EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 2 décembre 2020, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ».
M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - Le programme 144 voit ses crédits progresser plus que la moyenne du ministère, avec une hausse de 8,9 %. Cette augmentation profite aux deux volets principaux du programme, à savoir le renseignement, sur lequel Yannick Vaugrenard reviendra dans quelques instants, et les crédits d'études amont.
Les crédits d'études amont progresseront de 80 millions d'euros, pour s'établir à 901 millions d'euros. Ces crédits commenceront en 2021 à financer le nouveau Fonds d'innovation Défense (FID, Ex-Definnov), qui atteindra à terme 200 M€. Sa montée en puissance se fera sur 5 ans. Comme prévu, ce fonds pourra intervenir dans des tours de table d'entreprises innovantes de la défense, jusqu'à 10 % de son encours. Il est à noter que ce montant de 200 M€ serait un socle minimal, auquel pourraient venir s'ajouter la participation d'autres acteurs publics ou privés, ce qui pourrait éventuellement permettre d'envisager des tickets par opération d'un montant supérieur.
Ce nouveau Fonds d'innovation Défense va dans le bon sens. Mais il ne saurait régler le fond du problème : les difficultés croissantes qui pèsent sur le financement des entreprises de la défense, conduisant les plus fragiles à péricliter ou à être rachetées par des acteurs étrangers.
De façon de plus en plus forte, les entreprises de la BITD font état des difficultés qu'elles rencontrent à se financer auprès du secteur bancaire, désormais quels que soient la taille de l'entreprise et son secteur d'activité (terrestre, aéronautique, naval). De très beaux noms de la BITD sont maintenant aussi concernés.
Les causes sont multiples :
- il n'est jamais facile, pour une entreprise, d'aller se plaindre de son banquier aux autorités de régulation ou même à la justice. C'est encore moins aisé dans le secteur de la défense, qui travaille en général dans la discrétion ;
- des éléments factuels incitant les banques à la prudence. On pense en particulier aux sanctions extraterritoriales américaines, qui avaient par exemple frappé BNP Paribas d'une amende de 9 milliards d'euros en 2014. Nous avons déjà évoqué ce sujet qui renvoie tout simplement à notre souveraineté ;
- l'action d'ONG qui veulent orienter l'opinion publique dans le sens d'une hostilité croissante aux ventes d'armes, et en définitive même à leur production.
A ce stade, nous pensons que pour faire évoluer la situation, il faut agir dans trois directions :
- établir un réel dialogue, autour des représentants de l'Etat (en particulier la DG Trésor, le Médiateur national du crédit et l'Autorité de contrôle prudentiel et de régulation (ACPR)), entre les entreprises de la BITD et les banques ;
- faire comprendre, au-delà de la communauté de défense, la relation directe entre l'existence de la BITD et la souveraineté nationale ;
- oeuvrer à défendre notre souveraineté économique, en nous soustrayant aux régimes de sanctions extraterritoriales ou en développant des solutions nationales de financement, par exemple à travers des fonds d'investissement privés d'un genre nouveau. Notons tout de même, à ce sujet, que nous Européens sommes aussi en train de définir une extraterritorialité, par exemple en matière de lutte contre le blanchiment et le terrorisme.
C'est un vaste sujet et nous ne pouvons l'épuiser ici : il nous faudra continuer à nous mobiliser sur ces questions fondamentales.
Enfin, je voudrais signaler très brièvement que nous avons été étonnés et choqués de découvrir la réduction de voilure de notre réseau de missions militaires à l'étranger, dans des postes très sensibles (Alger, Tunis, Amman, Tbilissi (qui couvre l'Arménie et l'Azerbaïdjan)), ou même Londres et Moscou. C'est un contresens total, dans le contexte actuel. On cherche à économiser quelques centaines de milliers d'euros quand le budget de la mission augmente d'1,6 milliard d'euros !
Voici donc les réserves et les nuances qu'il me paraissait utile d'apporter à ce budget du programme 144 qui reste, sur le plan budgétaire, positif car marqué par un accroissement sensible des crédits.
M. Yannick Vaugrenard, rapporteur pour avis. - Le programme 144 porte une partie des crédits du renseignement, pour un peu plus de 400 millions d'euros (406,4 M€).
Ces crédits concernent deux services du « premier cercle » qui dépendent du ministère des armées : la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) et la DRSD (Direction du renseignement et de la sécurité de la défense). Ces deux services ne sont pas du tout comparables en taille, la DGSE bénéficiant de crédits beaucoup plus importants dans ce programme.
