les recettes publicitaires en 2021 ainsi que sur les abonnements, de nombreux foyers en Amérique latine étant contraints par exemple de renoncer à s'abonner à la télévision du fait de la crise économique et sociale.
Si la contribution française au financement de la chaîne internationale francophone restera stable en 2021 à 76,15 M€ HT, les baisses décidées en 2018 et 2019 continueront cependant à produire leurs effets.
2. Une stabilisation des moyens en 2020 et 2021 accompagnée d'un plan d'économies
Les actionnaires de TV5 Monde se sont engagés à stabiliser les ressources pour 2021 et 2022, pour autant l'entreprise ne pourra pas se dispenser de rechercher des économies afin de permettre le renouvellement de certains de ses équipements techniques et de financer le lancement de la plateforme TV5 Monde +. Ces économies porteront sur la fermeture d'une chaîne au Brésil, la fin de certains sous-titrages et la suppression de trois journaux de nuit et de deux magazines. L'entreprise travaille également à un plan de réduction des effectifs.
Par ailleurs, des arbitrages ont été réalisés qui se traduiront par une perte d'audience évaluée à 30 millions de foyers en Italie, en Grèce et en Europe de l'Est. A contrario l'audience se développe fortement en Inde. On ne peut que déplorer que les nouveaux projets soient aujourd'hui financés par un rétrécissement des moyens de diffusion et in fine par le choix de moindres audiences en particulier en Europe et en Amérique du Nord.
3. TV5 Monde + : une plateforme francophone gratuite
TV5 Monde peut s'appuyer sur une stratégie numérique aboutie et ambitieuse avec la nouvelle plateforme TV5 Monde Plus, première plateforme « AVoD » francophone et gratuite. On ne peut toutefois que regretter que la France ait renoncé à financer ce projet qui s'appuie sur un financement spécifique apporté par le Canada à hauteur de 9,4 M€ sur cinq ans.
Le succès de la chaîne jeunesse Tivi 5 Monde en Afrique confirme par ailleurs le succès déjà rencontré en Amérique du Nord, rappelant toute l'utilité d'une chaîne jeunesse dans une offre de service public.
*
* *
En conclusion, nous avons aujourd'hui un désaccord majeur avec le Gouvernement qui porte sur son renoncement à réformer le secteur des médias, ce qui signifie d'abord son renoncement à lui permettre de préparer l'avenir. Mais nous avons aussi un accord qui n'est pas complètement mineur avec lui qui porte sur la nécessité de poursuivre les efforts de gestion tout en tenant compte de la situation exceptionnelle créée par la crise sanitaire. Sur ce plan, le rapporteur pour avis ne peut que saluer l'effort prévu par le plan de relance.
Dans ces conditions, votre rapporteur pour avis vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » du projet de loi de finances pour 2021 .
*
* *
Votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public » du projet de loi de finances pour 2021 .
TRAVAUX EN COMMISSION
MARDI 17 NOVEMBRE 2020
___________
M. Laurent Lafon, président . - Nous examinons ce matin le rapport pour avis de notre collègue Jean-Raymond Hugonet sur les crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis . - La crise sanitaire a plongé l'audiovisuel public dans une situation tout à fait inattendue.
L'année 2020 devait être celle de la « grande » loi audiovisuelle que nous attendons depuis au moins 2012. Une nouvelle gouvernance devait être établie afin de permettre un véritable pilotage stratégique de l'audiovisuel public. Cette nouvelle gouvernance devait s'accompagner d'une réforme de la contribution à l'audiovisuel public (CAP), dont Franck Riester nous avait assuré, il y a deux ans, qu'elle interviendrait dans le projet de loi de finances (PLF) 2021 « au plus tard ».
Tout cet édifice a été mis à bas à l'occasion de la crise sanitaire. Le projet de loi Audiovisuel a été remisé, tandis que la réforme de la CAP a été peu ou prou renvoyée à 2023 puisque, selon la ministre de la culture, « il n'y a pas d'urgence ». La contribution à l'audiovisuel public, qui est aujourd'hui devenue une taxe injuste à laquelle échappent de nombreux concitoyens qui ne sont pas les moins friands de programmes de l'audiovisuel public, sera donc reconduite en 2021, avec un tarif inchangé de 138 euros en métropole et de 88 euros dans les territoires ultramarins.
L'abandon de la réforme de l'audiovisuel public dans ces deux dimensions indissociables, l'une financière pour garantir son indépendance à long terme, l'autre organisationnelle, afin d'assurer son autonomie stratégique, constitue pour nous une déception puisque nous militons depuis 2015 pour cette rénovation indispensable. Ce renoncement constitue, non pas une conséquence de la crise sanitaire, mais un choix du Gouvernement. Non seulement ces deux réformes auraient pu être engagées plus tôt dans le quinquennat, mais il restait encore suffisamment de temps pour les mettre en oeuvre d'ici à 2022.
L'ambition de la majorité au cours de ce quinquennat aura donc été, je le crains, limitée à une trajectoire financière déclinante, visant à réduire de 190 millions d'euros les moyens de l'audiovisuel public sur la période 2018-2022. En 2021, la diminution de la ressource représentera 70 millions d'euros - soit une baisse de 1,85 % des crédits -, le total des crédits de la mission s'établissant à 3,72 milliards d'euros, dont 3,23 milliards d'euros au titre de la CAP et 488 millions d'euros au titre de la prise en charge par l'État des dégrèvements.
Cette priorité donnée à la réduction des moyens budgétaires connaît aujourd'hui deux aménagements importants qu'il convient de souligner.
Le premier aménagement concerne une enveloppe de 70 millions d'euros prévue par le plan de relance au bénéfice des entreprises de l'audiovisuel public. Le montant de cette dotation budgétaire exceptionnelle a été arrêté en juillet dernier, afin de compenser une partie des charges induites par le confinement du printemps. Ce montant ne tient donc pas compte du reconfinement de cet automne. À noter que ces 70 millions d'euros ne compensent aucunement la baisse de la trajectoire financière pourtant d'un montant équivalent. Ils viennent réduire le poids des charges supplémentaires créées par la crise sanitaire au travers de la baisse des recettes publicitaires, des hausses de coûts de production, des baisses de recettes issues de la billetterie... C'est la raison pour laquelle, France Télévisions et Radio France, qui bénéficient davantage de ressources propres, sont les principaux bénéficiaires de cette enveloppe.
Le second aménagement à cette approche comptable concerne la mise en chantier de cinq mini-contrats d'objectifs et de moyens (mini-COM), pour la période 2020-2022 comprenant chacun cinq objectifs communs et cinq objectifs propres. Si nous ne pouvons que saluer cette volonté de mieux coordonner les priorités des entreprises de l'audiovisuel public, je rappelle cependant que les résultats à en attendre ne sauraient être comparés à la création d'une véritable gouvernance commune, qui, seule, permettrait de piloter, au jour le jour, des projets communs et des mutualisations. Par ailleurs, nous ne pouvons que nous étonner que les syndicats n'aient pas été associés à ces travaux.
J'en viens maintenant à la situation des différents opérateurs. À l'issue des échanges que j'ai pu avoir avec l'ensemble des responsables, je crois pouvoir dire que leur situation est globalement satisfaisante compte tenu du choc que représente la crise sanitaire. Le fonctionnement des entreprises n'a pas été entravé durablement grâce aux plans de continuation. La mission de service public de ces médias a été, au contraire, accomplie et je souhaite féliciter les personnels et les dirigeants de ces entreprises pour leur engagement. Cela étant dit, le corps social de ces sociétés est aujourd'hui fatigué et les transformations en cours vont se poursuivre, ce qui crée un climat social particulier dans lequel ne domine ni la confiance ni la sérénité. Il ne faudrait pas, dans ces conditions, que l'arrêt des réformes soit perçu comme un désintérêt de l'actionnaire et crée en retour un sentiment de colère qui nuirait au devenir même de ces entreprises.
France Télévisions est probablement l'entreprise du secteur de l'audiovisuel public la plus fragilisée par la situation actuelle. La trajectoire budgétaire a prévu de réduire ses moyens de 160 millions d'euros sur la période 2018-2022, ce qui représente un effort de 400 millions d'euros si nous tenons compte des investissements dans le numérique, évalués à 100 millions d'euros, de l'augmentation des salaires et des indexations contractuelles. Dans ce contexte, la présidente de France Télévisions n'a pas caché que l'année 2021 serait très compliquée. Si l'entreprise devait terminer l'année 2020 avec un déficit à hauteur de 22,2 millions d'euros, sous réserve que le reconfinement n'alourdisse pas davantage la facture, elle reviendrait de loin puisque les prévisions au printemps étaient beaucoup plus pessimistes. Le rétablissement des recettes publicitaires lors du déconfinement du printemps et les économies réalisées ont permis de limiter les pertes. France Télévisions a également bénéficié, en 2020, de reports de charges du fait du retard dans le lancement de Salto et du report des jeux Olympiques (JO) de Tokyo qui ont permis de réduire les coûts.
A contrario le coût des JO de Tokyo pèsera sur les comptes de 2021, alors que l'entreprise devra également commencer à amortir le coût des JO de Paris 2024 et assumer le coût du maintien de France 4 jusqu'en août 2021, soit 20 millions d'euros. La direction de l'entreprise considère que les 45 millions d'euros du plan de relance ne permettront pas de compenser intégralement les charges nouvelles et les moindres recettes occasionnées par la crise sanitaire, qu'elle chiffre à 65 millions d'euros.
Dans le même temps, France Télévisions devra absorber une baisse de 60 millions d'euros de sa dotation publique, soit 2,421 milliards d'euros, au titre de la trajectoire financière 2018-2022. Or, l'arrêt de France Ô ne devrait permettre, en 2021, d'économiser que 4 à 5 millions d'euros. Et l'arrêt programmé de France 4 ne produira des économies qu'en 2022. Le groupe de télévision publique mise donc sur le succès de son plan de départs pour faire baisser la masse salariale de manière significative d'ici à 2023. L'effort de transformation est cependant contrarié par la crise sanitaire qui complique la mise en oeuvre des formations. Un impact sur les programmes est également inévitable, à travers un recours accru aux rediffusions et une baisse des émissions de flux.
Radio France a été également impacté par la crise sanitaire au travers de ses recettes publicitaires, mais également par l'arrêt de ses spectacles et concerts. Alors que l'inquiétude de France Télévisions porte sur 2021, celle de Radio France se concentre sur 2022. L'aide du plan de relance, qui représentera 15 millions d'euros en 2021 et 5 millions d'euros l'année suivante, peut expliquer cette relative confiance pour l'année à venir. La dotation de Radio France connaîtra l'année prochaine une baisse limitée de 1,36 %, à 579,3 millions d'euros hors taxe (HT), dont 10 millions d'euros de subvention d'investissement. La situation apparaît donc maîtrisée pour 2021.
L'avenir est plus incertain du fait du nouveau retard de six mois du chantier de la Maison de la Radio, occasionné par la crise sanitaire qui entraînera des coûts en termes de loyers pour les bâtiments accueillant actuellement des salariés déplacés. La mise en oeuvre du plan de départs volontaires, qui doit concerner 340 salariés, pourrait également connaître des difficultés, puisque la crise sanitaire complique les procédures d'accompagnement, ainsi que l'organisation des formations nécessaires pour réorganiser les équipes et accueillir les nouvelles recrues.
La chaîne ARTE a été moins impactée par la crise sanitaire du fait du poids limité des ressources propres dans son modèle économique. Sa dotation s'élèvera à 273,3 millions d'euros HT, en baisse de 2 millions d'euros. Cette diminution des moyens ne sera pas sans conséquence sur l'investissement dans les programmes, à un moment où la chaîne franco-allemande souhaite poursuivre son développement européen et le déploiement de sa plateforme numérique.
L'Institut national de l'audiovisuel (INA), du fait de son importante activité commerciale, devrait connaître un résultat négatif en 2020 qui était estimé, malgré les économies engagées, à un peu moins de 5 millions d'euros avant le reconfinement. L'objectif est de revenir à l'équilibre dès 2021, à travers un nouvel effort sur les charges qui portera en particulier sur les départs à la retraite. L'établissement public devrait pouvoir reconstituer sa trésorerie grâce à la dotation de 2 millions d'euros prévue par le plan de relance. La dotation publique devrait, pour sa part, atteindre 87,9 millions d'euros HT.
L'actualité de l'INA reste marquée par le lancement réussi de sa nouvelle offre SVoD, Madelen, au printemps, qui a déjà conquis 60 000 abonnés.
Je terminerai en évoquant notre audiovisuel extérieur et ses deux pôles, France Médias Monde et TV5 Monde. Si ces deux entreprises ont été peu impactées par la crise sanitaire, elles subissent par contre de plein fouet la crise que connaissent les relations entre la France et le monde arabe. Les insultes et les menaces sont devenues récurrentes sur les pages des réseaux sociaux de ces sociétés, et des craintes existent pour la sécurité des personnels sur le terrain. Nous ne pouvons que souhaiter qu'un apaisement soit trouvé pour que nos médias puissent accomplir sereinement leur mission.
Sur le plan des moyens, France Médias Monde recevra en 2021 une dotation de 254,7 millions d'euros HT, en baisse de 500 000 euros par rapport à 2020. L'enjeu pour l'entreprise est de réaliser des économies suffisantes pour compenser la perte occasionnée en 2019 par le financement du plan de départs. Ces efforts devraient à nouveau porter sur la diffusion, mais également sur des coopérations, notamment à travers la contribution de l'Agence française du développement (AFD), en faveur du développement des langues africaines.
Je terminerai par TV5 Monde. Si sa dotation reste stable en 2021, à 76,15 millions d'euros HT, les baisses décidées en 2018 et 2019 continuent à produire leurs effets. Des arbitrages sont intervenus afin de financer la priorité donnée au numérique et au développement en Afrique. Permettez-moi de saluer le lancement de la plateforme TV5 Monde Plus, première plateforme AVoD francophone et gratuite, ainsi que le succès de la chaîne jeunesse Tivi5 Monde en Afrique, qui confirme le succès déjà rencontré en Amérique du Nord.
