II. LES MINEURS INCARCÉRÉS, QUELLE PRISE EN CHARGE PAR LA PROTECTION JUDICIAIRE DE LA JEUNESSE ?

Sur les 143 327 mineurs suivis par la protection judiciaire de la jeunesse 4 ( * ) , seule une infime proportion est incarcérée . Cette situation est consubstantielle à l'approche que la France a retenue de la justice des mineurs depuis 1945. La prison marque un échec du système de détection et de prise en charge de l'enfance en danger, que ce soit avant ou après que des faits délictuels ou criminels aient été commis. En effet, la PJJ utilise toute la période avant jugement pour travailler avec le mineur afin de parvenir à une prise de conscience de l'acte et à la mise en place de mesures alternatives à la peine, notamment de mesures de réparation. L'incarcération bouleverse nécessairement le travail d'éducation et d'insertion mené avec un mineur, même si elle peut être l'occasion d'un nouveau départ.

Les services de la PJJ en milieu pénitentiaire doivent donc gérer le temps de détention tout en l'inscrivant dans la continuité de sa prise en charge et en préparant la sortie du mineur détenu. Même si les relations avec les autres acteurs de l'incarcération, l'administration pénitentiaire bien sûr mais également l'Education nationale et les professionnels de santé , permettent de faire fonctionner des programmes communs destinés aux mineurs emprisonnés, les différentes administrations peuvent avoir différentes visions des objectifs poursuivis, ce qui est créateur de tensions.

Le risque est que, dans un univers naturellement marqué par la logique et les contraintes de l'administration pénitentiaire, le partenariat avec l'Education nationale ne conduise à minimiser le rôle et l'apport nécessaire de la PJJ, réduite au rôle de simple organisatrice d'activités, à la prise en charge des mineurs incarcérés et à la préparation de leur sortie.

Dans la continuité de son précédent rapport qui avait abordé le sujet des centres éducatifs fermés, votre rapporteure a donc souhaité cette année s'intéresser à la situation des mineurs détenus et au rôle de la PJJ dans leur prise en charge.

Les engagements internationaux de la France
en matière d'incarcération des mineurs

L'incarcération des mineurs est encadrée par de nombreuses dispositions internationales qui lui sont directement consacrées ou qui s'appliquent à elle dans le cadre notamment des garanties internationales des droits de l'homme.

La mise en place des établissements pour mineurs et le processus de labellisation des établissements pénitentiaires tend à la mise en oeuvre de la Convention internationale des droits de l'enfant et des Règles pénitentiaires européennes.

1. Article 37 de la Convention relative aux droits de l'enfant (adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, ratifiée par la France le 7 août 1990) et entrée en application en France le 6 septembre 1990.

Cet article stipule que :

« Les États parties veillent à ce que :

« a - Nul enfant ne soit soumis à la torture ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Ni la peine capitale ni l'emprisonnement à vie sans possibilité de libération ne doivent être prononcés pour les infractions commises par des personnes âgées de moins de dix-huit ans ;

« b - Nul enfant ne soit privé de liberté de façon illégale ou arbitraire.

« L'arrestation, la détention ou l'emprisonnement d'un enfant doit être en conformité avec la loi, n'être qu'une mesure de dernier ressort, et être d'une durée aussi brève que possible ;

« c - Tout enfant privé de liberté soit traité avec humanité et avec le respect dû à la dignité de la personne humaine, et d'une manière tenant compte des besoins des personnes de son âge. En particulier, tout enfant privé de liberté sera séparé des adultes, à moins que l'on n'estime préférable de ne pas le faire dans l'intérêt supérieur de l'enfant, et il a le droit de rester en contact avec sa famille par la correspondance et par des visites, sauf circonstances exceptionnelles ;

« d - Les enfants privés de liberté aient le droit d'avoir rapidement accès à l'assistance juridique ou à toute autre assistance appropriée, ainsi que le droit de contester la légalité de leur privation de liberté devant un tribunal ou une autre autorité compétente, indépendante et impartiale, et à ce qu'une décision rapide soit prise en la matière ».

