EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 12 juillet 2017, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, a procédé à l'examen du rapport pour avis de M. Michel Boutant sur le projet de loi n° 587 (2016-2017) renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure.
M. Christian Cambon, président . - Nous examinons à présent le rapport pour avis de M. Michel Boutant sur le projet de loi renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure.
M. Michel Boutant, rapporteur pour avis. - En raison de la persistance du risque terroriste sur notre sol, le Gouvernement a demandé au législateur de proroger l'état d'urgence à six reprises depuis novembre 2015. La dernière prorogation, jusqu'au 1er novembre 2017, a été adoptée par le Sénat le 4 juillet dernier.
La mise en oeuvre des mesures de police administrative prévues par la loi du 3 avril 1955 a constitué un instrument important de la stratégie antiterroriste des pouvoirs publics. La persistance de la menace depuis plus d'un an et demi conduit toutefois le Gouvernement à proposer aujourd'hui la création de nouvelles dispositions, permanentes cette fois. Il s'agit essentiellement de pérenniser les éléments les plus utiles de l'état d'urgence, tout en atténuant leur caractère attentatoire aux libertés publiques. La mise en place de périmètres de protection et de mesures individuelles de surveillance, la réalisation de perquisitions administratives - même si elles portent un autre nom - et la fermeture de lieux de culte deviendraient ainsi des possibilités permanentes, sous certaines conditions qui découlent notamment des décisions récentes du Conseil constitutionnel.
Outre ces dispositions, qui relèvent davantage de la commission des lois, le présent texte comporte deux dispositifs qui justifiaient la saisine de notre commission pour avis. Il s'agit d'une part du cadre juridique du fichier dit « PNR » (Passenger name record), créé par les articles 5 à 7 de la loi de programmation militaire du 18 décembre 2013. Les modifications ici proposées sont essentiellement liées à l'adoption récente de la directive européenne - tant attendue ! Il nous est en outre proposé de valider la création d'un PNR maritime simplifié. En second lieu, les articles 8 et 9 instaurent un nouveau régime légal de surveillance des communications hertziennes - pouvant notamment être mise en oeuvre par les armées et par certains services de renseignement -, afin de tirer les conséquences d'une question prioritaire de constitutionnalité du 21 octobre 2016.
Quelques mots d'abord sur les articles 5 à 7 relatifs aux fichiers dits « PNR ». L'article 17 de la loi de programmation militaire de 2013 avait rendu possible la création d'un tel fichier pour rassembler les données sur les passagers du transport aérien, pour la prévention et la constatation des infractions terroristes ou d'autres infractions très graves. La France anticipait ainsi le vote d'une directive européenne dont le projet avait été présenté dès février 2011. Ce système français de PNR permet soit de croiser les données des passagers avec celles d'un certain nombre de fichiers de police, soit, grâce à l'élaboration progressive de critères de dangerosité, d'identifier des profils dangereux. Actuellement, le fichier est en fin d'expérimentation et reçoit déjà 300 demandes par jour de la part des services utilisateurs. Ces demandes sont traitées par une « unité information passagers » (UIP) dont nous avons auditionné le directeur et dont l'effectif est de 35 personnes - 75 à terme.
Après des années de négociations, la directive PNR a enfin été adoptée le 27 avril 2016, obligeant tous les pays membres à se doter d'un tel fichier. Les dispositions du présent texte visent donc d'abord à pérenniser ce dispositif, qui n'avait été créé qu'à titre expérimental jusqu'au 31 décembre 2017 ; ensuite à se mettre en conformité avec le texte définitif de la directive. Fort heureusement, le PNR français s'est conformé dès le départ au projet de directive en cours de négociation, de sorte qu'il ne reste que quelques détails à corriger au sein du code de la sécurité intérieure, notamment en mettant à jour la liste des infractions visées.