Concernant notre audiovisuel extérieur, je déplore que les nouveaux projets soient aujourd'hui financés par un rétrécissement de nos moyens de diffusion et, in fine, par le choix de moindres audiences, en particulier en Europe et en Amérique du Nord. Je regrette également que l'État ne se donne pas les moyens de ses ambitions : c'est le Canada qui a financé pour l'essentiel la plateforme AVoD de TV5 Monde.
En conclusion, nous avons aujourd'hui un désaccord majeur avec le Gouvernement qui renonce à réformer le secteur des médias, et par là même à préparer l'avenir. Mais - et c'est le musicien qui parle - nous avons aussi un accord avec lui, qui n'est pas complètement mineur, sur la nécessité de poursuivre les efforts de gestion tout en tenant compte de la situation exceptionnelle créée par la crise sanitaire. Je ne peux que saluer l'effort prévu par le plan de relance.
Au terme de cet examen, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».
M. David Assouline . - Je vous remercie pour ce rapport très complet, mais dont la conclusion est en contradiction avec l'exposé des faits. En effet, vous émettez un avis favorable à un budget qui est en baisse, alors même que l'ensemble du budget de la culture est en hausse - une hausse que nous ne pouvons que saluer.
Vous validez cette baisse, au moment où le secteur de l'audiovisuel est frappé de plein fouet par la crise sanitaire, entraînant une diminution des recettes publicitaires qui participent, de façon structurelle, au financement de l'audiovisuel public. C'est vrai pour Radio France, comme pour France Télévisions. Avant ce deuxième confinement, on avait estimé une diminution des recettes à hauteur de 45 millions d'euros. En outre, pour 2020, nous comptions déjà 70 millions d'euros de baisse dans la trajectoire budgétaire. Il ne m'aurait pas paru totalement fou d'annoncer, en cette période exceptionnelle, l'arrêt de la trajectoire prévue avant la crise. Or, c'est tout le contraire qui se produit : nous continuons à baisser de façon drastique le budget, alors même que les recettes publicitaires diminuent - avec une pression sur le personnel - et que la nécessité d'investir dans le numérique, sur fonds propres, devient de plus en plus forte, à défaut d'hypothéquer l'avenir de l'audiovisuel public.
Parallèlement, tout le monde s'accorde à dire que la crise sanitaire a démontré l'utilité du service public. Le symbole même de cette irrationalité, c'est bien la suppression de France 4 décidée par Bercy, en vue de réaliser quelques économies. Or cette chaîne se révèle, depuis le début de la crise, d'une grande utilité, notamment pour la diffusion de programmes éducatifs.
Nous avons contesté ici même le fait que les enfants étaient trop systématiquement installés devant une tablette. Nous savons tous que la tablette n'est pas la télévision - et, bien entendu, encore moins un livre. Le service public choisit des programmes plus contraignants que ce que les enfants peuvent trouver sur YouTube - et je ne parle pas des publicités diffusées en lien avec cette chaîne internet. Par ailleurs, Bercy se trompe. Certes, il va économiser quelque 5 millions d'euros, mais le personnel devra être replacé et les programmes pour la jeunesse diffusés sur d'autres chaînes. Bercy réduit le périmètre de la jeunesse, alors même que le privé se jette sur ce secteur, et que la BBC, qui était en retrait depuis un moment, a ouvert une chaîne jeunesse, qui se révèle être indispensable dans cette situation de crise. Les décisions de Bercy ne tiennent aucunement compte des orientations et des perspectives du service public.
Je pense également au meurtre de Samuel Paty. Il est important de disposer d'un vecteur qui s'adresse spécifiquement à la jeunesse, qui diffuse notre culture, notre éducation civique, morale et républicaine.
Je ne comprends pas, monsieur le rapporteur, que vous émettiez un avis favorable, alors que ces crédits sont en baisse, qui plus est dans une période de crise inédite.
Contrairement à ce qui avait été annoncé, aucun projet de réforme du financement par la CAP n'a vu le jour ; nous poursuivons donc un financement par la publicité, dont je rappelle que la perte des recettes se monte à 45 millions d'euros. De fait, nous entendons ici et là que le service public n'est pas en capacité de résister, non pas au privé, mais aux plateformes étrangères, qui abreuvent les jeunes et la population de tout et n'importe quoi.
Mon groupe ne votera pas ces crédits et j'appelle mes collègues, toutes étiquettes politiques confondues, à faire de même.
Mme Catherine Morin-Desailly . - Je commencerai par féliciter, au nom de mon groupe, notre rapporteur qui a excellemment posé le diagnostic et rappelé la genèse de la réforme de l'audiovisuel public, qui est devenue un véritable serpent de mer. Son parcours est plus que chaotique depuis 2012. Nous attendons, non seulement une réforme de la gouvernance, de la stratégie numérique, mais surtout du modèle économique.
À ce triptyque s'est ajoutée la nécessaire évolution de la régulation, avec la perspective de la fusion du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi) ; une fusion qui est retardée. Ce qui est bien malheureux, au moment où les plateformes prospèrent à la faveur de la crise sanitaire.
La réforme audiovisuelle aurait dû avoir lieu il y a cinq ans. À son arrivée au ministère, Françoise Nyssen aurait dû lancer le mouvement. Or, elle s'est contentée d'annoncer la suppression de France 4, sans préciser d'ailleurs quel serait le bouquet de chaînes dans la perspective de la réforme, les objectifs, les valeurs, ni même les moyens. Elle a même annoncé des priorités concernant l'information, l'éducation et la jeunesse, en contradiction avec la suppression de France 4.
Notre commission a été la première, dans le débat public, à demander un moratoire sur la suppression de cette chaîne - bien avant la crise sanitaire, bien avant qu'elle ait démontré son utilité.
Ce qui m'inquiète, c'est que le modèle économique de l'audiovisuel public, en dépit des efforts remarquables des personnels pour s'adapter à la crise, s'est encore fragilisé. Les recettes publicitaires se sont considérablement affaiblies, pour ne pas dire effondrées. Il en va d'ailleurs de même pour les chaînes privées, puisque TF1 et M6 nous ont alertés sur leurs baisses de recettes. L'heure est peut-être venue de clarifier les modèles économiques des uns et des autres pour pouvoir rebondir.
Nous attendons toujours la réforme de la redevance, qui est profondément injuste. Alors même que nous supprimons la taxe d'habitation, faire encore payer la redevance n'est pas tenable. Je rappelle que cette réforme a déjà été réalisée dans nos pays voisins depuis un certain temps déjà.
Fragilité du modèle économique et baisse constante des ressources, dans la perspective de réaliser des gains de productivité ; nous l'avons bien compris. Mais nous devons aussi donner les moyens à l'audiovisuel public d'aborder la concurrence, à savoir les plateformes.
Disney a lancé sa plateforme pendant la crise, et compte déjà un nombre d'abonnés importants. Netflix et Amazon Prime, eux, ont renforcé leur clientèle.
Dans ce contexte, il me semble que la plateforme Salto - créée par TF1, M6 et France Télévisions - dispose d'une assiette trop faible. Pour posséder une masse critique suffisante, cette plateforme aurait dû regrouper tout l'audiovisuel français et européen. Par ailleurs, ce modèle économique n'a pas été débattu au Parlement, ce qui n'est pas normal. Le contribuable, qui paie déjà une redevance, doit s'abonner pour visionner du contenu émanant de l'audiovisuel public.
En outre, je ne comprends pas que, dans ce monde globalisé, où les menaces sont de plus en plus prégnantes, où des infox circulent, où les réseaux sociaux véhiculent de fausses informations et des propos haineux, nous n'ayons pas fait de l'audiovisuel extérieur un enjeu plus fort.
Je sais que, au niveau européen, France Médias Monde travaille beaucoup avec Deutsche Welle ; nous avions auditionné Peter Limbourg, son président. Donner les moyens à cet audiovisuel extérieur de s'imposer est pour moi l'enjeu du siècle.
Nous avons dû nous battre, lors d'un déplacement de la commission au Mexique, pour que des programmes de France 24 continuent à être diffusés en espagnol en Amérique latine.
Si nous soutenons le rapporteur dans son analyse et sa proposition d'adopter les crédits pour donner à l'audiovisuel public les moyens de son fonctionnement, ce sera, à l'égard du budget proposé par la ministre de la culture, avec la plus grande des réserves.
M. Pierre Ouzoulias . - Je remercie tout d'abord notre rapporteur pour la qualité de son rapport. Je suis plus réservé sur la conclusion. En effet, mon cher collègue, si vous mettez bien en avant les déficits économiques, vous soulignez aussi le déficit démocratique de notre relation, sur ce sujet, avec le Gouvernement.
Vous l'avez rappelé, voilà trois ans que le Gouvernement nous promet une réflexion de fond. Trois ans que ce gouvernement prend des mesures qu'il nous présente comme provisoires, dans l'attente d'un grand débat que nous n'aurons jamais. Or il est sans doute temps que la représentation nationale explique à l'exécutif que nous ne pouvons plus continuer comme cela, notamment que le Gouvernement ne peut pas se passer de l'avis du Parlement sur l'utilisation de la redevance - c'est encore le Parlement qui vote le budget.
Certes, la crise est générale, mais il ne me semble pas que nous puissions en sortir par un exercice de plus en plus solitaire du pouvoir. Bien au contraire, en période de crise, l'association de la représentation nationale et de l'exécutif doit se renforcer. Nous débattrons de cette question, lors de la réunion de la commission mixte paritaire (CMP) sur le projet de loi relatif au retour de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal. Nous devons expliquer au Gouvernement que nous ne voulons plus être traités comme il le fait depuis trois ans. Je m'associerai bien volontiers aux groupes de gauche qui ne voteront pas ce budget, non seulement pour toutes les explications qui ont été livrées, mais également parce que le Parlement se doit de relever ce déficit démocratique.
Mme Alexandra Borchio Fontimp . - La question essentielle de la stratégie globale du Gouvernement demeure. Nous avons mentionné la baisse du budget, le plan de relance, l'impact conséquent de la crise sanitaire sur le secteur - des centaines de milliers d'emplois sont menacés -, la fragilité des entreprises, mais n'avons qu'à peine évoqué la stratégie à mettre en place pour que l'audiovisuel public français traverse le mieux possible cette crise, tout en ayant les moyens d'assurer sa mission de service public. Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué ce manque de clarté, mais j'ai tout de même deux questions précises.
La triple tutelle exercée par le ministère de la culture, le CSA et Bercy ne représente-t-elle pas un poids considérable dans la mise en place de cette stratégie globale ? Ce trio décisionnaire ne concourt-il pas à un dysfonctionnement profond ? Par ailleurs, la situation de France Télévisions est fragile et France 4, à la suppression de laquelle nous sommes opposés, a su devenir un véritable atout dans le contexte de crise sanitaire. L'audiovisuel public joue un rôle majeur en matière d'éducation, comme beaucoup ont pu le constater pendant le confinement ; pour de nombreux enfants n'ayant pas accès aux services payants, la mission du service public est essentielle. À cet égard, n'y a-t-il pas une injonction contradictoire entre la demande de contenus qualitatifs et la baisse des moyens, ainsi qu'entre la nécessité de faire plus de pédagogie et davantage d'audience ?
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis . - Depuis de nombreuses années, nous sommes d'accord sur le fond : il serait temps de parler stratégie avant de parler moyens. Je me souviens notamment du rapport présenté l'an dernier par Jean-Pierre Leleux - à qui j'adresse au passage une pensée de sympathie -, et de l'intervention de David Assouline, qui avait commencé de la même manière que celle de cette année, rappelant qu'il partageait le constat sévère du rapport sans être favorable au vote des crédits. Mais il faut dissocier le rapport et les crédits, même si cela peut sembler frustrant. Le budget de la culture est en hausse, tandis que celui de l'audiovisuel en baisse, mais n'oublions pas l'effort incontestable consenti par le Gouvernement pour venir en aide à l'audiovisuel dans cette période difficile. Nous sommes finalement sur la même longueur d'onde, si je puis dire, même si nous ne l'exprimons pas de la même façon.
Sur la critique de la suppression de France 4, le Gouvernement a été dans l'obligation de faire marche arrière après l'apparition du virus. En effet, la chaîne est devenue plus importante que jamais, notamment dans le contexte de lutte contre l'épidémie. La date d'août 2021 a néanmoins été confirmée pour sa disparition, bien que le ministre de la santé soit incapable de nous dire quand bars et restaurants pourront rouvrir.
Il y a deux ans, nous avons entendu un ministre affirmer que le sujet de la CAP serait réglé pour le PLF 2021, mais rien ne s'est passé. Et cela ne risque pas de changer, puisque la ministre actuelle a déclaré : « Il n'y a pas d'urgence, travaillons. » Au Sénat, nous travaillons sur ces sujets depuis des années, et nous avons déjà mis sur la table des propositions, que l'on pourrait critiquer ou amender, mais qui donnent une vision de ce que pourrait être la CAP. Une réforme aurait pu être conduite avant la fin du quinquennat, mais rien n'a été fait, tant sur la CAP que sur la stratégie. L'échec est patent, et nous sommes une grande majorité à partager ce constat.
Cependant, il s'agit aujourd'hui de voter des crédits. Si je respecte l'avis défavorable de certains d'entre vous, je ne le partage pas, car les crédits prennent en compte la situation exceptionnelle dans laquelle nous nous trouvons, et sont cohérents avec ce que nous défendons depuis deux ou trois ans. Ne pas les voter serait donc une erreur.
