EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 18 novembre 2020, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits des programmes 844 - France Médias Monde - et 847 - TV5 Monde - de la mission « Audiovisuel extérieur ».
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, co-rapporteur pour avis. - Monsieur le président, chers collègues, j'évoquerai d'abord le contexte financier des deux sociétés de l'audiovisuel public extérieur, à commencer par l'impact de la crise sanitaire sur les comptes. S'agissant de France Médias Monde, la pandémie de covid-19 a eu des effets paradoxalement positifs en 2020. En effet, les surcoûts liés à la crise et la perte de recettes publicitaires ont été plus que compensés par les économies liées à la baisse des dépenses et au report de projets comme la couverture des Jeux olympiques à l'année 2021, faisant apparaître un résultat de 5,4 M€. Ce bénéfice inespéré va permettre à FMM d'accélérer la reconstitution de ses capitaux propres et de préserver ses équilibres financiers à l'horizon 2022.
Concernant TV5 Monde, le bilan est plus nuancé. En effet, au-delà de la baisse prévisible des recettes publicitaires, la chaîne s'attend à une diminution des recettes de distribution, liées à la vente de programmes, particulièrement en Amérique latine, où la situation économique est difficile et les faillites nombreuses. Il s'agit d'une préoccupation pour le modèle économique de la chaîne sur le long terme. TV5 Monde devrait cependant terminer à l'équilibre du fait de la baisse des dépenses en 2020.
Pour 2021, le projet de loi de finances prévoit une dotation de 254,4 M€, en baisse de 0,5 M€, pour FMM et une dotation de 77,7 M€, reconduite par rapport à 2020, pour TV5 Monde. Ces montants sont conformes à la trajectoire financière définie en 2018, qui prévoit une diminution de l'enveloppe destinée à l'audiovisuel public sur la période 2018-2022. Il faut noter que les deux opérateurs devraient aussi recevoir une petite contribution exceptionnelle au titre du plan de relance.
Cette diminution de la ressource publique fragilise les sociétés de l'audiovisuel public extérieur, confrontées par ailleurs à une augmentation mécanique de certains de leurs coûts (comme la masse salariale, à l'évolution incertaine de leurs ressources propres et à la concurrence internationale d'autres opérateurs beaucoup plus soutenus. En 2020, BBC World a reçu une dotation de 373 M€ et la Deutsche Welle de 362 M€, soit plus de 100 M€ de plus que FMM ! Et je ne parle pas des soutiens que reçoivent les médias extérieurs des Etats puissances!
Dans le même temps, les ambitions affichées ne sont pas revues à la baisse, comme en témoignent les plans stratégiques des deux sociétés récemment redéfinis avec les ministères de tutelle.
Dans ce contexte, des choix difficiles doivent être faits. Après l'abandon fin 2018 de la diffusion satellitaire au Royaume-Uni et en Irlande, TV5 Monde a dû réduire sa couverture satellitaire en Europe orientale et en Asie centrale. De la même manière, FMM a dû renoncer à la diffusion de France 24 sur la TNT outre-mer, résilier certains contrats de distribution de la chaîne (notamment aux Etats-Unis et en Allemagne) et réduire sa couverture à Hong-Kong. Elle a dû également se résigner à un plan de départs volontaires portant sur 30 personnes.
Les résultats obtenus par les opérateurs de l'audiovisuel public extérieur n'en restent pas moins méritoires et témoignent d'un fort engagement vis-à-vis de leurs missions. En 2019, FMM a vu le nombre de « contacts hebdomadaires » sur ses trois médias progresser de 17,8 %, la hausse frôlant les 38 % sur le segment numérique. 2019 a notamment été marquée par la montée en puissance de la chaîne France 24 en espagnol, qui est passée d'une diffusion de 6 à 12 heures par jour à budget constant, portant à 13,3 millions le nombre de foyers touchés et permettant une hausse de 50 % du nombre de téléspectateurs hebdomadaires. Il s'agit d'une très grande avancée, qui ancre France 24 en Amérique latine.
TV5 Monde, quant à elle, a lancé il y a quelques semaines sa grande plateforme numérique TV5 Monde Plus et se maintient comme la deuxième chaîne internationale en Afrique francophone. Si son audience linéaire s'effrite en Europe (-9 % en 2019), elle progresse au Moyen-Orient et en Afrique du Nord et en Asie. Je cède maintenant la parole à mon collègue.
M. Jean-Noël Guérini, co-rapporteur pour avis. - Je souhaiterais, pour ma part, insister sur la spécificité des opérateurs de l'audiovisuel public extérieur, sur leur raison d'être qui est de porter le rayonnement de la France et de promouvoir les valeurs françaises et la langue française dans le monde.
La diffusion des valeurs démocratiques et républicaines dans le monde est la première des missions spécifiques assignées à FMM, qui l'intègre dans l'ensemble de sa ligne éditoriale et en fait un thème prioritaire. Ainsi, après l'assassinat de Samuel Paty, l'opérateur a bouleversé ses programmes pour mettre ce thème en avant et renforcé les actions d'éducation aux médias et à l'information.