2. Règles pénitentiaires européennes (RPE)

Les RPE ont été adoptées par l'ensemble des 47 pays membres du Conseil de l'Europe, dont la France, le 11 janvier 2006 . Initialement adoptées en 1973, et révisées une première fois en 1987, ces règles visent à harmoniser les politiques pénitentiaires des Etats membres du Conseil de l'Europe et à leur faire adopter des pratiques et des normes communes. Ces 108 règles portent à la fois sur les droits fondamentaux des personnes détenues, le régime de détention, la santé, l'ordre et la sécurité des établissements pénitentiaires, le personnel de l'administration pénitentiaire, l'inspection et le contrôle des prisons.

Bien que ces recommandations ne revêtent en elles-mêmes aucune valeur contraignante pour les Etats, elles constituent pour le ministère de la Justice un cadre de référence sur lequel l'administration pénitentiaire entend fonder son action. Lors de la discussion du projet de loi pénitentiaire de 2008, l'étude d'impact indiquait ainsi que « l'administration pénitentiaire a décidé de faire du respect des règles pénitentiaires un objectif prioritaire tant en ce qui concerne l'orientation de sa politique de modernisation que dans ses pratiques professionnelles ».

Plusieurs articles des RPE concernent directement les mineurs :

« 11.1 Les mineurs de 18 ans ne devraient pas être détenus dans des prisons pour adultes, mais dans des établissements spécialement conçus à cet effet.

« 11.2 Si des mineurs sont néanmoins exceptionnellement détenus dans ces prisons, leur situation et leurs besoins doivent être régis par des règles spéciales.

« 35.1 Lorsque des mineurs de 18 ans sont exceptionnellement détenus dans une prison pour adultes, les autorités doivent veiller à ce qu'ils puissent accéder non seulement aux services offerts à tous les détenus, mais aussi aux services sociaux, psychologiques et éducatifs, à un enseignement religieux et à des programmes récréatifs ou à des activités similaires, tels qu'ils sont accessibles aux mineurs vivant en milieu libre.

« 35.2 Tout mineur détenu ayant l'âge de la scolarité obligatoire doit avoir accès à un tel enseignement.

« 35.3 Une aide supplémentaire doit être octroyée aux mineurs libérés de prison.

« 35.4 Lorsque des mineurs sont détenus en prison, ils doivent résider dans une partie de la prison séparée de celles abritant des adultes, sauf si cela est contraire à l'intérêt de l'enfant. »

Le commentaire de la Règle 35 par le Conseil de l'Europe indique que les État doivent « veiller particulièrement :

« - à les protéger de toute forme de menace, violence ou abus sexuel ;

« - à leur offrir une éducation et une formation appropriées ;

« - à les aider à maintenir des contacts avec leur famille ;

« - à leur offrir un soutien et un accompagnement en matière de développement émotionnel ; et

« - à leur proposer des activités sportives et de loisirs appropriées. »

A. UN NOMBRE DE MINEURS INCARCÉRÉS PARTICULIÈREMENT ÉLEVÉ EN 2019

Les mineurs sous écrou (détenus et non détenus 5 ( * ) ) sont désormais aussi nombreux qu'il y a trente ans. Un sommet a été atteint en juillet 2019 avec 894 mineurs écroués . Ce chiffre est celui communiqué par l'administration pénitentiaire dans la cadre de ses relevés trimestriels. Il indique combien de mineurs sont sous écrou le premier jour du trimestre. Il permet de mesurer l'évolution du nombre de personnes incarcérées mais est soumis à de fortes variations infra-annuelles 6 ( * ) , comme le montre le graphique ci-après.

Plus significatif est le nombre de mineurs qui sont incarcérés au cours d'une année . Ce chiffre cependant n'est pas diffusé par l'administration pénitentiaire et il doit être reconstitué à partir de l'étude des cas individuels. Le dernier chiffre disponible datant de 2015, calculé par le service de statistiques de l'administration pénitentiaire, s'établit autour de 3 000 mineurs incarcérés au cours d'une année 7 ( * ) . Ce nombre de mineurs serait resté stable pendant dix ans avant d'augmenter au cours des deux dernières années.