Au sujet des mini-contrats d'objectifs et de moyens, la réforme étant repoussée aux calendes grecques, il n'y aura pas de holding, mais une simple harmonisation des COM. Il s'agit donc d'un changement structurel, qui permettra aux chaînes de travailler sur des mêmes périodes d'amplitude, mais en aucun cas d'un changement dans le management, qui nécessiterait un réel travail de mutualisation. De plus, les syndicats n'ont pas été associés à ces travaux, ce qui constitue une véritable erreur de méthode. Il y a donc aujourd'hui, dans les deux entreprises les plus exposées à la crise que sont Radio France et France Télévisions, un véritable risque pour des personnels déjà fatigués, et chez lesquels les risques psychosociaux sont élevés.
La question de la triple tutelle est l'un des points principaux de dysfonctionnement. Et nous pourrions même parler de quadruple tutelle quand on évoque l'audiovisuel extérieur. En effet, le ministère de la culture est attaché à la question de l'exception culturelle, le CSA nomme les dirigeants, Bercy finance, et le Président de la République affirme la volonté de rayonnement de la France. Comment rayonner avec un outil qui s'affaiblit de jour en jour, alors qu'il fonctionne pourtant avec des moyens relativement faibles ? Il y a là une contradiction majeure.
Cette autre injonction contradictoire a été notée : la demande de contenu et de qualité, en même temps que les exigences d'audience.
Quant à la plateforme Salto, elle a enfin été lancée, et cette présence était nécessaire, particulièrement pendant la période de crise que nous traversons. S'agit-il d'un navire de guerre face à une flotte mondiale puissante ? Vous connaissez la réponse, mais sa création était essentielle.
M. Max Brisson . - Après ces métaphores océanes, je souhaite remercier le rapporteur pour ce travail précis et sans concession, et adresser un salut amical à Jean-Pierre Leleux, qui a tenu ce rôle pendant de nombreuses années. Permettez-moi d'évoquer la question des radios associatives, qui jouent un rôle important dans mon département, notamment par rapport aux deux langues régionales qui y sont parlées, l'audiovisuel public étant assez peu présent. Ces radios associatives, anciennes radios libres, au nombre de 680 sur tout le territoire, rencontrent de grandes difficultés. En effet, les subventions des collectivités locales sont en baisse, tout comme les recettes provenant de la vie associative et de la publicité.
Ces radios doivent passer au numérique terrestre et, si les radios nouvellement créées sont aidées pour opérer ce changement, les autres ne reçoivent aucun soutien. Serait-il possible de les aider davantage dans cette transition ?
Par ailleurs, ne pourrait-on pas flécher une partie des crédits du Fonds de soutien à l'expression radiophonique locale (FSER) pour aider ces radios, qui jouent un rôle important dans nos territoires et l'ont encore démontré pendant la crise de la covid ?
M. David Assouline . - Sur le plan politique, il est bon de souligner la nécessité d'aider les radios associatives, qui ne le sont pas suffisamment, et j'aurai notamment l'occasion de défendre un amendement en ce sens sur les crédits de la mission « Médias, livre et industries culturelles », qui ne sont pas ceux que nous examinons aujourd'hui.
Monsieur le rapporteur, je reviens à la contradiction entre ce que vous avez dit et votre approbation des crédits. Si nous admettons l'idée selon laquelle nous serions obligés de voter les crédits afin de ne pas diminuer les moyens, nous voterions alors de manière favorable à tout, et dans tous les domaines. Lorsque j'ai été rapporteur, avant Jean-Pierre Leleux - que je salue aussi -, des membres de votre groupe politique avaient voté contre, ou s'étaient abstenus, sans être accusés de chercher à assécher plus encore l'audiovisuel public. Si l'on considère que ce qui a été fait n'est pas suffisant, surtout en ces temps de pandémie, la logique voudrait que l'on ne vote pas ces crédits, sans nécessairement s'y opposer.
Au-delà de la baisse des dotations, vous soulignez l'effort réalisé par l'État dans le cadre du plan de relance. Mais là non plus nous ne sommes pas à la hauteur. Après le premier confinement, les seules pertes de France Télévisions ont été évaluées à 65 millions d'euros. Si l'on y ajoute les pertes des autres entreprises et les conséquences du deuxième confinement, le plan de relance, qui prévoit 70 millions d'euros pour tout l'audiovisuel public, sera bien insuffisant.
M. Stéphane Piednoir . - Sur les baisses de dotations et de recettes, l'audiovisuel public va rencontrer des difficultés, et je n'ose mentionner celles de l'audiovisuel privé. Cependant, nous n'avons pas évoqué une éventuelle baisse d'activité, qui aurait pu engendrer de moindres dépenses et pourrait, au moins en partie, expliquer la baisse des dotations.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis . - Les radios associatives sont extrêmement importantes, mais ne sont pas couvertes par cette mission budgétaire. Par ailleurs, les crédits qui leur sont accordés ont augmenté de 1,25 million d'euros, pour atteindre 31,99 millions d'euros. Je reconnais leur nécessité, notamment en période de confinement, et ce quelle que soit la région. Cela me permet d'aborder le sujet des matinales de France Bleu et France 3, qui démontrent une véritable volonté de proximité, réclamée par les Français, notamment en période de crise.
Pour répondre à David Assouline, permettez-moi une comparaison avec une partition musicale : ce n'est pas au moment où l'on se rapproche du point d'orgue que l'on fait un chorus. Le point d'orgue viendra, n'en doutez pas, car on ne peut passer un quinquennat à négliger la stratégie de l'audiovisuel public tout en ayant déclaré en 2017 que c'était une « honte pour nos concitoyens ». Le Président de la République pouvait employer ces mots, mais son devoir était ensuite d'indiquer la route à suivre ! Il l'a fait par la voix de Françoise Nyssen, qui a commencé par annoncer des coupes, au lieu de développer une vision encourageante. Et depuis, rien n'a avancé. Mais la situation financière étant si complexe, je ne peux m'opposer au vote de ces crédits.
En outre, lors de la dizaine d'auditions que nous avons organisées - et je suis heureux que les dirigeants de chaque chaîne et antenne se soient déplacés pour discuter avec nous -, je n'ai senti de catastrophisme total ni chez Delphine Ernotte, ni chez Sibyle Veil. J'ai vu des présidentes responsables, faisant face à des problèmes financiers importants, mais surmontables. Par ailleurs, les temporalités auxquelles elles sont confrontées sont différentes, puisque France Télévisions fait face à un risque important en 2021 et Radio France en 2022.
Pour conclure, je voudrais rappeler que la reprise de la publicité a été importante au moment du déconfinement, et que la situation est plutôt meilleure que ne le laissaient présager les premières prévisions. Certes, il reste l'inconnue de ce dernier trimestre, mais si la situation semble aujourd'hui compliquée, elle n'est pas désespérée, et on ne peut reprocher au Gouvernement de ne pas avoir soutenu le secteur grâce à son plan de relance.
M. Laurent Lafon, président . - Je remercie le rapporteur, qui s'est investi pleinement dans ce sujet passionnant, et qui prend la suite de Jean-Pierre Leleux que je remercie et salue, comme vous êtes nombreux à l'avoir fait. Le débat de cette année ressemble à celui de l'an dernier, et nous nous retrouvons dans la même position délicate, entre la critique partagée de l'absence de stratégie, le décalage entre les annonces de 2017 et le manque de texte législatif structurant, et les crédits budgétaires sur lesquels nous devons nous prononcer. Le calendrier n'est pas encore précis, mais le texte législatif est annoncé pour 2021, et ne devrait porter que sur la fusion entre le CSA et la Hadopi, ainsi que sur les dispositifs de lutte contre le piratage. Il nous appartiendra peut-être de l'enrichir sur les dimensions auxquelles nous sommes nombreux à être attachés, notamment sur les questions de stratégie et de gouvernance.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du compte de concours financiers « Avances à l'audiovisuel public ».
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
Mardi 3 novembre 2020
- TV5 Monde : MM. Yves BIGOT , directeur général, et Thomas DEROBE , secrétaire général.
- France Médias Monde : Mme Marie-Christine SARAGOSSE , présidente-directrice générale, M. Victor ROCARIES , directeur général en charge du pôle ressources, Mme Fanny BOYER , adjointe au directeur en charge des relations institutionnelles.
- Institut national de l'audiovisuel (INA) : MM. Laurent VALLET , président, et Jean-Marc BOERO , secrétaire général.
Lundi 9 novembre 2020
- France Télévisions : Mme Delphine ERNOTTE-CUNCI , présidente-directrice générale, MM. Christian VION , directeur général délégué à la gestion, à la production et aux moyens, et Francis DONNAT , secrétaire général.
- Radio France : Mme Sibyle VEIL , présidente-directrice générale, M. Xavier DOMINO , secrétaire général, Mmes Elsa COMBY , secrétaire générale adjointe, et Marie MESSAGE , directrice des opérations et des finances.
Mardi 10 novembre 2020
- Direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) - Ministère de la culture : MM. Jean-Baptiste GOURDIN , directeur général des médias et des industries culturelles, et Benoît LECERF , adjoint au chef du bureau du secteur de l'audiovisuel public.
- Table ronde avec les syndicats de Radio France :
. CGT : MM. Bertrand DURAND et Lionel THOMPSON , représentants syndicaux ;
. CFDT : M. Renaud DALMAR , délégué syndical central ;
. SUD : MM. Benoît GASPARD , secrétaire, et Thierry CHAREYRE , membre du bureau ;
. UNSA : M. Philippe BALLET , président.
Jeudi 12 novembre 2020
- Table ronde avec les syndicats de France télévisions :
. CGT : MM. Jean-Hervé GUILCHER , secrétaire adjoint du SNRT-CGT, et Guillaume LE GOUIC , secrétaire du SNJ-CGT ;
. CFDT : MM. Christophe PAULY , secrétaire national, et Yohann RELAT , délégué syndical ;
. Force ouvrière : MM. Océan GRENIER et Claude LAURET , délégués syndicaux centraux ;
. SNJ : MM. Didier GIVODAN et Antoine CHUZEVILLE , délégués syndicaux centraux.
Mercredi 18 novembre 2020
- Arte France : MM. Bruno PATINO , président, et Frédéric BEREYZIAT , directeur général chargé des ressources.
ANNEXE
Audition de Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture
MARDI 10 NOVEMBRE 2020
___________
M. Laurent Lafon, président . - Nous sommes très heureux de vous accueillir de nouveau parmi nous cette semaine afin que vous nous présentiez les grandes lignes du budget de la culture, un des secteurs les plus durement frappés par la crise sanitaire, un secteur en danger, avec la crainte de conséquences en cascade sur l'emploi, les artistes, l'accès à la culture, la diversité artistique ainsi que le dynamisme et le rayonnement des territoires.
Au-delà des menaces que fait peser cette crise, nous constatons qu'elle accélère et amplifie les changements déjà à l'oeuvre depuis plusieurs années, en particulier la question du numérique, d'où les fortes attentes vis-à-vis de l'État de la part de l'ensemble des acteurs culturels, soit pour les soutenir et les aider à passer ce cap qui pourrait se révéler fatidique, soit pour les accompagner face aux changements et mieux réguler ce nouveau monde culturel en pleine émergence, soit sur ces deux aspects à la fois.
Comme vous l'avez souligné, il s'agit, pour 2021, d'un budget d'une ampleur exceptionnelle : aux crédits de la mission culture s'ajoute le volet culture de la mission relance ainsi que les mesures générales et sectorielles mises en place au cours de l'année 2020.
Nous tenons à saluer votre détermination depuis votre arrivée à la tête de ce ministère pour que la culture ne passe en aucune manière par pertes et profits pendant cette période compliquée. Le nouveau confinement a, hélas, de nouveau suspendu depuis fin octobre les activités d'une majorité d'acteurs culturels, au moment même où un certain nombre d'entre eux constatait les premiers signes de reprise. Dans ce contexte, nous aimerions avoir des précisions sur l'impact de cet arrêt sur le budget de la culture en 2021. Pouvez-vous par ailleurs nous confirmer que les mesures de relance seront mobilisées à titre de soutien et pensez-vous que de nouvelles mesures pourraient être envisagées courant 2021 ? Quelles sont les réformes structurelles que vous identifiez comme prioritaires l'an prochain pour la sortie de crise ?
L'audiovisuel constitue l'autre grand volet budgétaire de votre ministère. Au sujet des ressources de l'audiovisuel public, nous attendons toujours le rapport au Parlement relatif à la réforme de la contribution à l'audiovisuel public. Comment expliquer ce retard alors que de nombreux rapports, notamment celui de notre commission de 2015, ont permis de baliser depuis longtemps le chemin à suivre, s'inspirant des taxes universelles mises en place par nos voisins allemands et suisses ? Pour en revenir à la crise sanitaire actuelle, le gouvernement a souhaité apporter un soutien aux entreprises de l'audiovisuel public dans le cadre du plan de relance, tout en maintenant la trajectoire budgétaire. Il prévoit de préciser la feuille de route dans le cadre des nouveaux contrats d'objectifs et de moyens (COM) de 3 ans. Pouvez-vous nous en indiquer les priorités ? Que va-t-il advenir du projet d'examen au Parlement du nouveau projet de loi « ramassé » consacré à l'audiovisuel ?
Il me faut enfin mentionner les questions toujours sensibles de la presse - qui a doublement souffert de la pandémie et des soubresauts de l'entreprise Presstalis -, des industries culturelles, comme les librairies par exemple, et enfin du cinéma, menacé dans son existence même par le confinement, comme nous l'a montré notre table ronde du 27 octobre dernier.
À l'issue de votre intervention liminaire, nos rapporteurs pour avis vous poseront une série de questions sur la mission « Médias, livre et industries culturelles ». Nous poursuivrons nos travaux dans un second temps avec la partie « création et patrimoine ».
