B. L'ETAT ET LA CAISSE DES DÉPÔTS ONT CHOISI DE DOTER LA FRANCE D'UN OUTIL UNIQUE EN EUROPE ET RARE DANS LE MONDE
1. Une initiative conjointe de l'État et de la Caisse des dépôts aux moyens relativement limités
a) La réunion de deux initiatives convergentes
Créée en mars 2011, France Brevets est issue de la rencontre entre deux initiatives . La première est la création par la Caisse des dépôts , fin 2009, de sa filiale « CDC France Brevets » en vue d' acquérir des droits de propriété intellectuelle et de conclure des contrats portant sur ces droits afin de les valoriser .
La seconde provient de la mesure n° 20 des États généraux de l'industrie de mars 2010, qui entendait accompagner les PME détentrices de brevets dans leur processus de valorisation et aider celles qui en étaient dépourvues à utiliser des technologies brevetées .
Cette double paternité se retrouve au niveau de sa structure et de son financement.
b) Un financement entièrement public
France Brevets a été dotée de 50 millions d'euros provenant de l'État au titre du PIA 1, auxquels se sont ajoutés 50 millions d'euros provenant de la Caisse des dépôts et consignations . Le rythme d'engagement a été plus lent que prévu dans la convention du 2 septembre 2010.
Libération des 100 millions d'euros initialement accordés à France Brevets ( en millions d'euros )
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
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Tranche de capital |
2 |
8 |
40 |
0 |
40 |
10 |
Source : statuts de France Brevets
Le PIA 2 56 ( * ) a confirmé l'action de France Brevets en lui allouant, suite à une décision en ce sens du Premier ministre en date du 15 janvier 2016, les 100 millions d'euros initialement prévus au titre de l'action « Fonds souverain de la propriété intellectuelle » (FSPI).
Ce sont donc 200 millions d'euros qui sont fléchés vers France Brevets . À ce jour cependant, seuls les 100 millions du PIA 1 ont été libérés. Les 100 millions supplémentaires devraient être libérés, selon l'avenant à la convention du 2 septembre 2010, d'ici à 2020.
L'enveloppe de 150 millions d'euros dédiée au financement de France brevets issue du PIA peut être modifiée à la baisse ou à la hausse dans certaines conditions précisées dans la convention du 2 septembre 2010. Ces fonds mobilisés par l'État sont gérés pour son compte par la Caisse des dépôts. La Caisse intervient donc dans France Brevets comme opérateur du programme d'investissements d'avenir et comme actionnaire, chacune de ces missions étant réalisée par un service distinct.
L'enveloppe totale de 200 millions d'euros peut apparaître limitée si on la compare aux 300 millions de dollars et aux 500 millions de dollars dont bénéficient ses homologues japonais et coréen.
Enfin, il convient de noter que le financement entièrement public peut se justifier par la nature expérimentale et donc risquée du dispositif, par sa vocation à agir sur le temps long et, à terme, à susciter l'intérêt du secteur privé pour ce type de modèle.
c) Une gouvernance reflet de son actionnariat, mais en cours d'évolution
Afin de bénéficier de la souplesse offerte par cette forme sociale, l'État et la Caisse des dépôts ont choisi de créer France Brevets sous forme de société par actions simplifiée , aujourd'hui détenue à parité par l'État et la Caisse des dépôts. La forme sociétale de droit commercial permet également d'ester en justice à l'étranger, les juridictions ne pouvant opposer l'irrecevabilité résultant de l'incapacité à agir des États ou de leurs démembrements.
La société France Brevets est dotée d'un conseil d'administration composé de huit administrateurs et rassemble, à parité, l'ensemble des services de l'État et de la Caisse des dépôts intéressés par France Brevets. Il s'agit, côté État, du ministère de l'économie et des finances (représenté par la direction générale des entreprises et par la direction générale du trésor), du ministère de la recherche et de l'innovation et des services du Premier ministre en charge du PIA (commissariat général à l'investissement). L'autre moitié des administrateurs provient de la Caisse des dépôts.
