B. DES COOPÉRATIONS EN CONSTRUCTION
1. Les prémices d'un véritable partenariat entre l'État et les régions ?
Malgré une répartition des compétences clarifiée, l'État et les régions continueront à agir concurremment dans le domaine du développement économique, et c'est pourquoi il importe de renforcer leur coordination .
Selon les représentants du ministère de l'économie et des finances et des régions, entendus par votre rapporteur, un « cadre national de référence » serait en préparation, afin de préciser les modalités de cette coopération, qu'il s'agisse de la politique d'innovation (pôles de compétitivité), de réindustrialisation (programme « Territoires d'industrie »), de sécurité économique, ou encore de l'accompagnement des entreprises en difficulté. Sur ce dernier plan, il s'agit notamment de mieux définir le partage des tâches entre l'État et les régions en fonction de la taille des entreprises concernées, ainsi que d'améliorer la détection des « signaux faibles » qui annoncent les difficultés, grâce aux informations dont disposent les différentes administrations.
Au niveau national, afin de formaliser les échanges réguliers entre le ministère et les conseils régionaux, la création d' un conseil économique État-régions serait à l'étude, qui se réunirait plusieurs fois par an.
Votre rapporteur apporte un soutien appuyé à ces efforts pour consolider la coopération entre l'État et les conseils régionaux en faveur de nos entreprises . C'est non seulement indispensable parce que les zones de chevauchement perdureront nécessairement entre leurs actions respectives, mais aussi parce qu' une politique économique doit s'appréhender dans sa globalité , même si les instruments en sont maniés par des acteurs différents. Les choix faits par l'État en matière de fiscalité, d'investissement, de politique du crédit, par exemple, doivent pouvoir être discutés avec les administrations locales dont les leviers d'action sont plutôt d'ordre micro-économique.
Par ailleurs, la future loi « 3D » (décentralisation, différenciation et déconcentration), annoncée pour 2020, pourrait être l'occasion de consolider les compétences économiques des régions , en renforçant leurs prérogatives en matière de politique de l'emploi ou de transition écologique , notamment.
2. La réorganisation sous contrainte des chambres consulaires
Parallèlement, le réseau des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et celui des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) poursuivent leur transformation , en application de la loi et sous la contrainte financière.
En ce qui concerne les CCI , la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises , dite « PACTE », a sensiblement renforcé le rôle de pilotage de l'établissement situé à la tête du réseau, CCI France . Elle a notamment prévu que CCI France percevrait désormais seule le produit de la taxe pour frais de chambre de commerce et d'industrie, à charge de le répartir entre les chambres, et que l'établissement signerait seul avec l'État un contrat d'objectifs et de performance définissant les missions prioritaires du réseau financées par cette taxe, décliné dans des conventions d'objectifs et de moyens signées avec chaque chambre régionale.
Le premier contrat d'objectifs et de performance a été signé avant même la publication de la loi « PACTE », le 15 avril 2019. Les missions prioritaires assignées aux CCI y sont définies autour de cinq axes : la promotion de l'entreprenariat, l'appui aux entreprises dans leurs mutations, l'accompagnement à l'international, la représentation des entreprises et l'appui aux territoires 13 ( * ) . Les autres prestations proposées par les CCI ont désormais vocation à être autofinancées.
La hiérarchisation des missions des CCI est d'autant plus nécessaire que les baisses successives du plafond d'affectation de la taxe pour frais de chambre ont réduit les recettes fiscales perçues par le réseau de 1,38 milliard d'euros de 2012 à 646 millions en 2019, ce qui est sans exemple parmi les administrations publiques. Dans ce contexte, l'article 15 du projet de loi de finances pour 2020, tout en tirant les conséquences de la loi « PACTE » qui a fait de CCI France l'affectataire unique de la taxe, prévoit une diminution et une harmonisation progressive de son taux 14 ( * ) qui entraînerait une baisse de 400 millions d'euros des ressources du réseau entre 2018 et 2023 , alors qu'un rapport d'inspection de 2018 évaluait à 170 millions d'euros le maximum envisageable 15 ( * ) .
À cet égard, votre rapporteur appelle à la prudence . La forte contribution au redressement des finances publiques demandée jusqu'ici aux CCI ne doit pas s'aggraver au point de remettre en cause les missions essentielles des chambres au service de nos entreprises. Sans ressources fiscales suffisantes, celles-ci seront contraintes d'accélérer le mouvement consistant à substituer des services payants aux prestations gratuites ou facturées en-deçà de leur coût, au préjudice des entreprises les plus petites ou les plus fragiles.