Concernant la tension ressentie la semaine dernière à l'issue du texte de loi sur le retour des biens aux Républiques du Sénégal et du Bénin, nous avons exprimé notre déception d'apprendre, par voie de presse, la remise de la couronne du dais à Madagascar au moment même où nous débattions dans l'hémicycle. Vous savez notre attachement à ce sujet et comprenez notre réaction. Cette remarque, en avant-propos, ne vise pas à relancer le débat mais au contraire à clore cet épisode, et vous dire, madame la ministre, notre volonté de travailler avec vous dans les meilleures conditions.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je vous remercie pour votre accueil. Pour préciser votre préoccupation concernant le prêt à Madagascar de la couronne du dais de la Reine Ranavalona III, il ne s'agit pas d'une restitution, mais d'une convention de dépôt signée avec Madagascar. Seule une loi au Parlement peut en effet déroger au caractère inaliénable des collections publiques et cette procédure n'est absolument pas remise en cause. La demande du gouvernement malgache datait de plusieurs années durant lesquelles il lui a été clairement indiqué que seul un prêt était envisageable. Une concomitance de calendrier fait que cette acceptation du prêt a eu lieu au moment de notre discussion à ce sujet. Il ne s'agit de ma part d'aucune dissimulation. Ayant été parlementaire pendant un quart de siècle, je suis très attachée aux prérogatives du Parlement. Je tiens à exprimer aux sénateurs et aux sénatrices toute ma considération pour le travail accompli et les assurer que tout projet de restitution sera soumis à un vote, avec les procédures d'analyses, scientifiques et historiques, nécessaires.
Vous l'avez justement évoqué, monsieur le président, le secteur de la culture traverse une période extrêmement difficile. Dans ce contexte, les missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles » vont, en 2021, connaître une hausse exceptionnelle. L'augmentation de 4,8 % des crédits budgétaires du ministère de la culture témoigne de l'importance accordée par le gouvernement à la culture qui joue un rôle indispensable dans notre économie, ainsi que dans nos vies sociales, démocratiques et également intimes. L'effort budgétaire important consenti s'inscrit dans la continuité de la mobilisation totale dont l'État fait preuve depuis le début de la crise pour soutenir les acteurs culturels. Pour rappel, le monde de la culture dans son ensemble a déjà bénéficié de 5 milliards d'euros de mesures d'urgence dont 3,3 milliards d'euros dans le cadre des mesures transversales, ainsi que de plusieurs mesures d'accompagnement, la plus significative étant les 949 millions d'euros accordés aux intermittents du spectacle dans le cadre de « l'année blanche ». Pour pouvoir se projeter, j'ai obtenu que le volet culturel du plan France Relance mobilise une enveloppe exceptionnelle de 2 milliards d'euros en soutien à l'ensemble des acteurs culturels à partir de janvier 2021. D'autres mesures ont eu lieu : depuis la rentrée, 220 millions d'euros ont été mobilisés pour que les secteurs du spectacle vivant et du cinéma puissent faire face aux nouvelles contraintes de distanciation physique et au couvre-feu. Alors qu'a débuté une nouvelle période de confinement, je travaille avec les professionnels à adapter ces dispositifs à la réalité des besoins.
Au cours de la première année de mise en oeuvre sur les deux que compte le plan de relance, plus d'1,1 milliard d'euros de moyens exceptionnels viendront s'additionner aux crédits des missions « Culture » et « Médias, livre et industries culturelles ». Ce budget complétera et amplifiera l'action menée pour réparer et refonder nos politiques culturelles. La crise sanitaire, véritable tournant pour le monde de la culture, n'en finit pas de bouleverser les conditions de vie et de création des acteurs culturels et révèle également les pratiques de nos concitoyens. Elle exacerbe des fragilités structurelles préexistantes, causées par des mutations profondes. Notre modèle culturel doit les prendre en compte. Les résultats de l'enquête sur les pratiques culturelles des Français, parue début juillet, mettent en lumière la nécessité de décloisonner et de réconcilier les cultures patrimoniale et numérique, afin d'atteindre l'objectif fixé par mon glorieux prédécesseur André Malraux. En effet, au-delà des mesures financées par les crédits budgétaires, c'est l'un des objectifs stratégiques pour nos industries culturelles et créatives, dotées de 400 millions d'euros sur 5 ans dans le cadre du 4 e programme d'investissement d'avenir. Les moyens inscrits dans les deux missions budgétaires nous permettront de relever ces défis en mettant les habitants et les territoires au coeur de nos politiques culturelles.
Par rapport à l'année 2020, la mission « Culture » connaît une forte hausse de 4,6 % à périmètre constant.
Le patrimoine bénéficie d'un budget de 1,015 milliard d'euros, en hausse de 4,4 %, auxquels s'ajoutent 345 millions d'euros issus du plan de relance. L'investissement prévu dans ce secteur a pour but de développer économiquement les territoires et de renforcer leur attractivité et leur cohésion. C'est l'objectif du plan de rénovation des musées territoriaux, doté de 52 millions d'euros sur deux ans, dont six provenant du plan de relance, et du soutien renforcé aux archives et à l'archéologie dont bénéficieront les équipements patrimoniaux dans les territoires. Dès l'année prochaine, un vaste plan « cathédrales » sera entrepris, en plus de son financement structurel annuel, doté de 50 millions d'euros par an, auxquels s'ajoutent 40 millions d'euros issus du plan de relance, en 2021 puis en 2022, soient au total 180 millions d'euros. Ce budget permettra, d'une part, de réaliser les travaux de mise en sécurité nécessaires et évoqués de longue date et d'accélérer les projets de restauration des cathédrales, parallèlement à ceux des monuments historiques, qu'ils appartiennent aux collectivités territoriales ou aux propriétaires privés. Par ailleurs, il a pour vocation de poursuivre les grands chantiers comme la Cité de la langue française et de la francophonie et la restauration du château de Villers-Cotterêts.
Nous devons, par ailleurs, veiller à l'entretien du patrimoine non protégé dans nos territoires et à sa valorisation, aux côtés des collectivités territoriales dont le rôle est central. Stéphane Bern et moi-même partageons la volonté d'une meilleure représentation de ces monuments au sein des projets de restauration soutenus par le « Loto du patrimoine » lors de sa prochaine édition.
En articulation avec le plan de relance, le projet de loi de finances pour 2021 prévoit des financements visant à garantir la réalisation des programmes de travaux des grandes institutions culturelles patrimoniales comme de création : ainsi 15 millions d'euros de mesures nouvelles permettront de poursuivre le chantier de relogement du Centre national des arts plastiques à Pantin ou encore des investissements pour équiper les deux scènes de l'Opéra de Paris.
Nous avons choisi de réorienter le projet de restauration nécessaire du Grand Palais, dans une optique de maîtrise des coûts et des délais, compte tenu des dérives constatées et de l'échéance des Jeux Olympiques de 2024. Plus écologique, mieux maîtrisé, techniquement et financièrement, ce nouveau projet assurera la préservation du bâtiment et le réaménagement de ses espaces intérieurs, en rétablissant son unité et de meilleures conditions d'accueil à ses visiteurs.
En contrepartie du soutien important accordé à ces grandes institutions, je leur demande d'incarner encore davantage la responsabilité nationale qui est la leur, proches de l'ensemble de nos concitoyens et facteurs d'animation des territoires.
Le programme « Création » connaît, comme celui du patrimoine, une très forte augmentation de 4,5 % qui permettra d'assurer un soutien renforcé à la création, la diffusion et la production artistique dans les domaines du spectacle vivant et des arts visuels. À ces 37 millions d'euros de mesures nouvelles s'ajouteront 320 millions d'euros issus du plan de relance, ce qui est, là encore, totalement inédit. L'une des priorités est de mieux accompagner les établissements de création en régions : 15 millions d'euros seront consacrés à la restauration et à la consolidation des marges artistiques des labels, ainsi qu'au soutien des compagnies artistiques. Sur ce total, 3 millions d'euros iront aux arts visuels. Les mesures du plan de relance viendront, quant à elles, soutenir la programmation et financer des chantiers de rénovation de ces établissements.
Le spectacle vivant sera également fortement soutenu grâce au renforcement des moyens du Centre national de la musique, le CNM, avec 7,5 millions d'euros supplémentaires dans le PLF au programme 334, pour accompagner sa montée en puissance, et surtout la dotation exceptionnelle de 200 millions d'euros dans le cadre du plan de relance pour qu'il joue un rôle moteur dans la reprise de l'ensemble de la filière musicale, elle aussi gravement mise à mal par la pandémie. Les dispositifs fiscaux permettront de soutenir l'activité des salles de spectacle, avec une prorogation du crédit d'impôt pour le spectacle vivant aux critères assouplis et la création d'un crédit d'impôt théâtre. On peut noter que Bercy, habituellement défavorable aux crédits d'impôt, a clairement indiqué que ma demande était justifiée.
Une autre priorité est de renforcer le soutien aux artistes et aux créateurs, en particulier ceux qui n'entrent pas dans le champ des dispositifs transversaux. En plus du grand plan de commande artistique doté de 30 millions d'euros, le PLF 2021 prévoit 5 millions d'euros au titre du Fonds national pour l'emploi pérenne dans le spectacle (Fonpeps) pour diminuer la précarité des artistes et techniciens intermittents et 2 millions d'euros pour mettre en oeuvre les premières mesures à destination des artistes-auteurs avant la fin du 1 er trimestre 2021.
La mission « Culture » comporte également le nouveau programme 361 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », qui reprend les actions 1, 2 et 9 qui étaient auparavant inscrites au programme 224 concernant l'enseignement supérieur culturel, l'accès à la culture et la politique linguistique. À périmètre constant, il bénéficiera, en 2021, de 46 millions d'euros de crédits supplémentaires, soit une forte hausse de 8,5 %. Une nouvelle délégation générale, créée au sein du ministère de la culture au 1 er janvier prochain, aura la charge de ces moyens. Elle assurera un pilotage transversal de notre action en matière d'accès à la culture dans les territoires, d'éducation artistique et culturelle (EAC) et de formation en lien avec les ministères concernés dont, bien entendu, celui chargé de la cohésion des territoires et ceux de l'éducation nationale et de l'enseignement supérieur. L'an prochain, nous amplifierons l'action menée pour atteindre notre objectif « 100 % EAC » en partenariat avec ces ministères et les collectivités territoriales.
La hausse des crédits du pass Culture permettra d'accompagner son développement. Partant du bilan de ses expérimentations, je souhaite le faire évoluer afin qu'il s'articule mieux avec la fin du parcours d'éducation artistique et culturelle pour enfin diversifier les pratiques culturelles de nos jeunes.
La politique d'accès à la culture dans les territoires bénéficie également de moyens supplémentaires, notamment pour accompagner un nouveau label, celui de « capitale française de la culture », dont le premier sera décerné en 2021. Tous les deux ans, ce label distinguera l'innovation artistique et l'activité d'une ville ou d'un groupement de collectivités.
Par ailleurs, les États généraux des festivals, à Avignon en octobre, ont permis de lancer, avec succès, une concertation entre les acteurs culturels et les collectivités locales, premiers partenaires de ces événements. Leurs travaux vont continuer et nous permettre de mieux accompagner ces manifestations qui jouent un rôle majeur dans l'attractivité de nos territoires, parallèlement à la prolongation du fonds festival en 2021.
L'enseignement supérieur dans le domaine de la culture fera l'objet d'une attention particulière l'an prochain, dans une volonté d'accompagnement des créateurs de demain. L'accroissement conséquent du budget de 3,3 % après des années de stagnation vise à améliorer les conditions de vie et d'études des élèves de ces écoles et leur insertion professionnelle. S'y ajoutera un plan exceptionnel de rénovation et de modernisation de leurs infrastructures s'élevant à 70 millions d'euros, financé par le plan de relance.
Concernant la mission « Médias, livre et industries culturelles », la hausse de 3,2 % exprime notre volonté de moderniser et consolider ces filières culturelles aux fragilités structurelles révélées par la crise. Le programme « Presse et médias » verra son budget progresser de 2,9 %. Ces nouveaux moyens de 483 millions d'euros pour la période 2020-2022 sont intégrés au plan « filière » pour la presse et ont été présentés par le Président de la République à la profession le 27 août dernier. Il s'agit d'un plan de modernisation massif qui accompagnera la transformation nécessaire de la filière.
Grâce au plan de relance, et au-delà des moyens inscrits dans la troisième loi de finances rectificative (LFR3), le fonds stratégique pour le développement de la presse sera abondé de 45 millions d'euros sur deux ans, le montant de l'aide à la modernisation des diffuseurs de presse sera doublé et un fonds de transformation des imprimeries de la presse régionale doté de 31 millions d'euros.
Les enjeux environnementaux et sociaux occupent une place centrale dans ce plan de filières : un fonds pour la transition écologique est donc mis en place, de même qu'un fonds de lutte contre la précarité, doté de 18 millions d'euros par an en soutien aux acteurs les plus fragiles de la profession comme les pigistes, les photojournalistes ou les dessinateurs de presse. Des mesures nouvelles d'aide au pluralisme seront mises en place, l'une à destination des services de presse en ligne, d'informations politiques et générales, à hauteur de 4 millions d'euros par an, l'autre à destination de la presse ultramarine à hauteur de 2 millions d'euros par an.
Le programme « Livre et industries culturelles » connaîtra une hausse moyenne de 3,5 % l'année prochaine, soit plus de 10 millions d'euros. Au-delà des mesures concernant la filière musicale, déjà évoquées, ces nouveaux crédits permettront de financer l'achèvement du chantier de restauration du site Richelieu de la Bibliothèque nationale de France (BnF). L'ouverture de 30 millions d'euros en autorisations d'engagement va également permettre à la BnF de lancer la construction d'un nouveau centre de stockage, opérationnel d'ici 2027. Plus de 80 candidatures ont d'ores et déjà été déposées. Le secteur du livre bénéficie en outre d'un plan total de 89 millions d'euros sur trois ans, financé par la LFR3 de 2020 et le plan de relance, avec l'objectif de soutenir les activités des libraires et des bibliothèques.
Concernant les filières cinématographiques et audiovisuelles, en plus des ressources habituelles du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC) stables en 2021, un plan global de 165 millions d'euros inclus dans le plan de relance les accompagne pour permettre la reprise et moderniser l'ensemble de leurs acteurs.
