N° 140

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 ,

TOME I

ACTION EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT :

Action de la France en Europe et dans le monde (Programme 105)

Par MM. Jean-Pierre GRAND et André GATTOLIN,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, Robert del Picchia, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini, vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Philippe Paul, Hugues Saury, secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mme Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, Gérard Poadja, Mme Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Richard Yung.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500

Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021)

SÉCURITÉ DES AMBASSADES ET SOUTIEN DU MULTILATÉRALISME : DES PRIORITÉS À RENFORCER

Avec une augmentation de crédits de 3,65 % en 2021, le budget du quai d'Orsay est-il à la hauteur des enjeux ? La violence fanatique ayant frappé à plusieurs reprises les emprises et symboles français à l'étranger, la loi de finances pour 2021 donne-t-elle au ministère les moyens de sécuriser personnels, biens et intérêts français ? Le positionnement de la France en faveur du multilatéralisme pour garantir la stabilité internationale, permettre le règlement des conflits par le droit, agir en faveur du climat, trouve-t-il assez de traduction concrète au sein d'un programme dont plus de 70 % des crédits sont déjà « fléchés » ? C'est à ces questions que répond le rapport pour avis de la commission des affaires étrangères et de la défense.

I. PRIORITÉ ABSOLUE À LA SÉCURISATION DES EMPRISES FRANÇAISES À L'ÉTRANGER

Les défis sont majeurs en matière de sécurisation du réseau français à l'étranger, 3 ème réseau diplomatique et consulaire au monde , après ceux des Etats-Unis et de la Chine, 1 er réseau culturel, avec près de 1 000 sites , instituts culturels, instituts français de recherche, alliances françaises, et 1 er réseau scolaire, avec 500 établissements . Les représentations de la France à l'étranger, tant diplomatiques que consulaires ou culturelles, et les personnels qui y travaillent, font l'objet de menaces ou de passages à l'acte qui impliquent de continuer et affiner la veille sécuritaire, et de poursuivre la politique de sécurisation des implantations françaises à l'étranger.

Source des photos : Sirpa sur le site du Ministère des Armées

Outre l'importance du réseau déployé à travers le monde (voir les deux cartes ci-contre et ci-dessous, les points rouges représentent les ambassades et les points verts les consulats généraux.) la politique étrangère de la France, en cohérence avec sa politique de défense , qui se traduit par les interventions militaires au Sahel ou au Levant, expose les intérêts français à l'étranger et fait de la France une cible privilégiée .

La Direction de la sécurité diplomatique en charge de la doctrine de sécurité du réseau diplomatique depuis 2017 a été auditionnée par vos rapporteurs le 17 novembre 2020.

Il en ressort que les moyens affectés à chaque poste s'appuient sur une classification des pays en 5 catégories en fonction du niveau de menace. Cette doctrine prévoit un socle minimal à partir duquel des mesures de protection additionnelles sont ajoutées en fonction des niveaux croissants de menaces, et conditionne la programmation des travaux de sécurité ainsi que le déploiement des effectifs de gardes de sécurité diplomatique, (soit 475 ETP policiers et gendarmes français dont la rémunération est prise en charge par le MEAE).

Les crédits affectés à la sécurisation des emprises à l'étranger sont ceux dits de « sécurité passive » , soit 204 millions depuis 2015 ainsi répartis : 26 millions, sur les années 2015 et 2016, 44 millions en 2017, 45 millions en 2018, 49 millions en 2019 pour un effort porté en priorité sur la bande sahélo-saharienne et les pays voisins , 43 millions en 2020 et 42,4 millions en 2021 (16 millions d'euros au titre du P105 auxquels s'ajoutera le dernier versement de 26,4 millions d'euros, financement exceptionnel issu du compte d'affectation spéciale-CAS 723, c'est-à-dire de la vente des biens immobiliers à l'étranger).

Pour des raisons de sécurité évidentes, le détail des travaux et des crédits ne sera pas ici détaillé. Après le plan 2008-2015, largement dépassé par l'accroissement des menaces et l'extension de son champ d'action à l'ensemble du réseau français, un plan quadriennal exceptionnel de 179 M€ a été établi pour la période 2017-2020, étendu à 2021 en raison de la pandémie de Covid. Son avancement est encourageant, puisqu'en en 2021, la totalité des emprises dans les pays à risque sera sécurisée . Deux points d'attention doivent faire l'objet du suivi attentif de la commission dans les années à venir : le financement de la sécurité passive et son champ d'application .