Le conseil d'administration se réunit très régulièrement (environ neuf fois par an) en vue de suivre précisément les orientations stratégiques et les décisions de gestion proposées par le directeur général 57 ( * ) . C'est le conseil d'administration qui évalue le dispositif, et non le comité de pilotage et d'évaluation, dont c'était pourtant le rôle . Le comité de pilotage et d'évaluation avait en effet été créé en vue d'évaluer l'ensemble des dispositifs ayant vu le jour dans le cadre du fonds national de valorisation, créé dans le cadre du PIA 1. L'ensemble des administrations présentes au conseil d'administration y siègent également, la seule différence se trouvant dans la présence, au comité de pilotage, de l'Agence nationale de la recherche. Devant se réunir au moins une fois par an, le comité a surtout évoqué France Brevets pour préparer les décisions d'augmentation de capital successives. À titre illustratif, le rapport d'évaluation commandé par la Caisse des dépôts à propos de France Brevets et rendu en 2015 n'a pas été communiqué au comité de pilotage.
Innovation des statuts mis à jour fin 2016, deux membres peuvent être nommés en qualité de personnalités qualifiées , sur proposition des deux actionnaires, afin d'associer des personnes issues de secteurs de pointe et dotées d'une expérience significative en la matière. Auparavant, la présidence de la société, non exécutive et non rémunérée, revenait à un responsable du groupe Caisse des dépôts. Trois présidents issus de la Caisse se sont succédé, ce qui pouvait traduire un certain manque d'implication. Elle est, depuis le 19 décembre 2016, assurée par une personnalité qualifiée , en la personne d'Olivier Appert, ancien Président-Directeur Général de l'IFP-EN. Un nouvel administrateur devrait être nommé au titre des « personnalités qualifiées » dans les mois à venir. Selon les informations de votre rapporteur, cette personne serait issue du secteur du capital-risque. Votre rapporteur salue cette évolution, dans la mesure où cela permet à France Brevets de bénéficier d'un regard extérieur expert sur son activité .
La composition du conseil d'administration est amenée à s'adapter au gré de l'évolution du capital de la société. Les statuts stipulent que, lorsqu'il sera devenu majoritaire, l'État nommera cinq membres au conseil (deux représentants du Premier ministre, un représentant du ministre de la recherche, un représentant du ministre de l'industrie et un représentant du ministre de l'économie), quand deux ou trois membres seront proposés par la Caisse des dépôts (trois si l'État dispose de 50 à 66,6 % du capital, deux s'il en détient entre 66,7 et 100 %).
d) Une équipe très qualifiée, mais de taille réduite
L'équipe opérationnelle, de taille très réduite, est composée de 18 personnes (dont 30 % occupant des fonctions support). Il s'agit d'un personnel très qualifié 58 ( * ) , recruté non sans difficultés 59 ( * ) soit en milieu industriel, soit dans des cabinets d'avocats, soit dans des sociétés de conseil.
Trois équipes ont été constituées, toutes dotées d'un haut niveau de pluridisciplinarité : une équipe de spécialistes techniques (scientifiques, ingénieurs), une équipe d'experts en propriété intellectuelle et une équipe d'analystes et économistes.
France Brevets a également recours à des prestataires externes : des experts techniques spécialisés pour l'analyse des technologies brevetées et la réalisation de travaux de rétro-ingénierie 60 ( * ) , des avocats et conseils en propriété intellectuelle pour le contentieux et le suivi des procédures de dépôts de brevets, et des partenaires locaux pour les négociations à l'étranger (la société a recours à six consultants permanents répartis par zone géographique - Chine, Japon, Corée, Canada).
2. Un outil qui se définit principalement par son mode d'intervention.
Le mode d'intervention de France Brevets est au coeur de la définition figurant à la convention du 2 septembre 2010 et rappelée en introduction. France Brevets est doté de fonds en vue :
- d'acquérir des droits sur des brevets issus de la recherche publique et privée, française ou étrangère ;
- puis de les regrouper en grappes technologiques - cet élément est aujourd'hui nécessaire, dans la mesure où une technologie nouvelle repose de plus en plus sur une multitude de brevets et non plus sur une seule invention, cet éparpillement de la propriété industrielle exigeant une capacité d'agrégat ;
- en vue de les licencier .