Le financement de l'audiovisuel public respectera, en 2021, la trajectoire engagée en 2018. Le compte de concours financier pour l'audiovisuel public s'élèvera à 3,72 milliards d'euros et le montant de la contribution à l'audiovisuel public dont s'acquitteront nos concitoyens restera stable. L'effort d'économie de 80 millions d'euros demandé aux sociétés de l'audiovisuel public a été réduit de 10 millions d'euros, afin de tenir compte de la prolongation, jusqu'à l'été 2021, de la diffusion linéaire de France 4. Je souhaite engager une réelle réflexion participative et stratégique sur l'offre que nous voulons en matière de contenus éducatifs, sans urgence, qui s'appuie sur la créativité de la représentation nationale. Un soutien financier exceptionnel de 70 millions d'euros sera octroyé, dans le cadre du plan pour compenser les impacts de la crise sanitaire. La coïncidence entre les deux enveloppes de 70 millions d'euros ne représente pas un effet de balance, mais d'un côté, une aide conjoncturelle et, de l'autre, une trajectoire structurelle.
En parallèle, une vaste réflexion sur les ressources de l'audiovisuel public doit être menée, compte tenu de la suppression totale, à l'horizon 2023, de la taxe d'habitation à laquelle est adossée la contribution à l'audiovisuel public (CAP). Nous approfondirons le début de ce travail avec l'ensemble des parlementaires dont les sénateurs, très attentifs à ce sujet d'importance.
Je veux saluer les travaux en cours menés par le Sénat à l'occasion de la transposition de la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) introduite dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (Ddadue). Ils vont permettre, avec la révision du décret sur les services de médias audiovisuels à la demande, d'intégrer les plateformes numériques ciblant le public français à notre système de contribution à la création. Il s'agit d'une première étape essentielle d'un système de rééquilibrage d'ensemble de notre système de financement de la création. Les actions et les ambitions de la France, en ce domaine, sont attendues pour fixer un modèle. Une révision du décret fixant la contribution et les obligations des chaînes historiques a lieu, avec des négociations professionnelles, dans ce cadre. Une adaptation de la chronologie des médias devra être mise en place dans les prochains mois, avec ouverture des concertations dans les prochains jours.
Concernant les autres mesures, certaines disposions prioritaires très attendues par le secteur doivent faire l'objet d'une traduction législative, dès que possible, en particulier la lutte contre piratage et l'évolution de la régulation. Un nouveau projet de loi « resserré », proposé au Premier ministre, tient compte des travaux déjà effectués lors de l'examen du projet loi initial. S'il est impossible de reprendre toutes les dispositions proposées, il est indispensable d'adapter les règles encadrant ce secteur à la transformation rapide, tant chez ses acteurs que dans les usages de nos concitoyens.
Telles sont les orientations qui guideront mon ministère, ce budget en étant le reflet, doté de moyens nouveaux, à la hauteur des attentes des professionnels de la culture et du grand public. Il prend en compte les défis urgents, conjoncturels et structurels. En complément du plan de relance, il a pour but de conforter le modèle culturel français, dont l'originalité fait notre fierté.
M. Jean-Raymond Hugonet, rapporteur pour avis sur les crédits de l'audiovisuel . - Il y a deux ans, votre prédécesseur, Franck Riester, assurait que la réforme de la CAP, indispensable pour boucler le financement de la réforme de l'audiovisuel, aurait lieu au plus tard dans le cadre du PLF 21. Après le report de la réforme de la gouvernance de l'audiovisuel, l'examen de la réforme de la CAP sera-t-il à son tour renvoyé à une date ultérieure ? Pourquoi une vraie concertation avec le Parlement et le Sénat notamment, ne serait pas entamée, avec un partenariat possible entre majorité et opposition ?
L'existence de la chaîne jeunesse de France Télévisions, France 4, a été prolongée d'un an seulement, alors qu'elle a toute sa place au sein d'une télévision publique comme le montre le succès en Afrique de la chaîne francophone Tivi5 Monde créée par TV5 Monde. Le montant de l'économie réalisée par la suppression de France 4 apparaît, par ailleurs, très limité. Une contradiction importante semble exister entre la légitime volonté du gouvernement de promouvoir les valeurs de la République dans les quartiers prioritaires, où les familles n'ont pas les moyens d'accéder à une offre culturelle et audiovisuelle large, et celle de supprimer cette chaîne qui pourrait constituer cet outil pédagogique indispensable. À l'aune des crises que nous connaissons, le gouvernement pourrait-il réévaluer cette question, quitte à demander à l'audiovisuel public de réaliser des économies sur d'autres postes ?
M. Michel Laugier, rapporteur pour avis sur les crédits de la presse . - La presse joue un rôle important lors d'une crise sanitaire et doit être maintenue à un haut niveau. Ses difficultés ont souvent été évoquées, notamment la chute du groupe de distribution Presstalis qui a eu lieu au plus mauvais moment, en plein confinement. Une partie de la France a ainsi été privée de journaux pendant plusieurs mois. Peut-on chiffrer précisément la dépense engagée par l'État ces dernières années pour le maintien à flot de cette société ? Comment s'assurer d'un sort plus favorable à France Messagerie qui a remplacé Presstalis ? Qui va assumer la dette de cette grande maison ?
Concernant les droits voisins, des annonces contradictoires récentes suggéraient un accord, puis sa mise en doute. Quelle est la volonté de Google et Facebook de s'inscrire dans le cadre légal tracé par la proposition de David Assouline ? Avez-vous des échanges avec d'autres pays qui tardent à lancer leur transposition ?
M. Julien Bargeton, rapporteur pour avis sur les crédits du livre et des industries culturelles . - Le pass Culture suscite beaucoup d'interrogations, notamment sur son évolution et son avenir, qui appellent des précisions. Le choc de la crise sur le secteur culturel est très fort et il faut reconnaître les efforts de soutien déployés par le gouvernement, malgré l'existence de demandes encore en suspens. Cette démultiplication des fonds est d'ailleurs soulignée par les différents acteurs que nous rencontrons.
Quel sera l'avenir et le fonctionnement du CNM, suite à l'arrêt de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 8 septembre 2020 sur les crédits dits « irrépartissables » qui prive de 25 millions d'euros par an les organismes de gestion collective (OGC) ? Une compensation par le CNM a été évoquée, est-elle selon vous envisageable ? Que va faire la France ? Des négociations européennes auront-elles lieu pour essayer de corriger cet arrêt dans un règlement ?
M. Pierre Ouzoulias, au nom de M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis sur les crédits du cinéma . - Concernant la transposition de la directive services de médias audiovisuels à la demande (SMAD), quelles seront l'architecture et la philosophie générale des projets d'ordonnance et de décret ? Quelles sont les premières réactions des plateformes ? Sur le domaine du cinéma, la difficulté est de ne pas connaître aujourd'hui le montant des pertes de l'industrie cinématographique pour l'année prochaine. Y aura-t-il un aspect dynamique dans l'aide que vous pourriez lui apporter et des moyens d'ajustement d'un budget supplémentaire à ses pertes ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - À propos de la réforme de la contribution à l'audiovisuel, deux clans s'affrontent, les tenants de la budgétisation et ceux qui souhaitent le maintien de la redevance, avec des propositions intéressantes mais qui arrivent à ne pas « familiariser » cette contribution. Compte tenu du report à 2023 de la suppression de la taxe d'habitation sur la résidence principale, cette réforme n'est pas urgente, d'autant que le rendement de cette contribution continue de croître permettant un maintien du tarif, ce qui est important pour les ménages modestes. Des pistes de référence ont été identifiées par le gouvernement, et un travail d'analyse technique approfondi aura lieu d'ici 2022 avec les parlementaires et ceux qui voudront s'y associer. Le principe est de permettre à l'audiovisuel de bénéficier d'un financement pérenne, gage de son indépendance, sans créer de nouvel impôt, en cohérence avec la politique fiscale conduite par le gouvernement depuis 2017 pour améliorer le pouvoir d'achat des Français.
Concernant l'arrêt de France 4, il est nécessaire de s'interroger sur les moyens d'accompagner l'offre éducative des Français. Si l'action de France 4 pendant le confinement mérite d'être saluée, on ne peut pas bâtir une télévision-confinement. La réflexion doit porter sur les besoins exacts de nos enfants et non sur le maintien ou non d'une chaîne, quelle que soit l'affection qu'on lui porte. Comment les enfants évoluent-ils ? Quels outils utilisent-ils ? Faut-il avoir une chaîne éducative, de divertissement ou culturelle ? Dix millions d'euros sont dégagés pour permettre cette réflexion par rapport à la trajectoire arbitrée en 2018. Comment coordonner cette réflexion avec l'utilisation des nouveaux outils numériques utilisés par les jeunes dont la consommation augmente ? Comment les programmes des chaînes comme Okoo s'articulent avec les programmes de l'Éducation nationale ? Face à un public de 6 à 18 ans, comment imaginer des programmes éducatifs structurants ? Quel est l'apport des autres chaînes de l'audiovisuel public ? Toutes ces questions alimenteront la réflexion pour définir l'outil correspondant aux réels besoins de nos enfants.
Concernant Presstalis, la situation est particulièrement compliquée, avec la filière de la vente au numéro, indispensable au pluralisme de la presse, en forte baisse et des acteurs aux difficultés récurrentes. L'État a accompagné les discussions autour de la restructuration de Presstalis qui ont conduit à la création de France Messagerie, nouvelle structure en charge de la distribution de la presse quotidienne nationale, le 1 er juillet 2020. L'engagement de l'État s'élève, dans la restructuration de Presstalis, à 76 millions d'euros et, dans les besoins de France Messagerie, à 80 millions d'euros dont 68 de subventions et 12 de prêt. Le soutien public à la filière ne se dément pas mais s'appuie sur la responsabilité des éditeurs pour assurer la pérennité du système de distribution. France Messagerie représente aujourd'hui 55 % de parts de marché, les Messageries lyonnaises de presse (MLP) 45 %, et l'État verse chaque année aux dix quotidiens d'information politique et générale (IPG) une aide à la distribution de la presse quotidienne de 18 millions d'euros. Dans le cadre du protocole de conciliation de 2018, les crédits de la section A de cette aide sont portés à 27 millions d'euros par an pour 2018-2021 par redéploiement des crédits en provenance du Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP). L'État est toujours fortement engagé dans les messageries historiques, d'une part, en prenant en charge le décalage de la procédure de collecte à hauteur de 17 millions d'euros et les chèques de qualification dus aux marchands de presse, qui représentent 16,2 millions d'euros ; d'autre part, dans les besoins de financement de la nouvelle société avec une subvention de 68 millions d'euros et un prêt du Fonds de développement économique et social (FDES) de 12 millions d'euros. Des aides exceptionnelles aux petits éditeurs de 8 millions d'euros et aux diffuseurs spécialisés de 19 millions d'euros ont par ailleurs été octroyées.
Au sujet des droits voisins des éditeurs et agences de presse, un investissement exemplaire dans la négociation des deux directives d'avril 2018 relatives aux droits d'auteur, a abouti à des éléments décisifs sur la rémunération des créateurs et les titulaires de droits. La première directive vise à sécuriser la rémunération des oeuvres diffusées à la télévision par technique dite de « l'injection directe », la seconde consacre des dispositions visant à garantir un meilleur partage de la valeur créée par la diffusion des oeuvres sur internet. Les démarches de Google visent à un seul but : contourner l'application de ce droit, notamment par l'octroi de licences à titre gratuit. Le 9 avril 2020, l'autorité de la concurrence, saisie par des éditeurs de presse, a enjoint Google à négocier « de bonne foi » sur ces droits voisins et la Cour d'appel de Paris a rejeté le pourvoi contestant cette décision. Si certains acteurs du système sont prêts à céder aux sirènes de Google, je veux saluer ceux qui y résistent.
À propos du pass Culture, les objectifs sont connus : favoriser l'autonomie culturelle chez les jeunes, avec un crédit de 500 euros pour chaque jeune de 18 ans, à utiliser dans les biens et services culturels référencés sur le pass. La gestion du dispositif est confiée à la Société du Pass culture, avec une hausse de ses crédits de 20 millions d'euros en 2021 soit 59 millions d'euros au total. La question de sa généralisation est en cours, ainsi que celle d'une meilleure articulation avec les parcours d'éducation artistique pour les 16-17 ans. Il faut par ailleurs noter que le pass a contribué à relancer le secteur culturel suite au confinement, la barre des 100 000 inscrits ayant été franchie mi-septembre. Quatorze départements sont aujourd'hui concernés par l'expérimentation. Au 2 novembre, on compte un taux d'inscription de 85 %, 115 000 comptes sur les 135 000 éligibles et un taux d'utilisation de 81,5 %, contrairement aux craintes escomptées. 130,70 euros sont dépensés en moyenne sur une période de 9 mois et 4 300 lieux culturels sont actifs pour près de 2 500 000 offres disponibles. Les catégories les plus réservées sont à 58 % les livres, à 15 % la musique, à 10,1 % l'audiovisuel, à 4,1 % le cinéma. Les biens physiques représentent 65,1 % des biens réservés, les biens numériques 25,4 %, les événements 9,4 %, ce dernier chiffre étant le plus décevant et sans doute le domaine sur lequel les offres doivent être mieux mises en avant.
Concernant l'arrêt de la Cour de justice, ce sont plus les OGC qui vont être impactés que le financement du CNM. Par le biais des OGC, des activités seront financées mais vous êtes modeste sur la perte estimée à 25 millions d'euros alors que je tablerai plutôt sur 30 actuellement. Cet arrêt de la Cour de justice permet de ne pas reverser les sommes perçues aux artistes et aux producteurs non européens en raison de l'absence de réciprocité, aussi appelé droits « irrépartissables ». L'arrêt dit par ailleurs que la législation européenne aurait dû prévoir la liste exhaustive des pays concernés. Je suis ces travaux au plus près avec la commission européenne. Je ne me lancerai pas dans la description du projet de décret « SMAD », qui est complexe et se trouve disponible en ligne. Cette 3 e consultation des acteurs du secteur, avec, d'un côté, producteurs et créateurs français et, de l'autre, les plateformes, se termine le 12 novembre. À votre demande sur la réaction de ces dernières, évidemment mesurée, je vous répondrai par notre volonté d'un décret ambitieux, et en même temps prudent : on peut aspirer à obtenir 35 ou 40 % mais il s'agit aussi de respecter l'équité et de ne pas s'exposer à des contentieux dommageables qui anéantiraient tous les efforts. Pour exemple, cela représente pour une plateforme comme Netflix environ 190 millions d'euros.