J'aborderai en premier lieu la situation de la DGSE. Le service voit ses moyens augmenter, ce qui est conforme à la priorité affirmée par la LPM 2019-2025. Sur le programme 144, les crédits s'établiront en 2021 à 388 millions d'euros, soit une hausse de 11,4 %. Cette augmentation sensible reflète la poursuite d'un très important effort d'investissement. Il s'agit d'une part de mettre le parc immobilier à niveau, à la fois pour faire face à la croissance des effectifs, et pour rénover certains bâtiments vétustes. Il s'agit également de procéder à des investissements dans les capacités techniques, en particulier dans des domaines où le progrès technologique impose des investissements soutenus pour se maintenir à un bon niveau. Il faut savoir que les capacités techniques de la DGSE ont vocation à être partagées avec les 5 autres services du premier cercle.
Pour avoir une vision consolidée de ce service, il convient d'examiner aussi ses moyens humains. La DGSE compte aujourd'hui environ 7 100 personnes. Les effectifs devraient rester stables en 2021, avant de reprendre leur progression pour atteindre environ 7 800 personnes en 2025.
En intégrant les dépenses de personnel, les crédits de la DGSE s'établiront, en 2021, à 880 millions d'euros, soit une hausse de 7,7 % par rapport à 2020.
Enfin, il faut mentionner aussi l'existence des fonds spéciaux. La part principale des 76,4 M€ de fonds spéciaux va à la DGSE.
Pour porter une appréciation sur ce niveau de crédits, il faut considérer néanmoins que l'effort financier de la France dans le domaine du renseignement extérieur reste vraisemblablement encore un peu inférieur à celui consenti par l'Allemagne, et très sensiblement inférieur à celui consenti par le Royaume-Uni.
J'en viens maintenant à la DRSD, un service en transformation, qui réoriente de plus en plus son activité sur le renseignement. Rappelons qu'avec 1 500 agents, ce service doit mener un nombre très importants d'enquêtes administratives (311 000 enquêtes l'an passé), en vue d'assurer la protection de nos forces, du ministère et des emprises militaires, ainsi que des entreprises de la BITD. Le service a donc dû se moderniser considérablement, et mettre en place des outils d'aide au traitement des dossiers, en recourant notamment à l'intelligence artificielle.
Les crédits de la DRSD inscrits au programme 144 progresseront de 12,2 %, pour s'établir à 18,4 M€. En y incluant les dépenses de personnel, les crédits du service seront de 143,2 M€.
Au vu de ces éléments concernant le budget du programme 144, et notamment des crédits du renseignement, marqué par une hausse sensible, je vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
M. Cédric Perrin. - Je souhaiterais revenir sur le financement des PME. Un peu plus de deux ans après la création de l'Agence de l'innovation de défense, quel jugement posez-vous notamment sur la question de l'autonomie de l'Agence, et sur les points soulevés par le rapport de notre commission sur l'innovation de défense ?
Concernant les crédits d'études amont, on peut se réjouir de leur progression. Néanmoins, ils restent pour l'essentiel fléchés sur sept grandes entreprises. Dans quelle mesure les PME peuvent-elles également bénéficier de cette progression des crédits ?
M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis. - Nous avons naturellement auditionné le directeur de l'AID. Concernant tout d'abord la trajectoire définie par la LPM, les chiffres sont bien au rendez-vous à ce stade. Est-ce que la trajectoire beaucoup plus ambitieuse de la seconde partie de la LPM sera tenue ? Nous l'espérons, bien sûr.
Concernant la ventilation des crédits d'études amont, il est certain qu'ils profitent en première analyse essentiellement à de grandes entreprises. Mais c'est aussi parce que ce sont les porteurs de projets. Une partie des crédits irrigue ensuite toute la chaîne de sous-traitants. C'est un point de vigilance.
Mais cette question des crédits d'études amont ne doit pas faire oublier que le fonds du problème est l'accès des entreprises de la défense au financement, que ce soit pour le haut de bilan, les projets ou le bas de bilan. Il y a sur ce sujet une préoccupation très forte aujourd'hui. Tout récemment, une très grande entreprise française s'est vu refuser un paiement à l'étranger.
Au cours de sa réunion du 2 décembre 2020, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné, pour ce qui concerne le programme 144, un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Défense » dans le projet de loi de finances pour 2021.