Les mineurs, qui ne peuvent être incarcérés qu'à partir de 13 ans , le sont dans deux types d'établissements, les quartiers pour mineurs des prisons pour adultes et, depuis un peu plus de quinze ans, dans les établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) , créés par la loi d'orientation et de programmation pour la Justice du 9 septembre 2002, dite loi « Perben I ». Ces derniers ont été conçus pour offrir une réponse plus adaptée et plus éducative dans les cas où la détention a été décidée par le juge. Mais leur nombre est limité. Il en existe six en France, chacun ayant une capacité de 60 places. Ceci signifie que la majorité des mineurs détenus (63,7 % au 1 er octobre 2019) le sont dans les quartiers pour mineurs.

Ces quartiers sont répartis dans 51 maisons d'arrêt et centres pénitentiaires sur l'ensemble du territoire national 8 ( * ) . Au 1 er octobre 2019, 30 de ces quartiers comptaient moins de 11 détenus (dont 13, moins de 6) et 42, moins de 21 détenus.

Les 9 établissements comptant plus de vingt détenus sont les six établissements pour mineurs, le centre pénitentiaire d'Aix-Luynes et deux des trois maisons d'arrêt de la région parisienne, Villepinte et surtout Fleury-Mérogis qui comporte le plus important quartier pour mineurs de France avec plus de 80 détenus.

S'agissant du lieu de détention et notamment du choix entre établissement pour mineurs et quartier pour mineurs, nos anciens collègues Jean-Claude Peyronnet et François Pillet, dans leur rapport de 2011 Enfermer et éduquer : quel bilan pour les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs ? 9 ( * ) , expliquaient : « L'administration pénitentiaire est soumise aux décisions du juge quant au choix des lieux d'incarcération. Ce choix est en pratique dicté par des considérations de proximité avec le siège de la juridiction (en particulier lorsque le prévenu, dans le cadre d'une procédure criminelle, doit répondre régulièrement aux convocations du juge d'instruction) ou de disponibilités de places de détention . »

En pratique, un établissement ne peut donc refuser d'accueillir un mineur au motif qu'il serait plein. L'EPM de Porcheville a ainsi été conduit pendant une courte période à accueillir 62 jeunes pour 60 places. Cette situation peut être d'autant plus problématique que les EPM ne peuvent pas fonctionner durablement avec un taux d'occupation à 100 %. Outre les nécessités liées à d'éventuels travaux dans les cellules pour assurer leur salubrité, les EPM, comme tous les établissements pénitentiaires, répartissent leurs places entre l'encellulement ordinaire et deux quartiers spécifiques, le quartier des arrivants et celui des mineurs dont la sortie est programmée.

La prise en charge des mineurs incarcérés dans ces deux quartiers est évidemment spécifique et sensible. Les personnels intervenant en prison ont insisté sur l'effet de sidération que produit l'incarcération sur les mineurs qui la subissent pour la première fois et sur la nécessité de le gérer, notamment pour prévenir toute tentative de suicide. Or, la saturation de l'établissement conduit à la désorganisation de l'accueil ou de la préparation de la sortie. Un constat similaire a pu être dressé au sein du quartier pour mineurs de Fleury-Mérogis dont la saturation conduit à prolonger la période passée dans la partie réservée aux arrivants. Celle-ci peut alors durer jusqu'à un mois, ce qui entrave la mise en place des activités éducatives.

Un volant de 8 à 10 % de places libres, comme on peut le constater dans la plupart des EPM, permet le bon fonctionnement de l'établissement sur la durée.

La création des établissements pour mineurs

La loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 avait prévu la création de 420 places pour mineurs réparties entre 7 EPM.

En fait, seuls six centres ont effectivement été réalisés. Le programme s'est échelonné entre juin 2007 et mars 2008. Bien que les clés de l'EPM Meyzieu (Rhône) ait été les premières remises au garde des sceaux, le 2 avril 2007, l'établissement a ouvert peu après l'EPM de Lavaur (Tarn) en juin 2007. Ces ouvertures ont été suivies par celles des EPM de :

- Quiévrechain (Nord) en septembre 2007 ;

- Marseille (Bouches-du-Rhône) en novembre 2007 ;

- Orvault (Loire Atlantique) en janvier 2008 ;

- Porcheville (Yvelines) en mars 2008.