Cette priorité s'appuie sur le développement de la diffusion en langues étrangères, notamment les langues africaines et la langue arabe. Concernant les langues africaines, il faut souligner l'intérêt du projet Afri Kibaaru, qui bénéficie d'un cofinancement de l'Agence française de développement (AFD) pendant trois ans et demi et qui permet de renforcer les offres de RFI depuis ses trois pôles régionaux de Dakar, Lagos et Nairobi.
Mais, bien sûr, elle repose aussi sur le développement de la francophonie, axe politique fort que partagent FMM et TV5 Monde.
Toutes ces actions s'accompagnent d'une implication forte dans la lutte contre les infox qui cherchent à semer le doute et à miner la confiance dans les démocraties.
Défendre les valeurs portées par la France fait partie de l'ADN du groupe FMM, dont de nombreux journalistes sont réservistes volontaires de l'Education nationale. « Beaucoup de personnes dans le monde, notamment de Français résidant à l'étranger, comptent sur nous pour lutter contre l'obscurantisme » a indiqué Mme Marie-Christine Saragosse lors de son audition.
Cet engagement fort expose nos opérateurs publics et les place en première ligne face aux menaces. Ils sont ainsi régulièrement visés par les cyberattaques. On se souvient particulièrement de celle qui a visé TV5 Monde en 2015. Il s'agit désormais d'un phénomène permanent (FMM enregistre près de 300 000 tentatives d'intrusion par mois et en a subi jusqu'à 400 000 par jour entre mai et juillet 2019). Tout récemment, FMM et TV5Monde ont été la cible de piratages et d'un déferlement de messages de haine en provenance de pays musulmans dans le contexte de l'assassinat de Samuel Paty et la polémique sur les caricatures de Mahomet.
Sur le terrain, personnels et correspondants sont des cibles privilégiées, comme l'illustre la situation du journaliste algérien Khaled Dareni, correspondant de TV5 Monde, en prison depuis mars 2020 pour avoir couvert les manifestations contre le pouvoir du mouvement Hirak. Pour les deux opérateurs, la sécurité des équipes est une préoccupation de premier ordre.
Malgré ces risques, les opérateurs de la politique audiovisuelle extérieure continuent à accomplir leurs missions avec beaucoup de détermination et d'engagement, et nous aurions tout intérêt à les soutenir davantage. Car les idées et les projets ne manquent pas, seuls font défaut les moyens pour les concrétiser.
Deux exemples :
FMM souhaiterait pouvoir développer la diffusion en France (en DAB+) de la radio MCD, estimant qu'il serait particulièrement judicieux de rendre accessible cette radio de langue arabe, laïque et républicaine, sur notre propre territoire national.
Par ailleurs, elle a besoin d'être soutenue pour développer un très beau projet, dénommé ENTR, développé en partenariat avec l'opérateur allemand Deutsche Welle, et qui vise à concrétiser l'idée de « plateforme numérique franco-allemande » prévue par le traité d'Aix-la-Chapelle. Il s'agira d'une offre 100% numérique s'adressant aux jeunes Européens entre 18 et 34 ans et qui vise à contribuer à la lutte contre la montée des populismes et au développement du sentiment d'appartenance européen. Ce projet, pour lequel est sollicitée une subvention européenne, doit en effet bénéficier aussi d'apports des différents partenaires. La Deutsche Welle va y mettre 750 000 € grâce à un financement spécifique du ministère allemand des affaires étrangères. FMM, pour sa part, finançait elle-même sa contribution, sans aide supplémentaire. On parle désormais de flécher sur ce projet une partie de la dotation exceptionnelle de 0,5M€ qui sera allouée à FMM dans le cadre du plan de relance. Cela nous semble indispensable afin que l'apport de FMM puisse être en phase avec celui de son partenaire allemand, dans un souci d'équilibre.
Sous réserve que nous puissions des assurances en ce sens -et je propose que nous interrogions le ministre en séance à ce sujet -, serions disposés à donner un avis positif aux crédits des programmes 844 et 847.
M. Christian Cambon, président. - Merci aux rapporteurs pour leur rapport sur ces opérateurs qui jouent un rôle important pour le rayonnement de la France. L'an passé, nous avions manifesté notre désapprobation à l'égard de la baisse des crédits de FMM et nous avions voté un amendement destiné à prélever des crédits à son profit sur le budget de l'AFD. Malheureusement, nous n'avons pas été suivis à l'Assemblée nationale.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, co-rapporteur pour avis. - Mais notre initiative n'a pas été vaine car l'AFD a finalement accepté de subventionner à hauteur de 15 millions d'euros le programme Afri'Kibaaru qui vise à renforcer l'accès à une information fiable dans plusieurs langues africaines. Ainsi, grâce au Parlement, des progrès sont accomplis, même si nous aurions, bien sûr, préféré inscrire cette mesure dans la loi. Cette année encore, il faudra que nous obtenions des assurances, en particulier sur le projet évoqué par mon collègue Jean-Noël Guérini, car il n'est pas normal que la Deutsche Welle obtienne 0,75 million d'euros et que FMM doive puiser dans ses ressources propres.
