B. DES ÉTABLISSEMENTS PATRIMONIAUX EN QUÊTE DE NOUVEAUX MOYENS
1. Des crédits en baisse
Les crédits de l'action 3 « Patrimoine des musées de France » se contractent de près de 39 millions d'euros en AE, à 337,28 millions d'euros (- 10,3 %) , et de 7,5 millions d'euros en CP, à 350,6 millions d'euros (- 2,1 %) . Les crédits de cette action avaient certes progressé l'an dernier dans des proportions importantes, respectivement de 8,1 % en AE et de 6,4 %, mais cette progression visait à opérer un léger rattrapage des crédits après une érosion continue depuis 2012. Par rapport à 2012, les crédits de cette action sont inférieurs de 8,5 % en AE et de 7,4 % en CP.
La baisse est particulièrement nette s'agissant des dépenses d'opérations financières (- 69 % en AE et - 14 % en CP), qui permettent de financer les opérations d'investissement des opérateurs. Elle s'explique partiellement par les avancées dans le schéma directeur du Centre Georges Pompidou (- 25 millions d'euros en AE), et l'achèvement de l'opération d'investissement pour la création du nouvel accueil du musée de Cluny (- 3,5 millions d'euros en AE et - 3 millions d'euros en CP). Le Louvre perd sa subvention d'investissement, d'un montant de 4,98 millions d'euros, au titre de sa contribution au redressement de la trajectoire des finances publiques.
La contraction des crédits est également sensible pour les dépenses d'investissement (- 29 % en AE et - 13 % en CP), en raison de l'achèvement de plusieurs chantiers de mise aux normes et de rénovation.
Les dépenses de fonctionnement sont à peu près stables compte tenu du transfert de 1,9 millions d'euros sur le programme 224 au titre de la compensation d'accès de la gratuité des enseignants dans les établissements patrimoniaux. Si l'on observe une légère augmentation des dépenses de fonctionnement courant, les subventions pour charges de service public sont globalement reconduites, à l'exception de l'établissement public du musée d'Orsay et de l'Orangerie, dont la subvention se contracte de 700 000 euros (- 8,6 %) au titre de sa contribution à la trajectoire de redressement des finances publiques.
Les dépenses d'intervention sont maintenues en CP , compte tenu du transfert de 620 000 euros sur le programme 224 correspondant aux crédits du programme « Les Portes du temps », désormais intitulé « C'est mon patrimoine », qui vise à sensibiliser les enfants et les adolescents à la diversité des patrimoines au travers de programmes d'activités pluridisciplinaires
Les crédits de l'action 8 « Acquisition et enrichissement des collections publiques » suivent une évolution identique aux crédits de l'action 3. D'un montant similaire en AE comme en CP, ils enregistrent une baisse de près de 450 000 euros pour s'établir à 9,49 millions d'euros (- 4,5 %) . La contraction des crédits de cette action par rapport à ceux ouverts en loi de finances initiale pour 2012 est particulièrement forte (- 43,2 %).
La baisse porte sur les dépenses d'investissement (- 16 %) , qui financent les acquisitions de trésors qui dépendent des cathédrales, les acquisitions au profit des centres d'archives nationales et les acquisitions réalisées par le fonds du patrimoine d'oeuvres d'intérêt patrimonial majeur destinées à intégrer les collections des musées des collectivités territoriales. Les crédits des fonds régionaux d'acquisition des musées (FRAM) et des fonds régionaux d'aide à la restauration (FRAR), qui contribuent à l'enrichissement des collections publiques n'appartenant pas à l'État, sont, pour leur part, revalorisés de 50 000 euros (+ 2,9 %). Ces crédits servent à compléter les crédits votés par les collectivités territoriales propriétaires des musées de France.
Cette baisse des crédits est préoccupante . Les services du ministère de la culture ont indiqué à votre rapporteur pour avis que la baisse au titre de l'action 3 porte principalement sur le musée du Louvre et le musée d'Orsay , deux institutions solides qui disposent, pour l'un, d'un fonds de dotation important et générateur chaque année d'intérêts, et pour l'autre, de ressources propres confortables grâce au succès connu par ses expositions. La capacité de ces deux établissements à diversifier leurs sources de revenus est donc assurée. Les crédits reçus par le Louvre pour l'ouverture du Louvre Abu Dhabi ne sont pas impactés. Par ailleurs, la baisse des crédits alloués à ces deux institutions serait compensée en gestion l'an prochain, compte tenu de la décision de réduire le taux de la mise en réserve de précaution à 3 %. Elles ne devraient pas connaître réellement de baisse de leurs crédits.
