B. DES DÉTENUS SOUVENT ISOLÉS, INOCCUPÉS ET VIOLENTS
1. Un isolement parfois total
Les personnes incarcérées dans les outre-mer sont souvent en situation d'isolement pour plusieurs raisons.
La première concerne plus spécifiquement les détenus d'origine étrangère , particulièrement nombreux en Guyane et à Mayotte. Leur proportion s'établit ainsi aux alentours de 52 % dans le centre pénitentiaire de Remire-Montjoly (Guyane), alors que la moyenne nationale se situe autour de 18 %. À Mayotte, selon un rapport de visite du Contrôleur général des lieux de privation de liberté datant de 2016 7 ( * ) , de nombreux Comoriens se sentent laissés pour compte : ils ressentent un manque de soutien et ont des difficultés à communiquer.
Le deuxième facteur d'isolement a trait à la répartition géographique des établissements pénitentiaires ultramarins :
- les collectivités de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy ne disposent d'aucun établissement pénitentiaire sur leur territoire. Les personnes originaires de ces îles sont donc détenues en Guadeloupe, ce qui induit un éloignement de leurs familles et un coût financier élevé pour les proches souhaitant leur rendre visite ;
- en Nouvelle-Calédonie , à l'inverse de la Polynésie française qui dispose de quatre établissements permettant de limiter l'éloignement entre les détenus et leurs familles, l'ensemble des capacités pénitentiaires est concentré à Nouméa. La Nouvelle-Calédonie accueille de plus les condamnés à des peines supérieures à deux ans venant de Wallis-et-Futuna . La construction de nouveaux centres de détention prévue par le Gouvernement à Koné, dans la province Nord, et à Wallis-et-Futuna, constituera une grande avancée de ce point de vue.
En outre, le tissu associatif et le nombre de visiteurs de prison sont faibles, tandis que les établissements ultramarins sont dépourvus d'unités de vie familiale (UVF).
Enfin, certains détenus choisissent, pour des raisons d'accès à la formation et au travail notamment, d'être transférés dans les maisons centrales toutes situées dans l'hexagone. Ils se retrouvent alors coupés de leur environnement habituel, tant social que culturel, et n'ont que peu de possibilités de maintenir leurs liens familiaux 8 ( * ) .
2. Une absence d'activités néfaste
La loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire consacre l'obligation d'activités pour la population carcérale. L'accès à ces activités, au travail et à la formation est cependant variable en fonction des établissements . Il dépend notamment de l'implication des partenaires locaux.
En 2017, le nombre d'heures d'activité était de 2 h 17 hebdomadaires par personne détenue dans les outre-mer . Ce taux, qui comprend les activités culturelles, socioculturelles, le sport, les formations professionnelles, l'enseignement, et le travail, est particulièrement faible comparé à l'hexagone. La moyenne nationale était en effet, toutes activités confondues (socioculturelles, sportives, éducatives ou de travail), de 3 h 46 par jour et par personne détenue en 2017. Le Livre blanc pour l'immobilier pénitentiaire , remis le 4 avril 2017, préconisait de faire de l'offre de 5 heures d'activité par jour pour chaque personne détenue une norme à atteindre par l'administration pénitentiaire 9 ( * ) .
En matière d'enseignement, 1 555 personnes détenues sont scolarisées dans les outre-mer , soit environ 30,5 % de la population carcérale totale de ces territoires. Le taux d'encadrement est faible (de 18 heures et 56 minutes de cours pour 100 personnes détenues, pour une moyenne nationale de 21,93 heures). L'écart est essentiellement dû à la zone Antilles-Guyane, pour laquelle ce taux est de 16 heures et 36 minutes d'enseignement pour 100 personnes détenues. Ce taux est néanmoins en hausse depuis 2015, et la mission des services pénitentiaires de l'Outre-mer a indiqué à votre rapporteur avoir sensibilisé les recteurs à la problématique spécifique des établissements de Martinique, Guadeloupe et Guyane.
Concernant la formation, les établissements d'outre-mer et plus particulièrement ceux des Antilles et de Guyane ont rencontré de grandes difficultés à la suite du transfert de cette compétence aux conseils régionaux. La formation a repris depuis 2017 en Guadeloupe et, plus tardivement dans l'année, en Martinique. Votre rapporteur déplore cependant que la grande majorité des formations ouvertes dans la zone Antilles-Guyane ne soient pas qualifiantes. Sont ainsi proposées des formations de « remise à niveau », « pré-qualifiantes », « d'initiation », ou encore de « découverte des métiers ». Ces actions peuvent certes être un premier pas vers un métier. Mais il ne s'agit pas de formation certifiante ou diplômante, ce qui pèse sur la réinsertion future des détenus. En outre, cinq établissements ne proposaient aucune formation en 2018 . Il s'agit des établissements à faible capacité d'accueil et du centre pénitentiaire de Majicavo. Ce dernier cas est préoccupant puisque, depuis la reprise de la compétence par le Département de Mayotte en janvier 2018, aucune formation n'est proposée alors que l'établissement accueille 314 détenus 10 ( * ) . Selon les informations recueillies par votre rapporteur, la formation ne devrait reprendre qu'au cours de l'année 2019.