M. Christian Cambon, président. - Je souhaite attirer l'attention des rapporteurs sur la manière dont France 24 est perçue dans certains pays ; il m'est arrivé d'être pris à parti à ce sujet par exemple en Egypte ou au Maroc. De surcroît, le nom « France 24 » suggère que c'est la voix officielle de la France qui s'exprime par ce canal. Nous défendons bien sûr la liberté d'expression, mais il faudrait s'assurer que France 24 remplit bien les missions prévues par son cahier des charges.
M. André Gattolin. - En ce qui me concerne, je regarde beaucoup cette chaîne, environ deux heures par jour. Je suis très étonné par l'extrême mansuétude des parlementaires à l'égard de l'audiovisuel extérieur français. J'ai l'impression que les gens qui en parlent ne regardent pas ces médias. Nous avons un problème de stratégie sur le plan technologique. Nous ouvrons en Afrique et en Asie, dans des pays pas toujours démocratiques, des stations FM sous la contrainte gouvernementale. En République Centrafricaine, le ministère des affaires étrangères a dû apporter une rallonge de 1 à 2 millions d'euros pour lutter contre la désinformation russe. La Russie et la Chine diffusent en Afrique et en langue française des médias qui touchent la jeunesse africaine. Les stations FM françaises, elles, ne sont regardées que par les plus de 65 ans. Notre influence est nulle. Il y a une erreur stratégique : l'investissement dans la francophonie est très faible. Je me suis, pour ma part, toujours opposé à la diffusion de France 24 en espagnol tant que nous ne serions pas au niveau en français, en anglais et en arabe. On ne peut demander toujours plus d'argent pour diffuser dans d'autres langues, essayons déjà de bien faire ce qui existe, ce n'est pas le cas aujourd'hui. J'avais, à cet égard, préparé un amendement en vue de l'examen du projet de loi sur la réforme de l'audiovisuel pour obliger FMM à produire au moins 50 % de ses programmes en français.
Quant à la ligne éditoriale, je ne vois pas bien le point de vue français qui serait exprimé dans ces médias. Les journalistes disent ce qu'ils veulent, y compris sur la France. Paradoxalement, le seul média qui donne un point de vue français est TV5 Monde, société dans laquelle la France n'est pas la seule partie prenante. Il faudrait regarder attentivement ce que font les opérateurs de l'audiovisuel public chez nos voisins, tout n'est pas seulement une question d'argent. Par exemple, je constate que nos médias ne s'intéressent pas vraiment à l'Europe et à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, où je siège, je suis régulièrement interviewé par la Deutsche Welle, mais jamais par nos opérateurs. Il faudrait que l'on examine d'un peu plus près les contenus et la cohérence de l'ensemble.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Monsieur le Président, pourriez-vous svp préciser les critiques que vous avez entendues concernant France 24 ?
M. Christian Cambon, président. - Certains responsables gouvernementaux se plaignent d'être la cible de critiques et pensent, en outre, que c'est la voix de la France qui s'exprime.
M. Olivier Cadic. - Je remercie les rapporteurs et salue l'action que notre collègue Joëlle Garriaud-Maylam a évoquée concernant le soutien de l'AFD. J'abonde dans le sens d'André Gattolin sur le manque de cohérence. Le dénigrement de la France s'inscrit dans la guerre hybride, c'est un enjeu important pour nous. L'outil FMM est essentiel pour lutter contre la désinformation à laquelle se livrent certains médias comme RT à des fins de déstabilisation, mais il nous faut piloter davantage sa stratégie.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, co-rapporteur pour avis. - Je m'inscris en faux contre les critiques sur le manque de stratégie de France 24. Il ne faut pas être naïf, il y a des pays où la polémique est répandue, où l'on vous accuse de soutenir tantôt le gouvernement, tantôt l'opposition. FMM ne prétend pas être la voix politique de la France, mais un outil d'influence et de promotion de certaines valeurs, notamment la liberté d'expression et du dialogue. Il est vrai que certains intervenants invités dans les débats ont parfois des propos peu amènes, j'en ai moi-même fait l'expérience. Il doit y avoir une certaine limite. Mais en ce qui concerne la stratégie et le travail qui est mené, je veux rendre hommage à FMM, en particulier France 24, et à TV5 Monde qui, avec des moyens modestes, jouent un rôle important pour notre rayonnement. Nous ne pouvons que les soutenir et essayer de les défendre sur le plan budgétaire.
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a donné un avis favorable, pour ce qui concerne les programmes 844 et 847, à l'adoption des crédits de la mission « Avances à l'audiovisuel public » dans le projet de loi de finances pour 2021, le groupe socialiste, écologiste et républicain s'abstenant.