M. David Assouline . - Je partage avec vous une réflexion au sujet de l'ouverture des librairies. Une idée est en train de faire son chemin et vous devez la porter haut et fort, c'est le fait que la culture est un ciment de notre société et une réponse en temps de crise sanitaire et sociale, quand il y a un attentat contre un professeur et la liberté d'expression. Il faut la considérer comme un bien essentiel, dans la mise en place des nouvelles mesures. Je vous demande de plaider en ce sens.
Concernant la contribution à l'audiovisuel public, vous indiquez qu'elle restera stable, ce qui est un euphémisme, car une décision consensuelle de longue date voulait qu'une stabilité impliquait une augmentation de 1 % au minimum pour tenir compte de l'augmentation du coût de la vie. Il s'agit donc d'une baisse du budget de l'audiovisuel public et notamment de celui de France Télévisions, puisque sur les 70 millions d'euros de la trajectoire budgétaire de baisse, 60 millions concernent France Télévisions. Avec 65 millions d'euros d'impact estimés de la covid-19, cette baisse est conséquente, compensée par seulement 45 millions d'euros de dotations exceptionnelles dans le plan de relance. Chacun mesure les efforts faits pour passer ce moment difficile dans toutes les filières. La présence à la maison imposée par le confinement augmente le temps passé à regarder la télévision et Netflix. Nous avons tous intérêt à ce que le service public propose, dans ce contexte, une offre de qualité. C'est là que se pose la question de France 4 qui, par erreur de langage, serait qualifiée de chaîne du confinement, alors qu'elle est une chaîne du service public nécessaire pour les enfants, preuve en est que le secteur privé, dont M6, se l'approprie et que la BBC, qui avait arrêté, en est revenue. Le service public a besoin de s'adresser aux enfants, livrés à des plateformes et à des programmes avec peu de considération pour la qualité et l'éducation, notamment civique, surtout après l'attentat contre M. Paty. On ne peut pas considérer qu'à chaque nouveau ministre, on recommence à zéro. Nous avons réfléchi avec le gouvernement, avec France Télévisions et même Mme Ernotte, pour remporter sa candidature au CSA, a mis en avant son projet de maintien de France 4.
Sur le sujet de la presse et des droits d'auteurs, la majorité sénatoriale et mon groupe, par principe opposés au jeu des ordonnances, avons accepté de négocier avec Franck Riester dans un souci de rapidité, avec l'assurance d'une écriture conjointe. Or nous n'avons jamais été contactés pour en discuter concrètement et être associés à cette rédaction. Le contrat de confiance passé avec le gouvernement était que nous allions, jusqu'au bout, établir ce texte ensemble. Depuis, nous n'avons jamais été contactés pour en discuter concrètement et être associés à l'écriture de ces ordonnances. Il serait bien de tenir cette parole car nous avons fait un effort politique d'ouverture en acceptant en juillet de faire les choses vite, pour les auteurs et pour la création française. En retour, nous nous sentons un peu lésés quant à l'association et la considération du Parlement.
M. Jean-Raymond Hugonet, au nom de Michel Savin . - Michel Savin a dû prendre le train qui reste pour rejoindre les cimes de l'Isère. Il m'a donc demandé de poser cette question pour lui. Madame la ministre, vous avez annoncé courant septembre différentes mesures de soutien à la filière cinématographique durement touchée par la crise sanitaire. Un fonds exceptionnel de compensation des pertes de recettes des salles de cinéma doté de 50 millions d'euros a été créé et confié au Centre national du cinéma et de l'image animée. Or, de par la nature même du CNC, ce fonds ne peut s'adresser aux cinémas de gestion publique. Vous avez également annoncé, le 22 octobre, de nouvelles aides et notamment une enveloppe supplémentaire de 30 millions d'euros pour les acteurs de la filière cinématographique. Une partie de ces aides est-elle destinée aux cinémas exploités en régie directe par les collectivités jusqu'ici ignorés par les plans de soutien du gouvernement ? En effet, de nombreuses collectivités gèrent en direct des cinémas publics. Leur fermeture imposée par le gouvernement pour freiner l'épidémie entraîne de lourdes pertes d'exploitation alors même que leurs finances se trouvent déjà fragilisées par la crise sanitaire. Ces cinémas publics remplissent un rôle important de diffusion culturelle notamment dans les territoires interurbains et ruraux, mal dotés en cinémas privés. Aussi semble-t-il important que l'État fasse preuve de solidarité en accordant aux cinémas publics les mêmes aides qu'aux privés.
Mme Sabine Van Heghe . - Je souhaite poser une question sur la presse et particulièrement la presse quotidienne régionale frappée de plein fouet par la crise sanitaire, avec notamment la fermeture de nombreux points de vente et la forte diminution de son chiffre d'affaires. La situation était déjà très difficile du fait de changements structurels des modes de consommation de l'information. Nous sommes tous d'accord pour veiller à l'indépendance de la presse, au respect du pluralisme et à liberté d'expression. Au moment où de fausses informations circulent abondamment sur les réseaux sociaux, le soutien à la presse et à la presse quotidienne régionale est indispensable. Il en va de la bonne santé de notre démocratie. Par rapport à l'augmentation des aides à la presse dans le plan de relance, pouvant être jugée insuffisante du fait des précédentes baisses observées depuis 2018, des inquiétudes s'expriment quant au soutien apporté à la presse locale, en particulier dans la transformation de son offre numérique. Je vous remercie, madame la ministre, des précisions que vous voudrez bien m'apporter sur ce sujet.
Mme Claudine Lepage . - Madame la ministre, j'aimerais vous poser une question sur l'audiovisuel extérieur, qui occupe une place en marge de l'audiovisuel public, même si France Médias Monde est associée à France Info. France Médias Monde et TV5 Monde, chacun dans leur spécificité, jouent un rôle de premier plan dans la diplomatie culturelle de la France et donnent une belle image, engagée, de l'information. Vous avez fait mention du projet de loi « resserré » sur l'audiovisuel. Quelle sera la place réservée à l'audiovisuel extérieur dans le cas où il verrait le jour ? Il est important de conserver les spécificités et les missions de celui-ci.
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - J'ai réalisé, monsieur le président, que je n'avais pas répondu à votre question sur les COM, mais elle reboucle finalement avec les dernières questions sur le plan de transformation de l'audiovisuel public énoncée en juillet 2018 et qui conditionne les COM 2020-2022. Cinq axes sont prioritaires : renforcer l'offre audiovisuelle de proximité, conforter le statut d'offre de référence de l'information, sanctuariser son rôle central dans la culture et la création - je me réjouis que France Télévisions ait décidé de consacrer une soirée à un spectacle en ce moment en répétition dans nos lieux de culture fermés, Hippolyte et Aricie, l'opéra de Jean-Philippe Rameau répété à l'Opéra-Comique, que l'on pourra voir sur France 3 ainsi que d'autres spectacles édités par l'audiovisuel public. Ceci permettra peut-être à certains de découvrir l'opéra, développer l'offre éducative et les contenus destinés à la jeunesse et contribuer au rayonnement international de la France. Ces objectifs sont tout à fait essentiels. Le report du projet de création d'une holding ne signifie en rien le renoncement à poursuivre la transformation de l'audiovisuel public et favoriser les coopérations entre les entreprises qui le composent. Pour autant, les synergies doivent être multipliées, le gouvernement a invité l'ensemble des entreprises de l'audiovisuel public, couvertes par un COM, à le renégocier et j'ai écrit aux dirigeants de l'audiovisuel public, cet été, dans cette perspective. L'ensemble du secteur va donc être couvert par des COM, alignés dans le temps sur l'horizon budgétaire de 2022. Ces contrats comprendront un volet commun à ces entreprises, dédié à leurs missions communes, ainsi qu'à leur engagement conjoint à progresser davantage en matière de coopérations multiples, éditoriales et non éditoriales. Les textes de ces COM sont en cours de finalisation et seront transmis au CSA et aux commissions parlementaires dans les prochaines semaines. Vous allez donc pouvoir vous en emparer.
Je veux dire à M. Assouline qu'on continue à vendre des livres et à les acheter dans notre pays et dans des librairies indépendantes. Je passe, pour venir au bureau, devant deux librairies indépendantes et peux vous dire que le « cliquez-emportez » marche ! Nous soutenons nos librairies par des mesures transversales considérablement majorées comme le fonds de solidarité porté à 10 000 euros, le chômage partiel, les prêts garantis par l'État qui sont poursuivis. Nous avons, par ailleurs, décidé que tous les livres vendus en « cliquez-emportez » ou envoyés par la poste ne rentreraient pas en ligne de compte dans le calcul du chiffre d'affaires permettant d'accéder au fonds de solidarité. Toutes ces aides sont considérables. En accord avec le ministre de l'économie et de la relance, nous avons mis en place la prise en charge des frais postaux qui permet de placer les librairies indépendantes au niveau des grandes plateformes à 1 centime l'envoi. De même, La Poste a fait une ouverture considérable, en divisant pratiquement par 3 le prix de ses portages de colis dans une agglomération. On peut situer cet effort pour l'État, entre 10 et 20 millions d'euros sur cette prise en charge de la quasi-gratuité du tarif. Certaines librairies témoignent même de la présence de beaucoup de clients et de difficultés à organiser les commandes. Les librairies sont pour la plupart ouvertes, il est possible de téléphoner, sans être obligé de passer par internet, de passer et préparer des commandes, de demander des conseils à son libraire. Comme vous, je souhaite la réouverture des librairies le plus tôt possible, bien entendu, et nous réfléchissons aux actions par rapport au contexte sanitaire. Une librairie, comme le disait excellemment mon ami Alain Duault dans un éditorial paru récemment, ça n'est pas comme acheter un paquet de nouilles dans un supermarché ! Ce qu'on aime, c'est feuilleter les livres, discuter avec les gens, c'est un lieu de convivialité et dans l'état actuel, tout cela est évidemment compliqué. On pourrait imaginer, si la situation sanitaire se desserre, évoquer la question des jauges, en discussion avec les acteurs du secteur, libraires et éditeurs, à hauteur de 4 m², voire même de 8 m² par personne, les libraires y sont disposés, un accueil sur rendez-vous, mais on ne peut pas transiger sur le fait de ne pas feuilleter les livres, même avec masques et gel hydroalcoolique. Développer des moyens logistiques n'est pas si simple. Nous travaillons avec Bruno Le Maire sur ces adaptations.
J'ai déjà répondu aux questions concernant la contribution à l'audiovisuel public. Les efforts de gestion étaient tout à fait soutenables par rapport au travail accompli en 2018. Concernant le décret SMAD et l'écriture des ordonnances, je ne sais pas où on est sur le travail de collaboration avec l'assemblée sénatoriale, je vais me renseigner sur cette consultation et revenir vers vous à ce sujet sans chercher de fausses excuses.
Concernant la filière cinématographique et la gestion publique, il est vrai que sur les 6 000 salles de cinéma de notre pays, 400 sont en gestion publique. Leur modèle économique n'est pas comparable à celui des salles commerciales. Néanmoins, j'ai demandé que le CNC regarde la situation au cas par cas et que, si elle se révélait très difficile et bien que ne relevant pas de la mission du CNC, il puisse aider ces salles. Je tiens vraiment à ce que le maillage si important des salles de cinéma soit préservé pendant la crise.
L'audiovisuel extérieur et France Médias Monde sont engagés, comme l'ensemble des entreprises du secteur public, dans les négociations des COM. Une élaboration est en cours avec une signature prévue début 2021, comportant les objectifs communs et spécifiques qui traduisent les missions confiées. Dans un projet « resserré », l'audiovisuel extérieur ne sera pas concerné. J'ai bien indiqué les contours de ce texte législatif, qui sont le piratage et l'autorité de régulation, soit la fusion du CNC et de l'Hadopi pour former l'ARCOM. Nous rencontrons beaucoup de difficultés, d'ailleurs, à trouver un créneau législatif, mais cela n'empêche pas ma résolution dans ce domaine. Il y aura peut-être des idées d'initiatives parlementaires, on verra.
Mme Sylvie Robert . - Merci beaucoup, madame la ministre, pour la présentation de ces programmes 131 sur la création et 361 sur la transmission des savoirs et la démocratisation de la culture. Je mesure l'ampleur des efforts réalisés par l'État pour sauver la création artistique et culturelle dans un moment que vous avez justement qualifié de critique. Le secteur culturel, dans son intégralité, est en train de payer un lourd tribut du fait de la crise. Sans revenir sur les analyses chiffrées, je voudrais vous questionner sur plusieurs points. On sait que les acteurs culturels ont subi différentes phases, un confinement total, un déconfinement avec une reprise d'activités, puis, brutalement, un reconfinement que je ne qualifierai pas de partiel, car les lieux sont fermés. Beaucoup souffrent encore, comme les festivals, d'un manque d'anticipation, de visibilité. Ils ont besoin qu'on les aide à anticiper, notamment à trois mois car leur modèle économique ne leur permet souvent pas de stopper leurs activités. Avez-vous des éléments de calendrier ou une méthode de travail qui permettrait d'y répondre, avec cette incertitude qui pèse sur la durée ? Je sais la difficulté de répondre à ma question. Pour pouvoir continuer, beaucoup demandent la prolongation de l'activité partielle exceptionnelle qui s'arrête au 31 décembre, devenant ensuite activité partielle de longue durée, ce qui diminue considérablement le remboursement. Dans leur situation, une telle décision serait très importante.
