B. L'ACCUEIL MATÉRIEL DES DEMANDEURS D'ASILE ET DES RÉFUGIÉS : MALGRÉ DES INVESTISSEMENTS IMPORTANTS, UNE GESTION ENCORE PEU LISIBLE ET COÛTEUSE
1. Un risque, à nouveau, de sous-budgétisation de l'allocation pour demandeurs d'asile (ADA)
La dotation finançant l'allocation pour demandeurs d'asile inscrite au présent projet de loi de finances pour 2019 s'élèvera à 335,8 millions d'euros , en légère progression (+ 5,7 %) par rapport à l'année dernière (317,7 millions d'euros en LFI 2018), ce qui, selon le Gouvernement, traduirait une volonté de mieux répondre à l'exigence de sincérité budgétaire.
L'allocation pour demandeurs d'asile (ADA) L'ADA est versée aux demandeurs d'asile âgés de 18 ans et plus, ayant accepté les conditions matérielles d'accueil proposées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) et dont les ressources financières mensuelles sont inférieures au revenu de solidarité active (RSA) 33 ( * ) . En 2018, environ 81 000 ménages bénéficiaient de cette aide financière (134 988 individus en septembre 2018) gérée par l'OFII depuis le 1 er novembre 2015 34 ( * ) . L'ADA comprend deux composantes : un montant forfaitaire (de 6,80 euros par jour pour une personne seule), versé à l'ensemble des bénéficiaires, et un montant additionnel (de 7,40 euros dit « pécule ») destiné aux demandeurs d'asile ayant accepté les conditions matérielles d'accueil de l'OFII mais qui n'ont pu être hébergés, faute de places disponibles. Cette allocation peut être perçue sous la forme d'une carte de retrait spécifique constituant un moyen souple et efficace de gestion. Depuis la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 précitée, le bénéfice de l'ADA peut être suspendu si le demandeur d'asile a abandonné son hébergement, ne s'est pas rendu aux convocations de l'OFPRA ou n'a pas répondu aux demandes d'informations de l'office. Enfin, l'ADA peut être retirée lorsque le bénéficiaire a fourni des informations erronées sur sa situation financière et familiale, lorsqu'il s'est comporté violemment dans son lieu d'hébergement ou a gravement manqué au règlement de ce dernier. |
Votre rapporteur regrette que la dotation prévue en loi de finances pour financer la gestion et le versement de l'allocation pour demandeurs d'asile fasse encore l'objet d'une sous-budgétisation chronique .
Pour l'année 2018, le Gouvernement et l'OFII font ainsi état d'une prévision 35 ( * ) de dépenses d'ADA qui s'établirait à près de 410 millions d'euros, soit une sur-exécution de + 130 % par rapport aux crédits accordés en LFI 2018 (317,7 millions d'euros).
Cette hausse s'explique en partie par la revalorisation du montant du pécule versé aux demandeurs d'asile non hébergés à laquelle le Gouvernement a été contraint 36 ( * ) .
Le montant prévu par le projet de loi de finances pour 2019 reste lui aussi bien inférieur à l'exécution attendue pour l'année prochaine, et il s'appuie sur l'hypothèse d'une stabilité de la demande d'asile (et même d'une baisse de 10 % des demandeurs sous statut « Dublin ») dont votre rapporteur a déjà souligné le caractère irréaliste.
Votre rapporteur appelle donc à nouveau le Gouvernement à mieux identifier les mesures pour financer l'écart récurrent entre l'enveloppe prévue en loi de finances initiale et l'exécution et estime, au vu de la dynamique actuelle de cette dépense, que l'enveloppe prévue pour l'ADA pour l'année 2019 reste nettement insuffisante .
2. Une capacité d'hébergement en hausse mais un système toujours fragmenté et illisible
Seuls 60 % des demandeurs d'asile sont accueillis dans les structures qui leur sont normalement spécifiquement dédiées 37 ( * ) , à savoir les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) et les structures d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA).
Les autres sont orientés vers l'hébergement d'urgence de « droit commun », destiné aux personnes sans abri ou en détresse, ou vers des structures hôtelières, incapables de répondre à leurs besoins (en termes notamment d'accompagnement administratif ou de suivi médico-social pour les plus vulnérables).