L'EPM qui devait ouvrir à Meaux-Chauconin (Seine-et-Marne) a été remplacé par la réalisation d'un quartier de semi-liberté / quartier pour peines aménagées destiné aux personnes détenues adultes. Après des retards de travaux et dans un contexte de faible occupation des quartiers pour mineurs (680 mineurs incarcérés au deuxième trimestre 2009), la réaffectation de l'établissement a été décidée en juin 2009. Dans le contexte actuel de forte tension sur les places pour mineurs détenus, il est question de réaffecter cet établissement aux mineurs, selon des modalités qui restent à déterminer.

Établissements de détention pour mineurs

Source : Direction de l'administration pénitentiaire :
Carte de l'administration pénitentiaire 2017 et Statistiques des établissements
des personnes écrouées en France, situation au 1 er octobre 2019

Source : statistiques trimestrielles de l'administration pénitentiaire

La durée de détention des mineurs est extrêmement variable et la moyenne de ces durées ne fait guère de sens. En effet, les mineurs incarcérés sont dans leur grande majorité (78 % au 1 er janvier 2019) des prévenus , pour la plupart du fait d'une violation de leur contrôle judiciaire. Ils sont détenus pour une période qui va de quatre jours à un mois. A l'autre extrême, des mineurs sous mandat de dépôt peuvent passer jusqu'à un an (s'ils ont moins de seize ans) ou deux ans (s'ils ont plus de seize ans) en détention.

Près de 90 % des détenus ont plus de seize ans. Ce qui conduit à souligner, comme l'ont fait les organisations syndicales de la PJJ, qu'un nombre inconnu de jeunes majeurs sont incarcérés à raison de faits commis lorsqu'ils étaient mineurs.

Les faits à l'origine de l'incarcération ne sont pas recensés pour les prévenus, mais il ressort des informations communiquées à votre rapporteure que la principale cause d'incarcération est la suspicion de violences commises contre les personnes avec, pour les détenus entre 13 et 16 ans, des faits le plus souvent commis en bande.

Dans son avis précité du 27 mars 2018, la CNCDH dénonce l'augmentation de l'incarcération des mineurs. Elle trouve à cette situation trois causes structurelles.

La première est la tendance à la « surpénalisation » du comportement des mineurs, qui résulte, d'une part, de l'adoption de mesures pénales considérant comme facteur aggravant « certains comportements spécifiques aux mineurs » mais surtout, d'autre part, d'une augmentation de la réponse pénale. La CNCDH souligne ainsi qu'« en 2017, la réponse pénale pour les mineurs est de 94 % alors qu'elle est de 70 % pour les majeurs ».

La deuxième cause identifiée est la modification de la temporalité de la justice des mineurs, avec une accélération des procédures conduisant au recours accru au défèrement, notamment pour les mineurs non accompagnés, conduisant à un taux plus élevé d'incarcération. La troisième cause est la banalisation de l'enfermement, liée à l'augmentation du nombre de contrôles judiciaires prononcés (qui a doublé entre 2005 et 2016), et le recours accru à la détention provisoire pour les mineurs prévenus.

Votre rapporteure considère que ces causes devront être abordées et examinées avec attention lors de la discussion du projet de ratification de l'ordonnance relative à la justice des mineurs.


* 4 Chiffre 2018.

* 5 Entre dix et quinze mineurs sous écrou ne sont pas incarcérés.

* 6 « C'est au 1 er juillet que l'on observe l'effectif le plus élevé (...) et au 1 er septembre qu'il est le plus faible (...). Les causes de ces variations saisonnières sont à chercher du côté des vacances judiciaires. » Article « Variations saisonnières » du Dictionnaire de démographie pénale de Pierre V. Tournier, L'Harmattan, 2010.

* 7 Enquête DAP/DPJJ sur la situation des mineurs détenus au 01/06/2015, citée par la Note du 24 août 2017 de la directrice de la Protection judiciaire de la jeunesse, BOMJ n°2017-09 du 29 septembre 2017.

* 8 Au 1 er octobre 2019, trois centres de semi-liberté situés dans l'est de la France (Besançon, Maxéville et Souffelweyersheim) étaient susceptibles d'accueillir des mineurs ; néanmoins, un seul, celui de Besançon, comptait un mineur détenu.

* 9 Rapport d 'information n° 759 fait au nom de la commission des lois par le groupe de travail sur l'enfermement des mineurs délinquants, 12 juillet 2011 :

https://www.senat.fr/rap/r10-759/r10-7591.pdf

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