B. UNE HAUSSE DES CRÉDITS DE LA DÉMOCRATISATION CULTURELLE PRINCIPALEMENT CONCENTRÉE SUR LE PASS CULTURE
1. Vers une généralisation du Pass culture ?
Les crédits du Pass culture sont ceux qui enregistrent la plus forte progression, avec l'octroi de 20 millions d'euros supplémentaires en 2021, pour un budget total de 59 millions d'euros (+ 50 %) . La SAS Pass culture espère en outre pouvoir compter sur 10 millions d'euros de reports de crédits non consommés au titre de l'année 2020.
Le coût du Pass culture a été inférieur aux prévisions cette année en raison de la crise sanitaire . D'une part, celle-ci a conduit à suspendre l'élargissement de l'expérimentation à plusieurs régions entières (Grand Est, Ile-de-France, Bourgogne Franche-Comté, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Occitanie, La Réunion) qui devait intervenir au mois d'avril. D'autre part, la mise en place du confinement a entraîné une surconsommation des offres numériques qui, à la différence des offres physiques, ne font pas l'objet d'un remboursement aux offreurs.
Le Pass culture a néanmoins poursuivi son action en 2020 dans les 14 départements qui participent à l'expérimentation. Le nombre de jeunes de 18 ans inscrits est passé de 35 000 à 115 000 en un an, sur les 135 000 éligibles au dispositif (soit 85 %). 20 000 réservations sont effectuées en moyenne chaque semaine. D'après les informations communiquées par la ministre de la culture, Roselyne Bachelot lors de son audition devant la commission de la culture le 10 novembre dernier, le taux d'utilisation est de 81,5 % pour une moyenne de consommation sur neuf mois s'établissant à 130,70 euros sur les 500 euros dont il dispose et qu'ils peuvent consommer sur une période de 24 mois. Les livres constitueraient la catégorie où se concentreraient l'essentiel des réservations (58,9 %), suivis de la musique (15 %), de l'audiovisuel (10,1 %) et du cinéma (4,1 %). La consommation de biens physiques serait majoritaire (65,1 %), les biens numériques (25,4 %) et les événements (9,4 %) venant ensuite.
Plusieurs pistes sont sur la table pour l'année 2021, qui n'ont pas encore fait l'objet d'arbitrages :
- la généralisation du dispositif à l'ensemble des jeunes de 18 ans sur tout le territoire, l'équipe du Pass culture soulignant la nécessité d'avoir des territoires cohérents pour attirer à la fois les offreurs et les jeunes, mettant en avant le succès du Pass dans la région Bretagne, seule région en France intégralement couverte par l'expérimentation.
- l'abaissement à 300 euros du montant du portefeuille octroyé aux jeunes pour limiter les effets d'aubaine. Pourrait alors se poser la question de l'évolution, voire du maintien des sous-plafonds de consommation tels qu'ils existent aujourd'hui, où les réservations de biens physiques et les réservations de biens numériques sont chacune assujettis à un plafond maximal de 200 euros, contrairement aux pratiques artistiques et aux réservations pour des événements culturels, qui ne sont pas limitées. La commission de la culture juge nécessaire de maintenir à tout le moins un sous-plafond pour les réservations portant sur des offres numériques ;
- l'ouverture du pass, sans crédits, aux jeunes dès 16 ans pour les familiariser avec l'outil, leur donner accès aux offres gratuites et limiter ensuite les effets d'aubaine.
La croissance des crédits du Pass culture en 2021, dans un contexte restant marqué par la crise sanitaire, soulève un certain nombre de questions . Certes, le ministère de la culture met en avant la visibilité et la clientèle que le Pass culture apporte aux offreurs. Il souligne son importance dans la relance du secteur culturel, avec des remboursements de l'ordre de 1 à 2 millions d'euros chaque semaine. Il insiste également sur le rôle incitatif qu'il joue pour encourager le secteur du spectacle vivant à s'adresser à son public par le biais du numérique, une pratique jusqu'ici peu développée et qui peut lui permettre à la fois de maintenir des liens pendant la période de confinement et de toucher ensuite des publics jusqu'ici éloignés.
Il n'empêche que l'on peut s'interroger sur l'opportunité, au regard de son coût, d'une généralisation, dans un contexte où la plupart des activités des structures culturelles est à l'arrêt et que celles-ci se retrouvent dans une situation de plus en plus précaire menaçant leur survie. Si l'objectif du pass est bien celui de diversifier les pratiques culturelles des jeunes et de les encourager à découvrir la culture sous d'autre forme que celle du numérique, il serait plus sage de différer la généralisation, tant cette décision pourrait ne pas être comprise par de nombreux professionnels du monde de la culture dans le contexte actuel . La ministre de la culture, lors de son audition le 10 novembre, regrettait elle-même le faible taux des réservations pour des événements culturels.
