V. UNE LUTTE CONTRE LE PIRATAGE PLUS NÉCESSAIRE QUE JAMAIS
A. UNE PERTE DE RESSOURCES CONSÉQUENTE POUR LA CRÉATION
1. Un combat au coeur de toutes les préoccupations
Le cabinet Ernst and Young publie chaque année depuis 2017 une étude sur « le Piratage en France 20 ( * ) », qui a pour objectif d'évaluer le manque à gagner lié à la consommation illégale de contenus audiovisuels.
Rendue publique le 28 juin 2018, elle indique que le manque à gagner pour la filière cinématographique et audiovisuelle française s'élève à 1,18 milliard d'euros en 2017 .
C'est dire que les montants en jeu sont colossaux. Ils représentent le double des aides du CNC, plus de trois fois les crédits d'impôt et plus de cinq ans d'investissements de Canal + . Résoudre même partiellement le problème du piratage, c'est assurer à la création un financement pérenne et en forte croissance .
À l'occasion du dernier festival de Cannes, votre rapporteure pour avis avait été frappée de constater que, au même titre que la pourtant beaucoup plus médiatique réforme de la chronologie des médias, la question du piratage des oeuvres audiovisuelles restait centrale , certains conditionnant la signature de la chronologie à la mise en place d'une politique beaucoup plus ambitieuse et efficace.
Internet s'est en effet avéré être une formidable opportunité d'échange, de partage des idées et de diffusion de la culture . Le réseau a cependant également, et dès l'origine, été associé au piratage et au vol de propriété intellectuelle, à un niveau jamais vu jusqu'à présent. À l'enregistrement de cassettes audio ou de CD a succédé le partage massif de fichiers numériques, dont la circulation a été rendue quasiment instantanée avec les progrès de la fibre.
Les producteurs de bien culturels ont très tôt compris le danger, à défaut de trouver une réponse . Le secteur de la musique, après avoir failli disparaitre, est aujourd'hui celui qui semble avoir trouvé le modèle économique le plus adapté, avec les formules de streaming payant. Les internautes acceptent maintenant de plus en plus d'acquitter une somme forfaitaire jugée modérée pour accéder à un catalogue d'une impressionnante profondeur. La facilité d'utilisation, les efforts d'ergonomie et la crainte des sanctions ont manifestement permis de juguler en partie, mais en partie seulement, le piratage massif initié par Napster et autres.
2. Une tendance encourageante
Rendue publique le 28 juin 2018, l'étude de EY indique que, entre 2016 et 2017, le nombre de pirates aurait diminué de près d'un million, passant de 11,6 millions par mois à 10,6 millions, avec pour chacun une consommation de 4 % inférieure .
L'impact sur les salles de cinéma serait moindre, avec un manque à gagner estimé à 35 M€ par an . De fait, « l'expérience » d'une projection, aidée par un accueil rénové, jointe à la difficulté de se procurer de manière illégale des contenus récents de qualité constituent encore une protection pour le réseau.
Cependant, et pour tous les secteurs, les technologies évoluent. Le « pair à pair » est en chute, alors que le streaming et le téléchargement direct ont progressé fortement ces dernières années.
De ce point de vue, les conclusions pour 2017 de l'étude de l'Association de lutte contre la piraterie audiovisuelle (ALPA) sur la consommation illégale de vidéos sur Internet en France semblent rassurantes .
Après avoir progressé de 24 % entre 2009 et 2017, la proportion d'internautes consultant régulièrement des sites dédiés à la contrefaçon audiovisuelle baisse de 8 % en 2017, pour la deuxième année consécutive, pour se situer à 26 %, soit 12 millions de visiteurs uniques par mois .