Les marges de manoeuvre des établissements patrimoniaux n'en apparaissent pas moins de plus en plus faibles, alors même qu'ils font l'objet d'attentes croissantes , ne serait-ce qu'en matière de démocratisation culturelle. Comment répondre, voire anticiper les attentes des publics avec des dépenses d'investissement limités ? La simple valorisation des collections publiques existantes, dans un souci d'en refléter la diversité, pourra-t-elle compenser la baisse des crédits d'acquisition et d'enrichissement des collections publiques ? On sait combien la présence d'une oeuvre d'art nouvellement acquise par un musée peut constituer un facteur de visite. D'où la nécessité de diversifier sans doute les sources de financement. Dans un entretien accordé au journal Les Echos à l'occasion des vingt ans du Centre Pompidou, son directeur, Serge Lasvignes, reconnaissait que la baisse des budgets publics pour les acquisitions d'oeuvres d'art, divisés par quatre en l'espace de trente ans, rend indispensable le recours aux dons, et insistait sur la nécessité de préserver les dispositifs fiscaux qui les incitent. Mais qu'en est-il des établissements de taille ou de renommée plus modeste qui ne peuvent prétendre de la même façon à cette manne, alors même qu'ils constituent, pour beaucoup de Français, leur établissement de proximité ?
Évolution des crédits d'acquisition des musées nationaux entre 2011 et 2015
en M€ |
Ressources propres des établissements
|
Fonds du patrimoine |
Contribution du mécénat art. 238 bis 0A du CGI |
Autres mécénats, dons et legs en numéraire |
TOTAL |
2011 |
26,15 |
4,28 |
13,42 |
2,75 |
46,80 |
2012 |
18,59 |
0,50 |
8,10 |
1,57 |
28,76 |
2013 |
11,02 |
0,00 |
4,54 |
5,71 |
21,27 |
2014 |
13,23 |
0,33 |
1,69 |
3,90 |
19,15 |
2015 |
15,11 |
0,50 |
8,15 |
3,74 |
27,50 |
Source : Ministère de la culture
Autre signe des temps, le rythme des ouvertures de musée s'est ralenti : alors qu'il pouvait atteindre vingt à vingt-cinq nouveaux musées par an il y a vingt ans, il se situe désormais davantage aux alentours de cinq à dix. Ce phénomène s'explique largement par une réduction par deux des moyens investis. Les projets sont dorénavant plus étalés dans le temps. Les dossiers, qui mettaient entre cinq et sept ans pour aboutir auparavant, nécessitent dorénavant entre sept et dix ans.
2. La situation du Centre des monuments nationaux
Après une période difficile en 2015 et 2016, le retour progressif des touristes étrangers et le succès exceptionnel rencontré par certains monuments en régions laisse espérer au Centre des monuments nationaux (CMN) retrouver en 2017 une fréquentation proche du record atteint en 2014. Ce redressement de la fréquentation lui fait escompter un niveau de recettes lui permettant d'absorber plus facilement les surcoûts de sécurité .
Pour autant, un certain nombre de difficultés persiste.
Les questions de personnel demeurent un sujet sensible , d'autant que le plafond d'emplois devrait être abaissé en 2018 au titre de la contribution de l'établissement à la maîtrise de l'emploi public. Les contraintes en matière d'emploi freineraient aujourd'hui le développement de l'opérateur à plusieurs titres. Il l'obligerait à renoncer à ouvrir de manière régulière au public certains monuments dont il a la gestion. Il l'empêcherait d'élargir les plages d'ouverture de certains monuments, pour lesquels le besoin se fait pourtant ressentir : c'est en particulier le cas de l'Arc-de-Triomphe, aujourd'hui arrivé à saturation en raison de la nécessaire régulation des flux imposés par les mesures de sécurité. Il le contraindrait enfin à décliner certaines sollicitations destinées à obtenir son aide pour la gestion d'un monument, alors même que la proximité géographique de celui-ci avec un monument déjà sous sa responsabilité aurait pu être une source de synergies. Cette situation est d'autant plus regrettable que le CMN n'a plus à démontrer son expertise dans la gestion des monuments et pourrait contribuer à l'objectif fixé par le Gouvernement de dynamisation économique des territoires.
Surtout, la capacité financière de l'établissement à engager de grands projets de restauration reste terriblement réduite . Le montant de la subvention d'investissement est fixée en 2018 à 18,13 millions d'euros , dont 17,93 millions d'euros sont destinés à l'entretien et à la restauration des monuments historiques et 205 000 euros aux acquisitions. Malgré la diminution du taux de mise en réserve de précaution qui devrait dégager quelques marges de manoeuvre supplémentaires, ce montant reste très nettement inférieur aux besoins annuels, évalués par le président de l'établissement, à 30 millions d'euros.
Le fonctionnement du CMN est financé à 80 % par ses ressources propres . Néanmoins, l'opérateur ne dispose pas d'une capacité d'autofinancement suffisante pour prendre en charge le complément : les chiffres des derniers exercices la place un peu au-dessus d'un million d'euros chaque année. Son fonds de roulement est déjà sollicité pour le projet de l'Hôtel de la Marine à hauteur de 10 millions d'euros. Sa programmation d'investissement est donc largement dépendante du niveau de subvention versé par l'État .