Ce mode d'intervention vise à répondre à deux types d'objectifs. Il s'agit, d'un côté, d' inciter à l'innovation en assurant un juste retour sur investissement aux acteurs de la recherche française , en protégeant l'innovation française au niveau international, afin d'éviter qu'elle ne soit contrefaite sans contrepartie et en favorisant le choix des brevets français dans la normalisation des technologies.
De l'autre, il s'agit de permettre aux entreprises françaises d'exploiter des brevets à des conditions raisonnables .
Ces objectifs, que l'on peut qualifier d'intérêt général, ne doivent cependant pas faire oublier que les actionnaires de France Brevets entendent en tirer profit : la convention du 2 septembre 2010 prévoit, sans en préciser la temporalité, un taux de retour sur investissement pour les actionnaires de 8 % .
France Brevets avait initialement vocation à s'adresser , selon des modalités différentes, à tout type d'entreprises - PME mais également grands groupes qui voudraient confier à des tiers compétents la représentation de leurs intérêts dans le domaine des brevets - comme à tout type d'unité de recherche publique , qu'elle soit issue des laboratoires universitaires ou des grands organismes de recherche.
S'agissant des secteurs d'activité à cibler, France Brevets s'est donnée une vocation multisectorielle . Sa première doctrine d'intervention a notamment retenu les secteurs suivants : l'électronique et les télécommunications, les énergies nouvelles, l'instrumentation médicale et la télémédecine, l'aéronautique et l'espace, la chimie des matériaux.
La multiplicité des objectifs auxquels peut répondre le mode d'intervention de France Brevets ainsi que sa vocation à intervenir sur des champs d'activité particulièrement larges ont pu concourir à un certain manque de clarté de sa mission , même si, dans les faits, l'équipe a dû établir des priorités, tout en restant ouverte aux opportunités.
3. Une structure unique en Europe et rare dans le monde
France Brevets est la seule structure publique dédiée à l'investissement en matière de brevets en Europe . Ses homologues se trouvent uniquement en Asie .
Il s'agit de l'IP Cube Partner et, surtout, de l'Intellectual Discovery en Corée du Sud. On peut également mentionner, au Japon, l'IP Bridge (principalement orienté sur le numérique) et à Taïwan, le Chinese Taipei's Industrial Technology Research Institute. Selon une étude publiée par le Centre for Digital Entrepreneurship and Economic Performance 61 ( * ) , ces fonds publics disposent cependant tous de modèles d'affaires assez différents, ce qui rend les comparaisons délicates.
Grandes caractéristiques des principaux fonds coréen et japonais
Intellectual Discovery 2010 |
IP Bridge 2013 |
|
Activité |
Conseil en PI Monétisation de brevets Capital-risque* |
Conseil en PI Monétisation de brevets Incubation « IP financing » ** |
État d'établissement |
Corée du Sud |
Japon |
Fonds mobilisés |
500 millions de dollars |
300 millions de dollars |
Portefeuille de brevets |
3 800 |
3 500 |
Source : sites internet des fonds
*cette activité est en cours de cession
**activité consistant à favoriser l'obtention de financements en prenant appui sur les actifs de propriété intellectuelle, par exemple, en les utilisant comme collatéral pour l'obtention d'un prêt
* 56 Créé en application de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014.
* 57 Suite au départ de Jean-Charles Hourcade, France Brevets est dirigée, depuis 2016, par Didier Patry.
* 58 La convention du 2 septembre 2010 incitant l'organisme à recruter des équipes du « meilleur niveau mondial ».
* 59 Jean-Charles Hourcade, lors de son audition à l'Assemblée nationale, estimait qu'« en Europe, les experts pointus dans les domaines qui nous intéressent se comptent sur les doigts de quelques ».
* 60 Activité consistant à apporter la preuve que la technologie utilisée par le produit contrefait incorpore bien les inventions protégées.
* 61 Centre for Digital Entrepreneurship and Economic Performance, Mobilizing national innovation assets : understanding the role of sovereign patent funds, mai 2016.