Les collectivités territoriales jouent, vous le savez, un rôle majeur. Avec les mesures du PLF pour 2021, du plan de relance, du PLFR4, des sous-préfets ont été nommés pour prendre en charge la relance dans les territoires. J'aimerais savoir comment vos annonces seront traduites concrètement dans les territoires. La coordination qui sera mise en place n'est pas très claire avec le rôle qui sera confié aux sous-préfets en charge de la relance. Comment trouver une bonne coordination entre sous-préfets, directions régionales des affaires culturelles (DRAC), collectivités territoriales, pour que l'organisation territoriale, qui va permettre à la fois sur la relance et, sur ce que j'appelle de mes voeux, un printemps culturel, puisse être bien accompagnée ? Nous avons besoin d'une clarification sur la méthodologie pour pouvoir, au sein des collectivités territoriales, fluidifier et simplifier les aides. Beaucoup d'interrogations demeurent.
Les écoles supérieures d'art me tiennent à coeur, ainsi que les écoles supérieures d'architecture qui souffrent beaucoup. On nous a annoncé la remise rapide d'un rapport sur leur situation. Quand doit-il être publié ? Nous aimerions en disposer car, derrière ces écoles, se pose la question de la recherche, de l'intégration de ces écoles dans le système licence master doctorat (LMD), et des vacataires. Je vous remercie pour l'enveloppe pour la rénovation énergétique, très importante pour ces écoles. La question du fonctionnement de ces écoles et de l'enseignement de l'architecture dans notre pays est fondamentale en ce moment de transition écologique. On vit finalement sociologiquement, philosophiquement et même intellectuellement des mouvements qui pourraient faire déplacer des populations au-delà des zones urbaines vers les zones rurales, et ces questions d'environnement et d'habitat sont très importantes.
Enfin, car je sais que mes collègues compléteront mes propos, je voudrais vous dire qu'en plus des lieux subventionnés et privés existent également de très nombreuses associations culturelles qui diffusent la culture dans les territoires, enseignent les pratiques artistiques, gèrent des lieux non conventionnés, non labellisés. Beaucoup rencontrent aujourd'hui des difficultés majeures et sont peu soutenues, éligibles un peu aux dispositifs culture, un peu aux dispositifs vie associative, un peu aux dispositifs destinés à l'économie sociale et solidaire (ESS). Elles constituent des acteurs importants de l'éducation artistique et culturelle, aujourd'hui à l'arrêt car ces lieux sont fermés. C'est pourquoi je plaide pour un printemps culturel très important qui s'appuierait sur les projets exceptionnels menés par ces associations dans les écoles, collèges, lycées. Il y a de l'argent : c'est un moyen de l'utiliser. La volonté existe mais une vraie organisation et des méthodes de travail sont à mettre en place.
Vous prolongez le fonds festival. Je tenais à vous dire que l'organisation des États généraux des festivals avait été très bien reçue par les organisateurs de festivals. Ils attendent maintenant un calendrier, des critères et, là aussi, l'association des collectivités territoriales sera précieuse. Nous, parlementaires et élus, sommes prêts à vous accompagner car il y a urgence. La relance n'est pas encore complètement là. J'espère qu'elle sera rapide, visible et lisible dans les territoires de notre pays.
Mme Céline Boulay-Espéronnier, pour Philippe Nachbar . - Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits du programme patrimoine, m'a laissé ses questions. La première concerne la situation très préoccupante des opérateurs, singulièrement ceux dont le niveau des ressources propres est le plus élevé. Après l'audition des présidents du musée du Louvre et du château de Versailles, la semaine dernière, nous nous demandons si les crédits inscrits permettront aux opérateurs de surmonter les conséquences de la crise, dans la mesure où leur montant a été déterminé avant la mise en place du nouveau confinement. Quelle est votre position ?
Deuxièmement, nous sommes préoccupés par la faiblesse des crédits accordés aux monuments historiques appartenant aux collectivités territoriales et aux propriétaires privés, qui représentent pourtant la majorité de ces monuments et fournissent du travail aux entreprises de restauration sur l'ensemble du territoire. Ces crédits sont globalement stables dans le PLF pour 2021 et leur niveau reste modeste au titre du plan de relance puisqu'ils représentent seulement 6,5 % en autorisations d'engagement (AE) et 3 % en crédits de paiement (CP) du volet patrimonial de ce plan. Dans la mesure où les collectivités territoriales, comme les propriétaires privés, devraient voir leur capacité financière se contracter en 2021 sous l'effet de la crise - repli des collectivités sur leurs dépenses obligatoires, pertes financières enregistrées par l'absence d'ouverture de leurs monuments - comment justifier que l'effort de l'État ne soit pas plus conséquent ? Enfin, afin de les inciter davantage à engager des travaux dans les mois à venir, certains suggèrent que l'État relève temporairement le taux de sa subvention aux travaux, même pour les opérations non éligibles au fonds incitatif et partenarial pour les petites communes. Quel regard portez-vous sur ces propositions ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je vais répondre à Mme Van Heghe sur le soutien à la presse quotidienne régionale et vais compléter mon propos. Les questions sont très nombreuses et tout le monde connaît l'importance de la presse quotidienne régionale (PQR) dans l'accès des citoyens à l'information. Le soutien de l'État à son égard est très fort, avec 2,9 millions d'euros d'aides au pluralisme pour la presse locale ainsi que l'aide au portage et le fonds stratégie qui lui profite largement. S'ajoute, dans le cadre du plan filière presse, un soutien exceptionnel de 50 millions d'euros sur 2 ans, pour le fonds stratégie et 36 millions d'euros pour la restructuration des imprimeries de la presse en région. C'est donc une aide plus que substantielle.
En réponse à Mme Sylvie Robert, la territorialisation du plan de relance est un enjeu qui m'a habitée pendant toute son élaboration. Sur le 1,6 milliard d'euros, hors 4 e programme d'investissements d'avenir (PIA4) dont on ne connaît pas encore les projets, 460 millions d'euros sont territorialisés, c'est-à-dire programmés région par région. Les crédits alloués aux filières qui se diffuseront sur l'ensemble du territoire - presse, cinéma, livres notamment - seront également suivis. Hors opérateur, on peut estimer que plus de 1 milliard d'euros sur les 1,6 bénéficieront directement aux territoires. Il ne suffit pas d'affecter de l'argent aux territoires, il faut que ce soit coordonné avec eux et qu'on ait des effets de levier des politiques de l'État, de concertations et parfois de codécisions. J'ai voulu que les collectivités territoriales soient pleinement associées à ces politiques de plan de relance, en réunissant le Conseil des territoires pour la culture (CTC) le 27 octobre dernier. Des CTC locaux seront réunis très prochainement. J'ai exigé que le rôle des DRAC, souvent mises de côté dans ces réunions globales, soit pris en compte. À chaque séance, le plan de relance sera évoqué comme la gestion de crise et ses conséquences sur la culture. Un suivi très fin de tout cela est nécessaire.
Vous m'avez posé une question, à laquelle je ne peux pas répondre, sur la date de sortie de la crise. Vous-même avez bien voulu en convenir. Je m'inscris résolument dans la préparation de la sortie de crise. Souvenez-vous, pendant le premier confinement, comme les répétitions n'avaient pas pu avoir lieu, lorsque la crise s'est desserrée, les spectacles n'étaient pas prêts - cela a considérablement affecté les festivals d'été. En autorisant les tournages et les répétitions, outre que j'alimente l'audiovisuel public et, pourquoi pas, d'autres types de médias pour leur diffusion, les spectacles seront prêts dès la fin du confinement et permettront la reprise du spectacle vivant. Il est important de réduire au maximum le délai de reprise des activités et de s'y préparer.
Vous pointez l'approche en silo du ministère de la culture, j'en conviens volontiers, c'est un diagnostic que je partage. C'est pourquoi j'ai voulu créer au ministère une nouvelle délégation générale aux territoires et à la transmission des politiques culturelles, avec la vocation de décloisonner les politiques et d'être un interlocuteur unique pour les acteurs des territoires, ce qui est souvent compliqué. L'objectif est aussi de décloisonner les pratiques patrimoniales ou traditionnelles et les cultures numériques nouvelles.
Les États généraux des festivals, dont vous avez souligné le succès, correspondaient aux besoins des acteurs de ces festivals de décompresser, de dire à quel point ils avaient souffert. Il fallait échanger dans ce domaine. Mon prédécesseur a, dès le 6 avril, mis en place une cellule d'accompagnement aux festivals et 10 millions d'euros de crédits complémentaires ont été ouverts dès juillet en soutien aux éditions annulées. On estime aujourd'hui que 300 organisateurs vont être soutenus dans tous les domaines. 5 millions d'euros supplémentaires alimenteront ce fonds d'urgence en 2021 dans le cadre du plan de relance. La crise a réinterrogé la façon dont l'État devait accompagner ces festivals et les ateliers tenus à Avignon ont abordé des thèmes nouveaux : la diversité, l'égalité hommes-femmes, le bénévolat, outre les questions classiques sur la territorialisation, les partenariats avec les collectivités territoriales, le mécénat... Tout a été envisagé, au cours de cette première période de diagnostic. Une nouvelle réunion avec les chefs des sept ateliers de ces États généraux envisagera des solutions concrètes. Rendez-vous est donné, en croisant les doigts, au printemps de Bourges, pour avancer des solutions concrètes et nous nous reverrons régulièrement car ce pilotage est à mener finement et de façon évolutive.
Les enjeux des écoles d'architecture sont tout à fait considérables. D'abord, en urgence, il fallait veiller à leur équipement numérique pour l'enseignement à distance et le besoin pour les vingt écoles sera couvert. À moyen terme, avec la bonne mise en oeuvre de la réforme de 2018, ces écoles doivent occuper une place centrale dans la définition et la diffusion des solutions pour la transition écologique et sociale des bâtiments. Cette réforme doit aller à son terme et accompagner les écoles en moyens financiers. Elles vont bénéficier des crédits importants que vous avez soulignés. La réunion de restitution du rapport que vous avez mentionné aura lieu prochainement et le rapport sera livré avant Noël.
L'impact de la crise sur les opérateurs est évidemment massif et nous y avons répondu amplement en nous adaptant à chaque situation. Le deuxième confinement crée une situation nouvelle dont nous sommes en train d'évaluer les conséquences. Les modèles d'aides déployés lors du premier confinement, comme les 115 millions d'euros consacrés à accompagner les pertes de billetteries liées au couvre-feu à partir de 21 heures, vont être remodelés pour aider les opérateurs de façon conforme aux exigences du confinement. Sans préjuger de ce qui se passera, le gouvernement est décidé à prolonger les mesures si le confinement se prolongeait, aussi bien en ce qui concerne l'intermittence ou le chômage partiel, autant que de besoin. Le ministre de l'économie et de la relance s'est plusieurs fois exprimé sur ce sujet.
Est-ce que les crédits seront suffisants ? Que coûte aux établissements cette prolongation du confinement, de l'interdiction de mener des spectacles à l'Opéra de Paris, de recevoir des visiteurs au musée du Louvre ou à Versailles ? Cela coûte 30 millions d'euros par mois pour l'ensemble des grands opérateurs, « vaisseaux amiraux » de notre culture. Ils seront accompagnés de la meilleure façon. Nous avons déjà donné des enveloppes extrêmement substantielles dont vous avez la liste, avec une palme au château de Versailles qui le mérite. Des efforts de gestion peuvent aussi sans doute être consentis par les opérateurs, avec une réflexion à mener, dossier par dossier.
Il me tient à coeur de revenir sur une sorte de débat récurrent qui oppose les financements engagés sur les grands opérateurs et les territoires. Je ne vois pas comment justifier cette opposition. Les grands opérateurs sont la marque de notre pays, reflets de notre histoire. Il est vrai que l'Opéra de Paris n'est pas à Montauban et le Louvre pas à Lengelsheim. Situés dans la capitale, ces grands opérateurs doivent être entretenus, valorisés, ils sont des produits d'appel considérables. Espérons que lorsque le tourisme aura repris, ils seront en bon état. Pour autant, ils ont un rôle d'animation des territoires colossal, avec, par exemple, le prêt d'oeuvres par le Louvre aux établissements territoriaux. Il faut sortir de ce débat stérile car, si on délaisse l'entretien du patrimoine et ne procède pas aux grandes réparations, les états de déshérence consécutifs coûteront beaucoup plus cher in fine .
Il y a un soutien significatif aux monuments historiques ne relevant pas de la responsabilité de l'État. Je voudrais là aussi sortir de l'idée reçue suivante : l'État croulerait sous l'argent et les collectivités territoriales seraient en difficulté. Pardon, tout le monde est à la peine dans ce domaine. Chacun fait un effort et essaie de gérer le mieux possible ses responsabilités. Le soutien de l'État à des opérations qui ne sont pas de sa responsabilité dans le cadre de la loi de décentralisation est massif. D'ailleurs, les collectivités territoriales nous accompagnent aussi dans un certain nombre d'opérations qui sont de notre ressort. Il faut parler de concertation dans une situation difficile. Plus de 170 millions d'euros ont été prévus pour les monuments historiques non-État, soit 70 % des crédits monuments historiques déconcentrés. Un effet de levier considérable est engendré qui multiplierait au moins par deux voire par trois les fonds. Dans le plan de relance, 40 millions d'euros en faveur des monuments historiques non-État pourraient générer 120 millions d'euros de travaux. J'espère qu'on les dépensera, ce qui n'est pas gagné car ces subventions ont souvent du mal à être consommées et engager des travaux pour un propriétaire privé ou une collectivité territoriale reste difficile à entreprendre, même avec un niveau de subvention important. Nous le suivrons ensemble.