Les ressources propres du CMN en 2016 Les ressources propres du CMN proviennent majoritairement des droits d'entrée , qui se sont élevées à 45,08 millions d'euros en 2016 (66 %), ce qui explique l'enjeu du niveau de fréquentation pour l'établissement. Les ventes du réseau des librairies boutiques et des éditions et la valorisation domaniale constituent également des recettes non négligeables, puisqu'elles représentaient respectivement 17 % (11,46 millions d'euros) et 12 % (7,9 millions d'euros) des recettes en 2016. Le mécénat financier apporte un complément de ressources, même si sa part est plus marginale (0,93 millions d'euros en 2016).
Source : Commission de la culture, de
l'éducation et de la communication
|
La sous-dotation de l'État en crédits d'investissement conduit à accumuler des retards dans les travaux de restauration, qui sont préjudiciables tant en termes de coût que d'attractivité des monuments. Un certain nombre d'opérations ont été reportées jusqu'ici, parmi lesquelles la deuxième phase des travaux de restauration du Panthéon, qui doit concerner le péristyle, pour un montant de 12 millions d'euros, la restauration de la Grande Cascade du domaine de Saint-Cloud et de ses abords, pour un montant minimal évalué à 6 millions d'euros, ou la restauration de des façades et de la couverture de la Merveille du Mont-Saint-Michel. Le château de Pierrefonds, le château et les remparts de la cité de Carcassonne, comme les décors du château de Rambouillet, nécessiteraient également des interventions.
Plusieurs opérations devraient néanmoins être lancées ou poursuivies en 2018, après l'achèvement cette année de plusieurs chantiers d'envergure, qu'il s'agisse du château d'Azay-le-Rideau, du château de Rambouillet ou de l'aménagement de la maison des mégalithes de Carnac. Les principaux chantiers concerneront la colonne de Juillet, la restauration du cloître du Mont-Saint-Michel, le monastère royal de Brou à Bourg-en-Bresse et l'achèvement de la restauration du château de Voltaire à Ferney-Voltaire.
Les crédits octroyés ne permettraient plus d'envisager de nouvelles grandes opérations , à l'image de celles qui ont porté sur la villa Cavrois, Azay-le-Rideau ou le château de Ferney-Voltaire, alors que le succès touristique qu'elles engendrent une fois achevées soutient la croissance de l'établissement et apporte de réelles retombées sur l'économie locale. Une grande opération de ce type aurait pu être menée au château de Carrouges, mais les contraintes budgétaires conduisent à limiter le chantier, qui débutera en 2018, à la restauration de ses toitures.
Les modalités de financement des travaux sur l'hôtel de la Marine sont, en revanche inédites . Ils sont financés, pour 10 millions d'euros, par les ministères chargés des affaires étrangères et de la défense et, pour les 90 millions restants, par le CMN, dont 10 millions proviennent de ses fonds propres et 80 millions d'un prêt. Cet emprunt bancaire a vocation à être remboursé à partir des recettes du monument, mais aussi des loyers perçus pour les bureaux conçus au sein de l'hôtel de Marine à l'occasion des travaux de restauration. Les travaux sur le monument ont débuté en 2017 avec les restaurations extérieures. Les travaux intérieurs devraient débuter en 2018. L'ouverture au public et aux locataires des bureaux est prévue en 2020.
Le président du CMN, Philippe Bélaval, met en avant ce nouveau système de gestion du patrimoine et estime qu'il pourrait ouvrir la voie à une réflexion sur la réutilisation des biens patrimoniaux . Les annonces faites par la ministre de la culture, Françoise Nyssen, à l'occasion de la présentation de la stratégie pluriannuelle en faveur du patrimoine laisse supposer que cette piste pourrait être explorée. Elle a en effet indiqué que des modules obligatoires « Patrimoine » seraient mis en place dans les écoles nationales supérieures d'architecture à compter de l'année universitaire 2018-2019 pour former leurs étudiants aux enjeux de réutilisation du patrimoine bâti. Votre rapporteur pour avis se félicite de l'ouverture de ce nouveau chantier. Il avait noté l'an dernier que la législation actuelle n'encourageait pas suffisamment les projets permettant la réutilisation des monuments historiques, qui constitueraient pourtant un moyen d'assurer leur conservation, tout en les faisant vivre et en favorisant leur ouverture au public.
La réflexion en cours sur l'avenir du Mont-Saint-Michel suscite enfin des inquiétudes compte tenu de la place particulière du monument au sein de son réseau, qui totalise à lui seul environ un huitième des entrées réalisées par le CMN. Il n'a pas été précisé à ce stade le rôle qui serait confiée au CMN par rapport à l'établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) dont la création a été annoncée. S'il n'était pas partie à l'EPIC, comme c'est le cas pour le domaine national de Chambord, le CMN perdrait alors la gestion du Mont-Saint-Michel. Cette décision serait lourde de conséquences sur l'équilibre financier de l'établissement et sur son image d'expertise en matière de développement culturel des territoires.
*
Compte tenu de ces observations, votre rapporteur pour avis propose à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 175 « Patrimoines » de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2018.
*
* *
La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2018.