La commission de la culture juge essentiel que les conditions de déploiement du Pass culture et ses résultats fassent l'objet d'une plus grande transparence , avec la publication régulière, sur le site internet du Pass culture, de bilans quantitatifs et qualitatifs des modalités de consommation du pass par les jeunes. Elle réitère par ailleurs ses demandes, exprimées depuis l'origine de la création de cette politique, d'une meilleure prise en compte par le pass de la problématique de l'accès au dispositif des jeunes les plus éloignés de la culture, et du renforcement de l'accompagnement et de la médiation au sein de l'outil, non seulement pour encourager les jeunes à s'inscrire, mais aussi pour les guider vers de nouvelles envies culturelles et pour les aider à décrypter les expériences culturelles qu'ils vivent au sein du Pass. Elle jugerait également utile que l'offre en matière de pratiques artistiques et culturelles soit enrichie. Elle a noté que ces axes de travail figuraient parmi les priorités du Pass culture en 2021 et sera très attentive aux réponses qui seront proposées.
2. Une évolution, en comparaison modeste, des crédits de la démocratisation culturelle et de l'éducation artistique et culturelle
Même si le ministère de la culture avance « un effort budgétaire très important en 2021 en faveur de la participation à la vie culturelle de tous les habitants, tout au long de leur vie et sur l'ensemble du territoire », les crédits de la démocratisation culturelle et de l'éducation artistique et culturelle (EAC) ne progressent que de 4 millions d'euros (+ 2,5 %), pour un montant total de 157,5 millions d'euros 6 ( * ) . D'après les informations recueillies par votre rapporteure pour avis, la progression de ces crédits s'établirait toutefois à 16,2 millions d'euros , dans la mesure où 12 millions d'euros parmi les crédits destinés à la démocratisation culturelle et à l'éducation artistique et culturelle votés en loi de finances pour 2020 avaient été transférés au cours de l'année pour couvrir des dépenses de fonctionnement du ministère.
Ces moyens nouveaux ont pour but de renforcer les actions en faveur de l'accès de tous à la culture par la participation des habitants de tous âges à la vie culturelle : poursuite du déploiement des Micro-folies ; soutien aux pratiques amateurs ; création du label « Capitale française de la culture » ; poursuite du travail de contractualisation avec les collectivités territoriales, notamment dans la perspective d'un « été culturel » en 2021. Des efforts particuliers devraient également être faits pour élargir la politique culture-santé et médico-social en faveur des personnes âgées. Une stratégie rénovée de numérisation et de valorisation des contenus culturels devrait être mise en oeuvre, reposant sur une réorientation majeure du programme national de numérisation et de valorisation des contenus culturels.
S'agissant de l'EAC, les priorités affichées sont le renforcement des pratiques artistiques et culturelles à l'école, le soutien aux actions artistiques et culturelles hors temps scolaire, le renforcement des contrats territoire lecture avec les collectivités territoriales et l'amplification de la formation des acteurs de l'EAC, avec la préfiguration d'un Institut national supérieur de l'éducation artistique et culturelle.
Alors que l'objectif du 100 % EAC doit être atteint à l'horizon 2022, la commission de la culture regrette que l'EAC ne bénéficie pas de davantage de moyens en 2022. Dans la mesure où la crise sanitaire a provoqué en 2020 l'interruption d'une majorité de projets d'éducation artistique et culturelle, il aurait été opportun de rattraper le retard en 2021, afin d'éviter que les effets de cette politique, en constant développement depuis une dizaine d'années, ne s'en trouvent affectés. La commission de la culture émet le voeu que les artistes et les associations soient mobilisés en 2021 pour une relance de l'EAC, dans un processus plus souple et plus rapide, tel celui mis en place à l'occasion de « l'été culturel ».
Le Pass culture ne peut pas résumer la politique d'EAC. Il ne peut en être que l'aboutissement. La ministre de la culture, Roselyne Bachelot, en est elle-même convenue lors de son audition devant la commission de la culture, en déclarant qu'il était déjà trop tard, à ses yeux, pour parvenir à diversifier les pratiques d'un jeune de 18 ans s'il n'avait pas déjà été familiarisé auparavant à diverses pratiques artistiques et culturelles. Le rôle de l'EAC n'est pas de préparer au Pass, mais bien d'accompagner les enfants dans la construction de leur identité par la découverte et la pratique des arts et de la culture.
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Compte tenu de l'ampleur des efforts financiers consentis par l'État pour préserver notre modèle culturel, la commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 131 « Création » et 361 « Transmission des savoirs et démocratisation culturelle ».
* 6 Ce montant correspond aux crédits de l'action 2 « Soutien à la démocratisation et à l'éducation artistique et culturelle » dont sont retranchés les crédits du Pass culture, ceux relatifs à la sécurisation des sites et des événements culturels et ceux destinés à compensation la gratuité d'accès des enseignants aux établissements culturels patrimoniaux.