Nous pouvons nous féliciter de cette nouvelle étape dans la mise en oeuvre de cet instrument parmi les plus utiles dans la lutte contre les formes actuelles de terrorisme. Il faut toutefois souligner que la valeur ajoutée d'une approche communautaire réside surtout dans la possibilité, qui doit à présent constituer une priorité, d'organiser des échanges entre les PNR des États membres, dès que ceux-ci s'en seront dotés. Actuellement, la France peut déjà coopérer avec le Royaume-Uni, avec la Roumanie et avec la Hongrie. L'Allemagne devrait rejoindre ces pays courant 2018, ainsi que l'Espagne. Il sera cependant nécessaire d'inciter l'Italie à poursuivre ses efforts dans ce domaine, tandis que la Grèce a malheureusement pris du retard pour des raisons essentiellement financières.
Deuxième apport du texte dans ce domaine, l'ébauche de la création d'un PNR maritime. Le projet de loi ne fait ici que développer des dispositions déjà créées par la loi du 20 juin 2016 pour l'économie bleue. Il s'agit de prévenir d'éventuels actes terroristes à bord des navires, ainsi que de mieux connaître les routes maritimes empruntées par des personnes à risque.
Ce nouveau fichier concernera les passagers au départ et à l'arrivée des liaisons France/France, France/étranger ou étranger/France, à bord des navires battant pavillon français ou étranger. Ceci recouvre à la fois des liaisons maritimes régulières par ferries et des activités de croisières saisonnières, pour un volume annuel global de 32,5 millions de passagers, dont 17 millions environ pour le trafic transmanche et 4 millions pour les liaisons régulières entre la Corse et le continent.
Le dispositif est moins complexe et moins coûteux que le PNR aérien. Il se limitera, au moins dans un premier temps, à un effort de standardisation des données déjà collectées par les compagnies maritimes lors des enregistrements, puis à des modalités de transfert facilitées aux services de sécurité pour qu'ils puissent consulter les fichiers de police. Comme dans le cas du PNR aérien, l'efficacité de ce système serait nettement améliorée en cas de coopération entre les pays membres. À l'heure actuelle, le Royaume-Uni, l'Espagne, la Finlande, le Danemark et la Belgique disposent de systèmes plus ou moins avancés. Il faut donc encourager ces pays et les autres partenaires européens de la France à poursuivre leurs efforts dans ce domaine.
J'en viens maintenant aux dispositions concernant l'« exception hertzienne ». N'étant pas un spécialiste, j'ai participé aux auditions réalisées par la commission des lois et pris l'initiative de consulter des ingénieurs et les magistrats de la CNCTR... Comme vous le savez, la loi du 10 juillet 1991 sur les interceptions de sécurité avait choisi de les exclure en leur donnant une base légale mais ne les soumettant à aucune procédure d'autorisation ni de contrôle. Or le spectre hertzien est très large et nous concerne tous : radioamateurs ou professionnels, bluetooth, réglage des montres électroniques...
L'instauration de cette « exception » était justifiée par le fait que les opérations correspondantes consistaient en une surveillance générale du domaine radioélectrique sans viser des communications individualisables. Même si elles ne portent pas sur des moyens de communication majoritairement utilisées, la surveillance des communications hertziennes est utile notamment dans le domaine militaire, du contre-espionnage et parfois dans le cadre de la lutte contre la grande criminalité et de la lutte anti-terroriste. L'hertzien constitue un moyen discret de transmission d'ordres - en haute ou basse fréquence, comme c'est le cas dans le domaine militaire - et un moyen de communication dans l'action - par talkies-walkies par exemple. Il est très utile également dans les zones dépourvues d'infrastructures de télécommunication.
Lors de l'examen de la loi relative au renseignement de juillet 2015 et de celle sur la surveillance des communications électroniques internationales de novembre 2015, il a été décidé de maintenir ce régime dit de l'« exception hertzienne ». Après les avis rendus par la CNCIS et la CNCTR, le Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement d'une QPC posée par des associations en octobre 2016, a jugé ce dispositif non conforme à la Constitution. Il a en effet considéré que dès lors que peuvent être interceptées des communications individualisables, les dispositions portent une atteinte au droit au respect de la vie privée et au secret des correspondances. Il a donné au législateur jusqu'au 31 décembre 2017 pour remédier à cette situation et demandé à la CNCTR de mettre en place avant cette date un dispositif transitoire. La CNCTR a recommandé diverses procédures au Premier ministre.