Les trois formes de piratage
Usage |
LE TÉLÉCHARGEMENT DIRECT |
LE
PEER TO PEER
|
LE STREAMING |
Tendance 2017 selon l'ALPA |
4,99 millions pour le téléchargement direct, contre 7,13 millions en 2016 |
4,58 millions d'internautes piratent, contre 5,46 millions en 2016 |
5,31 millions, contre 7,84 millions en 2016. |
Mode d'emploi |
Les sites se contentent de recenser des liens pointant vers des contenus illégaux stockés chez les hébergeurs de fichiers. Ce mode est très apprécié par les internautes car l'Hadopi ne peut pas récupérer les adresses IP des machines téléchargeant ces fichiers et donc identifier leurs utilisateurs. |
C'est à l'aide de logiciels tels que Bit Torrent que des millions d'internautes partagent entre eux les oeuvres stockées sur le disque dur de leur ordinateur. Mais en recourant à un VPN (réseau privé virtuel) afin de masquer leur adresse IP. Car il suffit aux autorités de s'inviter sur ce vaste réseau pour démasquer très facilement les pirates. |
Les internautes visionnent directement les oeuvres piratées dans leur navigateur sans les stocker sur leur ordinateur. Une pratique qui, pour les mêmes raisons que le téléchargement direct, ne peut être repérée par l'Hadopi. D'autant que, selon le droit français, regarder une oeuvre en streaming ne constitue pas une violation des droits d'auteur. |
Source : Médiamétrie et ALPA, traitement commission de la culture du Sénat
L'audience pirate se concentre sur un petit nombre de sites illicites, les vingt premiers drainant 80 % de l'audience et les cinq premiers 50 %.
La Hadopi a de son côté publié en avril 2018 une étude sur les stratégies mises en oeuvre par les internautes pour accéder aux biens culturels dématérialisés et notamment les stratégies d'accès illicites.
Pour la très grande majorité des internautes, les pratiques illicites se résument à la lecture en flux ( streaming ), au téléchargement et au pair à pair , avec peu d'évolutions depuis 2013.
Le streaming s'affirme comme le mode d'accès à la fois le plus répandu (utilisé par 92 % des personnes sondées) et le plus régulier (79 % le pratiquent de manière mensuelle), et ce sans grande différence selon les biens consommés (77 % d'usage du streaming parmi les consommateurs réguliers de musique, 68 % pour ceux de films et 71 % pour ceux de séries), devant le téléchargement (74 % d'utilisateurs, 46 % de manière mensuelle).
Le pair à pair correspond à un usage à la fois moins répandu, en baisse relative (35 % contre 46 % en 2013) et occasionnel (21 % d'utilisateurs mensuels).
L'étude menée par la Hadopi met également en évidence l'apparition de nouveaux modes d'accès illicites . Parmi ceux-ci, une attention particulière a été portée aux logiciels configurés à des fins de piratage, notamment installés sur des boîtiers raccordés à la télévision et à Internet. Ces boîtiers (box), disponibles à l'achat sur Internet, sont équipés par le revendeur ou l'utilisateur d'un logiciel et de diverses applications tierces (add-ons), dont certaines permettent d'accéder à l'offre illégale sur internet depuis la télévision, aux chaînes de télévision payantes ou encore d'enregistrer certains flux sous forme de fichiers chez l'utilisateur.
Cette pratique est déjà très développée au Royaume-Uni et en Amérique du Nord et les informations collectées par la Hadopi font penser que cet outil de piratage à fort potentiel d'usage pourrait se développer rapidement en France. Cette nouvelle offre de services menace l'économie des chaînes de télévision payantes, des droits exclusifs des retransmissions sportives, et, plus généralement, des contenus premium .
3. Des crédits de la Hadopi stabilisés
La subvention versée par le programme 334 à la Hadopi finance les missions d'appui au développement de l'offre légale et de protection des oeuvres contre le téléchargement illégal, notamment le dispositif de réponse graduée, la labellisation des offres légales, la mise en place de moyens de sécurisation, l'observation des usages des internautes, ainsi que les frais de fonctionnement de l'institution.
En 2019, ses moyens sont maintenus à 9 millions d'euros , sur lesquels devra être ponctionnée l'indemnisation des FAI au titre des traitements des demandes d'identification des internautes contrefaisants. Votre rapporteure pour avis ne peut que réitérer les critiques émises l'année dernière s'agissant des modalités de calcul de cette compensation .
* 20 https://www.ey.com/fr/fr/newsroom/news-releases/communique-de-presse-ey-piratage-de-contenus-audiovisuels-en-france