Enfin, l'accès au travail dans les outre-mer est également limité. Aucun service de l'emploi pénitentiaire (SEP) n'existe. La grande majorité des postes offerts sont ceux du service général, proposés par l'administration pénitentiaire et visant à l'entretien des bâtiments et au bon fonctionnement de la vie pénitentiaire. Six établissements proposent également quelques postes en concession. Cependant, l'offre ne couvre généralement que la moitié de la demande , un grand nombre de personnes détenues étant en attente d'un poste. Cette situation n'est pas satisfaisante car le travail en détention permet à la fois d'indemniser les victimes, d'aider la famille, d'améliorer l'ordinaire, de créer du lien social et de retrouver un rythme de vie.
En conformité avec la loi pénitentiaire de 2009, un effort doit être entrepris pour développer l'accès au travail. Il n'est pas acceptable qu'en l'absence de maison centrale dans les outre-mer, les détenus demandent leur transfert vers la métropole - se retrouvant dans un contexte de déracinement et d'isolement parfois total - pour pouvoir bénéficier d'un meilleur accès à la formation et au travail et mieux préparer leur sortie. Cette situation est contraire au principe de continuité territoriale promu par les plus hautes autorités de l'État depuis plusieurs années.
L'offre de travail dans les établissements pénitentiaires ultramarins en 2017
Source : commission des lois du Sénat, à
partir des données transmises
par la direction de l'administration
pénitentiaire
3. Une violence omniprésente
La suroccupation des établissements et l'absence d'activité, outre leurs incidences sur le confort et la qualité de vie des détenus, contribuent à la hausse de la violence à l'égard des personnels et entre les personnes détenues . Selon les informations recueillies par votre rapporteur, les agressions physiques envers les personnels ont augmenté de 5 % en un an (passant de 132 à 139 actes entre le 1 er octobre 2017 et le 1 er octobre 2018), tandis que les agressions verbales augmentaient de 35 % (passant de 526 actes au 1 er octobre 2017 à 710 actes au 1 er octobre 2018). Les violences entre personnes détenues se sont quant à elles accrues de 8 % entre 2017 et 2018, et incluent des meurtres en cellule.
La plupart des établissements pénitentiaires ultramarins font face à de nombreuses manifestations de violence. La situation est exacerbée dans la zone Antilles-Guyane , tout particulièrement en Guadeloupe et en Guyane. Il a ainsi été relaté à votre rapporteur que certains détenus parvenaient à se fabriquer des sabres à partir des lits en métal en Guyane. En Guadeloupe, la détention des nombreux chefs de gangs introduit cette problématique au sein des établissements pénitentiaires : le quartier maison d'arrêt et le quartier centre de détention sont ainsi séparés en deux pour ne pas mélanger les membres des deux gangs principaux. En 2016, une opération de transfèrement pour mesures de sécurité par avion militaire a permis de « couper les têtes de réseaux ». Disposant de moyens financiers conséquents, les meneurs peuvent néanmoins se constituer des petits réseaux en métropole.
À l'exception de ce cas particulier, les auteurs de violences ne sont généralement pas transférés dans d'autres établissements où ils pourraient adopter un autre comportement, du fait de l'insularité des territoires.
Certains établissements mettent donc en oeuvre des solutions, qualifiées de mesures de « sécurité dynamique », pour faire face à l'importante violence à laquelle ils font face . Le centre pénitentiaire de Remire-Montjoly en Guyane a ainsi mis en place depuis quelques années un système de médiation par les détenus : les médiateurs, formés par l'administration, sont chargés de recueillir les sources de conflits et de les transmettre à l'administration. En faisant retomber les conflits par l'introduction d'une tierce personne et une réponse de l'administration aux questions soulevées par les détenus, ce système a permis une pacification relative de l'établissement . Les programmes « respecto » ou « convergence » encouragent également une responsabilisation des détenus, qui s'engagent à une participation à la vie de l'établissement en échange d'une liberté de mouvement accrue. Les établissements de Baie-Mahault et de Basse-Terre en Guadeloupe développent des programmes suivant cette logique.
* 7 Ce rapport, résultant d'une visite effectuée entre les 13 et 21 juin 2016, est consultable à l'adresse suivante : http://www.cglpl.fr/2018/rapport-de-visite-du-centre-penitentiaire-de-majicavo-mayotte/ .
* 8 Le téléphone, par exemple, se paye à l'unité et n'est accessible que pendant les heures de promenade de la métropole.
* 9 Livre blanc sur l'immobilier pénitentiaire , remis le 4 avril 2017 à Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux, ministre de la justice, par Jean-René Lecerf, président de la commission du livre blanc. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.justice.gouv.fr/la-garde-des-sceaux-10016/remise-du-livre-blanc-sur-limmobilier-penitentiaire-29889.html .
* 10 Au 1 er octobre 2018.