Le projet de loi, aux articles 8 et 9 vise donc à établir une législation conforme à la Constitution. D'une part, il valide l'interprétation de la CNCIS et de la CNCTR s'agissant des communications mixtes utilisant la voie hertzienne sur un segment seulement ou transitant par un opérateur, les assimilant aux techniques visées par les lois de 2015 et les soumettant donc au régime d'autorisation du Premier ministre avec intervention pour avis et/ou contrôle de la CNCTR. D'autre part, il distingue les correspondances échangées au sein d'un réseau conçu pour une utilisation privative par une personne ou un groupe fermé d'utilisateurs et crée donc une cinquième technique de renseignement qui sera soumise au régime d'autorisation de droit commun par le Premier ministre et de contrôle par la CNCTR, et aux mêmes règles d'exploitation et de conservation des données recueillies.
La grande majorité des interceptions réalisées sur les communications hertziennes sont donc soumises au régime de droit commun, ce qui constitue une avancée importante du contrôle sur les services pour le bon respect de la vie privée et des libertés.
S'agissant ensuite, à titre résiduel, des communications empruntant exclusivement la voie hertzienne et n'impliquant pas l'intervention d'un opérateur de communications électroniques, elles sont transmises de façon ouverte, c'est-à-dire qu'elles peuvent être captées et enregistrées par n'importe quelle personne, pourvu qu'elle soit dotée d'un appareil de réception des fréquences d'émissions - appareil en vente libre utilisé par les radioamateurs, les cibistes, les utilisateurs de talkies-walkies analogiques, mais aussi les utilisateurs de radio VLF, HF ou les moyens militaires de communication tactique.
Le projet de loi confirme la légalité des interceptions par les services de renseignement et par les unités militaires dans le cadre de leur mission de défense militaire : dissuasion, postures permanentes de sûreté aérienne et de sauvegarde maritime, action de l'État en mer. Il n'instaure pas de dispositifs d'autorisation du Premier ministre, mais les soumet à un régime allégé d'obligations : durée de conservation maximale de six ans, transcriptions et extractions conformes aux finalités inscrites dans la loi relative au renseignement, principe de destruction de ces transcriptions et extractions. Il confie en outre à la CNCTR la mission de veiller au respect des champs d'application respectifs des techniques de droit commun et du régime spécifique - hertzien ouvert - ainsi créé. Pour ce faire, la CNCTR est informée du champ et de la nature des mesures prises.
L'article 8 du projet de loi prévoit que la CNCTR peut se faire présenter par les services de renseignement les capacités d'interception mises en oeuvre, et solliciter du Premier ministre tous les moyens nécessaires, y compris pour s'assurer le respect des champs d'application respectif, obtenir la communication des renseignements collectés et les transcriptions et extractions réalisés. Elle peut aussi formuler des recommandations et observations adressées au Premier ministre et à la Délégation parlementaire au renseignement.
Ces deux dernières dispositions ne sont pas incluses dans l'article 9 s'agissant des unités militaires. En effet, le Gouvernement, notamment le ministère des armées, - je vous livre son point de vue - considère que les éléments étant accessibles par tout le monde, il ne peut y avoir atteinte à la vie privée ou aux libertés ; il estime en outre que la mise en oeuvre du contrôle de la CNCTR est potentiellement lourde, notamment dans un contexte opérationnel, et que le contrôle interne par les corps d'inspection de chacune des armées et l'inspection générale des armées est suffisant. Enfin, le Gouvernement considère que la CNCTR a été créée pour répondre au besoin spécifique de contrôle indépendant de l'usage par les services de renseignement des différentes techniques de renseignement et de respect de leurs champs d'application respectifs, contrôle qui perd de son sens à l'égard d'unités militaires qui ne pratiquent aucune autre technique de renseignement sur le territoire national.
Au demeurant, les missions des armées dans la défense du territoire ne sont pas des missions de renseignement - au sens de surveillance administrative - et n'entrent donc pas dans le domaine du code de la sécurité intérieure. Les activités de renseignement dans ce domaine sont plus à considérer comme des activités d'autoprotection ou d'alerte avancée que des missions de surveillance en vue d'acquérir une connaissance sur un adversaire - ce que fait en revanche la DRM qui est un service de renseignement. Il s'agit pour les armées d'être capables en permanence de détecter une menace hostile à proximité ou dans notre espace aérien ou nos eaux territoriales afin de réagir dans les plus brefs délais.