Les demandes d'asile se concentrent en outre dans quatre régions métropolitaines (Île-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes, Hauts-de-France et Grand Est), ce qui aggrave l'engorgement de leurs centres d'hébergement et favorise le développement de campements insalubres : une quarantaine de camps a ainsi été démantelée à Paris, depuis trois ans, et d'autres régions exposées au flux migratoires, comme le Calaisis, connaissent encore régulièrement de telles opérations.
Évolution du Dispositif national d'accueil - DNA (2012-2019)
Source : direction générale des étrangers en France
Au fil de la crise migratoire, les dispositifs de l'hébergement utilisés par les demandeurs d'asile se sont accumulés.
Face à un tel foisonnement, votre rapporteur invite le ministère de l'intérieur à accélérer la réorganisation du dispositif national d'accueil pour en renforcer la lisibilité et l'efficacité.
Le parc d'hébergement est organisé autour de trois niveaux gradués de prise en charge, à différentes étapes du parcours du demandeur d'asile :
- d'abord, les centres d'accueil et d'évaluation des situations (CAES), pour une première mise à l'abri et une évaluation immédiate de la situation administrative des personnes souhaitant engager une démarche d'asile ;
- puis le parc d'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA), plus particulièrement adapté aux personnes sous procédure « Dublin » ou soumis à la procédure d'instruction accélérée ;
- enfin les centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), hébergement de référence à vocation pérenne pour les demandeurs d'asile en procédure normale, en vue de préparer leur hébergement autonome futur.
Selon la programmation budgétaire du PLF pour 2019, l e parc d'hébergement des demandeurs d'asile représentera plus de 97 000 places à la fin 2019, partagées selon ce schéma entre :
- 2 900 places en centres d'accueil et d'évaluation des situations (CAES) ;
- au titre de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile : (HUDA) : les 35 250 places gérées au niveau déconcentré par les préfectures, les 5 867 places du dispositif « accueil temporaire - service de l'asile » (AT-SA), les 5 351 places du « programme d'accueil et d'hébergement des demandeurs d'asile » (PRAHDA) et 4 200 places relevant des « centres d'accueil et d'orientation » (CAO) ;
- 43 450 places en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA).
S'y ajoutent enfin le parc des centres provisoires d'hébergement (CPH) pour les demandeurs auxquels a été reconnu le statut de réfugié, qui représentera près de 5 200 places fin 2018, et les 9 300 places des centres d'hébergement d'urgence pour migrants (CHUM), spécifique à l'Île-de-France.
Ces niveaux de prise en charge font ainsi intervenir une pluralité de structures aux modalités de gestion et d'accueil différentes et aux coûts très variables. Eu égard à ceux relativement élevés de certains dispositifs, comme les places CAO (environ 24 euros par jour) ou les places CHUM (environ 35 euros par jour), votre rapporteur juge intéressante l'idée, présentée par plusieurs associations lors de leur audition, de concentrer les efforts sur la création de places CADA, dispositif de base qui permet aujourd'hui le meilleur accompagnement pour un coût mesuré (19,5 euros par jour).
Votre rapporteur insiste en tout état de cause sur la nécessaire fluidification de l'occupation de ces dispositifs, qui pour être efficaces ne devraient pas accueillir - si ce n'est de façon très transitoire - ni les bénéficiaires de la protection internationale, ni les déboutés du droit d'asile.
* 33 Articles L. 744-9 et L. 744-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
* 34 Alors que les dispositifs antérieurs (allocation mensuelle de subsistance et allocation temporaire d'attente) étaient gérés par Pôle emploi.
* 35 Cette prévision se base sur les dépenses ADA exécutées au 31/07/2018 mais aussi sur un coût moyen par dossier de 399 € et sur une hypothèse de maintien du nombre mensuel de bénéficiaires de l'ADA à 92 700 sur la fin de l'année 2018.
* 36 À deux reprises en 2016 et en 2018 (CE, 23 décembre 2016, Association La Cimade et autres, n° 394819 et CE 17 janvier 2018 La Cimade et autres, n° 410280), le Conseil d'État a annulé les dispositions réglementaires déterminant le montant additionnel de l'ADA (« pécule »). En 2016, il a enjoint au Premier ministre de les revaloriser. Le décret n° 2017-430 du 29 mars 2017 et le décret n° 2018-426 du 31 mai 2018 ont ainsi revalorisé le montant de ce pécule à 7,40 € par jour contre 4,20 € avant la première décision du Conseil d'État.
* 37 Selon l'étude d'impact annexée au projet de loi « asile, immigration et intégration ».