Mme Sonia de la Provôté . - Merci, madame la ministre, de ce temps passé et de la qualité de vos réponses. Concernant le patrimoine, je veux rebondir sur ce que vous venez de dire. Pour les opérateurs de l'État, il s'agit d'un rebasage ou d'une sécurisation des budgets avec une vraie volonté de maintenir ou accompagner le mieux possible. Globalement, de l'avis de tous sur le terrain, ce sont plutôt les gros chantiers avec de gros budgets qui vont être accompagnés dans le plan de relance, car les petits chantiers sont plus difficilement identifiables. Ils ont cet avantage pourtant d'être diffus sur tout le territoire et surtout de concerner des entreprises locales. Cette remarque faite, pourrait-on imaginer, dans le cadre d'une loi de finances rectificative pour 2021, qu'une partie des crédits finance ce type de petites opérations de restauration et d'entretien tant elles sont nécessaires pour le patrimoine dans les territoires ?
Sur le fonds incitatif à destination des petites communes rurales, je souhaiterais une plus grande transparence sur l'usage des crédits, car j'ai le sentiment que certaines régions accompagnent mieux que d'autres et comme le montant des crédits reste modeste, très peu de chantiers sont accompagnés au final. Les pertes de recettes de mécénat vont avoir un impact important sur le secteur des patrimoines. Beaucoup de mécènes se réorientent vers d'autres priorités que le patrimoine et la culture. Nous devons anticiper une diminution au cours des deux prochaines années au moins. Est-ce que votre ministère a prévu des dispositions particulières pour favoriser le mécénat ou le flécher - plus particulièrement vers le patrimoine ? S'il fait défaut, beaucoup de monuments, petits et grands, vont en souffrir.
Je veux redire que l'assistance à maîtrise d'ouvrage qui n'est plus exercée par l'État est identifiée, par tous les acteurs, comme une des sources principales des difficultés pour mobiliser les crédits. En effet, les chantiers sont complexes, et le maire d'une petite commune ne peut pas trouver les moyens de mener à bien son projet. Le ministère de la culture est attendu à ce sujet. Je souhaite enfin réagir : je m'attendais à ce que le patrimoine non protégé ou vernaculaire, qui constitue une grande part du patrimoine de la France et de son identité, soit davantage pris en considération après le Loto du patrimoine. L'État ne devrait-il pas créer un fonds dédié, aider à son recensement et à sa restauration par le biais de programmations annuelles ? La feuille est mince entre le classement et le non-classement et, quelquefois, on ne classe pas pour ne pas avoir les contraintes du classement.
Sur la culture, je voulais intervenir sur la question des intermittents, que vous n'avez pas abordée. Est-ce que l'année blanche sera également prolongée et pour quelle durée ?
Les arts visuels ne sont pas la partie du programme « Création » la plus mise en avant. Ses artistes sont essentiellement accompagnés par le RSA en temps de crise, ils sont pourtant extrêmement présents et contribuent à l'accès à la culture dans tous les territoires. Je souhaiterais que le ministère fasse un effort particulier pour accompagner massivement la structuration de cette discipline, distincte du spectacle vivant : les parcours des artistes et les fonctionnements ne sont pas identiques. J'aimerais que les spécificités de cette filière soient mieux prises en compte dans le budget et le détail de ses mesures. J'insiste sur la nécessité de réévaluer peut-être les schémas d'orientation pour les arts visuels (SODAVI) qui, pour l'instant, n'ont pas réussi à la structurer.
Je me réjouis que les crédits d'impôts soient étendus à l'art dramatique, mais constate une discrimination peu compréhensible. En effet, il n'y a pas de hiérarchie entre les disciplines, nous en sommes d'accord, que sont l'art dramatique, les marionnettes, le cirque et la danse, par exemple. Aussi, je souhaiterais voir ce crédit étendu à toutes les disciplines, puisqu'aucune n'est prééminente sur l'autre, sauf à trouver une justification que je n'ai pas.
Au sujet du chômage partiel, je vous demande qu'il accompagne toutes les structures quel que soit leur statut, suivant l'objectif des PLFR de ne pas perdre ni structure ni lieu. Les structures publiques dont les employés ont pourtant des contrats de travail de droit privé se trouvent défavorisées, alors qu'elles sont essentielles pour prendre en charge les politiques culturelles.
Mme Marie-Pierre Monier . - Je voudrais attirer votre attention sur trois points particuliers du budget : les crédits sur les études et travaux sur les sites patrimoniaux remarquables dont la stagnation est préoccupante depuis 4 ans, la situation des crédits destinés à l'enrichissement des collections, en stagnation pour la 2 e année consécutive, et enfin l'archéologie, très impactée, avec des chantiers arrêtés au printemps et peu de budget dans le plan de relance. Je me réjouis du plan Musées et des moyens accordés à ce dispositif en faveur l'accès à la culture dans les territoires. Je reste néanmoins prudente car cela concerne des établissements disparates en moyens et en capacités de mobilisation autour de projets. Je souhaite que vous nous assuriez que, dans le cadre de ce plan Musées, ce seront prioritairement les musées qui en ont le plus besoin et non ceux qui, forts de leurs budgets disponibles, ont, déjà ou rapidement, des projets prêts à servir. Par rapport aux monuments historiques des collectivités, le fonds incitatif et partenarial en faveur des collectivités à faibles ressources est abondé de 5 millions d'euros supplémentaires et peut aussi bénéficier de 40 millions d'euros sur 2 ans au titre du plan de relance. Cependant, compte tenu des besoins en restauration et en entretien de ces monuments, je crains que cela soit insuffisant. Afin d'éviter des choix difficiles entre monuments, tous plus importants les uns que les autres, serait-il possible de pérenniser ce fonds à un niveau de 30 à 35 milliards d'euros à l'issue du plan de relance ?
M. Lucien Stanzione . - Ma question va dans le sens de l'intervention de notre collègue Sylvie Robert. Madame la ministre, vous êtes venue mi-octobre, en Avignon, pour ouvrir et animer les États généraux des Festivals. Vous avez annoncé un certain nombre de mesures financières pour soutenir le spectacle vivant dans le cadre du plan de relance. Avec la deuxième vague de la covid, allez-vous augmenter les aides au bénéfice de ce secteur en perdition ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre . - Effectivement, ce sont des questions très complètes, je réalise, à travers la catastrophe que nous traversons, que ce n'est jamais assez, sur tous les sujets. L'État a décidé de faire sauter toutes les limites habituelles et d'accompagner à la fois les opérateurs publics, privés, les collectivités territoriales et les personnes elles-mêmes dans leur parcours de vie d'une manière totalement inédite, en particulier pour la culture. Je comprends, partage souvent les interrogations et aimerais avoir le pouvoir d'augmenter les crédits à ma disposition. Nous avons, je crois, de mémoire, 44 000 monuments protégés dans notre pays, soit le patrimoine le plus conséquent du monde, avec des exigences budgétaires colossales. On n'en fera jamais assez, mais on en fait vraiment beaucoup.
Vous avez évoqué, à juste titre, le retrait du mécénat. Comment pourrait-il en être autrement ? Dans un contexte économique difficile, c'est la variable d'ajustement rêvée, malgré les aides fiscales massives données à ce mécénat. Le mécène n'est jamais couvert à 100 % par ces aides fiscales. Aucune mesure incitative ne pourra faire en sorte que cette variable d'ajustement ne soit pas réalisée par le mécénat, j'en conviens volontiers. Un certain nombre de maquettes financières, comme la réalisation de la salle modulable de l'Opéra de Paris avec 10 millions d'euros de mécénat, ne seront jamais réalisées. Ces maquettes financières doivent être revisitées à l'aune de ce que vous pointez avec acuité et dont je partage le diagnostic.
Concernant l'aide à la maîtrise d'ouvrage, il est important de préciser qu'elle est gratuite pour les propriétaires privés et les communes qui ne peuvent l'assumer, payante sinon, en tant que service. Pour rappel, ces dépenses peuvent être comptabilisées dans leurs demandes de subvention, ce qu'ignorent certains propriétaires. Les DRAC sont très attentives à l'enjeu d'accompagnement des maîtres d'ouvrage dans ce domaine.
Sur la très importante question sociale de l'intermittence et du chômage partiel, nous reverrons bien entendu les situations, autant que de besoin et si, au 31 décembre, la crise persiste, nous continuerons le chômage partiel. J'ajoute que certaines structures, dont des établissements subventionnés, qui auraient pu y avoir accès, ont choisi, sous pression salariale, de ne pas faire appel au chômage partiel, rémunéré à 84 %. Certains salariés ne voulaient pas de chômage partiel. On l'oublie quelquefois. J'aurais bien aimé, pour mon budget qu'ils fassent appel au chômage partiel, cela aurait permis de réaliser certaines économies sur les crédits du ministère. Ceci étant, d'autres établissements n'y ont pas droit par leur structure juridique. Peut-on le changer demain ? Je n'y verrai que des avantages pour les arguments que je viens de vous donner : certes, c'est toujours l'État qui paye mais on déporte la dépense du ministère de la culture vers le ministère du travail, restant, pour le contribuable, identique.
La problématique des arts visuels n'avait pas la même acuité que celle du spectacle vivant. Il y a des effets de stockages et de flux dans les arts visuels. Ils bénéficieront d'aides dans le cadre du soutien aux festivals, que ce soit pour les grands événements de la photographie et les petits événements.
J'avais déjà abordé l'archéologie dans mon intervention liminaire. Vous avez salué le plan Musées. Les crédits d'enrichissement des collections sont stables, c'est vrai : dans cette politique, nous avons stabilisé plusieurs lignes ne relevant pas de l'urgence. Quand nous serons dans une meilleure fortune, nous pourrons reprendre cette politique plus dynamique ensuite. Nos crédits sont actuellement fléchés sur tout ce qui concernait la survie, comme dans une famille en grande difficulté qui, plutôt que de changer de voiture, essaie de maintenir ce qui doit être maintenu.
Monsieur Stanzione, vous me demandez d'augmenter les aides au maximum : je mets toutes mes forces dans les négociations budgétaires pour obtenir le maximum et témoigne devant vous que ce combat a été entendu.
Mme Céline Boulay-Espéronnier . - Au sujet de la réorientation du projet de restauration du Grand Palais à partir de la fin septembre, j'ai été rassurée partiellement uniquement, car j'aimerais savoir ce que signifie le terme de réorientation. J'ai bien noté, dans le PLF, la référence à l'importance de poursuivre les chantiers stratégiques déjà engagés et l'abondement de 10 millions d'euros sur le schéma directeur du Grand Palais. Mme Nyssen, ministre de la culture à l'époque, parlait de projet d'exception donnant au Grand Palais l'opportunité de s'inscrire de plain-pied dans le XXI e siècle. J'ai par ailleurs noté que M. Chatillon, architecte en chef des monuments historiques, a dit que l'époque des grands projets était peut-être révolue et il me semble, madame la ministre, avoir lu dans la presse que vous disiez que la pandémie remet en question l'idée même des grandes expositions. Les grands projets renforcent l'attractivité de notre pays, il ne faut pas en faire le deuil. Est-ce qu'il s'agit d'une restauration ou d'une transformation ? Le coût initial était de 466 millions d'euros, ce qui n'est pas rien, et j'ai lu que le nouveau projet aurait un coût identique avec un dédommagement du cabinet d'architectes qui a beaucoup travaillé sur le projet. Le Grand Palais sera-t-il prêt pour les Jeux Olympiques de 2024 comme prévu ?
Mme Roselyne Bachelot, ministre de la culture . - Je ne souhaite absolument pas supprimer les grandes expositions qui sont constitutives de l'ADN du Grand Palais ! J'ai dit que le projet initial avec travaux d'excavation massive paraissait pharaonique. Le fait que le plan d'économie soit au même prix interpelle, mais la réactualisation des travaux portait le budget entre 550 et 580 millions d'euros. Par ailleurs, les façades et la statuaire du Grand Palais sont dégradées, sous filet, or ces travaux n'étaient pas compris dans le projet initial. Les 466 millions d'euros ont, par ailleurs, une réserve de précaution de 30 millions d'euros, soit 436 millions d'euros en réalité pour pouvoir être garantis dans la bonne marche du projet. Plus sobre, plus sûre, cette restauration profonde respectera ce qui était voulu, sous l'égide d'André Malraux par l'architecte Pierre Vivien, abandonnant les opérations lourdes tout en conservant des éléments d'origine. La maîtrise d'oeuvre sera confiée à l'architecte en chef des monuments historiques pour les missions de restauration des espaces d'origine. Le Grand Palais, qui contient Universcience, est plus grand que Versailles et constitue un élément structurant du paysage parisien, mais il est considérablement dégradé et présente des problèmes de sécurité importants. Pour assurer la sécurité financière, pendant sa fermeture de janvier 2021 à septembre 2024, les manifestations habituelles seront accueillies dans un Grand Palais éphémère, dont la structure est en cours d'installation sur le Champ de Mars, cofinancée par la Réunion des musées nationaux - Grand Palais (Rmn-GP) et le comité d'organisation des Jeux Olympiques (COJO). Le cheminement sera conservé, l'entrée gratuite et les services ouverts dans la rue centrale, une entrée à l'aspect végétalisé se trouvant sur le côté de la scène. Les crédits budgétaires s'élèvent à 123 millions d'euros, la subvention PIA3 à 160 millions d'euros, l'emprunt bancaire souscrit par la Rmn-GP à 150 millions d'euros, remboursés sur 25 ans, le mécénat Chanel à 25 millions d'euros ainsi que des partenariats et ressources propres à Universcience à hauteur de 8 millions d'euros. Je veux dire publiquement que l'abandon de la maîtrise d'oeuvre du cabinet d'architectes LAN ne constitue pas un acte de défiance ou de remise en cause des capacités de ce cabinet. Un appel à projet aura lieu pour ce nouveau projet. Le dédit à payer au cabinet ne majore pas la maquette financière et le cabinet LAN sera appelé à soumissionner s'il le souhaite. J'espère avoir été assez complète.
M. Laurent Lafon, président . - Je vous remercie, madame la ministre, pour les réponses précises que vous avez apportées à chacun des intervenants.
* 1 https://www.senat.fr/notice-rapport/2014/r14-709-notice.html
* 2 Résultats Médiamétrie vague Septembre - Octobre 2020.