Saisie pour avis, la CNCTR a émis une délibération le 9 juin 2017 dont nombre de recommandations ont été reprises, mais s'agissant des moyens à sa disposition pour réaliser le contrôle du respect des champs d'application, elle considère qu'elle doit disposer de la faculté d'agir de sa propre initiative sans avoir à solliciter le Premier ministre - ce qui fait l'objet d'un amendement du rapporteur de la commissions des lois - et qu'elle devra veiller au respect du champ particulier d'interventions des militaires des armées, à savoir les besoins de la défense militaire et de l'action de l'État en mer.
Pour ce faire, même si la CNCTR ne l'a pas explicitement demandé dans sa délibération, il me semble qu'elle devrait disposer de la capacité de se faire présenter sur place les capacités d'interception mises en oeuvre et, à la seule fin de s'assurer du respect du champ d'application, les renseignements collectés et les transcriptions et extractions réalisées.
Le projet de loi constitue une avancée significative dans la protection de la vie privée et des libertés publiques, puisqu'il étend de manière considérable le périmètre de contrôle de la CNCTR, et il répond aux objections du Conseil constitutionnel. Je propose donc à la commission un avis favorable à son adoption. Néanmoins, je ne verrais que des avantages à soumettre l'ensemble au contrôle de la CNCTR ce qui constituerait une garantie de son bon fonctionnement et un moyen de se prémunir contre d'éventuelles et même très hypothétiques dérives. Nous moderniserions ainsi notre démocratie ; la confiance placée dans notre armée ne fait pas obstacle à la réalisation d'échantillonnages ponctuels dans certains services pour prévenir tout débordement. D'où les deux amendements que je vous propose.
Le premier amendement ETRD.1, de pure coordination, inscrit dans l'article de l'ordonnance du 17 novembre 1958 consacré à la délégation parlementaire au renseignement, comme nous le faisons régulièrement, le fait qu'elle sera désormais destinataire des recommandations et observations que la CNCTR jugera nécessaire de lui transmettre au titre du contrôle de la mise en oeuvre par les services de renseignement des dispositions du nouveau régime hertzien ouvert.
L'amendement proposé à l'article 9 ETRD.3 étend les moyens de la CNCTR concernant le respect du champ d'application de l'article 9 par les militaires des armées. Il consiste à lui donner la possibilité de se faire présenter sur place les capacités d'interception mises en oeuvre et pour s'assurer le respect du champ d'application, celle de se faire présenter également les renseignements collectés et les transcriptions et extractions réalisées, comme dans celui déposé par le rapporteur de la commission des lois Michel Mercier à l'alinéa 14 de l'article 8
Avant la loi sur le renseignement de juillet 2015, les services de renseignement agissaient dans un cadre peu régulé. Ils sont dotés d'un cadre légal solide, destiné à éviter que leurs activités soient juridiquement contestées et soumises à la critique. Nous complétons et rendons ce cadre plus efficace encore, sans freiner pour autant le travail des services de renseignement.
M. Christian Cambon, président. - Merci pour cet éclairage précis sur ce texte technique.
M. André Trillard. - Le mieux est parfois l'ennemi du bien. Ce sujet devient d'une complexité effrayante. Des moyens de surveillance sont utilisés par les militaires à des fins opérationnelles de défense du territoire national et de ses approches. Sachons fixer des limites à un contrôle administratif pesant. Les unités militaires, qui agissent pour notre protection contre des menaces militaires, devraient être exclues du dispositif. Je ne suis pas du tout favorable à ce genre d'amendements, qui partent sans doute d'une bonne intention. Faisons confiance à nos officiers plutôt que de soumettre nos militaires à une surveillance bureaucratique.
M. Michel Billout. - Mon groupe n'ayant pas voté la loi de 2015, nous serons peu enclins à voter celle-ci... Nous nous exprimerons plus longuement en séance et, pour l'heure, nous nous abstiendrons sur ces amendements, comme sur le texte qui nous est soumis en commission.
La commission adopte les deux amendements présentés.