Ce financement a subi les contraintes budgétaires et a bénéficié d'un montage permettant à la fois de maintenir le budget du P105 dans l'enveloppe budgétaire contrainte qui été la sienne et d'accélérer le rythme des investissements de sécurisation des emprises à l'étranger :

Le financement par avance du CAS a permis de répondre à l'urgence, mais présentait trois inconvénients majeurs :

- le P105 a bénéficié de 64,6 M€ au titre du CAS, le reste devant permettre de sécuriser les établissements scolaires. Mais, la charte de gestion du CAS ne permet de financer que les dépenses relatives à l'immobiliser d'État , ce qui a rendu quasiment impossible l'utilisation des crédits dédiés à l'AEFE,

- cette charte de gestion limite les engagements aux seules dépenses d'immobilier . Les dépenses éligibles ne comprenaient notamment pas les systèmes de vidéo-surveillance , ou autre outil numérique , pourtant essentiels à la mise en sécurité des emprises à l'étranger,

- enfin, et ce n'était pas le moindre défaut, il gageait ces crédits, qui n'étaient qu'une avance, au remboursement par versement du produit des cessions immobilières . Le mécanisme était encore plus désavantageux, puisque le produit d'une vente ne pouvait être affecté en globalité au remboursement, mais seulement pour moitié .

Le ministère bénéficie de la reconduction sur 2021-2025 des droits de retour à 100% sur le produit de ses cessions, décidée en 2017. Dès l'année prochaine, le remboursement devrait se dérouler de la manière suivante : sur la totalité des encaissements relatifs aux cessions, 50% seront dédiés au CAS723 pour le remboursement de l'avance tandis que l'autre moitié reviendra au P105 au titre des droits de tirage, afin de financer d'autres projets immobiliers.

Afin de consolider la mise en place de ce mécanisme de remboursement, le MEAE a transmis à titre de garantie à Bercy, une liste de futures cessions évaluée à 143 M€ (par le MEAE). Cette liste déjà conséquente ne couvre pas l'avance de 100 M€. Ceci fera l'objet d'un développement ultérieur.

Sur 64,9 M€ dédiés à la sécurité en 2021 au titre du P105, 12,7 M€ bénéficient à la sécurisation des emprises en France (Quai d'Orsay et site nantais) et 52,2 M€ à la sécurisation des emprises à l'étranger. Dans cette enveloppe , les crédits de sécurité passive ne représentent que 20 M€ dont 15,9 M€ d'investissement grâce à une mesure nouvelle allouant 7,4 M€ à ce poste en 2021 (les autres dépenses sont dédiées au gardiennage 19 M€, à l'achat de véhicules blindés et à la mission d'audit pour respectivement 5,3 et 5,1 M€, et les frais de déménagement des gendarmes pour 2,4 M€).

Ce « rebasage » budgétaire semble très modeste aux regards des enjeux de sécurité. Le niveau de crédits budgétaires consacrés à la sécurité n'a pas retrouvé son niveau de 2018, soit 78 M€, soit un écart de 13,1 millions d'euros. La rebudgétisation des crédits de sécurisation était indispensable, vu les inconvénients du financement par le CAS, mais le niveau des crédits budgétaires devra augmenter au rythme des besoins, « hors enveloppe » du ministère. La sécurité du réseau est indispensable à la crédibilité de la politique étrangère et ne dépend pas que du MEAE.

Enfin, le champ d'application des travaux de sécurisation des emprises ne doit pas se limiter aux plus hauts degrés de menaces identifiées par la doctrine de la sécurité diplomatique . En Grèce, de multiples atteintes contre nos emprises ont été recensées, tant des dégradations mineures (tags, jets de pavés, ...) que des attaques majeures : en 2016, un attentat à la grenade à l'ambassade à Athènes, en 2017, des incendies criminels à l'école française d'Athènes et à l'Institut français de Grèce ainsi que des dégradations à l'Institut français de Thessalonique, et, en 2018, un repérage hostile des protections de notre ambassade. Les atteintes subies, comme les attentats récents à Vienne, rappellent la nécessité de ne pas négliger la sûreté de nos emprises et de nos personnels en Europe et dans le monde occidental en général .

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