Quant aux CMA , les ressources qu'elles tirent de la taxe pour frais de chambre se stabilisent au contraire à 203 millions d'euros. La loi « PACTE » a prévu de généraliser le modèle des CMA de région (CMAR), substituées aux chambres départementales. Selon les représentants de CMA France, entendus par votre rapporteur, le choix a été fait de privilégier les échelons correspondant à ceux des administrations publiques locales compétentes en matière économique, c'est-à-dire l'échelon régional pour les CMAR et l'échelon intercommunal pour les antennes locales.
Par ailleurs, la loi « PACTE » a prévu l'adoption, après chaque renouvellement général, d'un plan de mutualisation entre les CCI et CMA de niveau régional, qui pourra porter aussi bien sur les moyens matériels des chambres que sur leur offre de services.
3. De nouvelles formes de coopération territorialisée
a) La « Team France Export », une initiative prometteuse
Le Gouvernement a annoncé en février 2018 son intention de réorganiser la politique de soutien à l'exportation des entreprises, en regroupant sous la bannière d'une « Team France Export » les différentes institutions publiques concourant à cette politique : services de l'État, régions, Business France, Bpifrance, CCI, etc .
Au niveau régional, il s'agissait de mettre en place un guichet unique à destination des entreprises, piloté par le conseil régional et associant Business France et les CCI. Cela a conduit Business France à affecter plusieurs dizaines de ses conseillers en développement international au sein des CCI régionales.
Au niveau national a été créé en juin 2019 un portail numérique dénommé « plateforme des solutions » , qui regroupe l'ensemble des offres d'accompagnement à l'export, y compris les offres de financement de Bpifrance ou des conseils régionaux.
Sur le même modèle a été constituée une « Team France Invest » regroupant les acteurs publics chargés de la promotion des investissements étrangers en France.
Ces regroupements, qui semblent produire de premiers résultats encourageants, doivent servir d'exemple dans d'autres domaines. Ils mériteraient également d'être approfondis : sans doute les chambres des métiers et de l'artisanat devraient-elles, par exemple, être mieux associées à la « Team France Export », car nos entreprises artisanales, notamment dans les secteurs du luxe, des métiers d'art et de l'agro-alimentaire, ont aussi des atouts à faire valoir sur les marchés internationaux.
b) Qu'attendre de l'Agence nationale de la cohésion des territoires ?
Pour sa part, l'Agence nationale de la cohésion des territoires , dont la création est prévue le 1 er janvier 2020, reste un objet mal identifié . Cet établissement public de l'État, à la gouvernance duquel les élus locaux seront associés - même si le Sénat aurait souhaité aller plus loin en ce sens 16 ( * ) - sera chargé, d'une part, de soutenir l'action des collectivités territoriales dans des domaines variés - accès aux services publics, accès aux soins, logement, mobilités, politique de la ville, revitalisation des centres-villes et centres-bourgs, transition écologique, développement économique, numérique - d'autre part, d' exercer certaines compétences de l'État en coordination avec les collectivités. À ce titre, l'Agence doit incorporer plusieurs établissements publics et services de l'État, à savoir l'établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (EPARECA), l'Agence du numérique et une large partie du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET). Elle devra également conclure des conventions pluriannuelles avec l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) et la Caisse des dépôts et consignations.
Il faut souhaiter que la création de cette agence soit l'occasion de mieux coordonner l'action des différentes collectivités publiques, en particulier dans les domaines de la politique commerciale et artisanale et de l'aménagement numérique. Il est impératif, à cet égard, que l'action des services économiques de l'État en région soit articulée avec celle de l'agence : les discussions à ce sujet sont encore en cours, selon les informations recueillies par votre rapporteur, entre l'actuel CGET et la direction générale des entreprises.
* 13 Ce document est consultable à l'adresse suivante : https://www.cci.fr .
* 14 Plus précisément, le taux de la taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises serait progressivement harmonisé jusqu'à atteindre un taux unique de 0,8 % en 2023, tandis que celui de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises serait fixé à 1,73 % dès 2020.
* 15 Inspection générale des finances, Conseil général de l'économie, de l'industrie, de l'énergie et des technologies, Contrôle général économique et financier, « Revue des missions et scénarios d'évolutions des chambres de commerce et d'industrie et des chambres des métiers et de l'artisanat », mars 2018. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.igf.finances.gouv.fr .
* 16 Voir le rapport n° 98 (2018-2019) de M. Louis-Jean de Nicolaÿ, fait, en première lecture, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, sur la proposition de loi portant création d'une Agence nationale de la cohésion des territoires, consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l18-098/l18-098.html .